dimanche 28 novembre 2010

Les lois de l’honneur chez Hobbes au regard du code chevaleresquee

Les lois de l’honneur chez Hobbes au regard du code chevaleresque Après avoir posé la question de l’homme et avoir défini ses facultés et son mode de fonctionnement, Hobbes se penche, dans la seconde partie de son ouvrage, sur la constitution et le mode de fonctionnement de l’Etat. Dès lors que l’on a conscience qu’il s’agit là de la partie centrale de sa réflexion, on peut comprendre que la première partie servait à préparer la seconde, étant donné que Hobbes pense l’Etat à partir de la condition naturelle de l’homme, c’est-à-dire comme moyen trouvé rationnellement par les hommes d’en sortir… Dès lors, il est cohérent que la transition de l’un à l’autre se fasse, au chapitre XVII qui entame la section traitant de l’Etat, au moyen d’un système « intermédiaire » comme celui décrit par Hobbes sous les termes de « contrées où les hommes vivent en petites familles », en « regroupement d’un petit nombre d’humains » et dans lesquelles il n’y a pas d’Etat ou bien un Etat trop faible que pour faire appliquer les lois. Selon cette configuration, les lois naturelles décrites par le penseur dans les chapitres précédents ne peuvent avoir cours étant donné qu’il n’y a pas d’instance supérieure qui pourrait assurer leur effectivité. Dès lors, ces petits groupes se trouvent dans l’état de nature, c’est-à-dire dans un état de guerre, les uns vis-à-vis des autres. Ce sont donc les passions naturelles (la vanité, la partialité, la vengeance,…) qui dirigent les actions humaines. Hobbes pose cette étape comme précédent celle de la constitution des villes et enfin des Etats. La relation entrenue entre les hommes individuellement est donc d’abord transposée à celle que les hommes vivants en petits groupes ont avec les autres petits groupes, et ensuite à celle des groupes plus grands que sont les villes et les Etats. Mais il semble déjà y avoir ici une avancée par rapport à la situation première. En effet, l’auteur précise que si les hommes vivants en petits groupes, c’est-à-dire dans une situation des plus incertaines, peuvent licitement recourir au vol et à la rapine, au point que ce métier soit digne de reconnaissance de la part des autres, ils observent néanmoins les lois des codes de l’honneur qui demandent de d’abstenir de cruauté envers les autres, de leur laisser la vie sauve et les outils pour l’agriculture . Ce passage pose question car comme Hobbes ne cesse de le répéter tout au long de son ouvrage, « les conventions sans l’épée ne sont que des mots ». Comment se fait-il alors que ces lois dites de l’honneur aient de l’importance et soient respectées dès lors qu’aucune puissance ne puisse assurer ce respect ? Un détour par les codes de l’honneur de la chevalerie et le mode de fonctionnement féodal auxquels Hobbes pourrait faire référence pourra peut-être nos aider à éclaircir ce point et à voir où Hobbes souhaite en venir… Bien que la chevalerie soit loin d’être une, on peut néanmoins dire que ce qui la distingue en tant que groupe particulier, c’est le code d’honneur, l’éthique particulière à laquelle elle souscrit et qui sert dès lors à la définir. Cette éthique peut être résumée de la façon suivante : « ne pas fuir, ne pas se vanter, protéger l’Eglise, prodiguer des largesses et se garder de la honte et de l’ivresse ». Jean Flori pose pour origine de la celle-ci la décentralisation du pouvoir qui eut lieu aux IXe et Xe siècles avec l’instauration de la féodalité. La réalité du pouvoir glissa vers le bas, passant du roi aux princes et des princes aux châtelains qui, grâce à leurs milices (l’ancêtre de la chevalerie) étaient les plus présents sur le terrain. Mais avec le pouvoir, ce sont également les devoirs qui leur furent transmis et parmi ceux-ci, celui de l’engagement du Roi vis-à-vis de l’Eglise de protéger les faibles, les veuves et les orphelins. Ce devoir issu des valeurs religieuses assure la légitimité des chevaliers et se trouve à la base de toute l’idéologie chevaleresque. La société médiévale était très militarisée et les valeurs militaires y avaient un statut presque aussi sacré que les valeurs religieuses , ce qui permet d’expliquer l’importance qu’a pu y avoir l’idéal chevaleresque réunissant les valeurs guerrières, religieuses et aristocratiques. L’honneur, tel qu’il était alors compris, représentait la quintessence de l’idéal chevaleresque, c’est par rapport à ce dernier que le chevalier était défini par les autres et qu’il s’estimait lui-même. On comprend donc qu’à défaut de la constitution d’un Etat (ou du moins d’un Etat suffisamment puissant) qui donnerait la mesure du juste et de l’injuste, c’est l’honneur qui servait de maître étalon pour qualifier les actions effectuées. Ces différents aspects nous permettent de noter que le chevalier n’est pas à comprendre seulement en tant qu’individu isolé mais qu’il fait avant tout partie d’une communauté, d’un groupe soudé et ce justement grâce à ce code. C’est en partie dans ce fait que l’on peut trouver la force qui assure le respect des lois du code. La chevalerie est une communauté et si, à ses débuts, elle pouvait s’ouvrir à un homme vaillant quelle que fût sa classe sociale, elle fût peu à peu restreinte aux nobles seuls. Il s’agit donc très vite d’une élite qui se connaît, se fréquente et s’estime. Cela devient particulièrement vrai avec l’instauration des tournois qui sert de révélateur aux pratiques de la guerre chevaleresque. Hobbes comprend la guerre non seulement en tant que bataille volontaire et effective entre deux partis mais également en tant que disposition à celle-ci. Lorsque nous nous intéressons à la guerre au Moyen Âge, il est intéressant de remarquer que c’est bien cette réalité que nous retrouvons. Les batailles réelles étaient relativement rares alors même qu’un état conflictuel était permanent. Il s’agissait dans la plupart des cas de sièges, les princes et seigneurs ne voulant pas tout perdre lors d’affrontements sanglants . Bien que dangereuses, nous retrouvons néanmoins un certain aspect ludique dans ces rencontres : il s’agissait davantage de vaincre son adversaire que de le tuer, l’enjeu principal étant non seulement de montrer sa bravoure mais également de pouvoir gagner des armes, des chevaux et divers richesses ainsi qu’une rançon exigée pour la libération du prisonnier. Cette pratique de la rançon est devenue peu à peu la norme. On voit donc qu’un grand nombre de précautions sont prises afin d’éviter la mort du chevalier. Dans cet état de guerre de tous contre tous, la force et la tromperie sont, nous dit Hobbes, des vertus cardinales. Si nous retrouvons bien une valorisation de la force dans la guerre chevaleresque, les lois de l’honneur, au contraire, servent à prévenir de la tromperie. La parole donnée avait une valeur sacrée et le déshonneur attendait celui qui la bafouerait. Comme nous l’avons vu, la communauté exerçait une pression qui servait en partie à assurer le respect de ces lois. Néanmoins, on comprend bien que cela ne saurait suffire et ce particulièrement si l’on suit la pensée hobbesienne. Si l’on pose la question de l’utilité de ces lois, on se rend compte sans peine qu’elles servent non seulement à protéger le chevalier lui-même mais également à éviter de nouvelles causes de guerre. En effet, lors de batailles les chevaliers n’agissent pas en leur propre nom mais pour leur seigneur, c’est donc également le bien de celui-ci qui est en jeu et qu’ils doivent défendre. Ce renvoi à la préservation de ses propres intérêts nous fait rencontrer la fameuse idée hobbesienne selon laquelle, par nécessité naturelle, les actions humaines ont pour fin le seul bien de leur investigateur . Si l’état de guerre fait que chacun a un droit égal sur toutes les choses, on constate que par les lois de l’honneur, ce droit est restreint. Cette restriction volontaire à laquelle se plient les chevaliers lorsqu’ils prêtent sermon lors de l’adoubement aurait-elle pour but de permettre la paix et donc la réintroduction des lois naturelles ? En effet, en évitant la cruauté, le meurtre et le retrait des moyens de subsistance, on se montre clément vis-à-vis de son ennemi…Or une telle attitude a pour but (si l’on pense de façon utilitariste ou, comme le pose Hobbes, réaliste) d’entraîner la gratitude. La gratitude est la quatrième loi de la nature qui pose que « celui qui bénéficie d’une simple grâce de la part de quelqu’un s’efforce que ce dernier n’ait pas de motif raisonnable de se repentir de sa bonne volonté ». De même, en évitant d’être cruel et de priver l’ennemi de ses moyens de survie, on renoue potentiellement avec la septième loi qui exige que la vengeance assure seulement le bien futur et ne soit donc pas « gratuite », risquant de donner lieu à de nouvelles représailles. On pourrait ainsi faire le lien avec encore bien d’autres lois mais l’essentiel est de noter que par les codes de l’honneur il semble qu’il s’agit d’assurer une certaine paix, ou du moins d’éviter de donner raison à de nouvelles guerres…En effet, par l’ensemble de ces prescriptions, il semble qu’il s’agisse d’éviter d’attiser la haine qui est à l’origine de nombreux conflits. Dès lors qu’un respect est rendu possible, une déontologie peut se développer et permettre que la guerre, qui semble dans une configuration telle que la société médiévale, échapper à toute lois, soit régulée… En partant de l’idée que l’état de guerre est principalement une disposition à celle-ci, il semblerait que l’enjeu des lois de l’honneur soit de mettre les partis dans de meilleures dispositions les uns vis-à-vis des autres et témoignerait donc d’une inclinaison vers la paix dans cet état inconfortable qu’est l’état naturel alors même que rien, en l’absence d’un Etat fort, ne peut la garantir. ANNEXE Le code de la chevalerie n’a jamais été rédigé, de plus, il a évolué selon les tendances idéologiques de l’époque. Néanmoins, Léon Gautier en présente dix commandements : I. Tu croiras à tout ce qu’enseigne l’Eglise et observeras tous ces commandements. II. Tu protégeras l’Eglise. III. Tu auras le respect de toutes les faiblesses et tu t’en constitueras le défenseur. IV. Tu aimeras le pays où tu es né. V. Tu ne reculeras pas devant l’ennemi. VI. Tu feras aux Infidèles une guerre sans trêve et sans merci. VII. Tu t’acquitteras exactement de tes devoirs féodaux, s’ils ne sont pas contraires à la loi de Dieu. VIII. Tu ne mentiras point et seras fidèle à la parole donnée. IX. Tu seras libéral et feras largesse à tous. X. Tu seras, partout et toujours, le champion du Droit et du Bien contre l’Injustice et le Mal.

vendredi 27 août 2010

Le postmodernisme chez Castellucci





Le postmodernisme chez Castellucci




Depuis une vingtaine d’années, se développent au théâtre des formes originales qui interrogent les conventions théâtrales et mettent à mal la pratique interprétative. Le spectacle « Inferno » de Roméo Castellucci est l’une d’entre elles.

L’hypothèse animant notre recherche est celle de la possibilité de qualifier cette œuvre comme postmoderne, hypothèse développée d’une part à partir de l’idée que se qui se joue à travers la problématique de l’interprétation est la question de la connaissance et, d’autre part, que la création et la pensée postmoderne partagent une même attitude face à celle-ci.

Afin de vérifier cette hypothèse, nous avons effectué une analyse structurelle de l’œuvre, nous attachant uniquement à son mode de fonctionnement. Un certain nombre de caractéristiques communes ont pu ainsi être déterminées et mises en rapport avec celles qui manifestent de la postmodernité.

Cette approche, si elle nous a permis de confirmer la similarité de leur attitude et mode de fonctionnement, nous a également appris à respecter la singularité de notre sujet et donc à penser les conséquences de cette qualification : l’œuvre s’en trouverait identifiée et réduite à un cadre.
Dès lors, nous concluons en posant que s’il y a bien du postmodernisme dans « Inferno » ce n’est pas pour autant une œuvre postmoderne.



Mots clés : théâtre, contemporain, postmodernité, mise en scène, trans-disciplinarité, hybridation, texte, Castellucci, postdramatique, interprétation, connaissance, communication, image, histoire de l’art, …



Table des matières



Résumé....... 1
1 Introduction........... 3
2 Présentation........... 7
2.1  Roméo Castellucci et la Socìetas Raffaello Sanzio....... 7
2.2  « Inferno »....... 9
2.3 Méthodologie....... 11
3 Présentation du spectacle........... 13
3.1 Description....... 14
3.3 Premières observations....... 20
3.4. Espace....... 22
3.4.1 Le paysage sonore..... 25
4 Eléments caractéristiques du spectacle........... 28
4.1 Danse – théâtre. Le mélange des genres....... 28
4.2 La question du texte....... 32
4.3 La non-narrativité....... 33
4.4 La structure....... 36
4.5 La citation : Dante, Warhol et l’Enfer....... 39
4.6 La question de l’élitisme....... 46
4.7 Hétérogénéité des langages....... 50
4.8 La question de l’image....... 55
4.8.1 Théâtre image..... 55
4.8.2 Origine..... 57
5 Les questions de la réception........... 62
5.1 La distance ou l’immédiateté ? Le phénomène de répétition....... 62
5.2 La question de la communication....... 64
5.3 La question de la communauté. Public ou spectateurs ?....... 68
5.4 Le consensus ou  « qu’en est-il de ‘l’attitude politique’ de la représentation ? »....... 71
6 Modes d’approche........... 76
6.1 Un pensée de la complexité....... 77
6.2 Paradigme....... 80
7 Le théâtre postdramatique........... 82
8 Le postmodernisme........... 88
9  Rencontre des traits de la postmodernité avec les caractéristiques de notre « objet scénique non identifié »........... 95
9.1 Non-narrativité....... 95
9.2 L’artiste et l’œuvre postmodernes....... 97
9.2.1 Collage, citation, parodie..... 100
9.2.2 Le baroque..... 102
9.3 « Inferno », spectacle postmoderne ou spectacle de la postmodernité ?....... 104
10 Conclusion........... 110

Le postmodernisme chez Castellucci



« Dans ma tête tout est confus. Donc tout va bien »[1]
Roméo Castellucci

1 Introduction



Etonnement, incompréhension, émerveillement. Ces mots servirent aux penseurs grecs à définir le taumazein qu’ils identifièrent ce faisant comme étant à la base du raisonnement philosophique. L’expérience de la rencontre avec le spectacle « Inferno » du metteur en scène italien Roméo Castellucci joua pour nous le rôle d’un tel détonateur, déclenchant la réflexion qui prend forme à travers ce mémoire.
Cette œuvre s’inscrit parmi ces « objets scénique non identifiés »[2] qui prolifèrent sur la scène contemporaine depuis plus d’une vingtaine d’années, ne cessant d’interroger les spectateurs et les critiques quant à leur compréhension du théâtre et leur manière de l’aborder. Remettant en question les conventions théâtrales, et ils donnent lieu à une perte des repères et des certitudes quant à notre rôle de spectateur, des « capacités » que ce dernier présuppose. Les questions ne cessent de jaillir : qu’est-ce que ça veut dire ? Qu’est-ce que c’est ? Pourquoi et comment est-ce que ça fonctionne ? Pourquoi le public est-il si divisé à leur égard ?  Et enfin, comment aborder ces œuvres d’un point de vue théorique dès lors qu’elles mettent à mal les possibilités interprétatives ?
Comme le pense Jean-Paul Ryngaert, ces questions sont sans doute motivées en grande partie par l’idée que comprendre, c’est comprendre le récit, et que dès lors la saisie du sens correspond à l’identification de la narration[3]. Elles ne vont cependant pas sans poser un réel problème au critique de théâtre, pouvant même devenir capitales pour ceux dont on attend de pouvoir rendre compte de cet objet, de l’analyser et, peut-être même, de produire un savoir quant à ce dernier[4].
Pour un certain nombre de journalistes, théoriciens mais également spectateurs, avec ces créations nous ne serions plus face à du théâtre. Une telle conception nous fera poser la difficile question de la définition, de même qu’elle nous permettra d’interroger les présupposés sur lesquelles elle s’appuie, nous permettant ainsi de remonter quelque peu l’histoire de cet art et d’y chercher les éventuelles racines de ces formes problématiques. Notons enfin que les artistes se sentent moins concernés par cette question de la nomination, de la classification en genre de leur pratique[5], et que c’est donc à un problème principalement issu de la théorie que nous nous intéresserons ici.

Cette question a été principalement débattue suite à la dite « querelle d’Avignon » qui eut lieu autour de la cinquante-neuvième édition du festival. En prenant connaissance de celle-ci, il nous a semblé qu’il y avait réellement quelque chose qui se passait avec le théâtre contemporain. Les réactions violentes de certains critiques, les nombreux articles publiés pour en rendre compte, nous ont paru symptomatiques si non pas d’une crise, du moins d’un certain renversement, d’un changement important au sein de la pratique théâtrale, qui ont eu le don d’exaspérer un certain public mais surtout, semble-t-il, une certaine partie des critiques.
S’il s’agissait là d’un conflit d’ordre principalement administratif (les deux programmateurs du festival, Hortense Archambault et Vincent Baudriller, étant critiqués quant à leur choix de désigner Jan Fabre pour artiste associé ainsi que par rapport à l’orientation donnée à ce festival, davantage tourné vers ce que le théoricien Hans-Thiess Lehmann décrit comme formes postdramatiques que vers du théâtre de texte et de répertoire interprété par des acteurs reconnus), il n’en reste pas moins que cet « événement » a permis un questionnement sur ces nouvelles formes et sur la manière d’en rendre compte. La question des traits caractéristiques de ces œuvres sera développée plus loin, notons seulement pour l’instant qu’il s’agit de créations généralement hybrides, ayant abandonné le schéma dramatique traditionnel, à savoir celui d’une pièce organisée autour d’une action jouée par des personnages.
Voici donc les deux raisons ayant motivés le choix de notre sujet : l’étrange expérience d’un ravissement conjugué à un certain « inconfort intellectuel » éprouvé lors de ce spectacle d’une part, la prise de conscience que la forme incertaine de ce type de création pouvait poser problème aux spectateurs, critiques et théoriciens d’autre part.
Notre intuition première consistait dans l’idée qu’il y avait un rapprochement à faire entre les principaux traits de ces créations artistiques et celles que nous rencontrons lorsqu’il s’agit de définir la pensée de la période dite postmoderne, à savoir celle de notre contemporanéité. Nous avons donc choisi d’interroger le rapport qu’entretenait ce théâtre avec le contexte historico-culturel, qui l’a vu naître, sans oublier néanmoins que l’on ne peut réduire le développement des formes artistiques ainsi que l’élaboration de l’histoire de l’art en général à une explication de type causaliste. Nous avons donc tenté de nous prémunir d’une approche systématique de la théorie qui nous ferait nier la spécificité de notre objet, comprise en tant que « expérience esthétique, dans son caractère expérimental, fragile et incertain. »[6]. Le rapprochement avec la pensée postmoderne nous a semblé particulièrement utile à cet égard, état donné que elle-même postule un mode de fonctionnement analogique, plurivoque, souple, faible et mobile.[7]

Nous commencerons par faire une brève présentation du metteur en scène et de la troupe de théâtre à l’origine du spectacle, pour nous pencher ensuite sur l’œuvre elle-même, développant alors les questions méthodologiques qu’elle soulève quant à la manière de l’aborder. Une fois que nous aurons répertorié les caractéristiques principales de cet « objet », nous poserons la question de la postmodernité. Nous commencerons par celle de sa définition, qui, comme nous le verrons, est extrêmement complexe étant donné le nombre important et divergent de ses manifestations et compréhensions. Au sein de ce vaste champ, il s’agira d’abord de délimiter notre approche de la postmodernité pour ensuite rechercher ses gestes et tendances constituantes. Ceux-ci seront alors mis en parallèle avec le mode de fonctionnement de notre spectacle.
Enfin, la validité de la proposition de qualification « postmoderne » pour le spectacle « Inferno » sera jugée sur base des découvertes que cette approche aura contribuée à faire et de l’avantage qu’il y aurait à adopter son utilisation.


2 Présentation


2.1  Roméo Castellucci et la Socìetas Raffaello Sanzio        



Roméo Castellucci est une figure que l’on pourrait classer parmi les grandes stars du théâtre contemporain. Cela fait presque trente ans qu’avec sa compagnie, la Societas Raffaello Sanzio, il crée des spectacles et rencontre un succès important sur la scène internationale.[8]
La Societas a été fondée à Cesena vers 1980, village proche de Rome, par Roméo Castellucci, sa sœur Claudia Castellucci et son ex-femme Chiara Guido, tous trois plasticiens de formation. Lui-même gère, ou du moins intervient, dans la plupart des aspects des spectacles produits, de sorte que la compagnie lui est souvent identifiée et que c’est son nom qui est reconnu et partout cité. On retrouve là ce que l’on pourrait identifier comme les caractéristiques des traditionnelles compagnies privées italiennes, à savoir la composition familiale et l’établissement dans un site décentré, ces compagnies étant en général opposées aux « teatri stabili »[9], financées par l’Etat.
Dans leur dernière création, la trilogie autour de la « Divine Comédie » et dont Inferno est le premier volet Roméo Castellucci a tenu les fonctions de dramaturge, metteur en scène, scénographe, concepteur des lumières ainsi que des costumes. Avec la chorégraphe contemporaine Cindy Van Aacker, il a également développé l’aspect chorégraphique de ce spectacle.
Si jusque là, ces fonctions, et particulièrement le travail dramaturgique, étaient régulièrement partagés par les trois membres fondateurs, le spectacle que nous analysons est une œuvre plus personnelle. Ceci explique la mention de son nom seul dans le titre du mémoire. Titre dont nous pouvons dire qu’il nous oblige à cette brève présentation qui ne sera pas développée davantage étant donné que ce n’est pas tant sa figure, sa personnalité qui nous intéresse mais bien ses créations mêmes, et plus particulièrement le spectacle « Inferno ». Ce dernier créé en 2008 pour le festival d’Avignon dont Castellucci était, avec l’actrice française Valérie Dréville, artiste associé.
Néanmoins, cette présentation fait apparaître des éléments intéressants et potentiellement utiles pour la suite de l’exposé, éléments que nous résumerons de la manière suivante : il s’agit d’une troupe de théâtre italienne fondée par des plasticiens de formation, dirigée par un metteur en scène « chef d’orchestre » qui rencontre un succès exponentiel depuis leur formation en 1980.
Le fait que les fondateurs de la troupe n’ont pas, à la base, de formation en théâtre mais bien en arts plastiques permet d’expliquer en partie l’originalité de leur approche, dès lors qu’ils ne sont pas vraiment porteurs d’une tradition et qu’à partir de leur propre horizon ils peuvent envisager le théâtre autrement. Cette idée est également retenue par la chorégraphe et théoricienne de la danse Michèle Febvre qui note, dans son livre « Danse contemporaine et théâtralité », que la nouvelle danse est principalement le fruit d’artistes venant d’un autre milieu que celui de la danse, que ce soit des plasticiens, des cinéastes, des écrivains ou des universitaires[10]. Les différentes techniques et connaissances de ces personnalités leur permettent de développer des approches sur de nouvelles bases, de travailler la matière autrement, d’instaurer de nouvelles techniques et de promouvoir d’autres esthétiques.
Notons également que si chaque spectacle de la Societas est construit par rapport aux exigences du sujet abordé, qu’une recherche dramaturgique originale est développée pour chacun d’entre eux conduisant à d’importantes variations de leurs formes, il n’en reste pas moins qu’il y a quelque chose d’ordre thématique et esthétique qui les relie. Bien qu’il y ait eu différentes étapes dans leur travail et qu’ils se soient éloignés aujourd’hui de leur théâtre iconoclaste des premières années, leur intérêt pour la question de l’origine et de la tragédie a continué à être exploité à travers leurs différentes créations développées. Outre cet aspect thématique, une esthétique commune relie également ces œuvres qui sont données à voir d’une manière telle que l’on peut parler d’univers castelluccien comme le font d’ailleurs certains critiques, ce qui leur permet d’écrire : « Castellucci nous a en effet habitués à un théâtre radical et polémique, qui refuse les tabous et les conventions du ‘représentable’ »[11], ou encore : « Le mélange entre le refus du texte et de la représentation, la force performative des scénographies (ou des images) et la présence de la musique (comme dans un opéra) font l’étoffe des spectacles de la Societas Raffaello Sanzio. »[12]. On peut alors lui appliquer la remarque de Bernard Dort : « Il y a des metteurs en scène qui d’une œuvre à l’autre semblent suivre le même chemin, construire, pièce par pièce, leur propre cosmogonie. »[13].

2.2  « Inferno »



Le spectacle « Inferno » est le premier volet de la trilogie portant sur la « Divine Comédie », présentée par Castellucci comme « librement inspirée de Dante ». Pour chacune de ses trois parties, il reprend les noms choisis par le poète, à savoir : « Inferno », « Purgatorio » et « Paradisio ».
Ce texte, fondateur de la langue italienne contemporaine et donc également en un sens de cette culture, a été rédigé au début du XIVème siècle au sein d’un contexte politique agité[14]. De par sa complexité, il comporte plusieurs niveaux de lecture ce qui permet la coexistence d’un nombre important d’interprétations. Dès lors, les difficultés auxquelles se sont confrontés les différents artistes qui s’étaient intéressés à cette œuvre sont à la fois d’ordre symbolique et narratif, devant déterminer la manière dont illustrer l’histoire sans en perdre la valeur allégorique. De par la nature historiquement déterminée des nombreux symboles et allégories de l’œuvre, c’est à un complexe travail de traduction qu’il leur fallait se prêter.
Le parti pris de Castellucci a été de ne pas s’aventurer dans ces questions d’adaptation en présentant d’emblée le projet de la « Divine Comédie » comme un projet impossible. Aussi, il faut comprendre qu’il ne s’agit pas pour lui de rendre compte ou d’illustrer l’œuvre de Dante mais de s’en inspirer pour donner à voir ce que représentent aujourd’hui pour lui ces trois noms massifs : « Inferno », « Purgatorio » et « Paradisio ».
Par les mots suivants, il résume le chef-d’œuvre du poète florentin, il le résume par les mots suivants

« [il s’agit d’] une œuvre d’imagination, liée à des visions, cela m’est très proche. Ce qui m’a toujours attiré vers la Divine Comédie est précisément cette impossibilité à s’y mesurer. J’éprouve le besoin de me sentir démuni quand je travaille, cela me permet de dépasser le problème de l’illustration du texte pour penser le rapport de la représentation avec l’irreprésentable. Là est le noyau du théâtre. »[15].

 Outre son approche, cette citation a l’avantage de nous informer sur la conception du théâtre prônée par le metteur en scène, ce qui nous sera fort utile tout au long du développement de ce travail.

 

 



2.3 Méthodologie



Le parti pris méthodologique emprunté dans ce travail est de ne choisir qu’un des spectacles de la troupe et ce afin de pouvoir l’analyser en profondeur. Le projet poursuivi n’est ni de traiter le sujet en général ni d’utiliser les spectacles à titre d’exemples ou d’illustrations pour notre propos. Il s’agit davantage d’une démarche inverse : prendre comme point de départ l’œuvre elle-même, telle qu’elle se donne et à partir de ses particularités, de son mode de présentation, tenter de l’approcher, de l’interroger et de parvenir à dire quelque chose à son sujet. Ce faisant, il s’agit d’éviter les présuppositions et les explications causalistes afin de ne pas tronquer l’objet en lui imposant un quelconque discours extérieur ou en l’inscrivant dans une identification restrictive.
Si nous avons choisi de parler à son propos et donc, en quelque sorte, de parler pour lui, il nous faut trouver notre place dans ce discours : comment l’aborder sans l’expliquer, sans la réduire ou la tronquer ?
Ces questions méthodologiques ont été développées par des penseurs tels que, par exemple, Isabelle Stengers, Vinciane Despret, Bruno Latour et Tobby Nathan à partir de leur approche constructiviste. Le parti pris respectueux et poli de ces chercheurs pour leur sujet sera celui que nous tenterons de tenir pour le nôtre, nous mettant ainsi à la place du diplomate, du représentant, qui « parle pour » l’autre qui ne peut se présenter lui-même[16]. En effet, un spectacle de théâtre ne peut se présenter que dans et à travers l’acte de la représentation[17], étant vivant et éphémère, une fois celle-ci achevée, il n’est plus[18]. Les photographies, les captations, les rendus des critiques, les textes des artistes eux-mêmes tentent d’en garder une trace, mais c’est toujours déjà autre chose, la spécificité des arts vivants consistant dans l’absence de distance entre l’émetteur et le récepteur, permettant une circulation, un échange entre la salle et la scène.
Il s’agit là d’une difficulté constituante de notre discipline, qui, liée à la problématique de la réception toujours subjective, nous impose une grande prudence dans nos analyses tout en présentant chacune d’entre elles comme un véritable défi.
Face à cet objet particulier qu’est le spectacle vivant et à ce spectacle en particulier, la première étape de cette recherche ici consistera en une mise à plat réalisée au moyen d’une description. Il s’agira ce faisant de passer de la réalité sensorielle du spectacle à celle du discours ; des sensations, des images et des sons aux mots. Il va de soi que ce passage du vécu sensitif au cognitif est fort sensible et risque de nier la spécificité de la création. Selon Anne Ubersfeld un spectacle, même sans parole, est difficilement envisageable sans la médiation du texte, médiation effectuée donc par le spectateur lui-même lorsqu’il « retraduit en langage articulé les étapes du mime ou les structures fondamentales de l’image»[19]. Mais peut-on vraiment parvenir ici à une telle traduction et ce particulièrement pour une oeuvre aussi peu communicable que celle qui nous occupe ici ? Si on ne peut éviter de parler d’un spectacle sans passer par une traduction intersémiotique telle que décrite par Jacobson[20], à quel point cette dernière nous permet d’en rendre compte avec fidélité et efficacité ?
Nous essayerons de répondre à ces questions à travers l’exercice de la description. Ce faisant, nous nous intéressons seulement à la forme, posant uniquement la question du comment sans entrer dans celle du pourquoi.

3 Présentation du spectacle



Le spectacle « Inferno » a été créé dans et pour la Cour d’honneur du Palais des Papes.
Ce plateau est immense et les gradins en plein air peuvent accueillir deux milles personnes. Cet illustre plateau est un lieu dangereux de par sa dimension et son prestige. Y représenter un spectacle est toujours un défi pour les metteurs en scène et chacun d’entre eux tentant de le relever de façon personnelle[21].
Roméo Castellucci a décidé de pleinement exploiter le lieu par une exploitation du palais lui-même l’inscrivant ainsi dans la scénographie elle-même :

 « Nous voulons imaginer une succession d'événements, une occupation de l'espace, qui seraient capables de rencontrer cette architecture, non comme décor de théâtre mais comme ‘reste’, comme passé réclamant d'être repris et ressuscité, comme l'accomplissement de ce qui est resté inachevé, insensé, avorté. »[22]dit-il à propos de sa démarche.


 Le spectacle se déroule sur une scène immense et presque vide, ainsi que dans le palais dont les portes sont utilisées comme entrée par les acteurs, les fenêtres illuminées…Le cadre est bien celui du palais des papes, ce qu’il est aujourd’hui (figuré par les touristes de la première scène) et ce qu’il a été, son tribu culturel et historique pesant de tout son poids sur la représentation. C’est pour cette raison notamment que ce travail est basé exclusivement sur la représentation donnée à Avignon et non sur l’une de celles données dans une autre salle. L’autre raison en est que la captation qui nous sert d’appui a été réalisée à Avignon, par le réalisateur Don Kent. Ce dernier a d’ailleurs mené un véritable travail de cinéaste quant à ses prises de vue, assistant à un grand nombre de répétitions et se concertant avec le metteur en scène pour tenter de saisir et de transmettre au mieux l’esprit de la création[23]. Notons qu’un tel support, malgré les inconvénients qu’il soulève de par le fait qu’il résulte d’un travail de montage et est le fruit de la subjectivité d’un regard, nous a été absolument nécessaire pour tenter d’en produire une description précise, la mémoire prenant le relais pour ce qui est du vécu émotionnel.

 

3.1 Description



Le spectacle commence en même temps qu’arrivent les spectateurs : tandis que ceux-ci s’installent dans les gradins, une dizaine d’individus déguisés en touristes arpentent le plateau et visitent le palais, audio-guide à l’oreille. On entend la diffusion de phrases en langues étrangères, incompréhensibles, suggérant qu’il s’agit des commentaires amplifiés des audio-guides.
Une fois les spectateurs installés, les acteurs quittent le plateau et le silence se fait dans la cour. Un homme entre par l’une des alcôves du palais, avance droit devant lui et s’arrête au devant de la scène. Celle-ci est éclairée grâce à des panneaux lumineux posés verticalement au bord du plateau suivant une disposition qui redouble en accentuant la forme de ce dernier[24]. Ces néons ne sont lumineux que du côté de la scène, leur lumière est blanche, froide et blafarde. Face au public, regardant au loin, l’homme annonce : « Je m’appelle Roméo Castellucci. ». Retournant vers le fond du plateau, un homme le rejoint pour l’aider à enfiler une tenue de protection tandis que six hommes vêtus en noir, chacun tenant en laisse un chien aboyant, arrivent sur la scène, ayant auparavant longé le public.
En ligne droite par rapport aux néons, ils attachent les bergers allemands à l’aide de grosses chaînes en acier. Les chiens sont agités, excités, ils tirent sur leur laisse et aboient très fort. Une fois Castellucci habillé et laissé seul face aux chiens et aux spectateurs, un chien arrive en courant en provenance des coulisses et fonce sur Castellucci qu’il mord à la jambe. Puis, très vite, un deuxième et un troisième chiens sont lâchés. Ils font tomber l’artiste, le mordent et tirent de toutes leurs forces sur ses vêtements. Ce dernier reste assez longtemps à terre, immobilisé par les trois chiens tandis que les  autres continuent à aboyer et à tirer sur leur laisse.
Suite à un coup de sifflet les bêtes lâchent leur prise et retournent en coulisses tandis que les gardes vont, à nouveau en file indienne, rechercher les six autres.
Tandis que Castellucci se relève pour se mettre à quatre pattes, un homme s’approche de lui et le revêt d’une peau de chien. Vêtu d’un simple caleçon noir sur lequel est fixé un mousqueton, un autre homme arrive par l’une des trois alcôves du palais, enlève la peau à Castellucci qui se laisse retomber sur le sol et l’enfile à la manière d’une cape. Le metteur en scène se relève et quitte le plateau alors qu’Antoine Le Menestrel, ancien champion d’escalade reconverti dans l’escalade artistique, commence à escalader le Palais des papes. Le silence est total, excepté le champ des oiseaux que l’on entend au loin. Son ascension, lente et belle, est parfaitement maîtrisée et souple. On peut reconnaître, lors de son progression, différentes images dont il prend la pose, telles les gargouilles, le Christ en croix, l’homme ascensionnel ou encore l’homme de Vitruve de Léonard de Vinci, figure qu’il réalise en s’accrochant à la rosace de la grande porte du palais[25]. A mi-chemin, se tenant sur un rebord de fenêtre, il se défait de la peau qu’il laisse tomber.
Rentre alors en scène un petit garçon d’environ dix ou douze ans, portant un pull jaune, un short, des baskets bleues et des lunettes de la même couleur. Il ramasse la peau, regarde autour de lui, se met à genoux et se recouvre de la peau. Un faible grondement sourd se fait entendre et l’enfant se met à quatre pattes, singeant la pose que Castellucci avait pris peu de temps auparavant. Il se met à avancer lentement, un projecteur braqué sur lui pendant que l’autre acteur continue son ascension, se suspendant par moment par une seule main, insistant sur l’aspect spectaculaire de sa performance et sur le risque maîtrisé de la chute. L’enfant arrive à la hauteur d’une bombe de couleur posée à même le sol, s’en saisit, se relève et commence à taguer lentement, en majuscules : « J E A N », sur le mur du palais.
L’acteur parvient en haut et regarde la scène. L’enfant s’éloigne, se dirigeant côté jardin, s’arrête, se retourne, le regarde et sourit. L’acteur, du haut du toit, lui lance alors un ballon de basket qui rebondit trois fois avant que l’enfant ne l’attrape. Lors du premier rebond, un projecteur éclaire un panier de basket fixé sur le palais en même temps que se fait entendre un bruit métallique très fort et comme redoublé par un écho lointain. A partir de là, à chaque fois que le ballon touchera le sol, un bruit semblable se fera entendre.
L’acteur crie : « Jean ! » et l’enfant, face au panier, lève les bras comme s’il s’apprêtait à lancer le ballon dans ce dernier mais les laisse ensuite retomber sans n’avoir rien fait. Il se retourne, s’avance doucement vers le public en tapotant son ballon, puis s’arrête au centre de la scène, une douche sur lui. Il commence à faire rebondir son ballon, trois fois d’affilée. A chaque fois un son très fort se fait entendre, un bruit de démolition, de tas de pierres qui s’effondrent. Après le troisième rebond, l’enfant se retourne vers le palais, le fixe du regard, semblant attendre un événement mais rien ne se passe. Face au public, il fait à nouveau rebondir la balle trois fois, même jeu, même type de son. Rien. La même scène, une troisième fois. Mais cette fois, on voit une lumière, une lumière circulaire qui semble se promener à l’intérieur du bâtiment, nous laissant l’apercevoir à travers les différentes fenêtres du palais. Venant se surimprimer aux « bruits de la balle », des sons encore plus inquiétants se donnent à entendre. L’enfant drible, à nouveau trois fois. Le son se développe encore en intensité et teintes angoissantes, redoublé d’un jeu de lumière semblant figurer une présence fantomatique, surnaturelle. Cette scène, mettant en jeu ce jeune garçon habillé de couleurs vives, comme perdu sur une scène immense plongée dans le noir et jouant innocemment avec un ballon de basket dans une ambiance terrifiante créée à partir de bruits et de lumières inquiétants et mystérieux, se répète plusieurs fois encore, augmentant l’angoisse au fur et à mesure que les lumières et les sons s’amplifient. Ces derniers ne viennent plus seulement après les « coups » du ballon, ils s’autonomisent, s’individualisent. Ce ne sont pas que des effets, ce sont des figures à part entière. La lumière clignote, « circule », un son évoquant celui d’une alarme se fait entendre tandis que la lumière s’agrandit, éclairant circulairement une grande partie du bâtiment, pour s’éteindre ensuite, de la même manière, comme s’il s’agissait d’une apparition.
Faisant son entrée, une foule de quidams portant des vêtements de couleurs vives alors même que toute vie semble leur avoir été retirée. Ils avancent lentement, d’un pas sûr, mécanique, formant un bloc relativement compact qui occupe le troisième quart de scène. Ils sont une soixantaine à avancer ainsi mais l’enfant ne semble pas les remarquer, il continue à jouer, toujours de la même manière, avec son ballon. La foule poursuit son avancée, impassible, elle passe devant l’enfant et le cache à notre vue. Mais le bruit qui accompagne le choc du ballon nous indique que ce dernier continue à le faire rebondir.
En partant de la fin, les « gens » se couchent, un rang après l’autre, tandis que les autres continuent à avancer doucement. Au fur et à mesure que les corps tombent, ils découvrent à nouveau l’enfant. Ce dernier joue toujours. La scène des lumières dans le palais recommence, mais cette fois avec davantage de frénésie encore, les lumières s’allument plusieurs à la fois. L’enfant enlève alors la peau qu’il avait toujours sur lui, la garde en main tandis que les bruits sont plus violents la foule au sol commence à s’animer. Elle roule vers le fond de la scène, tandis que l’enfant avance en enjambant les corps. Les ayant dépassé, il s’arrête et laisse tomber la peau. Une douche jaunâtre l’éclaire, toutes les fenêtres s’allument d’un coup et se mettent à clignoter très vite. Un son ressemblant à un cri se fait alors entendre, quelques lumières restent allumées, puis s’éteignent à nouveau. La foule, dans le fond, continue à rouler, comme des vagues, en avant, en arrière…
Un homme âgé se lève de la foule de corps et s’avance vers l’enfant, son visage reste dans l’ombre jusqu’à ce qu’il arrive à sa hauteur et se place à côté de lui. Il lui prend le ballon d’une main, sans le regarder. Une musique religieuse, le « Viderunt Omnes » commence à se  faire entendre. Elle accompagnera toute la séquence de l’échange du ballon qui débute avec ces deux protagonistes précités. Le garçon s’en va, rejoint la foule au sol et se laisse rouler avec elle. Un amas de couleurs en mouvement… Le vieil homme, tout comme l’enfant avant lui, se tient immobile au milieu de la scène, face au public, regarde au loin, la peau de chien posée à ses pieds. Toutes les trente secondes environ, un corps se détache de la foule pour aller prendre place à l’avant scène en s’emparant du ballon. Après le vieil homme, une jeune femme en robe verte, un homme en chemise jaune, un autre homme d’à peu près le même âge, une petite fille en robe rose, une femme en rose également et enfin une vieille femme habillée de la même couleur. La musique et l’expression, le regard relativement grave des acteurs une fois qu’ils tiennent le ballon, donnent un aspect solennel, cérémoniel à la scène. L’échange prend un caractère sacré, celui d’une transmission qui se fait entre des gens de différentes générations, différents genres : homme, femme, adulte, enfant, vieillard. Lorsque la vieille femme s’empare du ballon, un changement est induit : elle le prend des deux mains et le maintient face à elle, comme une offrande,  pour enfin faire mine de mordre violemment dedans. Son geste est accompagné de bruit de crocs, de sons de brisure et de sanglots qui se mêlent à la musique religieuse. Un halètement de plus en plus fort évoquant des pleurs accompagne les gestes de la femme qui parait embrasser et mordre à la fois le ballon. 
Peu à peu, elle tourne le dos à la salle pour faire face à la foule qui se relève doucement et se place face au mur du palais, dos aux spectateurs, en une seule rangée divisée en dix groupes. Une lumière dans une fenêtre du palais à cour se trouvant dans le prolongement de leur ligne est allumée de l’intérieur, éclairant en partie le fond de scène.
Au premier plan, la femme se penche en avant et se relève, ses mouvements sont saccadés, brusques tout en étant à la fois relativement lents. Un bruit régulier évoquant un coup, un choc sur une matière pleine mais que, comme tous les sons précédents ainsi que la plupart des sons suivants, on ne peut identifier avec certitude, se fait entendre. La première fois où on l’entend, un homme s’avance d’un pas et donne un coup contre le mur du palais puis retourne sur la rangée de départ. L’homme recommence. La troisième fois ce sont plusieurs individus, ensuite presque tous, exceptés ceux qui se tiennent devant les portes. La séquence recommence, encore et encore. Après une trentaine de seconde, la vielle femme à l’avant-scène s’immobilise et commence lentement à se retourner vers la salle, pour, à nouveau une trentaine de secondes plus tard,  faire semblant de se recouvrir les yeux et essayer de voir ce qui se passe derrière elle. La séquence des coups dans la porte se répètera trente-deux fois, les dernières fois n’étant assurées que par une poignées de personnes. Enfin, tous s’immobilisent. Il y a un noir, puis très vite, des lumières blanches qui clignotent apparaissent dans le fond de la scène. On reconnaît alors dans l’une des alcôves des lettres en néons chacune tenue par un acteur. Le grésillement électrique qui caractérise toujours les néons est ici fortement amplifié et se surimprime à la musique religieuse qui ne s’est pas arrêtée depuis qu’elle s’est fait entendre pour la première fois. Lorsque les acteurs commencent à les porter sur scène, elle s’arrête enfin et ne reste que le grésillement, de plus en plus fort. La scène est toujours plongée dans le noir et la seule source de lumière provient de ces lettres qu’ils placent à l’avant scène, formant le mot « INFERNO » entre guillemets, lisible à l’endroit depuis le plateau et donc à l’envers pour les spectateurs. Ces lettres éclairent  le « JEAN »  écrit sur le palais, les deux noms étant ainsi en vis-à-vis… Les « gens » se placent ensuite derrière les lettres et s’assoient, disparaissant à la vue des spectateurs, laissant une petite fille seule sur scène. Celle-ci est assise et regarde sans bouger les lettres comme elle fixerait un écran de télévision dont la lumière blafarde des néons rappelle l’éclairage. Les lettres se mettent alors à clignoter une à une, comme si elles formaient des mots et lui délivraient un message, des « flash » éclairant par moment la scène dans son ensemble. Là encore un sentiment d’inconfort tient le spectateur, sentiment qui ne le quittera qu’à de rares moments du spectacle. On est dans une appréhension indéfinie de l’imminence d’un désastre. Mais rien  ne se passe jamais vraiment[26].

3.3 Premières observations



Avant toute chose, reprenons un extrait d’une lettre envoyée par Frie Leysen à Roméo Castellucci à propos des spectacles de ce dernier, lettre dans laquelle elle fait état de la difficulté de rendre compte de ses impressions, de l’empreinte laissée en elle par la représentation à laquelle elle a assisté :

«  cette empreinte n’a pas de contours. Elle est mouvement : perturbations. Emotion violente et diffuse, tiraillée par d’incessantes questions, par d’insolubles contradictions. Chaque mot doublé de son contraire, chaque certitude tout de suite défaite. Et ces contraires, loin de s’annuler, se renforcent. Trouble. »[27].

Cette citation rend bien compte de l’état dans lequel ce spectacle tend à mettre le spectateur, laissant ce dernier en sortir, selon les mots de Frie Leysen, dans un état de trouble. Il s’agit maintenant pour nous de tenter de dépasser celui-ci pour en interroger l’origine…

Cette description des vingt premières minutes de la représentation, certes longue et laborieuse, nous a paru nécessaire dès lors qu’elle nous permet de poser la question de la spécificité de la création, d’introduire le lecteur dans l’univers de cette dernière et de penser à partir de là son mode de fonctionnement, les problèmes et questions qu’elle soulève ainsi que les possibilités qui s’ouvrent à nous pour en parler. Ces questions du témoignage se sont posées et continuent à le faire à de nombreuses disciplines, se complexifiant au fur et à mesure que les disciplines évoluent et que les méthodes pour les aborder ne dont plus adaptées.
Si cette description insiste tant sur les détails, c’est parce qu’il n’y a pas réellement d’action narrative, de faits à raconter. Tout se joue dans les gestes, dans le rythme de leur effectuation, dans le rapport des éléments scéniques. Cette caractéristique rapproche ce spectacle du mode de fonctionnement et de présentation chorégraphique où toute l’attention est portée sur les gestes, le rythme de leur réalisation et l’énergie qui les habitent. Rien n’y est a priori insignifiant ce qui implique que tous les moindres détails comptent. Enfin, la question du montage de ces éléments est essentielle, trait qui, comme l’explique Jean-Pierre Sarrazac dans « L’Avenir du drame », est au centre des dramaturgies contemporaines, permettant en partie d’expliquer leur prise de distance avec le récit linéaire[28]. Ainsi, l’auteur note que si l’on veut rendre compte de la pièce sans la question du montage, on n’a que de l’anecdotique. Dès lors, il nous faut saisir cette « intelligence du montage »[29], ce que nous tenterons de faire plus loin à travers la question de la structure de la pièce. Notons encore que Castellucci ne vient pas du théâtre et que, comme il le dit, il ne travaille pas de façon littéraire[30]. Il nous faut donc nous éloigner de ce schéma qui tend à dominer l’analyse théâtrale pour réfléchir sur la spécificité de la composition de notre objet.
Une seconde caractéristique qui se dégage d’emblée est l’absence de texte. Celle-ci est directement liée à l’absence de narration de ce spectacle, que ce soit au moyen du corps ou au moyen d’une parole.
Il s’agissait là d’un premier aperçu, ou, comme l’indique le titre de ce point, de premières observations. Elles seront développées davantage en profondeur dans la suite de ce travail, sitôt que nous aurons situé le spectacle c’est-à-dire posé la question de l’espace au sein duquel il se déploie.

3.4. Espace


Le travail du scénographe, réalisé ici par le metteur en scène lui-même, consiste selon Marcel Freydefont[31] à faire le lien entre un lieu et un édifice, entre un lieu et une œuvre, ainsi qu’entre les acteurs et les spectateurs. Anne Ubersfeld définit le lieu en tant qu’élément topographique concret et l’espace comme catégorie générique abstraite[32] qui doit « composer le lieu nécessaire et propice à la représentation d’une action, [au] moyen [de] l’aménagement de l’espace et du temps »[33]. Le travail du scénographe est donc spatio-temporel, il définit, en quelque sorte, l’univers de l’action en lui fournissant un lieu d’expression.
Ainsi, on a d’une part, le lieu théâtral, c’est-à-dire l’édifice,  d’autre part le lieu scénique et enfin, le lieu ludique où joue l’acteur, lieu qu’il habite, dont il prend possession avec son corps et par son rapport aux autres acteurs. Dans la scénographie présente il n’y a pas de différence entre les deux derniers par contre, il y a un troisième lieu extrêmement important qui est celui du son. L’espace fictionnel résulte donc du lieu théâtral, du lieu scénique ainsi que du paysage sonore. Notons encore que la scénographie moderne défend, depuis Copeau, l’idéal du plateau nu, c’est-à-dire l’idéal d’une scène vide avec un minimum d’éléments signifiants. On parle alors de scénographie minimaliste qui oblige le spectateur à faire attention à ce qui reste. Les éléments, de par leur rareté, deviennent en effet très signifiants.
C’est bien ce type de plateau que nous avons ici, le palais des papes sert de décors à lui tout seul. Mais il est bien plus que cela. En effet, Castellucci déclare: « Je travaille sur le Palais comme personnage. Je voudrais le faire parler. L’été dernier, j’ai compris que tout était là, dans sa présence, qui associe intérieur et extérieur, avec le ciel et la nuit. La nuit est un thème à part entière dans L’Enfer. »[34].
On peut dire que l’espace théâtrale résulte donc de l’architecture du palais des papes lui-même ainsi que de la lumière et du son. En effet, la lumière permet de sculpter l’espace, de jouer sur le reflet, de redoubler les images et de leur ajouter ainsi une dimension autre, suivant l’idée que « L’ombre organise le mouvement, prolonge le corps, modifie la présence : la forme qui se dissout crée l’espace qui devient trace à son tour, dans une  fluctuation incessante. »[35]. La majorité du spectacle se passe dans la pénombre, la lumière vient mettre l’accent sur certains éléments et déplacements mais à d’autres moments, elle dépasse son rôle habituel de simple outil pour devenir acteur à part entière. C’est le cas, par exemple, au début du spectacle lorsqu’on assiste à la circulation d’un point lumineux à l’intérieur du palais, comme en réaction au jeu de ballon du garçon. Les deux plans (le garçon et la lumière à l’intérieur) interagissent, sont en dialogue l’un avec l’autre, ce qui renforce le rôle de personnage de cette lumière. Son déplacement étant le seul mouvement, la seule action effectuée à ce moment-là, son autonomie n’en est que davantage affirmée. La lumière ne sert pas seulement à éclairer les actions ce qui nous fait dire que son rôle est plus proche de celui qu’elle occupe en peinture plutôt que la fonction qui lui est généralement attribuée au théâtre. L’importance de la pénombre en même temps que l’importance accordée à certains éléments ponctuellement éclairés nous fait rapprocher l’esthétique de ce spectacle au mouvement clair-obscur, voir plus spécifiquement au ténébrisme au sein desquels la lumière et l’ombre jouent avec force sur le relief du sujet. Travaillant en quelques sortes avec les outils du peintre et du plasticien, on peut commencer par envisager son travail comme une mise en espace de corps mouvants, sculptés par le jeu de l’ombre et la lumière.

Les spectacles de Castellucci sont en général représentés dans de grandes salles à l’italienne, au sein d’un dispositif que Marie-Madeleine Mervant-Roux identifie comme reproduisant le modèle aristotélicien[36]. Si, comme le suppose Michel Corvin, la théâtralité naît à partir du moment où il y a une adresse d’un récepteur à un émetteur et une division entre eux au sein d’un espace donné[37], celle-ci se trouve mise en exergue dans un tel dispositif. En effet, par une disposition frontale, une séparation scène-salle radicale et affirmée, deux espaces étant ainsi posés dans leur altérité, limitant « la tentation d’annexer le public aux activités de la scène, de constituer le théâtre en un espace  de type communautaire avec ses rituels internes.» [38]. Pris dans un tel dispositif, le spectateur est mis dans une position où il lui est loisible de dramatiser plus ou moins librement les éléments qui sont exposés à son regard, étant, comme face à un tableau, dans le rôle de l’observateur, les choses sur scène étant là, comme offertes à son jugement et à la fois totalement indépendantes de lui.

3.4.1 Le paysage sonore


L’espace sonore résulte du travail du musicien américain Scott Gibbons qui compose pour la Societas Raffaello Sanzio depuis de nombreuses années. Sa musique électroacoustique est exploitée par la troupe afin de créer une ambiance sensorielle visant à toucher directement les sens des spectateurs[39]. En effet, le metteur en scène considère et utilise la musique comme un outil prélinguistique qui, sans passer par la médiation intellectuelle, touche directement la chair et émeut le spectateur[40]. La musique auarit pour vocation de secouer les corps, « parce que c’est l’art le plus charnel et soporifique quant aux phénomènes mondiaux. »[41].
La musique et les différents bruitages ne sont pas là à simple titre illustratif, ils sont, eux également, de véritables acteurs de la mise en scène. Dès lors, il s’agit de les comprendre en tant que matériaux et langages à part entière. Comme l’écrit Marie-Madelaine Mervant-Roux : « il s’agit d’envisager la capacité du son en tant que son et non en tant que discours, voix ou autres bruits significatifs»[42] . Ces sons, accompagnant presque tout le spectacle à l’exception des dix premières minutes que dure l’escalade du palais des papes, sont comme tend à  le montrer la description, très difficiles à identifier. Ils créent une ambiance tantôt angoissante, tantôt désagréable, tantôt douce et mélodieuse, voir tout cela à la fois… Ils ne redoublent pas les images mais les transforment, semblent jouer avec elles, leur rajoutant une dimension autre, les interrogent et les remettent en question. Il est intéressant de noter que dans le carnet vendu lors des spectacles afin de présenter ces derniers, une page est consacrée aux sources sonores, comme si leur origine pouvait être importante, bien que non reconnaissable lors de l’écoute[43]. Ainsi, on apprend qu’il y a des bruits de cheveux, des sons d’os et de chair provenant d’une autopsie, le son du Shophar dont l’utilisation est loin d’être neutre étant donné que cet instrument est chargé d’histoire et de valeur religieuse ayant été utilisé, selon la Bible, par les Hébreux contre les murailles de Jéricho. La musique qualifiée de religieuse dans la description est celle de Pérotin, le « Viderunt omnes » qui est son œuvre la plus connue. Pérotin est l’un des deux plus célèbres compositeurs de l’Ecole de Notre Dame de Paris qui composa aux XII et XIIIème siècle de la musique, des chants grégoriens dans le but de magnifier les liturgies. Le morceau est interprété ici par l’Hilliard Ensemble, ce qui signifie que c’est un groupe d’interprètes spécialisé dans ce répertoire et internationalement réputé qui a été choisi, rendant ainsi possible une reconnaissance de la part du public. A côté de celle-ci de nombreuses références sont citées, des sons chargés de valeurs historiques et culturels sont utilisés. D’autres sont symboliques comme par exemple ceux du découpage de corps : si on ne reconnaît pas les bruits de l’autopsie, le fait de le savoir (et Castellucci a donné cette information lors des communiqués de presse pendant le festival) rajoute une dimension, un potentiel imaginaire à ce que l’on entend…
Nous avons noté plus haut que la musique jouait chez Castellucci un rôle de « déclencheur sensitif » mais à côté de cette réaction immédiate et spontanée, le spectacle, de par sa lenteur et  son absence de texte laissé à entendre, donne également à écouter le son. On ne fait pas que percevoir les différents bruits et musiques, le spectacle nous plonge littéralement dans l’attitude esthétique qui est celle de l’écoute. Ce terme de plongée nous permet de citer  des expressions telles que celles de bain sonore , d’espace et de paysage sonore. Elles ont l’avantage de mettre l’accent sur l’autonomie du son, sur sa capacité de déplacement du spectateur.  Ainsi, selon Gilles Deleuze, le son est l’une des forces les plus puissantes et ce parce qu’il a la plus grande force de déterritorialisation.
Nous venons de parler d’espace sonore, si le son a la capacité de déterritorialiser, d’élever hors de la matière, il a également la capacité de retterritorialiser, ce qui en fait un important instrument de propagande, donnant lieu au « fascisme potentiel de la musique»[44].  Cette double possibilité est largement exploitée par Castellucci dans ses différents spectacles même si dans celui qui nous occupe nous notons surtout un usage visant à donner à penser, à évoquer l’irreprésentable. Il vise à suggérer l’Enfer, les idées et émotions qui l’accompagnent : la solitude, la souffrance, le Transcendant.
La question qui se pose alors au son est celle de la forme qu’il peut emprunter pour incarner ces idées, dès lors que : « La présence virtuelle du sonore est une force qui anime et déporte l’image, la met en devenir, en tension entre des possibles qu’elle n’exhibe pas mais sécrète. »[45].On peut donc bien parler de synesthésie, à propos de laquelle Deleuze et Guattari écrivent : « les sons y tiennent le rôle-pilote et induisent des couleurs qui se superposent aux couleurs vues, leur communiquant un rythme et un mouvement proprement sonore.[46]».  Mais, comme l’explique Véronique Campan, si le sonore peut déplacer les images, ces dernières peuvent, en passant du statut d’icône à celles d’index, donner également de nouvelles dimensions au son. Il y a donc un double mouvement entre ces éléments que l’auteure qualifie de « promenades inférentielles.» [47].
Le son est donc bien un acteur à part entière tout comme l’est la lumière ou encore la scénographie. On pose donc l’hypothèse d’une hétérogénéité des langages, d’hybridation et de synesthésie à l’oeuvre de ce spectacle. A partir de telles observations, diverses expressions ont été développées pour qualifier ce type de représentation. Parmi celles-ci, notons d’emblée l’« écriture du plateau » de Bruno Tackels, le « postdramatique » de Hans-Thies Lehmann, le postmoderne,… Chacune d’entre elles s’appuie, comme nous le verrons par la suite, sur un élément particulier de ce théâtre qu’il prétend identifier comme étant le lieu où il situe sa nouveauté, son originalité.

A présent que nous avons situé le metteur en scène et le spectacle, que nous avons commencé à identifier certains des principaux traits, voyons les questions qu’elles nous posent.

4 Eléments caractéristiques du spectacle



4.1 Danse – théâtre. Le mélange des genres


Nous avons posé le problème du rendu et de l’analyse d’un tel objet. Le rapprochement avec la danse permet d’interroger la manière dont le problème a été envisagé par la choréologie, les réponses qui y ont apportées et les éventuels outils qu’il serait possible de lui emprunter.
La figure de Rudolph Laban est emblématique à ce sujet, il développa en effet une analyse du mouvement, « le Laban Movement Analyse », et une grille de notation, la « cinétographie de Laban », qui permet de catégoriser les signes et de les classer. Le théoricien est parti de la considération qu’en art, à la différence du quotidien, les gestes n’ont pas de finalité utilitaire mais sont de grands mobilisateurs  psychiques[48]. Il développa alors des outils pour pouvoir répondre aux trois questions fondamentales qu’il pose sur le mouvement de la personne. Ces trois questions sont : qu’est-ce que la personne bouge ? Où va-t-elle ? Comment et de quelle façon bouge-t-elle ? Pour y répondre, il construisit sa théorie à partir de conceptions philosophiques, scientifiques et artistiques, s’inspirant de penseurs tels que Platon, Kandinsky, Pythagore, Schoenberg,… Le but de cette théorie était de comprendre et de pouvoir analyser la gamme et l’harmonie spatiale du mouvement sur le modèle de l’harmonie vibratoire de la musique[49]. Il propose alors de penser le mouvement suivant quatre axes de base que sont : le corps, l’espace, l’effort et la forme. A ceux-ci viennent s’ajouter le rythme et l’interrelation ainsi que les dynamiques de base, à savoir, le flux, l’espace, le poids et le temps. Les modalités suivant lesquels ces éléments se déclinent permettent de les associer à différents états, concepts et émotions. Grâce à ces outils, la chorégraphe Maguy Marin explique sa fascination pour les gestes du quotidien, fascination qui résulte de leurs caractéristiques en tant que mouvements : leur trajectoire, temporalité, énergie[50],…Il s’agit pour les différents chorégraphes ayant travaillé sur ce type de mouvement, de redécouvrir ces gestes simples, banaux, et de se concentrer sur leur force intrinsèque. Ce sont bien de tels gestes que nous trouvons chez Castellucci, présentés pour eux-mêmes et non pour servir d’appui à  un quelconque jeu mimétique.
Commençons par noter le rythme des déplacements à l’intérieur d’ « Inferno » : ceux-ci se font de façon très lente et nous retrouvons cette lenteur dans tous les gestes effectués. Les déplacements se font tant dans la verticalité, que dans l’horizontalité. En ce qui concerne la verticalité, elle réside en partie dans le jeu de l’opposition entre l’ascension et la chute : Antoine Le Menestrel qui escalade le palais des papes et nous fait craindre la chute à tout instant, les figures qui grimpent sur le cube et se jettent ensuite en arrière, Andy Warhol qui monte sur la voiture et se laisse tomber en arrière…. En ce qui concerne l’horizontalité, il y a de nombreux contacts avec le sol tout au long du spectacles, ceux résultant de chutes, les corps se laissant tomber au début du spectacle, la seule chorégraphie présentée est basée sur le rapport au sol également…
Les corps sont comme vidés de toute énergie, inhabités d’où le rapprochement suggéré avec les morts vivants dans la description. On dirait qu’ils ne se meuvent pas d’eux-mêmes ou du moins sans volonté aucune. Il y a très peu d’échange entre eux : s’ils se touchent et que leur regard se croise, ils ne semblent pas se voir et leur visage restent vides de toute émotion. Nous avons donc une masse de corps, de corps mous et vidés  qui se déplacent en groupe, formant une masse indéfinie. Ils exécutent les mêmes mouvements mais il n’y a pas de réelle rigueur dans cette exécution, de précision. Ils sont effectués avec ce que l’on pourrait identifier comme une certaine fatigue. De par leur répétition et leur mode d’effectuation, ils transmettent l’idée d’ennui ainsi que celle d’une certaine fatalité à l’œuvre qui se serait abattu sur eux et les ferait agir. La foule, la masse de corps, a un effet dépersonnalisant, déshumanisant. Si cette impression est en partie palliée par le fait que lors de chaque séquence un ou plusieurs personnages se détachent de la foule, l’homme sur le plateau n’en est pas moins comme avalé par l’immensité de ce dernier[51].
Si on retrouve bien là l’idée de la foule de l’humanité passive présentée par Dante, on peut également faire un rapprochement avec la conception de l’acteur chez Castellucci qui déclare : « l’acteur est passif, contrairement à son nom, il n’agit pas ; il se laisse remplir d’une histoire, la propose au public, s’offre entièrement au regard des autres. »[52]. Déjà à propos de leurs précédentes créations, Bruno Tackels notait que la figure du Christ donnait un sens à leur conception de l’acteur, « cet être entièrement passif et cloué à la puissance du plateau. »[53] grâce auquel l’action prend forme. On peut alors envisager cette séquence comme une mise en abyme de cette conception. Ce que Castellucci dit retenir de la « Divine Comédie » est en grande partie la question de la création et de la position de l’artiste. Lui-même se met en scène au début du spectacle, confrontant ainsi d’emblée de jeu le spectateur à cette question, nous permettant de la transposer à la présence de chacun des acteurs sur scène…

Ce rapprochement avec la danse nous a permis de mettre à jour certains traits caractéristiques de la mise en scène et de leurs effets. Il a été en grande partie motivé par l’idée que « la danse n'est pas liée à une organisation rationnelle, mais à une logique physique du corps et du mouvement»[54]. Bien qu’une organisation extrêmement logique soit à l’œuvre dans cette création, elle est dépendante de la matière des éléments, de leur dynamique intrinsèque. Le rapprochement avec la Tanztheater serait à première vue tentant étant donné qu’il s’agit bien d’une hybridation entre les moyens théâtraux et chorégraphiques. Néanmoins, Rudolf Laban ainsi que les tenants du Tanztheater, considèrent que la danse doit primer sur la musique et les différents matériaux scéniques[55], or, comme nous avons commencé à le voir, il n’y a pas une telle hiérarchie dans notre spectacle. Le critique Matthieu Mével rapproche ainsi les spectacles de Castellucci de l’opéra (par l’importance accordée à la musique), du cirque (par la présence des animaux et des acrobaties), de l’installation (par l’utilisation des techniques et objets mécaniques) ainsi que de la performance (par la présence et l’engagement des acteurs)[56].

 



4.2 La question du texte


Longtemps, le théâtre n’a été défini que comme texte, l’esthétique classique le catégorisant sous la rubrique de la « poésie dramatique »[57]. Or, comme le laisse voir cette description, il n’y a presque pas de texte dans ce spectacle. Il agit donc en parfaite opposition avec la demande de Hegel, qui consistait à soumettre les différents éléments théâtraux et artistiques au drame, compris en tant que: « stade suprême de la poésie et de l’art en général »[58]. Les autres arts ne devaient donc servir que d’accompagnement ayant pour finalité la promotion et la valorisation du drame. On comprend alors que pour toute l’esthétique classique, la scène et ses moyens propres n’étaient que des outils servant à valoriser le texte, à le faire entendre et cela sans y ajouter de dimension extérieure. Le texte était en soi suffisant, le théâtre n’étant qu’une forme qu’il lui était possible d’emprunter.
Si la mise en scène moderne voit le jour vers 1880 avec Antoine, permettant le développement d’une réflexion sur les moyens théâtraux propres[59], ces derniers doivent toujours avoir pour unique finalité de servir le texte. Ce n’est donc qu’avec Wagner, Craig, Appia et Artaud, que le théâtre (ou l’opéra pour Wagner) commença à être envisagé en tant qu’art réellement autonome[60]. Nous nous attacherons plus précisément ici à la figure d’Artaud pour lequel il s’agissait d’arracher le théâtre à la domination du texte et de lui faire parler son propre langage, raison pour laquelle s’en réclamer est devenu un lieu commun pour les artistes du « nouveau théâtre ». « Je dis que la scène est un lieu physique et concret qui demande qu’on le remplisse, et qu’on lui fasse parler son langage concret. »[61], écrit Artaud, comprenant ce langage concret comme étant celui des éléments qui occupent la scène et qui peuvent se manifester matériellement sur celle-ci afin de s’adresser directement aux sens[62]. La scène doit rompre avec le texte : « Un théâtre qui soumet la mise en scène et la réalisation ; c’est à dire tout ce qu’il a en lui de spécifiquement théâtral, au texte, est un théâtre d’idiot, de fou, d’inverti, de grammairien, d’épicier, d’anti-poète et de positiviste, c’est-à-dire d’Occidental. »[63].

4.3 La non-narrativité



Ce spectacle n’est pas composé de scènes, du moins si l’on comprend ces dernières en tant qu’épisodes constituants d’un récit que l’on voudrait raconter. De par la lenteur des actions, la qualité esthétique des compositions scéniques, la simplicité des actions effectuées et l’absence de texte ou d’une quelconque explication quant à leur propos, il est tentant de parler de tableaux. En effet, comme nous l’avons vu, l’absence de mots fait résider l’action dramatique dans les gestes et expressions des personnes sur scène ainsi que dans la composition même. Comme dans un tableau, donc ; les choses sont montrées et non dites. De plus, dans de nombreuses séquences on assiste à un phénomène semblable à l’arrêt sur image, les acteurs, dans la lenteur de leur déplacement, prennent un temps où ils se figent. Parfois, cet « événement » est accompagné d’un regard en direction de la salle, comme s’ils posaient pour les spectateurs, s’offraient, offraient, le temps d’un instant, leur présence à leur regard dans une interrogation de ce dernier. Cet aspect est particulièrement évident dans la scène des enlacements[64]. L’acte de regarder est mis en exergue, semblant interroger par là le regard du spectateur en le révélant.
On peut penser les différents mouvements, déplacements comme tendant vers cette image, et considérer dès lors le spectacle comme une transition d’un tableau à l’autre. Néanmoins, bien que ce soit ces images photogéniques qui marquent en premier lieu l’attention, le spectacle consiste davantage dans les passages de l’un à l’autre, il se donne dans une douce continuité.  Ce disant, on peut faire un parallèle avec la méthode du fil continu qui avait été utilisée à de nombreuses reprises pour l’illustration de la « Divine Comédie », insistant ce faisant sur l’aspect de la trajectoire réalisée par les personnages[65]. Mais cette organicité est également à lier avec la composition picturale elle-même, à propos de laquelle Valerio Adami a dit :

 « Le tableau est une proposition complexe dans laquelle les expériences visuelles antérieures forment des combinaisons imprévisibles, l’imagination créant sans cesse de nouvelles associations : une image s’agrandit en une autre, mais sa forme originelle est en continuelle transformation. »[66].

Si les actions sont en elles-mêmes simples et banales, tenir un ballon, s’enlacer, rouler par terre, ces « gestes à référence »[67] comme les appelle Dominique Bagouet posent problème de par leur mode d’apparition. On ne comprend pas ce qu’ils signifient ni pourquoi ils sont figurés.  Cette incompréhension résulte notamment du fait que l’on a trop et/ou pas assez de contexte que pour pouvoir les lire en fonction de ce dernier. Tenir un ballon ne veut rien dire en soi et cette action triviale ne poserait aucun problème si elle n’était pas présentée comme si elle voulait dire quelque chose, si la puissance qui s’en dégageait n’était pas aussi intrigante, poussant le spectateur à s’interroger sur son sens.
On sait que dès lors que les éléments et actions scéniques sont portés sur le plateau, présentés au regard du spectateur,  ils sont mis en instance de signifier. Il s’agit là d’une des bases fondamentales du fonctionnement théâtrale : « La théâtralité en tant que telle est le fondement de toute constitution de sens ne serait-ce qu’à cause de son ‘matériel’ de signes vivants et parce qu’elle est action réelle (…). »[68] écrit Hans-Thies Lehmann. Mais dans le cas de ce spectacle, ce phénomène est largement amplifié en même temps que problématisé de par le mode de présentation choisi : on nous donne à assister à une action, la plupart du temps reprise plusieurs fois par un ou différents « personnages », cette action se déroule lentement et dans une sorte de continuité. Les transitions se font naturellement, nous faisant passer peu à peu à autre chose, comme si des tableaux vivants se métamorphosaient sous nos yeux. Ces actions semblent avoir du sens pour ceux qui les effectuent et nous y assistons à la manière dont nous observerions une cérémonie ou un rituel qui nous serait inconnu.
Si nous avons l’habitude de considérer les signes, le sons et les images qui nous sont donnés à voir en tant que «indices à capter, [] traces à refigurer, comme vecteurs d’une intention qu’il [] revient d’élucider. »[69] on voit le problème que peut nous poser un tel spectacle où ce mode de fonctionnement de l’activité spectatorielle est mis à mal. Le côté « dysnarratif»[70] accentue encore davantage cette idée que tout est potentiellement porteur de sens et qu’un nombre indéfini de combinaisons entre les éléments peut être réalisé. Le spectacle est donné à voir sans fournir de clé de lecture aux spectateurs, si ce n’est son titre massif, chargé de sens en même temps que parfaitement inconnu et insaisissable.

En commençant l’étude de ce spectacle, nous avons expliqué que la première difficulté rencontrée était celle de sa mise à plat, du passage du visuel au narratif. Cette étape est loin d’être évidente dès lors que ce n’est pas gratuitement que le moyen de l’image a été choisi par le metteur en scène. En effet, selon Anne-Marie Mercier Faivre[71] on tend à utiliser les allégories et les symboles lorsqu’il s’agit de parler de phénomènes supra-sensibles ou d’éléments dépassant notre entendement. Dès lors que le langage commun ne suffit plus, que l’on ne dispose pas de moyens de dire, l’alternative qui s’impose est de tenter de faire comprendre autrement, de suggérer. Pour ce type de discours, l’allégorie, ainsi que la peinture, la musique, se trouvent être des moyens plus efficaces que le langage référentiel et ce de par le manque de référant. Avec le thème de l’Enfer, c’est bien du transcendantal qu’il s’agit ce qui peut expliquer que les images, de par leur fort potentiel imaginaire, permettent de l’aborder plus facilement que les mots, qui, s’ils ne sont pas utilisés de façon poétique, ont davantage tendance à restreindre ce pouvoir. Citons là encore Artaud à propos du langage concret de la scène :

 « Je dis que ce langage concret, destiné aux sens et indépendant de la parole, doit satisfaire d’abord les sens, qu’il y a une poésie pour les sens comme il y en a une pour le langage, et que ce langage physique et concret auquel je fais allusion n’est vraiment théâtral que dans la mesure où les pensées qu’il exprime échappent au langage articulé. »[72].


4.4 La structure


S’il n’y a pas une narration, le spectacle n’en suit pas moins une structure précise. Pour définir celle-ci, commençons par rappeler que la représentation est, pour les acteurs comme pour les spectateurs, une sorte de pérégrination à travers les différentes séquences ou, si l’on veut se référer à Dante, à travers les différents chants. Les acteurs passent lentement, impassiblement d’une action à une autre et le spectateur, bien que assis dans son fauteuil, est comme emmené en voyage ; des choses se déroulent devant ses yeux et se métamorphosent pour devenir autres. Il n’y a pas de pause, de point de rupture. Tout est calme et plat. On peut utiliser à son propos le terme « ingrès », un néologisme inventé par Michel Maffesoli pour dire un chemin sans but, qualifier le fait d’entrer sans progresser[73].
S’il n’y a pas de réelle progression ou de développement narratif, le spectacle n’en possède pas moins une forme qui lui est particulière et qu’il s’agit pour nous de découvrir, s’interrogeant à cette fin sur la structure générale du spectacle et sur celle des différentes « étapes » dont elle est composée.
Le premier aspect à dégager est celui de la répétition ; les actions se répètent, ainsi que les thèmes musicaux, que ce soit dans une même séquence ou dans des séquences différentes, les répétitions permettant de faire des liens entre elles. En suivant ces reprises, on prend compte du caractère circulaire de la structure globale. En effet, le spectacle s’ouvre sur la présence d’un artiste seul sur scène, Roméo Castellucci, et se finit avec l’évocation figurative d’un autre artiste, Andy Warhol. Entre les deux, il y a la foule. On peut alors diviser le spectacle en trois parties (Castellucci, la foule, Andy Warhol) et se rendre compte que la partie centrale répond à également une structure circulaire. En effet, elle commence avec la présence de l’enfant, rejoint ensuite par la foule qui s’étale au sol. Arrive ensuite le vieil homme qui se saisit du ballon. Cette partie centrale se finit avec la foule couchée à nouveau au sol et le vieil homme seul à l’avant-scène. Suite à ses appels : « où es-tu ? (…) », arrive l’enfant, l’égorge et prend sa place. La boucle est bouclée. L’apparition du cheval blanc fait partir tous les figurants du plateau. Tout comme l’artiste  du début, l’artiste de la fin est seul sur scène. Le premier s’est mis en danger par l’attaque des chiens. Le second, sort d’une voiture carbonisée, semble être passé par le danger également. Cette idée que l’artiste doit payer est développée dans le texte même de la « Divine Comédie ». Pour traverser la montagne, Dante emprunte le chemin le plus difficile et dangereux bien que, comme pour Castellucci le danger soit maîtrisé et sa sécurité assurée (Dante est protégé par des Anges et Virgile, Castellucci porte une tenue de protection et les chiens sont entrainés pour ce genre d’exercice). De plus, il s’agit d’un danger intérieur que l’on peut rapprocher de celui de l’acte de la création et de la mise à nu que cette dernière suppose.
Un autre trait de la mise en scène consiste dans la présence des différentes générations sur scène, évoquant également cette idée de circularité par rapport au cercle de la vie. Le lien entre l’enfant et le vieil homme peut être compris en ce sens, comme une dialectique entre le début et la fin de l’existence. Les deux sont pourtant pris dans la même fatalité, ce qui redouble encore l’idée de répétition.
Cette circularité ainsi que la répétition sont deux éléments essentiels de l’ « Inferno » dantesque. En effet, la typographie de ce dernier correspond à une spirale, l’Enfer étant constitué de cercles concentriques s’enfonçant vers le centre de la Terre[74]. A plusieurs reprises déjà, nous avons mentionné des références à l’ouvrage de Dante. Pourtant, Castellucci déclare que ce ne sont que les trois premières lignes de ce dernier qu’il a retenues étant donné que tout était déjà là, dans cette idée de forêt sombre[75]… La question qui se pose à nous est celle de l’importance et de la valeur de ces citations, qui, comme nous allons le voir à présent, foisonnent dans ce texte.

4.5 La citation : Dante, Warhol et l’Enfer


La « Divine Comédie » est un récit de voyage, celui de la traversée des Enfers par un Dante terrifié accompagné de son guide qui a également pour rôle de le protéger. Une fois engagé sur ce chemin, il ne verra que des images de châtiments, il n’y aura pas de repos, pas d’échappatoire, il ne pourra qu’assister, impuissant, à des actions dont le sens lui échappe et que les récits des damnés ainsi que les explications de Virgile viennent éclairer. Mais ces explications se limitent à un premier niveau de causalité : Dieu punit pour tel type de pêché par tel type de châtiment. La logique divine elle-même échappe par définition à l’entendement humain et ne peut être interrogée. Partant de là, on peut rapprocher la position du spectateur face à cette création avec celle de Dante, mais d’un Dante plus passif encore, qui ne peut que regarder de loin sans avoir le droit d’interroger, contraint de chercher le sens en lui-même. Si Roméo Castellucci endosse au début du spectacle le rôle du poète, par la suite on peut penser qu’il nous la fait partager, nous plaçant face à des figures apathiques et comme animées par une logique que l’on ne peut saisir, tout comme Dante assistait aux tortures des suppliciés en Enfer. Castellucci attire l’attention sur le fait que si ce dernier est un artiste, un créateur, il se donne également comme un enfant, c’est-à-dire hors de l’expérience et du savoir, vivant des choses qu’il ne comprend pas[76]. Plus loin nous verrons comment Castellucci tente de nous mettre dans une telle posture. Notons simplement pour le moment que tout comme Dante, la seule chose que le public sait, c’est que c’est l’Enfer qui lui est donné à voir. En ce sens, on comprend que le spectacle respecte l’esprit de la « Divine Comédie ». Il ne l’illustre pas mais le donne à sentir, à vivre, il ne s’agit pas de montrer l’Enfer mais de penser ses représentations, de traverser l’imaginaire qui l’habite. Cet imaginaire est très riche étant donné que, comme l’écrit Georges Minois ce dernier est « le miroir des échecs de chaque civilisation à résoudre ses problèmes sociaux, et est en tant que tel le révélateur de l’ambiguïté de la condition humaine : Tant que l’homme sera incapable de résoudre sa propre énigme, il imaginera un enfer. »[77]. Le spectateur peut donc aborder cette représentation en tant que proposition de travail autour de cet imaginaire.
Cette idée de cheminement à travers l’œuvre peut être mise en parallèle avec le titre d’un des ouvrages de la Societas, « Les Pèlerins de matière », dans lequel Roméo Castellucci explique que c’est avant tout à un tel pèlerinage que nous invitent ses oeuvres[78]. Peregrinato signifiant voyager à l’étranger, il s’agit en général d’un voyage vers l’inconnu ayant une fin spirituelle…Cette idée implique une certaine attitude d’esprit pour celui qui s’y engage. Celui qui part pour l’inconnu est a priori ouvert à la rencontre et à la découverte, il ne cherche pas à identifier les choses qu’il rencontre à ce qu’il connaît déjà, bien que ses connaissances lui servent de point d’appui : elles le constituent et c’est à travers elles qu’il appréhende le monde. Cependant, il ne s’agit pas ici d’un voyage vers une transcendance mais au contraire d’un voyage dans la matière, c’est-à-dire qu’on reste dans l’horizontalité, malgré la musique religieuse et les références qui ouvrent vers une verticalité. Comme nous l’avons vu à propos des déplacements des acteurs, une dialectique entre l’horizontalité et la verticalité y est également à l’œuvre.
Pour la question de la structure, nous pouvons noter l’importance de la circularité et de la chute, éléments qui  correspondent à la topographie de l’Enfer tel qu’il est décrit par Dante. Mais l’interprétation ne s’arrête pas là. En effet, on peut se saisir d’un autre fil interprétatif qui se baserait par exemple sur la figure et l’œuvre d’Andy Warhol. Ce dernier est évoqué tant par les titres de ses œuvres projetés sur le mur du palais des papes, par le bruit de l’accident de voiture qui se fait entendre tout au long du spectacle et qui peut évoquer ses séries autour des accidents de voiture « car crash », que par la présence d’une personne qui endosse son rôle et clôture le spectacle, confirmant ainsi les précédentes hypothèses. Dès lors, on peut comprendre la scène des personnes se tenant à l’avant scène avec le ballon en mains comme l’illustration de sa  célèbre idée des « 15 minutes de célébrité » auquel aurait droit tout homme dans nos sociétés de mass media et de communication. Le mot « étoiles » peut être lu en rapport avec sa traduction anglaise : « star ». La répétition serait alors à comprendre comme reprise de ce principe chez Warhol où il se trouve développé tant à travers ses films que ses sérigraphies. Le titre des œuvres projetées rappelle certaines séquences du spectacle (« kiss » pour les enlacements, « knives » pour les égorgements, « eat » pour la scène de la vieille femme et du ballon,…). Warhol qui s’est toujours intéressé au banal a fait de la banalité des œuvres d’art. Prenons pour exemple ses films qui donnent à voir une action simple, dans un seul lieu, réalisée par un personnage et répétée pendant un long laps de temps. A travers ces actions triviales, il s’agissait pour lui de donner à voir les transformations discrètes de l’image. Ce faisant : « ces films proposent une esthétique de l’ennui, une sorte de ‘désembrayage’ progressif du sujet qui, après une attente attentive et frustrée des changements, semble amené à ne plus attendre et à considérer le temps comme une sorte d’invariant (…). »[79] Cette mise en avant est qualifiée par Louis Pelluc du terme de « photogénie»[80], terme que l’on peut reprendre et appliquer aux images castellucciennes.
Au delà des ces reconnaissances et rapprochements, on peut également s’attacher à l’esprit qui animait la démarche de l’artiste et s’en inspirer pour la lecture du spectacle. On lirait alors l’œuvre dans sa dimension superficielle davantage que dans celle de la recherche de ses profondeurs, de son sens, considérant que le fond se résout dans la forme et qu’il n’y a finalement que cette dernière qui nous est donnée. C’est là l’idée de Warhol que tout n’est que surface, idée à partir de laquelle il considérait, et donnait à considérer, ses œuvres. Il déclarait ainsi qu’il n’y avait rien à comprendre à ses créations ni de sens à en dégager et ce par le manque de profondeur de ses images, s’agissant au contraire de se contenter de parcourir leur surface du regard. Contre toute profondeur métaphysique, il proposait une physique des surfaces[81]. Notre rapport au spectacle est un rapport à sa forme, notre recherche commence par une mise à plat. Dès lors, là aussi, c’est bien à la surface que nous nous attachons mais en considérant, à l’inverse de Warhol que, comme l’écrit Bruno Tackels, sur un «  plateau de théâtre, [...] plus grande est l’évidence, plus grande est la part du travail souterrain. »[82].
 L’appellation « écrivain de plateau » proposée par ce dernier pour qualifier certains metteurs en scène contemporains désignés aujourd’hui comme « postdramatiques » ou du moins tenant de ce nouveau théâtre qui nous intéresse ici, insiste également sur cet aspect. La recherche, l’écriture de ces troupes, se fait à partir de, à même la matière et comme l’écrit Artaud, elle exige « la découverte d’un langage actif, actif et anarchique, où les délimitations habituelles des sentiments et des mots sont abandonnés. »[83]. Le plateau, l’espace, la surface, est la matière première, le point de départ et d’arrivée de ces dramaturgies. Néanmoins, ce n’est pas pour autant qu’un profond travail dramaturgique ne les précède pas, comme nous l’indique Castellucci à travers cette citation :

 «  Les répétitions sont une situation de résistance car les idées de départ se cognent à la réalité du plateau, à la pesanteur des aspects matériels ; le projet se heurte alors à la réalité des choses et devient ainsi une autre chose. C’est dans ce moment de confrontation, de heurt, qu’adviennent en général les choses les plus intéressantes. »[84].

  Hans-Thies Lehamnn cite à ce propos l’expression de Elfriede Jelinek : « surface de langage »[85], pour insister sur le fait que ce qui se joue dans ces formes c’est la démonstration de la forme elle-même, de la matérialité de l’objet et non plus de la profondeur de son propos qui ne serait qu’une « illusion mimétique»[86].
Pour en revenir à la question de la citation et de la référence, on remarque qu’en suivant le fil de la « Divine Comédie », on peut reconnaître ou croire reconnaître différents chants. Ainsi, les trois chiens du début qui attaquent Castellucci peuvent représenter la louve, le léopard et la panthère qui empêchent Dante de faire son ascension de la montagne, ascension qui serait illustrée métaphoriquement par l’escalade d’Antoine Le Ménestrel. De même, lorsque Castellucci se revêt de la peau du chien, on peut y lire le symbole du lévrier, annoncé comme le sauveur par Virgile. Certains péchés et châtiments sont également potentiellement reconnaissables, comme par exemple la foule qui figurerait les premiers condamnés rencontrés par les deux voyageurs, ces lâches qui n’ont jamais été vivants et dont ni le Paradis, ni l’Enfer ne veut. Ensuite, les lettres marqueraient l’entrée de l’Enfer. Une fois celle-ci franchie, dans le premier cercle de l’Enfer, ce sont les limbes et nous pouvons effectivement reconnaître celles-ci dans le cube en verre dans lequel jouent les enfants. Ensuite on peut peut-être deviner que les personnes assises par terre dans des poses affligées sont les mélancoliques, que ceux qui se jettent du haut du cube sont les violents contre eux-mêmes dont le châtiment est d’être transformé en arbres, position que prennent certains d’entre eux à côté du cube, les violents contre autrui étant représentés grâce à la chaîne des égorgements, mettant également l’accent sur la dimension des punitions éternelles, les morts se relevant pour tuer et être tués à nouveau….
Certaines compositions scéniques évoquent les illustrations effectuées par Botticelli pour cet ouvrage, comme par exemple la foule couchée et roulant par terre, image qui ressemble fort à la planche représentant les simoniaques… La scène des deux hommes dont chacun étrangle son enfant fait penser à la sculpture d’Auguste Rodin « Ugolin et ses enfants », déjà évoquée par la vieille femme qui semblait mordre et embrasser à la fois le ballon de basket en début de spectacle. D’autres images de la porte de l’enfer sont également reconnaissables tels que le Baiser, le penseur,…
Une des autres lectures possibles peut se faire à partir du livre de l’Apocalypse selon saint Jean. Celle-ci peut être motivée par le nom « Jean » écrit sur le mur du palais dès le début du spectacle en lien avec les sons et lumières inquiétants, comme annonçant l’arrivée imminente d’une catastrophe. Ensuite, on se concentre sur la foule qui arrive en rang, comme une procession, un cortège, les premières processions étant à Jérusalem, ville sous laquelle on situe l’Enfer, la mention du mot « étoiles » à la fin du spectacle rappelant la révélation de Dieu à Jean lorsqu’il informa ce dernier de l’Apocalypse, tenant sept étoiles en mains, sept chandeliers, chacun représentant une Eglise. De même, les nombreuses poses christiques qu’empruntent les acteurs nous évoquent également cette référence à l’Eglise chrétienne et plus spécifiquement catholique.
Nous voyons ainsi que certains signes sont possibles de plusieurs interprétations, rien ne témoignant en faveur de l’une plutôt que de l’autre, notre compréhension étant le seul fruit du fil interprétatif dont on se sera, de par nos références personnelles, saisi.
Pour illustrer l’ambivalence, la plurivocité de ces signes, prenons l’exemple du cheval blanc apparaissant vers la fin du spectacle.
Suivant la lecture basée sur la « Divine Comédie », le cheval peut être une représentation du centaure empêchant les violents contre autrui de s’enfuir en leur décochant des flèches, le cheval arrivant effectivement après le scène des égorgements, ce qui peut confirmer cette logique.
Le cheval est également une figure, une manifestation de la mort et ce dans de très nombreuses cultures. Le cheval, tel qu’il apparaît ici, peut correspondre au cheval blanc de l’Apocalypse, jouant un rôle de présage de la mort chez les Anglais et Allemands, sa blancheur dite nocturne, froide, lunaire, figurant le blanc du deuil, étant d’absence de couleur, vide… Cependant l’arrivée de ce cheval sur le plateau, annoncée par le claquement amplifié des sabots, soulignée par le projecteur braqué sur lui est une image forte et peut-être suffisante en elle-même. Face au cheval la foule se relève et recule. Le signal est clair même si on ne sait pas exactement à quel symbole il correspond. Nombreuses de ces images, même si on ne peut les identifier en tant qu’icônes, symboles ou encore références iconographique, n’en sont pas moins des signes explicites de sentiments humains, peur, mort, souffrance, solitude mais aussi amour et tendresse…

Nous voyons que ces citations sont très nombreuses et recouvrent un trop grand domaine que pour qu’une étude exhaustive puisse en être réalisée.
Si certaines d’entre elles sont assez explicites, Castellucci reprenant beaucoup d’images ou de signes connus (comme par exemple la figure de « l’homme de Vitruve » ou celle de  « l’homme ascensionnel ») d’autres nécessitent des connaissances plus précises comme celles touchant à l’Apocalypse ou à la « Divine Comédie », par exemple. Néanmoins, si on reconnaît l’image, celle de l’homme ascensionnel par exemple, on n’en connaît pas nécessairement la signification. En effet, il s’agit là encore d’une figure chargée de valeurs symboliques : envol, élévation vers le ciel après la mort, élévation spirituelle…Dès lors quel est le rôle de ces références ? Est-ce un spectacle élitiste qui ne s’adresserait qu’à ceux ayant cette culture en partage ? Peut-on reprendre la remarque de Jacques Le Goff à propos des illustrations de Botticelli : «  si les images ont leur logique propre et leur signification spécifique, leur lecture doit aussi s’éclairer à la lumière de la pensée qui les inspire. »[87] ?

4.6 La question de l’élitisme


L’œuvre se dit « librement inspirée de la Divine Comédie » et on constate en effet que si Castellucci donne une version très personnelle de l’Enfer de Dante, il n’en rend pas moins les aspects essentiels. Se pose alors la question de cette reconnaissance en particulier et, à partir d’elle, la reconnaissance des autres références : sont-elles utiles, voir nécessaires ? Quel spectateur modèle est supposé par une telle œuvre ? Pour répondre à cette question on peut commencer par se référer à l’œuvre de Dante lui-même. Son but, son intérêt réside-t-il dans la reconnaissance des aspects repris à l’Enfer de Virgile ou bien vaut-elle par son originalité propre ? La reconnaissance de ces éléments aide-t-elle à comprendre le spectacle et à l’interpréter de façon adéquate, juste ? L’évidence de la réponse à cette question nous permet de noter l’importance de l’originalité de l’œuvre, indépendamment des sources dont elle est inspirée. La question est donc bien celle de l’intérêt de cette reconnaissance par rapport à la perception globale, au vécu du spectacle. Nous avons fait appel à la notion d’élitisme, il s’agit là d’une critique qui a été régulièrement adressée aux formes du « nouveau théâtre », accusant ces dernières d’être hermétiques à un public populaire[88]. C’est peut-être pour prévenir une telle interprétation et classification que Castellucci ne cesse de répéter dans ses déclarations que c’est le corps du spectateur qui doit être touché, que c’est à lui que s’adresse le spectacle, davantage qu’à l’intellect. On a dans l’idée que le corps est bien un « matériau universel » qui connaît, du moins dans nos cultures, les mêmes sensations et émotions[89]. Dès lors, lorsque Castellucci dit cela, il veut insister sur cet aspect « égalitaire » face à la réception de son spectacle. Voulant pousser encore davantage dans ce sens, il définit son spectateur idéal comme : « qui ne connaît pas mon travail, qui peut-être ne connaît pas le théâtre, un spectateur qui entrerait dans la salle par hasard. »[90]. Le regard de ce spectateur serait physique, regard de la sensation et entièrement ouvert à la représentation et aux affections qui en proviennent et ce sans être traités par tout un outillage intellectuel[91].  En cela, le metteur en scène demande au spectateur de se mettre dans une position d’innocence et non prédéfinie par un horizon d’attente sur ce qu’est le théâtre et encore moins sur son travail à lui. Cette épreuve de l’innocence rapproche le spectateur de la position de l’enfant et de sa vision ludique des choses. Le spectateur ne doit pas se laisser perturber parce qu’il ne reconnaît pas, ne comprend pas, mais se laisser émerveiller, emmener, comme le ferait un enfant curieux : « sans présupposé, sans pré-avis, la rencontre est alors la plus forte possible, quand le spectateur est comme un enfant. »[92], ou comme un pèlerin…
De plus, si de nombreux éléments n’entrent pas dans les cadres déterminés par ces lectures basées sur la reconnaissance des citations d’autres, au contraire, comme nous l’avons vu, peuvent être placés dans chacun d’entre eux… En remplaçant les propositions : gens qui s’égorgent par cercle des violents contre autrui, enfants dans un cube en verre par les limbes, on substitue simplement de nouvelles images aux anciennes ou plutôt, de nouveaux noms. Il est évident que Castellucci s’amuse à jouer avec les symboles et les signes plurivoques, comme par exemple dans le cas du cube en verre, recouvert par la suite d’un drap noir. Ces enfants exposés à la vue de tous peuvent faire songer aux différents loft stories qui remportent un si grand succès dans nos sociétés, nous mettant dans la position peu enviable de voyeur. On peut alors interpréter cette scène en tant qu’interrogation du regard du spectateur et mise en avant de la responsabilité de ce dernier. Il y a quelque chose de dérangeant dans cette séquence : ces enfants sont là malgré eux, exposés, comme des animaux dans une prison de verre ou des poissons dans un aquarium, aux regard des spectateurs qui ne sont pas venus pour ça. De si petits enfants n’ont pas leur place sur une scène de théâtre, sentiment d’injustice qui peut se révéler avec encore plus de puissance si on le met en parallèle avec l’idée des limbes elles-mêmes. Mais ce cube, une fois recouvert de noir peut également évoquer autant la Ka’ba, le « Carré noir » de Malevitch, le « Cube » de Schneider appelé « cube Hambourg 2007 », le « Monolithe » de Jean Nouvel, la « Black Box » ou « Die » du plasticien Tony Smith, l’« Île des morts » de Böcklin que le monolithe mystérieux de « 2001, l’Odyssée de l’espace » de Stanley Kubrick.
Ces signes sont donc à l’opposé de l’interprétant immédiat pensé par Peirce car si on reconnaît d’emblée un cube, celui-ci ne cesse de poser question par rapport à ce qu’il représente.  Ces différentes références peuvent servir de portes d’entrée dans le spectacle et ce non seulement pour les spectateurs, mais pour les artistes eux-mêmes. Ce sont peut-être ces images que leur évoquent les mots qu’ils travaillent et les questions qu’ils abordent.
Ces images sont celles de notre culture, de notre histoire mais également de notre contemporanéité. Elles sont importantes et qu’on les reconnaissent ou non, elles ont un poids particulier qui concoure à la matérialité propre de chaque œuvre qui s’en trouve d’emblée chargée.
A la question de ce que ces signes permettent, on ne peut pas donner une seule réponse ; ils permettent de donner une identité, une teinte particulière à la création, de l’inscrire dans l’histoire, . Elles permettent également au spectateur de s’en saisir, en fonction de ses connaissances, de sa sensibilité et de son parcours propre et d’ainsi inscrire l’œuvre au sein de son histoire à lui de s’en emparer d’une manière qui n’appartient qu’à lui seul. C’est pour cette raison que Castellucci considère que son spectacle est en un sens davantage de l’ordre de l’univocité que de la plurivocité, car il est unique pour chaque spectateur, il touche de façon individuée chaque corps et sensibilité présente. Si les signes utilisés sont plurivoques en soi, ensemble ils forment, ils donnent lieu à une voie d’accès unique et différente pour chacun, sans qu’il s’agisse pour autant de quelque chose de cohérant :

 « Le seul axiome qui vaille, dans le théâtre des Castellucci, tient dans l’absence totale de grille de lecture extérieure. Seule vaut la posture du spectateur singulier dont l’existence et la pensée se constituent à mesure que le spectacle prend naissance devant lui. Et selon ce qu’il aura lu, le spectateur viendra nourrir, et comme impressionner la plaque sensible du spectacle, prêt à d’innombrables révélations. »[93]. 


Il s’agit là d’une belle idée mais qui est loin d’être partagée. Ainsi, selon Lehmann, ce type de représentation s’adresse davantage à un amateur d’art qu’à un habitué du théâtre classique[94]. Il est évident que les codes de ce théâtre classique s’y trouvent déconstruits, néanmoins pourquoi ce spectacle ne s’adresserait pas également à l’habitué de ce type de théâtre pour lui faire rencontrer autre chose ? Peut-on sérieusement réduire les créations aux attentes d’un public préconstitué ? Il nous semble qu’envisager les choses de la sorte réduit l’œuvre à un banal objet de consommation, visant la satisfaction d’un public devenu simple client. En ce qui concerne les pièces de Castellucci, notons que ces dernières ne font jamais l’unanimité et que même le spectateur comblé par une représentations pourra ressortir déçu ou énervé d’une autre car bien qu’on retrouve quelque chose de l’ordre d’une certaine esthétique commune dans un grand nombre de ses créations, l’horizon d’attente du spectateur est souvent déconstruit par notre artiste.
Notons à propos de cette question de l’horizon d’attente que celui-ci se construit en premier lieu à partir de la catégorie sous laquelle est placé le spectacle. Il s’agit ici du genre « théâtre », terme lourdement connoté et chargé de représentations différentes suivant la culture et les centres d’intérêt de chaque spectateur. Néanmoins,  on peut poser avec Lehmann que dans la tradition occidentale, lorsqu’on parle de théâtre, ce dernier est en premier lieu compris en tant que : « réalisation de discours et d’actions sur la scène grâce à une imitation rendue par le jeu dramatique. »[95]. Cette indétermination préalable est sans doute l’une des raisons de la difficulté éprouvée par un certain nombre de spectateurs face à ces formes.


4.7 Hétérogénéité des langages


Dans le point 4.2 qui pose la question du texte, nous avons noté que ce dernier était pratiquement absent dans ce spectacle. Trois ou quatre phrases à peine sont prononcées et ces dernières servent principalement à communiquer des sentiments : « je t’aime », « où es-tu ? » « je t’implore »,…des appels laissés sans réponses. Le texte de Dante qui a pourtant servi de point de départ à la création n’est pas cité, bien que, comme nous l’avons vu, l’esprit en est respecté sans être pour autant illustré.
Ce théâtre est souvent qualifié de théâtre image et effectivement, c’est son aspect visuel qui attire en premier lieu l’attention. Mais comme cela a été montré au travers de l’explication du travail sur le son, l’espace et la lumière, on ne peut pas réduire ces formes artistiques à cet unique aspect.

Le spectacle est animé en grande partie par une dynamique des contraires. Il donne à voir différentes choses qui, sous certains aspects, entrent directement en contradiction ; l’individu seul versus la foule, un petit enfant versus la scène immense et vide, l’eau versus le feu, les enfants qui agissent librement dans le cube versus les adultes qui font des actions déterminées, la pénombre dans laquelle est plongée presque constamment la scène versus les vêtements colorés des acteurs et le blanc du cheval, des scènes tendres accompagnées de musique angoissante…
Ces éléments juxtaposés, mettent en exergue les caractéristiques de l’un comme de l’autre, les deux s’en voyant ainsi renforcés, réaffirmés dans leurs caractéristiques propres : la beauté poétique du piano qui brûle est redoublée grâce à son reflet dans l’eau, la solitude de la personne laissée seule sur scène est d’autant plus marquée et saisissante que jusque là il y avait une soixantaine de personnes se partageant le plateau. Dès lors, lorsque ceux-ci le quittent, ne reste qu’un individu devant supporter le poids de la scène gigantesque et le regards de quatre milles yeux braqués sur lui, saisis par sa puissance scénique. Cela est particulièrement évident dans la scène de la petite fille et des néons. Il faut noter que Castellucci travaille fréquemment avec des enfants et cela pour des raisons d’énergie. A nouveau, c’est la question de la « matière », des propriétés de la présence qui motive sa démarche. L’enfant ne joue pas, il est considéré par le metteur en scène comme le maître du plateau car il tend à maîtriser ce qui se passe sur scène : « Un enfant fait ce qu’il veut sur un plateau : il provoque une éclipse totale de la représentation théâtrale tout en la révélant, car il est ce qu’il est, sans artifice, sans manipulation. »[96].
Cette dynamique est à placer en lien avec le travail autour du vide et du plein qui est également à l’œuvre dans cette mise en scène : par moments le plateau immense est complètement vide, à l’exception d’un ou quelques personnages, les faisant alors davantage apparaître comme des figures, des figurines que des hommes. Cet éloignement et leur petitesse leur fait perdre leur caractère humain et les instrumentalise, comme nous l’avons vu plus haut. A d’autres moments par contre, le plateau est rempli de couleurs foisonnantes et de tissus en mouvement, comme par exemple lorsque les corps, couchés par terre, tournent sur eux-mêmes, évoquant des tableaux de la Renaissance et du Baroque, mais également les publicités pour Benetton…
Le jeu des lumières et des mouvements nous place face au même processus : le cheval paraît bien plus blanc et éclatant lorsqu’il s’engage, dans un cercle de lumière sur la scène plongée dans le noir. Sa singularité, l’étonnement que produit son apparition est renforcée par la foule qui se lève face à lui et, lentement, en rangs serrés, se met à reculer.
Le son joue également le même rôle. Il ne redouble pas les actions de la scène mais vient les interroger, leur apporter une autre dimension. Les embrassades et enlacements prennent une teinte dramatique dès lors que commencent à se faire entendre les bruits de l’accident de voiture. Par ces éléments antagonistes ou du moins fortement autres, les images sont complexifiées. Ce n’est pas seulement une petite fille face à des néons qui clignotent, c’est une petite fille abandonnée, laissée seule sur un immense plateau vide et noir…
L’émotion produite par le spectacle résulte en grande partie de ces propositions ambivalentes du plateau. Ce spectacle partage par là quelques traits caractéristiques du fantastique qui se nourrit d’une telle indétermination des éléments et de nos sentiments à leur égard. Mélange d’attrait et de répulsion, d’émerveillement et de peur.
Cette dynamique des contraires n’est pas de l’ordre d’un rapport dialectique, il n’y a pas de résolution, les éléments sont juxtaposés, s’enchevêtrent dans un rapport d’opposition, de conflit, suscitant des émotions et images complexes chez le spectateur, et ce, justement, par l’absence de résolution. Mathieu Mével rend compte de ce phénomène grâce à la variation continue de Deleuze qui lui permet d’insister sur le fait qu’il y a toujours quelque chose qui déborde, que ce soit par excès ou par défaut[97]. Il rend alors compte de l’efficace émotionnelle grâce à l’addition de la durée de l’image et du continuum de la musique. C’est l’agencement des éléments constituants qui permettrait que ça fonctionne… Un autre terme permet de rendre compte de cette idée, il s’agit de la transduction telle qu’elle a été conceptualisée par Simondon.
Il s’agit peut-être là du mode de fonctionnement essentiel de ce spectacle, qui expliquerait en partie sa force et sa poésie, la confrontation des éléments hétérogènes sur la scène donnant lieu à une interpénétration des images, interprétations et sentiments dans le corps et la pensée du spectateur. On peut comprendre alors pourquoi Castellucci parle de son théâtre et de ses spectacles en termes d’organismes. Il y a une vie en eux, quelque chose qui s’anime et se déplace, insaisissable par avance. Le tout ne peut être réduit à la somme des parties, du moins pas tant que cette somme ne prendra pas en compte les nouvelles images qui résultent de leur mise en rapport ainsi que la nature de leur relation même.
Les choses sont donc là, posées devant, (re)présentées, et ce sans mode d’emploi pour s’en saisir ou les utiliser : « Si d’abord il y a désordre, encore une fois, violemment, les deux contraires doivent d’affronter, doivent d’enchevêtrer sans dialectique. »[98]. Comme le souligne Bruno Tackels, dans les spectacles de la Societas, tout concourt potentiellement au sens[99]et il y a un abandon de la hiérarchie entre les éléments scéniques. L’acteur n’est ainsi plus qu’un élément parmi d’autres, au même titre que la musique, les lumières, les effets spéciaux ou la présence d’un animal. Dès lors que l’on accorde une place « équivalente» à tous ces « outils » en tant que « partenaires agissants »[100], on permet de nouveaux liens entre eux et la découverte de nouvelles circularités. Néanmoins, ce n’est parce qu’il n’y a pas de hiérarchie établie et défendue que ces différents éléments se valent en soi, chacun d’entre eux ayant sa valeur particulière et sa puissance intrinsèque.
Nous pouvons alors saisir pleinement la présentation que Castellucci fait de son travail, expliquant qu’il cherche les constellations qui se créent au sein de ses idées, que ce qui l’intéresse ce sont les différents systèmes pour repenser le monde :

 « Ce sont ces systèmes-là qui m’intéressent : plus que les choses, ce sont les jeux de relation, de conjonctions, de précipitations d’une chose dans l’autre. Ce sont ces connexions qui forment un système complexe, et ce système-là est le seul capable d’effacer l’élément de la réalité, de l’éclipser ne fût-ce qu’une heure. »[101].

Cette conception nous donne à penser qu’il y a un rapprochement à faire avec la pensée de Gilles Deleuze selon lequel la finalité de l’art ne consiste ni dans le reproduction ni dans l’invention de formes mais dans la capture des forces[102]. Il s’agit de « rendre visible (…) et non pas rendre ou reproduire le visible »[103] écrit-il en citant Paul Klee. Le tournant post-romantique fait sienne cette affirmation, considérant que l’essentiel n’est ni dans les formes ni dans la matière mais davantage dans les forces, intensités et densités[104]. Il s’agit, à travers la matière, de capter les forces non matérielles telles que la durée, l’intensité, le vide, et de rendre ce faisant les idées visibles. Pour parvenir à déterritorialiser la matière et de permettre ainsi l’avènement des forces, il faut que l’objet soit sobre et ne jamais tomber dans le brouillage, le flou. « Vous trouverez d’autant plus de disparates que vous serez dans une atmosphère raréfiée. (…) Car il n’y a d’imagination que dans la technique. »[105].
L’artiste se fait alors artisan. Cette définition correspond au travail de Castellucci qui, bien qu’artiste à part entière, travaille à la manière d’un artisan, c’est-à-dire qu’il travaille son objet d’un point de vue extrêmement technique en s’attachant en premier lieu à sa matérialité et aux exigences de celle-ci.
Il s’agit donc de prendre en compte les présences particulières des objets et des corps, de réfléchir à comment les agencer, comment les utiliser pour en maximiser l’efficacité, du moins telle que la concevait Artaud. Un exemple d’une telle démarche est l’effet produit par l’arrivée de la foule lorsque l’enfant joue au ballon, dont on pourrait chercher une partie de l’explication chez Shapiro qui montre que l’effet de la présence tient principalement au contraste entre un visage de face parmi des visages de profil[106].

4.8 La question de l’image


4.8.1 Théâtre image


Pourtant, malgré cette hétérogénéité affirmée, l’appellation théâtre image prévaut pour ce type de spectacle. Il faut néanmoins d’emblée noter que ce que l’on entend généralement par théâtre image recouvre une réalité plus large que ne le laisse à penser ce nom, principalement basée sur une approche qui s’oppose à l’approche dite traditionnelle, c’est-à-dire sous forme d’adaptation, de l’œuvre. Ainsi nous retiendrons la définition suivante, proposée par les auteurs de « Ecrire l’image » :

« le théâtre de l’image libère la scène de l’illustration d’un récit dramatique, en mettant l’accent sur une théâtralité visuelle autonome, dont le langage rappelle les processus de condensation, d’association et de déplacement propres au rêve et au poème. Il est aussi caractérisé par des parcours de création interdisciplinaires. Relevant d’un théâtre de la vision qui cherche à créer une expérience sensorielle pour le spectateur, cette esthétique - parfois soupçonnée d’esthétisme - tire son origine des autres arts. »[107].

On trouve là de nombreuses correspondances avec ce qui a été dit précédemment à propos de notre objet. En effet, le spectacle en question a abandonné la démarche illustrative, fonctionnant à partir de jeux d’éléments matériels tels que les sons, les lumières, les corps en présence, les couleurs,… Il n’y a pas de logique narrative à l’œuvre dans la création et son interprétation est laissée au soin du spectateur qui, par les ambiances et la temporalité de la représentation se trouve emporté ailleurs. La beauté des images ainsi que leur indétermination participent à la logique du rêve, voir plus particulièrement du fantastique : il y a une inquiétante étrangeté qui plane… Le facteur émotionnel et sensoriel est également très important dans ces formes, ce qui permet d’expliquer l’importance que prennent les autres moyens artistiques au sein de ces créations. Emprunts également explicables en partie par l’origine, la formation initiale des artistes. En effet, dans ce type de théâtre un grand nombre des metteurs en scène viennent des arts plastiques (Robert Wilson, Patrick Quesne, Roméo Castellucci,…). Comme le soulignent Chantal Hébert et Irène Perelli-Contos, ces créations s’émancipent d’un sens préassigné et s’ouvrent à une exploration du multisensoriel. Ce n’est donc pas la vue seule qui est visée, le théâtre étant irréductible à une dimension unique :

«  Sur un texte qui est mis en scène se superposent plusieurs langages ou écritures ; c’est comme une accumulation de couleurs sur une toile. Autrement dit, une représentation se matérialise avec le concours de tous les sens, d’une manière réelle et symbolique, donc complexe…comme on peut visualiser des voix, toucher les choses du regard, faire voir les mots entendus. »[108]  écrit Denis Merleau.

S’il n’y a pas toujours de sens à dégager, s’il ne faut pas nécessairement chercher à comprendre, il faut se laisser prendre par ce que ces images provoquent en nous et les interroger. Nous retrouvons-là la notion d’image agissante, développée notamment par Bernard Dort[109] et qui permet d’insister sur le fait que l’image, en provoquant des choses en nous, nous fait réfléchir, agir, voir nous modifie. A partir de ces différentes observations, on peut considérer que par le choix des fins et des moyens effectué, le théâtre de Roméo Castellucci se rapproche de la performance qui est « davantage présence que représentation, davantage expérience partagée qu’expérience transmise, davantage processus que résultat, davantage manifestation que signification, davantage impulsion d’énergie qu’information.»[110]. Ces propos rejoignent les injonctions d’Artaud dans « Le théâtre et son double » et plus spécifiquement dans « La mise en scène et la métaphysique » par rapport à  son exigence d’une poésie dans l’espace qui serait substituée à la poésie des mots et qui résulterait de la confrontation de la poésie intrinsèque à chacun des moyens scéniques utilisés. Cette poésie se doit d’être concrète, c’est-à-dire, efficace, produisant un effet sur les spectateurs[111].

4.8.2 Origine

             Le théâtre image a commencé à se développer vers les années 60 et ce particulièrement à Rome où plasticiens et « théâtreux » se sont mis à s’associer pour mener à bien des projets communs.  Il s’inscrit dans la continuité de la voie empruntée par des artistes et penseurs tels que Kantor et Antonin Artaud, pour lesquels l’essence du théâtre, le « langage théâtral pur »[112] consiste davantage dans le langage poétique des sons et des lumières que dans les mots. L’élément premier y serait le geste et non le langage, ce qui permet d’éloigner le théâtre de la littérature pour le rapprocher de la danse[113]. Ils s’appuyaient pour ce dire sur la spécificité des moyens théâtraux qui rendaient possible, grâce à une habile manipulation, de figurer l’ineffable, d’emmener au delà du langage, considérant que ce dernier était limité par son caractère de « référentialité » au monde commun. Le langage audio-visuel serait selon eux plus direct car il couperait court à cette médiation et n’exigerait plus la traduction en mots et concepts. Il suffirait de se laisser prendre. Cette volonté de sortir du représentable, nous la retrouvons chez Castellucci et c’est l’une des raisons qui permet, toutes précautions gardées cependant, de le considérer dans une certaine continuité avec Artaud[114].
Artaud concevait le théâtre en tant que lieu magique, lieu de l’ambivalence mais toujours présentée avec beaucoup de maîtrise, l’essentiel pour lui étant le rituel d’une action perpétuellement controlée[115].

En ce qui concerne le théâtre image italien des années 60, Brunella Eruli explique son émergence par la volonté de certains artistes de s’opposer au théâtre de leur époque qui était envahi par les messages politiques. Dès lors, contre la pratique pédagogique et engagée du théâtre et « contre les implications idéologique de la parole écrite »[116], les artistes firent appel à l’image et à son pouvoir poétique. Dans les deux cas, les mots et les images sont utilisés suivant un même refus de référentialité et de représentation. Les mots ne sont plus que sonorités, et les images  se rapprochent davantage du rêve que de l’imitation d’une  réalité quelconque.

Certains, comme par exemple Giovanni Lista dans « La scène moderne » voient principalement dans ces formes un jeu visuel au sein duquel le théâtre aurait été évacué au profit d’une « scénographie animée»[117], d’un théâtre de scénographes dénué de toute originalité.

« Les spectateurs de théâtre veulent juste jouir par les yeux, n'importe comment et de n'importe quoi - pourvu que ce soit ‘ beau’. Avignon 2005 est aux mains des scénographes. Mais le monde de l'art et les écoles d'art sont de plus en plus aux mains des graphistes et des décorateurs, après tout. Lorsque ces scénographes se doublent de metteurs en scène et de lecteurs, le travail se poursuit (Hubert Colas, Jean-François Sivadier); lorsque le scénographe est seul en scène et qu'il a perdu son cerveau dans les coulisses (Fabre, Castellucci), c'est l'horreur.  »[118] écrit la poétesse Nathalie Quintane.


Le reproche des auteurs de « Ecrire l’image » développe la même idée, à savoir : que les artistes participant à ce théâtre sont davantage dans une démarche plastique que dans celle d’une mise en scène[119]. L’idée qui ressort d’une telle affirmation est que leur travail est celui de l’installation et non du théâtre. Ils posent dès lors la même question que Giovanni Lista : en s’éloignant et du texte et de la mise en scène, que reste-t-il vraiment du théâtre ?
Il ne s’agit pas de s’engager ici dans un tel débat essentialiste mais de noter simplement que deux conceptions différentes du théâtre s’y affrontent et ce depuis plus d’un siècle. L’image a toujours suscité une certaine méfiance de par le rapport d’imitation qu’elle entretient avec la réalité et donc son potentiel de tromperie. Aujourd’hui, on parle du passage de la galaxie Gutenberg à la civilisation Marconi, caractérisant notre civilisation comme étant celle de l’image[120]. A nouveau, ce n’est pas la valeur, le bien-fondé de cette affirmation qui nous intéresse ici mais plutôt l’idée qu’elle sous-tend et qui consiste à dire que l’image est aujourd’hui le média le plus efficace de la communication. Etant donné que le théâtre décrit est celui de l’image, qu’en est-il alors de sa communicabilité ?
Mais avant d’aborder cette question, il est intéressant de faire un retour en arrière dans le travail de la Societas et d’interroger l’iconoclastie de leurs premiers spectacles.

 





Si les Castellucci se sont éloignés aujourd’hui de cette idéologie iconoclaste, il reste encore dans leurs créations quelque chose de l’idée de l’icône à détruire. L’iconoclastie étant pour eux figurative, c’est-à-dire consistant à casser l’image, elle se réalisait dans un geste démonstratif, une action visible. A travers des images, en détruire d’autres… Aujourd’hui, il ne s’agit plus tant de détruire, la recherche ontologique voir métaphysique a été en grande partie remplacée par une démarche d’ordre plus poétique mais toujours critique ; il s’agit à présent d’interroger le regard et de susciter l’imaginaire des spectateurs. Ainsi Castellucci explique lors d’une interview : « Moi je déconstruis les mythologies, je mets des signes sur le plateau et tous les signes sont ambivalents : il appartient aux spectateurs de se raconter une histoire en les interprétant. J’espère faire naître des figures nouvelles dans l’imaginaire des spectateurs. »[121]. L’icône, au centre de leurs précédents travaux, était comprise en tant que :

« image sacrée, élue par le peuple, dont l’efficacité est reconnue par n’importe quelle église, et considérée comme symbolique par n’importe quel groupe soucieux de la rapidité d’initiative de certaines figures. Elle est contiguë au discours militaire, parce que c’est une image qui prépare et dispose ; qui rassemble et terrorise. Elle possède cette efficacité de cause à effet qui caractérise le mécanisme des calamités naturelles. Le drapeau compte parmi les icônes les plus denses de l’histoire : pour lui on tue et on s’immole. »[122].

Nous avons aujourd’hui de nouvelles icônes, celles par exemples que répertorie Michel Maffesoli dans son livre « Iconologies. Nos idolâtries postmodernes ». L’entrée dans leurs spectacles continue à se faire au moyen de ces icônes ou du moins images que chacun reconnaît mais qui, par la suite, prennent un sens différent selon le vécu individuel. Leur long travail sur la tragédie développait ce thème en profondeur : « Les images de la Tragedia Endogonidia ne sont jamais univoques, insiste Romeo Castellucci. Je ne peux que faire des hypothèses les concernant. Elles n’appartiennent pas seulement à mon univers mais aussi à celui de chacun des spectateurs. »[123].
Les images ne sont plus représentées pour être détruites, elles sont montrées lors d’un geste de déplacement. Nous retrouvons ainsi quelque chose de l’ordre de l’ironie, du pastiche dans des figures comme celle,  par exemple, de l’« l’Homme de Vitruve » ou encore dans la présence de la femme déguisée en Andy Warhol à la fin de la représentation. Il y a un déplacement par rapport à ces images dont la figuration ne peut aujourd’hui se faire que selon un autre mode étant donné la place qu’elles occupent dans notre civilisation.

Aussi, pour compléter ce qui avait été dit quant à la question de la reconnaissance des références,  on peut poser qu’il n’y a pas un surplus de sens qu’elles livreraient, ce ne sont pas des indices orientant le lecteur vers « une bonne interprétation ». Une telle attitude tendrait à réduite l’œuvre à une illustration et nous avons bien vu que ce n’était pas de cela qu’il s’agissait ici.
Ce que ces références peuvent apporter de plus, c’est le plaisir de la reconnaissance, et Castellucci refuse un théâtre qui flatterait et réconforterait les connaissances du spectateur. « Le théâtre n’est pas quelque chose qu’il faut reconnaître. ‘Moi-je-vais-au-théâtre-pour-reconnaître-Shakespeare-mes études-ce-que-j’ai-fait » : ce n’est pas comme ça. C’est un voyage dans l’inconnu, vers l’inconnu. On ne peut pas calculer ces conjonctions des éléments possibles. »[124] écrit-il. Lors d’un entretient avec Bruno Tackels, il rajoute à ce propos : « Ce type de consolation produit de l’inertie, un marécage d’eaux mortes pour la pensée, alors que l’expérience théâtrale doit être un voyage, un chemin vers l’inconnu. C’est une aventure. »[125].

5 Les questions de la réception


5.1 La distance ou l’immédiateté ? Le phénomène de répétition


Par l’étrangeté de cet univers présenté, il y a une distance prise avec la réalité. Selon Pascal Bonté, c’est le fait de mettre de la distance, de s’éloigner du réel qui permet de s’approcher de l’imaginaire du spectateur[126]. En effet, en abandonnant le mimétisme, il s’agit de prendre de la distance avec l’anecdotique, le psychologique, qui enferment le spectateur dans un système de simple reconnaissance. D’où également l’importance accordé au vide dans ce spectacle,  car c’est ce dernier qui rend possible l’ouverture aux possibles, contrairement au plein qui détermine sans laisser la possibilité d’une prise de distance…
La répétition, si importante dans le travail de Warhol, se manifeste également pendant tout le spectacle. Notons à son propos la phrase de Hume si adéquate pour notre objet : « La répétition ne change rien dans l’objet qui se répète, mais elle change quelque chose dans l’esprit de celui qui la contemple »[127]. Que change t-elle ? Que provoque t-elle ? Elle peut bien évidemment avoir des effets très différents, lesquels sont les siens ici ?
Nous avons déjà parlé de la qualité esthétique du spectacle, de l’impression d’une variation de tableaux. A côté de cet aspect, il y a également quelque chose de très chorégraphique : des mouvements et des gestes sont données à voir en eux-mêmes, repris plusieurs fois, comme dans de la danse. Si la répétition peut exaspérer, elle peut également avoir un effet hypnotiseur, fascinant. On se laisse prendre en elle, notre attention faiblit et là, quelque chose peut se passer en nous, nous arriver. Son effet sur la perception du temps est également remarquable : elle l’étire et par là même nous éloigne du temps de la quotidienneté.
Ces différentes caractéristiques nous font penser au théâtre de George Wilson, un autre metteur en scène très en vogue et considéré comme l’un des plus importants représentant du théâtre image. Ce dernier explique son approche (les spectacle de Wilson suivent une esthétique minimaliste et se déroulent de façon très lente, jouant sur d’infinies variations) par une volonté de créer un autre temps et un autre espace, différent de celui auquel nous habitue notre mode de vie contemporain et les médias qui le représentent :

 « La télévision expose tout en cinq secondes avec un temps de compréhension et de réponse immédiat. A présent, le cinéma et même le théâtre fonctionnent de la même façon, c’est-à-dire qu’ils sont écrits et mis en scène en fonction de cette structure de communication définie en premier lieu par la télévision. Je veux laisser le temps et la liberté au spectateur de se perdre dans l’œuvre pendant la durée de son expérience en tant que spectateur. »[128].


La lenteur permet aux spectateurs de s’engager dans une attitude contemplative, voir de l’ordre de la méditation.
Cette démarche élaborée en opposition avec notre société, les images que cette dernière donne à voir et le rapport qu’elle entretient avec elles, se retrouve également chez Castellucci. En effet, la compagnie de ce dernier s’est formée au début de l’ère berlusconienne et de la spectacularisation à laquelle cette dernière donna lieu[129] : « C’est totalement obscène de voir que partout, depuis Berlusconi, la logique spectaculaire tient lieu de politique. »[130] déclare le metteur en scène. Ses images se développent souvent dans la lenteur, comme pour leur laisser le temps de s’installer, de s’emparer pleinement du plateau et du spectateur. A partir de là, du vide et de la lenteur, une précipitation est rendue possible, à savoir : « une fascination qui saisit, un ébranlement qui sidère, une émotion qui bouleverse. »[131]. Comme l’explique Mattieu Mével, les images de Castellucci sont à l’opposé des images publicitaires, caractérisées par leur lisibilité immédiate calquée sur une idée ou un concept évident[132].

Dès lors, si le regard est politique, un théâtre qui accorde une telle importance à l’image ne peut pas être neutre à ce sujet. C’est ce point que nous allons désormais aborder à travers la problématique de la communication.

5.2 La question de la communication



« C’est ce qui m’intéresse : communiquer le moins possible. Et le plus petit degré de communication possible se trouve dans la surface de la matière. Dans ce sens-là, et paradoxalement, c’est un théâtre superficiel, fait de surface, parce que c’est un théâtre qui recherche l’émotion.  »[133] écrit Castellucci à ce propos.

Les points précédents on permis de démontrer que le spectacle analysé est un objet complexe composé au moyen de tissages de signes plurivoques. Nous avons également vu que cet objet était efficace, qu’il « marchait », ayant un effet performatif sur la plupart des spectateurs. Il y a donc bien quelque chose qui se passe et qui passe de la scène à la salle. Mais de quoi s’agit-il ? L’indétermination préalable des signes écarte l’hypothèse d’un simple but de communication, celle-ci étant prise dans son acceptation de transmission d’un message à titre informatif Comme l’écrit Cristina Ventrucci, face à ce spectacle « nous devinions que nous n’avions pas grand chose à comprendre, si ce n’est dans une capitulation de la raison.»[134]  Mais on ne peut réduire la communication à cette seule fonction. Ainsi, selon Anne Ubersfeld, la présentation  théâtrale est parole et communication de par sa nature de « pratique sémiotique»[135]. Cette affirmation nous mène à poser trois questions : peut-on parler de ce théâtre en tant que pratique sémiotique ? Comment ce théâtre dont le texte est absent peut-il être parole et enfin, de quelle communication s’agit-il ?
Il s’agit là principalement d’une question de vocabulaire car les deux termes (parole et communication) qui, à première vue peuvent poser problème sont pris ici dans un sens large excédant leur acceptation habituelle. La parole est comprise en tant que «ensemble des signes scéniques produits par quelqu’un»[136], ce qui veut dire qu’il s’agit aussi bien des gestes, des expressions que des phrases prononcées, et la communication au sens de message, quel que soit la nature de ce dernier, ce qui comprend également le message artistique. On voit donc que cette affirmation n’empêche nullement notre propos et est applicable à cette mise en scène.
Si on s’en tient à la définition de Peirce du signe, à savoir: « quelque chose tenant lieu de quelque chose pour quelqu’un, sous quelque rapport, ou a quelque titre[137] », on adhère à la compréhension du théâtre en tant que composé de signes. En effet, comme l’explique  Martine Joly, à partir de cette définition du signe on doit accepter que tout peut être signe pour celui qui y lit quelque chose, cette lecture dépendant de sa personnalité, culture, ou histoire[138]... De plus, comme le rappelle Anne Ubersfeld, le signe peut jouer également un rôle de stimulus. Il ne s’agit alors plus seulement de reconnaissance mais également de réactions que ce dernier déclenche[139], réactions pouvant échapper à toute compréhension.

Chez Castellucci, il s’agit, comme il l’explique dans la citation précédente, de faire communiquer la matière même, les choses là, telles qu’elles se donnent, plutôt que de parler à leur propos. Le théâtre est caractérisé par la « matérialité de la communication »[140], comme l’écrit Hans-Thies Lehmann, insistant par là sur la lourdeur des moyens théâtraux et nous permettant de dire que, par une démarche comme celle de Castellucci qui insiste sur ces derniers, c’est la matérialité même, la surface de ce média qui est révélée. Suivant la classification kantienne des beaux-arts, le théâtre se rapproche de l’art du jeu des sensations,  la forme la moins intéressante selon le philosophe étant donné les enjeux qu’il prêtait à l’œuvre d’art, la soumettant à une logique organisatrice dont elle aurait à prendre la forme[141]. La forme artistique la plus importante était, selon le penseur, celle de la parole de par le fait qu’elle se prête le mieux à ces exigences. Or nous avons vu l’abandon de la pratique langagière dans ce spectacle, abandon souvent rencontré dans les créations du « nouveau théâtre ». Nous pouvons donc supposer que ces pratiques opèrent un renversement de l’esthétique classique, comme nous avons commencé à le voir à travers la distance prise avec l’esthétique de Hegel. Le théâtre dont il est ici question ne vise plus à l’incarnation de logiques ou d’idées qui lui seraient extérieures mais pose la question de son mode de constitution propre, interrogeant les pratiques qui le constituent, ce qui explique le jugement d’autoréférentialité souvent émis à son propos. C’est bien la question esthétique qui y est première, suivant l’idée que le plateau est un lieu où d’autres liens et logiques sont à l’œuvre, à la place de celles qui fonctionnent pour le débat ou le jugement éthique. Le théâtre donc, à l’inverse selon Castellucci de la pratique politique, propose d’abord une expérience esthétique et ce n’est qu’à partir d’elle qu’un jugement peut se mettre en place, c’est elle qui le provoque et c’est là la force de l’art[142].
A partir de ces différentes observations, on peut poser une scène telle que celle qui est donnée à voir dans ce spectacle comme « lieu sémiotique par excellence »[143] car chaque signe y en donné à voir en tant que lui-même, a priori indéfini, et ce n’est que par le regard du spectateur qu’il est articulé aux autres signes, donnant lieu pour ce dernier à une interprétation. C’est donc le spectateur qui a à « resémantiser » ce qui se donne à lui, et traduire librement les signifiants en signifiés.
Cette « utilisation modifiée des signifiants du théâtre dans lequel la médiation de contenus exactement délimitables du point de vue sémantique n’est pas prioritaire» [144] est une caractéristique majeure de ce type de théâtre. Lehmann s’appuie sur cette idée pour l’identifier à la raison de la rupture par rapport aux formes pratiquées jusqu’à présent. En effet, avant la révolution opérée par les avant-gardes, les représentations théâtrales se contentaient de transmettre un sens pré-établi aux moyens de signes à la signification transparente, ne posant donc pas de problème quant à leur interprétation[145]. Aujourd’hui, il s’agit de jouer davantage sur l’autoréférentialité  des signes, c’est-à-dire sur le « processus tout à fait spécifique de constitution de sens [qui] s’accomplit en tant qu’acte de perception d’un phénomène dans sa matérialité particulière, dans son être phénoménal. »[146].
Le terme symbole, du moins tel qu’il est définit par Jacobson, convient à ces signes. En effet, le symbole est compris par ce dernier comme signe de la fonction poétique, qui s’oppose en tant que telle à l’usage informatif et communicationnel de la fonction référentielle des signes. Comme l’explique Philippe Ivernel, si le signe référentiel tend à l’univocité, le symbole quant à lui est complexe, ambigu et polysémique[147]. Ces caractéristiques suffisent à taxer ce théâtre d’insensé, comme le fait le critique Jacques Nerson déclarant : « L’Enfer de Roméo Castellucci n’avait aucun sens »[148], trait qu’il dit rencontrer de plus en plus fréquemment dans les créations contemporaines. Ce qui est interpellant dans la remarque de ce dernier, est qu’il lit dans cette « tendance » actuelle du théâtre un danger quant au retrait des subventions pour la culture.
La question de la communication serait donc à lier à celle de la consommation, deux termes fréquemment utilisés ensemble pour qualifier notre société. Voici une définition intéressante de la consommation et qui insiste sur le lien :

« consommer c’est appartenir à un monde, adhérer à un univers. De quel monde s’agit-il ? (…) ce monde est constitué par des agencements d’énonciation, par des régimes de signes dont l’expression s’appelle publicité et dont l’exprimé constitue une sollicitation, un commandement qui sont, en soi, une évaluation, un jugement, une croyance portés sur le monde, sur soi et les autres. »[149].

Le lien entre ces deux idées est que par la communication il s’agit de convaincre, de convaincre à consommer, à adhérer à des façons de voir et de faire. De par l’absence de discours de cette création, celle-ci échappe à une telle attitude. Cet abandon trouve une autre de ses raisons dans l’idée de Castellucci selon laquelle la communauté ne peut plus être liée par le langage car celui-ci est détruit, malade dès lors qu’il a été réduit à la seule communication[150].

5.3 La question de la communauté. Public ou spectateurs ?        


Dire que le théâtre donne lieu à la création d’une communauté est un des lieux communs les plus répandus à son sujet, permettant notamment d’asseoir sa différence avec le cinéma, face auquel, lors du développement de ce denier, il lui a fallu définir et affirmer son identité. Mais on constate aujourd’hui que quelque chose de cette conception communautaire tend à s’effacer, la communauté théâtrale étant remise an cause[151] : « La fonction historique du théâtre est bien la division, et non la fausse réunion. Le théâtre naît de la crise, et chaque acte de théâtre naît d’un mouvement de crise. Cette crise et cette question ne mérite pas de réponse. »[152]. Cette idée de communauté était tributaire d’une compréhension du théâtre en tant que lieu de pensée, exprimée par l’écrivain Enzo Cormann de la façon suivante : « il donne  corps à des spéculations expérimentales sur l’existence, pour le compte d’une assemblée d’individus en souci d’eux-mêmes. »[153].
D’autre part, Marie-Madelaine Mervant-Roux a observé, à propos de créations comme celles de Claude Régy par exemple, qu’il y avait un changement significatif au niveau de la « résonnance » de la salle car si le public était régulièrement expressif auparavant, elle constate qu’aujourd’hui il n’exprime plus grand chose.  Est-ce que cela veut dire que ce dernier est absent, ennuyé, passif ? Ce n’est pas de cela dont il s’agit selon l’auteure qui explique que ce n’est pas parce qu’il ne réagit pas de façon visible que rien de se passe pour lui et identifie le silence de la salle comme « le suspens de l’irruption d’un fort lien avec le réel. »[154]. Ce n’est pas parce que le public n’est plus amené à participer, comme le voulait une certaine tendance du théâtre expérimental des années septante communément désigné sous le nom de performance, que le spectateur est passif. Ainsi, notons, par exemple, l’expression de Marc Fumaroli qui écrit que les spectateurs ont un « regard vivant »[155]. Ce regard est en premier lieu animé par les mouvements des acteurs sur scène, qu’il suit mais très vite il s’autonomise et se met à composer lui-même.
Selon Marie-Madeleine Mervant-Roux, il n’y a pas que le spectateur qui aurait changé mais également l’attitude, la disposition du spectacle et des metteurs en scène envers le public. Il serait ainsi de moins en moins question pour les créateurs de prédéterminer un rôle pour ce dernier ; ils ne l’attendent plus, ne l’imaginent plus en tant que co-acteur, ni ne le restreignent au rôle de spectateur. Dès lors, le spectateur est davantage pris comme individu entier qui a fait le choix de se rendre au théâtre un soir, activité effectuée parmi d’autres. Il ne s’agit plus de l’éduquer ou de le transformer à tout prix. On pourrait dire que la tendance suit la proposition d’Andy Warhol pour lequel ce n’est que dans et par l’indifférence que quelque chose peut se passer : « Les choses n’arrivent que quand vous avez dépassé le stade de vouloir ou de ne pas vouloir [...] »[156]. Néanmoins, à travers cette citation même, on constate qu’il y a toujours un fantasme de réception, une volonté que quelque chose se passe, même s’il y a un lâcher-prise dans les déclarations de l’artiste. Le metteur en scène ne peut éviter de mettre en scène le spectateur comme le développe Denis Bablet[157]. Il imagine un cadre au sein duquel il accueille ce dernier, il le réfléchit comme « être total » et cherche à s’adresser à tous ses sens pour produire un effet, l’événement étant un critère de réussite de la création.

Lors d’un communiqué de presse, Castellucci commence à parler de public puis il se corrige pour utiliser le terme de spectateur.[158] Ce passage de la notion de public à celle de spectateur eut lieu dans les années septante, l’accent étant ainsi déplacé de l’idée d’uniformité qui sous-tendait la notion de public à celle de la prise en compte des particularités des individus qui le constituent. Hans-Thies Lehmann écrit à ce propos « Le public qui jouait autrefois le rôle de partenaire du théâtre est aujourd’hui divisé en de nombreuses factions et communautés de goût»[159] et parle des spectateurs en tant qu’ « observateurs à disposition essentiellement solipsiste »[160].
Qu’en est-il de ce changement d’optique dans l’œuvre de Castellucci ?
Il semble qu’on ne peut, sur base de ce qui a été dit précédemment, parler d’expérience commune. Le metteur en scène lui-même a une expression pour rendre compte de cette question, il s’agit de la « communauté des solitudes »[161]. Nous avons là deux terme a priori antagonistes : communauté et solitude. De par le rassemblant en un lieu unique, l’attention portée sur un même sujet, on peut parler de communauté. Mais au niveau de l’expérience, on est bien confronté à sa solitude, étant donné que celle-ci se passe dans le corps du spectateur. Le théâtre rassemble toutes ces solitudes : « Le public est composé par cette juxtaposition de solitudes inconnues qui font corps, soudain, le temps d’une représentation. »[162]. Ce partage ne perd donc aucunement son importance, le regard porté sur la scène est un regard en commun en même temps qu’un regard solitaire, Castellucci considérant que le théâtre exige une communion de spectateurs. Le fait d’être là ensemble n’est donc pas anecdotique dans la constitution de son expérience personnelle. Mais ce n’est pas pour autant que le spectacle rassemble. Se rapportant à la citation de Bruno Tackels, on peut plutôt supposer qu’il divise. De par la question de la communauté, on en est amené à poser celle de la possibilité d’un consensus face à cette création.

5.4 Le consensus ou  « qu’en est-il de ‘l’attitude politique’ de la représentation ? »




  Les stratégies internes de la représentation, telles que nous essayons de les déchiffrer tout au long de cette recherche nous poussent à supposer que toute possibilité de consensus se trouve ici niée. Dès lors qu’il ne s’agit plus de proposer la « bonne » réponse, la « juste » interprétation, il n’y a en effet plus pour enjeu de se mettre d’accord. De plus, il n’y a pas une instance supérieure, un point de vue surplombant qui permettrait de juger les différentes propositions et de les départager. Castellucci refuse un tel rôle, ne considérant pas que sa compréhension soit plus correcte que celle de n’importe quel spectateur étant donné que l’idée que c’est dans le corps du spectateur qu’a réellement lieu le spectacle, d’où son incapacité et s’emparer du sens de ce dernier. A la question que lui pose Angelina Berferoni sur la place qu’occupent pour lui les spectateurs, il répond : « Une place essentielle, plus importante que la mienne ou que celle des acteurs. Tant que le théâtre n’a pas traversé les spectateurs, il n’existe pas, il ne laisse pas de trace. Les spectateurs constituent la troisième dimension nécessaire et suffisante pour que le théâtre existe. »[163].

Le philosophe Jacques Rancière s’attache également à cette idée de l’œuvre qui se fait dans le corps des spectateurs et qui dès lors échappe à un effet prévisible. La conséquence en est la dissolution entre la création et la présupposition d’un effet, liberté et pour l’œuvre et pour le spectateur, leur permettant d’échapper à toute détermination. Dès lors que ce spectacle se donne à voir en tant que suite d’actions « insignifiantes » en soi et non en tant qu’histoire composée d’épisodes développés autour d’un drame, on abandonne les fondements et idées qui accompagnaient le spectacle narratif parmi lesquels celle de la bonne compréhension, du sens et de message à saisir, du moins dans l’usage singulier de ces termes. 
Des choses sont présentées sans mode d’emploi ce qui entraîne comme conséquence un refus d’autoritarisme et une conception démocratique de la réception. Il ne s’agit pas de trouver un consensus mais d’affirmer, au contraire, le dissensus. Ce terme peut s’avérer particulièrement riche pour la question qui nous intéresse ici dès lors qu’il a été conceptualisé par Jacques Rancière en tant que principe de l’efficace esthétique. Le consensus se trouve défini comme « l’accord entre sens et sens, c’est-à-dire entre un mode de présentation sensible et un régime d’interprétation de ces données. »[164], affirmant un rapport direct entre la perception et la compréhension de l’objet, cette dernière étant la même pour tous.
Le théâtre de Castellucci est construit de façon à mettre à mal une telle approche, raison pour laquelle nous retenons la notion de dissensus à son propos. Citons à ce propos Claudia Castellucci qui affirme qu’il est plus important et respectueux de s’en tenir à « garantir la possibilité de monologues divergents et pas nécessairement intéressés au dialogue. »[165].
 En suivant la pensée du philosophe précité, on en arrive à poser la question de la politique. En effet, Jacques Rancière, qui définit le dissensus en tant que « conflit de plusieurs régimes de sensorialité »[166], c’est-à-dire en tant que ruptures, dissociations entre « un monde visible, un mode d’affectation, un régime d’interprétation et un espace de possibilités »[167] pose comme nous l’avons annoncé plus haut, ce dernier à la base de l’efficace esthétique qui consiste en une déconnexion entre la production d’un objet et l’effet de ce dernier. Dès lors, comme c’est le cas ici, que l’auteur ne présuppose plus un effet, il y a une telle déconnexion qui se trouve affirmée entre lui et sa production. A partir du moment où il l’expose aux regards des autres, il lâche prise sur cette dernière et la leur abandonne.
Cette inadéquation entre l’auteur, l’œuvre et le récepteur de celle-ci avait déjà été développée par Umberto Ecco dans, par exemple « L’œuvre ouverte ». Mais si nous nous attachons davantage ici à la pensée de Rancière, c’est parce que ce dernier insiste sur l’aspect politique qui sous-tend une telle attitude. En effet, face à l’œuvre il n’y a plus de rôle assigné ce qui permet une redistribution des places.
Castellucci dit que tout ce qui est sur scène est porteur de sens, que ce qui peut sembler non sens recouvre en fait une multiplicité de sens :

 « Quand j’utilise le mot sens, c’est vraiment dans la totalité de la signification du mot. Tout ce que vous avez entendu, vu, écouté, reçu, fait partie du sens de ce sens. Cette question devrait donc être posée à chacun de nous, et je ne vois pas pourquoi je devrai être le seul à répondre. Le fait qu’il y ait plusieurs sens est réellement une libération. […] On peut donc arriver à des significations totalement opposées, qui font que le sens devient les sens. »[168].

C’est bien une « logique paradoxale »[169] qui est déployée à travers ses spectacles, une chose pouvant être à la fois deux choses opposées, chacune étant également valable. 
Mais s’il y a égalité devant l’œuvre, on ne peut cependant pas parler de liberté dans l’acte d’interprétation lui-même : on ne choisit pas ce que l’on reçoit/perçoit. Il s’agit d’un théâtre pragmatique, ce sont les effets, les résultats qui comptent et non une quelconque construction de savoirs ou de connaissances :

« Ce ne sont pas des récits, de petites histoires, des anagrammes émotifs, mais une nouvelle implication pragmatique. [..] Et bien, ici, celui qui est cultivé et celui qui ne l’est pas ont exactement les mêmes possibilités (sans aller jusqu’à pencher faussement en faveur de l’inculte), parce que c’est un théâtre qui transcende complètement la culture. Tout le monde a le même genre de difficulté, s’il s’agit bien de difficulté. »[170].

En effet, le savoir, sous partie de la connaissance définie par Jean-François Lyotard en tant que : « ensemble des énoncés dénotant ou décrivant des objets, à l’exclusion de tous autres énoncés, et susceptibles d’être déclarés vrais ou faux. »[171], est en grande partie déterminé par la coutume. On juge par rapport à la conformité avec les critères qui sont admis par la communauté de « ceux qui savent »… Aucune communauté de cette sorte ne peut s’emparer des spectacles de la Societas, ce qui permet d’évacuer la question de la pédagogie : on ne peut pas nous apprendre dès lors que personne ne prétend savoir…
Nous avons vu l’importance de la tragédie dans le travail de la Societas, tragédie dont la compagnie a toujours évacué le chœur, c’est-à-dire le traducteur, le médiateur entre la scène, l’action et la salle. Castellucci est bien conscient de la difficulté que peut poser son spectacle et il pose comme hypothèse quant à certaines réactions violentes de la part du public d’Avignon l’importance de la tradition pédagogique de ce festival, tradition à laquelle sa troupe échappe[172]. Les critiques de presse, ceux notamment qui se sont montrés particulièrement virulents lors de l’édition 2005, donnent raison à cette hypothèse, considérant qu’un grand nombre des spectacles qui y ont été présentés sont élitistes, esthétisants, gratuits, provocateurs, sans profondeurs et éloignés de la tradition pédagogique instaurée par Jean Vilar[173]. Ainsi Claude Eveno considère que s’il y a eu quelque chose de l’ordre du scandale à Avignon en 2005, c’est parce qu’il y avait une absence de propos qui rendait « les formes obscènes, dénuées de sens et crues, trop crues pour ne pas être que de simples provocations. »[174]. Si le public est ainsi stigmatisé par les critiques (les réactions n’ont en effet pas été si virulentes comme en témoignent les différents articles du livret sorti pour analyser ce « cas Avignon 2005 »[175]), il n’en reste pas moins que le théâtre de Castellucci est à l’inverse d’une pédagogie, on refuse de nous dire, de nous expliquer, et cela non par le vide de propos du spectacle mais pour les différentes raisons que nous avons épinglées dont une des principales est leur refus d’un théâtre de la résolution. Nous pouvons sans doute résumer les différents points que nous venons d’aborder ainsi que leurs liens grâce à cette déclaration de Castellucci :

« Le spectateur n’est pas un horizon, mais plutôt un destin. Si je provoque le public et considère la salle comme un espace à investir, à conquérir, la communication devient univoque, et toute ambiguïté, toute poésie, deviennent impossibles. Ce qui m’intéresse est davantage cette énergie tournante qui lie de manière équivoque le plateau et la salle. S’il y a manipulation du spectateur, cela ne fonctionne plus, car il devient passif, et n’a plus la force d’adresser ses vibrations au plateau. Le spectateur et le spectacle ont besoin d’un espace de liberté, sinon la représentation devient de la pure communication, et le message revient en force, politique, social ou publicitaire, c’est à peu près la même chose. »[176].



6 Modes d’approche


Face aux créations de la Societas, c’est cet aspect qui nous a interpellé, le fait que l’on ne comprenne pas, pas tout, pas vraiment.
De par ces images et signes dont on ne sait que faire, de par les sentiments que nous ressentons sans vraiment savoir pourquoi, nous sommes dans de l’indéfini en même temps que pris dans la  pure matérialité. Si cette forme a de très nombreux adeptes comme en témoigne le succès international de leurs spectacles et la « nomination » à la fonction d’artiste associé au festival d’Avignon 2008 qui est, en quelque sorte, une consécration de la reconnaissance de leur travail, un autre public se sent perdu face à ces spectacles non narratifs. Ils sont alors, comme nous l’avons vu, taxés d’élitistes, de vides, d’esthétisants.
 La question n’est pas celle du jugement mais de la spécificité de ce type de création. Elle propose quelque chose de nouveau, de différent et n’interpelle pas seulement les spectateurs interloqués ou séduits mais également les chercheurs et critiques qui doivent élaborer de nouveaux modes d’approche, de nouvelles questions plus adéquates par rapport à cet objet. En effet, comment peut-on approcher ces œuvres, dès lors que, comme l’écrit Jameson, leur nouvelle textualité ne peut être traduite, analysée avec nos outils habituels[177] ?

6.1 Un pensée de la complexité        


La méthode que le penseur Edgar Morin a développée dans sa tentative de conceptualisation de ce qu’il considère être le passage du paradigme de la simplicité à celui de la complexité peut nous être utile dès lors que c’est bien de manière complexe que se présente l’œuvre de Castellucci. Cette complexité est définie par Morin en tant que :

 « tissu (complexus : ce qui est tissé  ensemble) de constituants hétérogènes inséparablement associés : elle pose le paradoxe de l’un et du multiple. Au second abord, la complexité est effectivement le tissu d’événements, actions, interactions, rétroactions, déterminations, aléas, qui constituent notre monde phénoménal. »[178].

 Ce passage est celui d’une compréhension de l’univers fondée sur des entités closes, permettant une saisie de la réalité suivant des concepts clairs et distincts, comme l’exigeait Descartes par exemple, à une compréhension développée à partir de systèmes ouverts[179].
Concernant notre sujet, nous la retrouvons dans le rapport des éléments sur scène ainsi que dans la relation scène-salle. En tant que pensée de l’un et du multiple à la fois, de l’interaction et de la relation, elle permet d’approcher le sujet dans ses liens avec le monde environnant, le tout dont il fait partie mais sans cependant l’y réduire.
Afin d’aborder un tel objet complexe, le penseur développe trois principes que sont le principe dialogique, le principe de récursion organisationnelle et enfin, le principe hologrammatique.
Le premier permet de penser ensemble les contradictions, les logiques différentes voir opposées, c’est-à-dire de maintenir la dualité au sein de l’unité. Nous le retrouvons à l’œuvre dans une figure telle que celle du yin et du yang. Par cette idée nous renouons avec la logique préantique, la logique du mythe qui permettait de tels liens mais qui fut supplantée par la logique dualiste, c’est-à-dire une logique de l’exclusion, du tiers exclu[180]. Ce principe nous est donc utile dès lors que, comme nous l’avons vu, le spectacle fonctionne sur base d’une logique paradoxale. Grâce à lui nous pouvons penser le spectacle comme beau et terrifiant, simple et complexe à la fois.
Le principe de « récursion organisationnelle » quant à lui, développe l’idée de la boucle qui s’oppose au rapport linéaire allant de la cause à l’effet, du producteur au produit pour insister sur l’interdépendance des deux, car « les produits et les effets sont en mêmes temps les causes et producteurs de ce qui les produits »[181]. Cette idée, chère à la phénoménologie, se retrouve dans la question du rapport scène-salle, créés et créateurs l’un de l’autre, dans un mouvement d’aller-retour, ou, dans une image moins linéaire, de tourbillon. Cette forme circulaire est également, comme nous l’avons découvert, la forme même de la structure du spectacle. En même temps, elle permet sans cesse de relativiser les propos du chercheur comme ceux de tout individu s’exprimant au sujet de l’œuvre en intégrant dans sa donne que ce dernier est pris dans ce dont il parle[182].  C’est là la manifestation de l’idée d’une réception à chaque fois unique et personnelle, valant comme telle et donc ayant abandonné une prétention de maîtrise objective.
Enfin, le troisième principe dit « hologrammatique » est développé par Morin à partir de la déclaration de Pascal : « Je tiens pour impossible de connaître les parties sans connaître le tout, mais je tiens pour non moins impossible la possibilité de connaître le tout sans connaître singulièrement les parties. ».[183] Il ne s’agit pas ici de connaissance, néanmoins, c’est bien ce chemin entre les éléments de l’œuvre et le tout qui nous est donné à voir que nous faisons tout au long du spectacle. Le spectacle repose en partie sur le phénomène de résonance, comme cela a été montré plus haut : des sons ou des images sont proposés au fur et à mesure du spectacle et font sens ensemble. C’est au spectateur, à sa mémoire qu’il est donné de les recomposer. Cette recomposition n’est pas nécessairement consciente, on peut enregistrer des choses sans en être totalement conscient, comme les ambiances, les sons,… L’exemple de l’accident de voiture est le plus clair à ce propos : on entend d’abord le bruit de l’accident et ce à plusieurs reprises lors de différentes scènes, ensuite, on voit un corps passer au sol, et ce deux fois d’affilée. Le bruit de l’accident nous fait lire ces images ensemble : c’est un corps propulsé d’une voiture, peut-on penser alors. Le piano en feu vient se joindre à ces images, feu, incendie, accident. Enfin, la voiture arrive, cabossée, carbonisée. En sort Andy Warhol et le spectateur peut penser à ses séries de voitures accidentées : « Car Crash ». A chaque fois le nouvel élément est mis en lien avec ce qu’il y avait avant, et peu à peu des idées, des structures se dégagent. Mais ces différents éléments ne concourent pas seulement à cette scène, cette petite reconstitution, ils entrent en rapport avec d’autres éléments et c’est pour cette raison qu’il faut également les connaître, les considérer individuellement. Le feu entre ainsi en résonnance avec l’idée de destruction construite à partir des sons de démolition qui accompagnent les rebondissements du ballon, le piano qui brûle, les téléviseurs qui tombent, les corps au sol, l’idée de l’Enfer,…
Un autre aspect de la pensée de la complexité à mettre en œuvre pour l’approche de ce spectacle est celle de la prise en compte de l’incertitude et de l’incohérence avec lesquelles cette « méthode » tente de composer : « Nous sommes condamnés à la pensée incertaine, à une  pensée criblée de trous, à une pensée qui n’a aucun fondement absolu de certitude, mais nous sommes capables de penser dans ces conditions dramatiques. »[184]. Il s’agit là d’une phrase que l’on pourrait attribuer sans mal à Lyotard. On ne peut effectivement pas savoir avec certitude, mais cela n’empêche pas de penser et de continuer à émettre des hypothèses, sans d’une part, prétendre à la complétude et d’autre part, tomber dans le relativisme et le pessimisme de l’impossibilité de dire. Comme l’écrit Wajdi Mouawwad : « Je sais qu’il n’y a pas de sens, mais cela ne m’empêche pas d’en faire apparaître un. »[185].  La totalité dont il est question n’est donc pas de celle que défendait l’hégélianisme au sein de laquelle tous les éléments viendraient prendre leur place mais davantage de celle du système ouvert où il y a circulation constante ce qui empêche toute maîtrise. Ce théâtre, loin de réaffirmer une unité dans l’éclatement qui caractérise notre contemporanéité, se propose de joue avec lui, d’où le collage que prennent et revendique certaines de ces formes artistiques.

6.2 Paradigme



Edgar Morin parle de changement de paradigme et la question qui nous anime ici est de savoir si les chercheurs en théâtre ne seraient pas actuellement en train de vivre cette révolution scientifique qui advient « quand les spécialistes ne peuvent ignorer plus longtemps des anomalies qui minent la tradition établie dans la pratique scientifique[186]. Cette constatation mène à une remise en cause du mode d’approche du sujet ainsi qu’à l’élaboration de nouvelles bases pour la pratique de la science en question. Une telle révolution commencerait pour les arts du spectacle par une mise à mal de la conception classique du théâtre en tant que « art de représenter devant un public une action dramatique. »[187].
Néanmoins, cette notion qui a été développée par Thomas Kuhn dans les années 1960 vient des sciences exactes et dès lors sa transposition à notre domaine d’étude a également à être interrogée. Il s’agit bien évidemment d’une transposition allégorique, la manière de fonctionner de ces deux disciplines étant difficilement comparable étant donné la différence de leur objet et de leurs visées. Cependant, les avancées et développement des différents domaines de savoir se font en grande partie par transmission, grâce à l’influence des autres disciplines. Plus loin dans ce travail il sera question de postmodernisme et bien qu’il ne s’agit pas ici de traiter la problématique de ce thème en et pour elle-même, notons que cette question de paradigme lui est également posée. En effet, le postmodernisme résulte en partie lui-même d’une telle transmission, influencé par les sciences dites dures qui ont introduit dans leurs modèles des notions comme le chaos, l’imprévisible, l’aléatoire. Dès lors que ces sciences objectives ont cessé de prétendre à la possibilité de maîtrise totale, les autres sciences ont commencé leur propre remise en question et ont également pris en compte ces notions. Edgar Morin, dont nous venons d’emprunter la méthode, a ainsi développé sa pensée en procédant par métaphores, approche qu’il justifie par le fait que l’histoire des sciences est faite de migrations de concepts[188].
Si la notion de paradigme est peut-être trop forte ici, celle de révolution a fait son chemin, ce qui fait écrire à Bernard Dort que nous sommes passés de la révolution copernicienne à la révolution einsteinienne, c’est-à-dire que le renversement de la primauté entre texte et scène s’est transformée en une relativisation généralisée des facteurs de la représentation théâtrale les uns par rapport aux autres. La conséquence en est un abandon d’idées telles que l’essence de la théâtralité, d’une conception unitaire du théâtre, au profit d’une « polyphonie signifiante, tournée vers le spectateur. » [189].
Aussi, si on veut parler de nouveauté à propos de ces formes théâtrales, on peut commencer par noter qu’à travers elle c’est principalement une conception unitaire et essentialiste du théâtre, fondée sur le texte ou sur la scène, qui est en train de s’effacer.

7 Le théâtre postdramatique



Pour répondre à cette question de la nouveauté qui est à la base de notre recherche, le terme qui semble actuellement faire école est celui de « postdramatique » proposé par Hans-Thies Lehmann. Le chercheur allemand développe ce dernier au sein de son livre éponyme, rédigé en 1999 et traduit en français en 2002. L’objectif qui en anime l’esprit est de parvenir  à classer les différentes formes théâtrales développées à partir des années 80 tout en étendant l’application à des formes plus anciennes comme celles de Henri Müller par exemple. Il s’appuie pour ce faire sur différentes caractéristiques des œuvres interrogées, la première et la principale d’entre elle étant l’abandon du drame. 
La plurivocité de cette notion ne va pas sans poser de nombreux problèmes, néanmoins, elle sous-tend généralement l’idée d’un récit qui émeut. D’après notre auteur, c’est autour d’elle que se développe le théâtre occidental, les moyens théâtraux traditionnels de notre culture étant la narration et le personnage, c’est-à-dire les éléments constitutifs du  drame. Si le théâtre européen consiste à représenter sur scène des discours et des actions et ce grâce à une imitation au moyen du jeu dramatique[190], on comprend la difficulté que posent des créations comme celles de la Societas Raffaelo Sanzio face à un tel schéma. Comme nous l’avons vu, aucun des éléments cités n’y entre en jeu ce qui semble témoigner à première vue en faveur de l’appellation proposée par Lehmann. Mais ce faisant, et malgré ce que ce dernier annonce dans son introduction, on en vient à définir ce théâtre par la négative, c’est-à-dire par opposition aux formes dites traditionnelles pour notre société. Bien évidemment, Lehmann ne se contente pas de cette approche et répertorie un certains nombre de caractéristiques qu’il identifie comme étant celle de ce type de théâtre. Il s’agit de la  non-hiérarchie, de la simultanéité, du jeu avec la densité des signes, de la pléthore,…
Nous retrouvons bien là les caractéristiques que nous avons répertoriées à partir de l’analyse du spectacle « Inferno », ce qui, là encore, plaide pour l’adoption de cette nomination. Néanmoins, la notion de « postdramaticité » ne va pas sans poser un certains nombres de problèmes parmi lesquels la conception du théâtre sur lequel elle s’appuie. Celle-ci est en effet relativement réduite, soutenant ainsi le propos de Lehmann. Etant donné que le théâtre est un phénomène culturel, la conception qu’en propose Lehmann est tout à fait justifiée pour notre société et il est vrai que les premières caractéristiques que l’on relève à propos de ces nouvelles créations est l’abandon de la fable et du texte, du moins du texte narratif. Néanmoins, comme nous l’avons vu avec des hommes de théâtre tels que Craig ou Artaud par exemple, d’autres conceptions théâtrales ont également été développées au sein de cette même société et de cela la définition lehmanienne ne permet pas de rendre compte. Aussi nous nous attacherons davantage à la proposition faite par Emmanuel Wallon dans son introduction au « Qu’est-ce que le théâtre ? » de Christian Biet et Christophe Triau, selon laquelle :

 « Le théâtre est d’abord un spectacle, une performance éphémère, la prestation de comédiens devant des spectateurs qui regardent, un travail corporel, un exercice vocal et gestuel adressés, le plus souvent dans un lieu particulier et dans un décor particulier. En cela, il n’est pas nécessairement lié à un texte préalablement écrit, (…) »[191].

On constate qu’il n’est aucunement question de drame dans cette dernière mais que c’est sur l’aspect de spectacle qu’elle est basée. On peut expliquer la différences entre ces deux propositions par le fait que si pour Hans-Thies Lehmann le théâtre a toujours été dramatique car fondé sur le drame, l’action et l’imitation, pour les deux autres auteurs il y a eu une élaboration historique de cette forme du théâtre[192]. Selon eux, le théâtre dramatique est issu de la réforme de théâtre inaugurée par d’Aubignac au XIIème siècle et son souci de réalisme afin de permettre une identification qui permettrait de faire entrer le spectateur dans la fiction théâtrale. Ce type de représentation serait par la suite devenu la définition même du théâtre occidental ce qui expliquerait l’actuelle identification entre le dramatique et le théâtral.
 La définition large qu’ils défendent remontent donc au-delà de ce phénomène historique et pourrait s’appliquer aux arts du spectacle vivant en général, du moins tels qu’ils sont pratiqués aujourd’hui. Cette remarque nous permet de noter que ce n’est pas seulement au théâtre que des formes originales voient le jour mais également en danse et au cirque, par exemple. En effet, on assiste aujourd’hui à un décloisonnement des disciplines que ce soit au théâtre comme nous essayons de le montrer ici ou dans les autres manifestations précitées La danse incorpore des caractéristiques théâtrales, le cirque se fait davantage chorégraphie. Les enseignements des arts plastiques, de la peinture, de la littérature permettant un renouvellement de ces domaines dès lors que leurs rencontres sont favorisées aujourd’hui. L’une des caractéristiques commune à ces disciplines consiste à mettre l’accent sur la « performance présente»,[193]  selon la définition qu’en propose Richard Schechner, à savoir en tant que « showing doing ». 
Le terme de performance a rencontré un très grand succès, comme c’est le cas aujourd’hui pour celui de « postdramatique », succès qui mérite d’autant plus qu’on en interroge la raison, si l’on pense, comme Jean Jourdheuil qu’ils sont synonymes au niveau théâtral de « l’angoisse du contemporain »[194].
L’auteur allemand définit ce terme en citant Jean-Pierre Sarrazac : « Le théâtre postdramatique est un théâtre qui ‘exhibe un événement scénique qui serait, à tel point, pure représentation, pure présentification du théâtre qu’il effacerait toute idée de reproduction, de répétition du réel’»[195]. Si cette définition telle qu’elle est proposée ici recoupe celle de performance, s’y ajoute bien évidemment l’idée de prise de distance avec le drame tel que compris plus haut. Le théâtre postdramatique est donc avant tout, selon son théoricien, au-delà du drame, ce qui ne veut pas dire que ce dernier est totalement évacué mais que sa structure est fortement affaiblie[196]. Or, le drame est au centre de la démarche des Castellucci, bien que leur compréhension de ce dernier ne correspond pas à la définition qu’en donne Lehmann. Leur écriture dite de plateau selon Bruno Tackels reste selon eux une écriture dramatique c’est à dire basée sur le rythme.
Que signifie dès lors cet engouement pour des termes tels que postdramatique, performance ou encore postmoderne ? S’agit-il d’une simple mode, de la création artificielle d’un phénomène de besoin ou de manque que cette appellation serait venue combler ? Ou bien manifeste-il d’un réel changement au sein de la pratique artistique qui était en attente de sa conceptualisation, attente à laquelle l’ouvrage « Le théâtre postdramatique » vint mettre un terme ? Et pourquoi est-ce que parmi toutes les appellations proposées (théâtre de la déconstruction, théâtre pluri-médias, théâtre néo-traditionnaliste, théâtre du geste et du mouvement) c’est justement ce dernier qui l’ait « emporté » ?
L’explication à laquelle nous allons nous attacher ici se base sur le fait que, tel que le comprend Lehmann, le drame est un genre littéraire et en utilisant la qualification de postdramatique, il souligne l’interdépendance entre le texte et le théâtre ainsi que le changement qu’il y a eu dans ce rapport, la place du texte ayant perdu son rôle central et n’étant plus qu’un élément parmi d’autre dans l’élaboration du spectacle. 
Pourtant une telle approche du théâtre avait déjà été mise à mal par le développement de la sémiologie dans les années 70, pour répondre au besoin du théâtre d’être «  traité en et pour lui-même, comme un langage autonome, et non comme une succursale de la littérature. »[197]. La critique postmoderne n’en a pas moins vu une fermeture dans la pratique sémiotique, taxant celle-ci de vouloir fermer l’œuvre en déterminant des signifiants aux signifiés. Selon Patrice Pavis, cette « ère du soupçon » aura au moins permis à cette discipline de se remettre en cause et de considérer que « Lire les signes du spectacle, c’est ainsi, paradoxalement, résister à leur sublimation : mais pour combien de temps ? »[198].
Nous entrons ce faisant dans la question de la postmodernité, terme que nous avons préféré à celui de « postdramatique » parce qu’il n’était, entre autres raisons que nous expliquerons plus loin, pas lié directement à la question de la littérature ou du moins à celle du théâtre comme l’est ce dernier. Ce terme large, trop large pour certains, est utilisé non seulement pour qualifier des pratiques précitées mais également ce que certains auteurs identifient comme étant notre période historique. Si Lehmann rejette la notion de postmodernité, c’est en premier lieu à cause de la difficulté à saisir un si vaste domaine[199]pour lequel il répertorie un très grand nombre de caractéristiques. De par la manière dont il les présente, elles n’ont effectivement ni beaucoup de sens ni vraiment d’intérêt. Cette remarque vaut également pour la longue liste de noms de troupes ou d’artistes que, sur base des éléments cités plus haut, Lehmann classe sous la catégorie postdramatique[200]. Ces listes ne peuvent manquer d’interroger le lecteur par rapport à la problématique de son hétérogénéité : qu’ont en commun ces différentes formes et ces différentes caractéristiques ? Quel lien permet de les relier ? Pour répondre à cette question, nous ferons appel à la notion d’air de famille développée par  Ludwig Wittgenstein au sein de ses « Recherches philosophiques »[201]. Le philosophe y fait le rapprochement entre différents éléments sur base d’un certain nombre de ressemblances qui ne sont ni exhaustives ni limitatives. Il parvient ainsi à faire des liens entre a, b et c dès lors que a partage certaines caractéristiques avec b, qui lui-même entretient quelques similitudes avec c alors même que a et c n’ont rien en commun.
Mais si cette disparité n’est pas problématique en soi, ces deux listes présentent une autre difficulté. En effet, ces différents traits n’ont rien d’original en soi, ils ne manifestent d’aucune nouveauté étant donné que la plupart d’entre eux sont exploités depuis longtemps par le théâtre et ce principalement par le théâtre d’avant-garde. Aussi, ce n’est pas la possession de ces attributs en soi qui fait rupture mais seulement, comme l’explique Lehmann, le contexte de leur utilisation : « (…) des moyens similaires utilisés dans des contextes différents, peuvent changer radicalement leur signification »[202]. Cette même idée est développée à propos de la notion de postmodernisme par le théoricien d’art américain Fredric Jameson, dans son livre « Le postmoderne. Ou la dominante culturelle du capitalisme tardif ». Il y explique que le problème de l’idée selon laquelle toutes les caractéristiques dites postmodernes sont en réalité déjà présentes dans le modernisme est qu’elle ne prend pas en compte la position sociale de ce dernier Or, ce n’est que en fonction d’elle que l’on peut comprendre les préoccupations et la réception de ces œuvres[203].
Nous avons utilisé plus haut le terme de paradigme dans un usage métaphorique. On constate ici que ce dernier n’est pas à comprendre selon son caractère révolutionnaire de rejet de tout ce qu’il y avait auparavant, mais seulement en tant que nouveau contexte ou attitude. En effet, comme Lyotard le souligne lui-même[204], et ce particulièrement dans ses derniers écrits, il ne s’agit pas de penser la postmodernité comme quelque chose de radicalement nouveau :

«La postmodernité n'est pas une nouvelle époque. C'est la réécriture de quelques caractéristiques revendiquées par la modernité et surtout de sa prétention à fonder sa légitimité sur le projet de l'émancipation de l'humanité entière par la science et la technique. Mais cette réécriture, comme je l'ai déjà dit, travaille depuis longtemps à l'intérieur de la modernité elle-même. »[205].

Si Lehmann rejette ce terme au profit de celui de postdramatique, c’est parce que justement, il considère que ces œuvres ne sont pas à comprendre dans ce contexte de la postmodernité étant donné que ce n’est pas d’elle qu’elles portent témoignage. Ces spectacles ne se situent pas d’après lui dans l’au-delà de la modernité mais seulement dans l’au-delà du texte. 
La question que nous aimerions poser est justement celle du lien entre ces deux notions : le théâtre postdramatique ne serait-il pas lui-même une manifestation de la postmodernité ? Car si le terme postdramatique concerne, comme nous l’avons vu, uniquement le théâtre, n’est-il pas également à comprendre suivant une acceptation plus large ?

8 Le postmodernisme


8.1 Origine

Si la qualification « postmoderne » vit d’abord le jour en architecture où elle servit à désigner une nouvelle approche de celle-ci, construite en opposition aux impératifs de la modernité, ce n’est que vers 1980, à l’occasion de la publication de l’ouvrage de Jean-François Lyotard « La condition postmoderne » qu’elle commença à être réellement interrogée. Cette « mise en interrogation » prit d’ailleurs davantage la forme d’une querelle, avec ses défenseurs et ses critiques virulents, se disputant sur l’effectivité d’une rupture avec la modernité supposée par cette dernière[206]. La question, si elle n’est toujours pas résolue aujourd’hui, ne préoccupe cependant plus vraiment les esprits, bien qu’elle continue à donner régulièrement lieu à des débats dans le milieu intellectuel.
Nous nous sommes donc attachés à un terme polémique et ce non seulement quant à son effectivité, mais également par rapport à son application.
Il se trouve en effet que le postmoderne, peut-être de par le phénomène de mode auquel donna lieu son élaboration, a été repris dans de nombreuses disciplines et par de nombreux penseurs, sans qu’il y ait un consensus qui se soit fait sur le sens de ce dernier. En y faisant appel, il nous faut donc nous situer par rapport à la compréhension que nous en avons et citer les auteurs auxquels nous faisons référence.  Ce parti pris résulte de notre projet de la mise en parallèle des caractéristiques d’un spectacle de théâtre contemporain pensé comme représentatif d’une certaine tendance de la création actuelle et de la postmodernité.
Commençons par noter que la postmodernité est fréquemment utilisée pour désigner notre époque actuelle, acceptation d’après laquelle l’enjeu serait de comparer notre société contemporaine, l’esprit qui l’anime et le théâtre qui s’y manifeste.  
Il s’agissait d’ailleurs là du présupposé de certains architectes postmodernes pour lesquels l’architecture sert de révélateur des préoccupations de son temps de par le fait que les sociétés se représentent par elle[207]. C’est à partir d’une telle conception d’équivalence entre un style architectural et la société dans laquelle il se développe, qu’un architecte comme Porthoghesi cru pouvoir déduire de l’échec du projet architectural moderne l’échec de la modernité elle-même. Sachant que le théâtre est également fréquemment pensé en tant que reflet de son époque suivant l’idée qu’il permet à une société de se mettre et scène, de se « représenter », une telle démarche nous conduirait à interroger le théâtre sur l’état de celle-ci, démarche dont ne se privent pas un certain nombre de critiques pour parler de ces nouvelles créations qui nous occupent ici.  Mais ce faisant ils ne rendent pas compte de ces formes elles-mêmes, au contraire même, ils éludent les problèmes qu’elles nous posent en les interprétant à partir de déterminations extérieures. Ainsi en est-il notamment pour l’analyse de cette fameuse 59ème édition du festival d’Avignon qui souleva tant de controverses : sa violence put ainsi être « expliquée » comme reflétant la violence de notre époque et le développement du « théâtre image » pensé comme conséquence de la place de cette dernière dans notre société[208]. L’ensemble des créations contemporaines auraient ainsi à relever le défi de dire le désastre ce qui permet de lire ces formes comme en étant les tentatives.
Un tel parti pris nous éloigne de l’engagement que nous nous sommes promis de tenir face à l’œuvre, aussi nous éviterons d’entrer dans de telles considérations historicistes en ne nous attachant pas, du moins pas seulement, à la postmodernité en tant que période de l’histoire ou type de société.
Suivant donc un autre fil interprétatif de la postmodernité en considérant cette dernière comme une esthétique.
Nous avons vu qu’il existait une forme d’architecture postmoderne. A côté de celle-ci, se sont développées des formes artistiques qui se sont également réclamé de cette qualification, que ce soit en musique[209], en danse[210], au cinéma[211], en arts plastiques, …Y aurait-il une esthétique que ces disciplines aurait en commun et sur base de laquelle nous pourrions faire la comparaison avec le spectacle « Inferno » pour juger si elle y est à l’œuvre ?
En interrogeant la manière dont ces œuvres envisageaient le postmodernisme, nous avons rencontrés certaines caractéristiques qui leur été communes : la plupart d’entre elles étaient composées grâce à la technique du collage, abandonnant la hiérarchie de leurs éléments constituants, vantant l’éclectisme tant de l’artiste qui n’avait à répondre à aucun impératif s’étant détaché des anciens codes constituants de la discipline que du spectateur. Ces traits qu’elles avaient en commun peuvent être compris comme ayant été développés en réaction aux créations modernes qui les précédaient donc principalement aux avant-gardes. Contre le prétendu élitisme et hermétisme de ces dernières, elles proposent des œuvres directement lisibles, attitude que Lyotard identifie comme un appel à « suspendre l’expérimentation artistique »[212]. Une telle attitude entre en contradiction avec ce que nous avons dit du spectacle « Inferno » et ce principalement en ce qui concerne la question de la communication. Mais, bien que souvent qualifiée d’avant-gardiste, il est noter que la troupe refuse une telle qualification et ce notamment par-ce que leur théâtre n’a pas pour but en soi de faire rupture par rapport au passé comme c’était le cas pour les avant-gardes[213]. S’ils prétendent également s’opposer à un art élitiste, il ne s’agit cependant pas de céder, pour les raisons que nous avons vues plus haut, à une transparence communicationnelle. Dès lors si on ne peut pas encore juger de la validité du rapprochement avec la postmodernité, on peut certainement rejeter celui avec ce que Lyotard identifie comme l’aspect conservateur de  la postmodernité.
Rejetant donc une telle esthétique également trans-avant-guardiste, nous allons nous concentrer principalement sur la pensée postmoderne elle-même, telle qu’elle découlerait des conditions du savoir qui seraient les nôtres aujourd’hui, comme le développe Lyotard. Ainsi, le philosophe postule que nous serions entrés dans une société postmoderne et postindustrielle, le terme postindustriel correspondant au milieu économique tandis que « postmoderne » est appliqué à la culture de cette société.  Ce faisant, Lyotard et les autres penseurs qui se sont attachés à cette notion posent l’hypothèse d’un changement de paradigme sociétal qui se serait développé sur l’échec du projet moderne. Selon eux, cet échec s’est révélé à travers la seconde guerre mondiale ce qui leur fait considérer que Auschwitz est le crime qui ouvre la postmodernité[214],  car ce crime a brisé le sens de l’histoire. En effet, l’idée de l’Histoire était jusque là soutenue par l’idée qu’elle se « faisait » en fonction d’un sens donné, étant dirigée par la raison dialectique incarnée dans l’idéologie du progrès et de la rationalité qui ferait avancer l’humanité vers un monde meilleur. Cette idéologie, que Lyotard identifie en tant que méta-récit fondateur de la modernité, pouvait ainsi récupérer les différents événements historiques et les justifier, les méta-récits étant définis comme : « histoires et […] représentations les plus générales et les plus fondamentales dont on admet qu’elles détiennent le sens ultime et la justification dernière de ce à quoi les hommes adhèrent et de ce qu’ils entreprennent. »[215]. Avec les camps de concentrations et le lancement de la bombe atomique, cette conviction s’est effondrée et avec elle, le pouvoir de légitimation de ces récits englobants. A travers cet abandon, nous assistons à la perte de la possibilité de légitimation narrative sur laquelle étaient basées nos pratiques morales, politiques et sociales, donnant lieu à une perte de sens. Lyotard considère que le regret qui se cache derrière la déploration de la perte de sens, est celui de l’abandon de cette légitimation narrative qui « perd ses foncteurs, le grand héros, les grands périls, les grands périples et le grand but. »[216].  Beaucoup voient cela comme la porte ouverte à un total relativisme et au règne de l’éclectisme étant donné que l’on n’a plus aucune possibilité de justification transcendante. Pourtant, ce n’est pas parce qu’on ne peut plus trouver une telle source de légitimation que tout se vaut et que l’on est condamné à un relativisme absolu. De plus, notons que l’étymologie du terme « relativisme » correspond à l’idée de la mise en relation des cultures, de manières d’être diverses[217]…Si nous nous en tenons à ce sens de métissage, alors le postmodernisme est effectivement relativiste.
Pour en revenir à la question de la légitimation, celles-ci devient principalement scientifique, c’est-à-dire qu’elle est basée sur une pragmatique de la performativité. Mais à côté de celle-ci, le postmodernisme affirme un certain nombre de valeurs parmi lesquelles la tolérance, le multiculturalisme, le refus des hiérarchies, l’abandon de la quête de la Vérité, de la Raison, de l’Absolu et la promotion du dialogue. A la place de la pensée et de la logique moderne gouvernées par la rationalité, la linéarité, l’univocité, la technique et la démonstrabilité, le  propose une pensée analogique, plurivoque, souple, faible et mobile[218]. Sur base de celle-ci, une nouvelle théorie pourra être proposée, tenant compte de ces caractéristiques.
De fait, l’objectif poursuivi ici n’est en aucun cas de juger de la validité de la qualification « postmoderne » pour notre société contemporaine, mais seulement de voir si, sur base des traits attribuées aux conditions de connaissance de cette dernière une pensée adéquate pourrait se mettre en place pour aborder de façon plus appropriée le type de théâtre contemporain dont il est traité ici.

Comme nous venons de le voir, il n’est pas envisageable de proposer une définition du postmoderne, ce qui nous permet de supposer qu’il s’agit sans doute davantage d’un symptôme que d’un courant, d’une dominante culturelle plutôt que d’un style pour employer les termes de Fredric Jameson[219]. Il s’agit ce faisant de lutter contre la valeur unificatrice que comportent intrinsèquement le mot et le concept, tout comme tente de le faire ce nouveau théâtre. Aussi, il peut sembler logique qu’il n’y en ait pas une seule manifestation mais plusieurs, chacun pouvant réagir différemment à un même phénomène, ce phénomène étant, comme son nom l’indique, la mise en crise des valeurs de la modernité.
A nouveau, il ne s’agit pas ici de porter un jugement sur l’effectivité de cette crise. Etant donné qu’elle est posée par la postmodernité comme son point d’origine, sa cause, le parti pris enthousiaste et confiant que nous avons choisi de suivre ici quant à cette pensée, nous oblige à l’accepter et nous permet de demander si les formes et les langages théâtraux de ces dernières années gagnent à être compris par rapport à une telle hypothèse.
Mais comment peut-on parler de dépassement de la modernité dès lors que cette dernière se définit elle-même en tant que transgression, « opposition et conscience d’une rupture »[220]et  que les avant-gardes se pensent comme recherche perpétuelle du nouveau par l’abandon de leurs anciennes formes ? Qu’est-ce qui permettrait de sortir de ce schéma qui se présente comme totalement englobant ?
Un début de réponse a été donné plus haut par Roméo Castellucci lui-même : le postmodernisme se différencie de la modernité en ce qu’il abandonne la quête du nouveau et le rejet du passé à l’œuvre dans cette dernière. Il ne s’agit plus de dépasser ou de transgresser sans cesse, ce qui explique le retour aux anciennes formes pratiqué par une certaine esthétique postmoderne comme on peut la retrouver dans l’architecture qui n’hésite plus à mélanger les anciens styles aux nouveaux. Cette vaste et complexe question de la légitimité de la postmodernité face à la modernité se trouve être à l’origine de tous les débats dont nous avons parlé en abordant ce point. Prendre place au sein de ces derniers n’est pas notre objet ici et c’est bien pour éviter de nous y engouffrer que nous avons décidé d’accepter l’idée de la postmodernité sans la remettre elle-même en question.
Poursuivons dès lors notre recherche, en tentant une mise en perspective des caractéristiques constituantes de notre spectacle avec celles de la postmodernité.

9  Rencontre des traits de la postmodernité avec les caractéristiques de notre « objet scénique non identifié »


9.1 Non-narrativité


« En simplifiant à l’extrême, on tient pour ‘postmoderne’ l’incrédulité à l’égard des métarécits. »[221] écrit Jean-François Lyotard, faisant ainsi de la fin des méta-récits  la première et essentielle caractéristique de la postmodernité. Ses autres traits peuvent dès lors être compris en tant que conséquences de celle-ci : perte de la possibilité de justification narrative et changement de temporalité. La modernité permettait d’envisager un déroulement à peu près linéaire de l’histoire mais coupé de l’idéologie de cette dernière, l’homme postmoderne serait pris dans la synchronie et n’envisagerait plus une évolution progressive et prévisible[222]. Cet homme pense dans le présent et en réseau, ce qui fait dire à Jameson que pour lui, « la différence met en relation. »[223]. La conséquence en est, au point de vue artistique, que l’œuvre n’est plus donnée à voir en tant que unité délimitée par un début et une fin, œuvre dont la lecture se ferait de façon progressive mais comme composée d’éléments hétérogènes entrant en divers endroits en contact. Christian Biet et Hélène Kuntz supposent également cette hypothèse du lien entre la fragmentation et la postmodernité en se demandant si la fragmentation caractéristique des œuvres contemporaines ne résulterait pas de l’abandon d’un point de vue sur le monde, soutenant la possibilité de la fable : « En l'absence de récit commun assez fort pour s'imposer à une société, la dramaturgie entérinerait une impossibilité de raconter autrement que de manière fragmentaire. »[224].
Que dire alors de la vision du monde et du fonctionnement de cet homme ainsi que de toute la société ainsi définie ? Fredric Jameson se risque à proposer pour eux un diagnostique de schizophrénie, sa compréhension de cette dernière étant basée sur la pensée lacanienne. Il s’agit là d’un point intéressant pour notre sujet car Lacan définit la schizophrénie en tant que rupture de la chaîne signifiante, c’est-à-dire rupture de « la suite syntagmatique de signifiants qui donnent lieu à une signification »[225]. C’est bien cette absence de hiérarchie entre les éléments scéniques et donc l’absence d’ordre prédéterminé que nous avons identifié comme étant à l’origine de l’indétermination du sens de notre spectacle. La création elle-même peut ainsi être taxée de schizophrénique dès lors qu’elle met en place une structure temporelle échappant à la forme linéaire d’unification du passé et du futur, fonctionnant davantage sur le modèle du tourbillon. Dès lors, s’il y a rupture de cette chaîne, nous sommes face à des signifiants dénués d’un sens déterminé étant donné qu’ils ne suivent pas un développement causaliste supposé par une relation univoque qui les relierait l’un à l’autre.
Cette première caractéristique, régulièrement désignée en tant que « fin de l’Histoire ou fin de l’historicisme », nous fait remarquer une similarité entre le fonctionnement et le déroulement de notre objet et de la pensée postmoderne elle-même. Au sein des deux il n’est pas tenu de discours à prétention véridique et ce de par la plurivocité même qui les habite. La légitimité n’est plus narrative au sein de la postmodernité, et elle ne peut l’être non plus pour ce spectacle, ce dernier prétendant à un « sens » par le corps et non par l’intellect qui ne peut saisir la complexité qui s’offre à lui. On peut donc parler de pragmatique de la performativité à son égard également étant donné que le critère de réussite de ce spectacle est son effet sur le corps de ses spectateurs, qu’il fonctionne s’il parvient à provoquer quelque chose en eux, c’est-à-dire à faire événement.

9.2 L’artiste et l’œuvre postmodernes




S’il n’y a plus d’unité à l’œuvre au sein d’une création postmoderne, celle-ci se trouve également remise en cause quant au caractère unique de l’objet artistique. Cela signifie que ce dernier n’est plus compris, comme c’était le cas avec la modernité, en tant qu’œuvre d’art ou comme création originale. Ce changement de statut de l’objet résulte de la modification de la compréhension du sujet : compris comme monade par la modernité, ses créations portaient la trace de son unicité  en tant qu’elles résultaient en partie de la manifestation de son moi et portaient la trace de son style personnel[226]. Mais l’artiste postmoderne ne peut plus être pensé en tant que génie, il peut seulement avoir du talent et selon Lyotard et Jameson, il n’exprime plus tant dans ses œuvres  ses émotions qu’il se laisse traverser par des intensités qui « flottent désormais, libres d’attache et impersonnelles »[227]. Roméo Castellucci semble adhérer à une telle conception dès lors qu’il déclare se considérer moins comme créateur comme re-créateur, travaillant avec de la matière qui est déjà là :

« mon travail consiste à faire passer des images, qui sont déjà en moi, en chacun de nous, vers la scène du théâtre. Je me vois comme une sorte de collecteur d’images, plutôt qu’un inventeur : je les recrée sur le plateau, avec mes outils, avec les corps et les sensations. Toutes ces images existent déjà, et il s’agit de les disposer dans une certaine forme d’écriture dramatique pour que, soudain, le spectateur les regarde. »[228].

Si auparavant saisir l’intention de l’auteur consistait à faire une interprétation correcte de l’œuvre, la nouvelle critique des années 60 renversa cette façon de voir et ce à travers des travaux comme, par exemple, ceux d’Umberto Eco dans « L’œuvre ouverte », de Roland Barthes dans ses « Essais critiques » ainsi que dans « Pour une esthétique de la réception » de Hans Robert Jauss. Selon ces penseurs, l’auteur lui-même n’est pas détenteur du sens de son œuvre dès lors que cette dernière le transcende, entraînant comme conséquence que ce n’est pas le sens que lui prête l’artiste qui est à chercher mais celui qu’elle a par elle-même, de par ses caractéristiques intrinsèques au moment de sa lecture.
Dans cet ordre d’idée, Roland Barthes a exigé la mort de l’auteur, c’est-à-dire la fin d’une figure qui aurait un aurait un pouvoir autoritaire sur l’œuvre et exercerait sur le lecteur une « censure castratrice »[229]. De même, Umberto Eco a distingué entre l’intentio operis (l’intention de l’œuvre) l’intentio lectoris (l’intention du lecteur) et enfin l’intentio auctoris (l’intention de l’auteur), demandant à l’interprète de tenter de déchiffrer la première en mettant entre parenthèses les deux suivantes[230]. La position de cette critique se trouve résumée par Michel Foucault de la manière suivante :

« On dit, en effet, [], que le propre de la critique n’est pas de dégager les rapports de l’œuvre à l’auteur, ni de vouloir reconstituer à travers des textes une pensée ou une expérience ; elle doit plutôt analyser l’œuvre dans sa structure, dans son architecture, dans sa forme intrinsèque et dans le jeu de ses relations internes. »[231].

Si pour Eco et Barthes il était envisageable de penser l’œuvre en soi, ce n’est pas le cas pour Foucault selon lequel celle-ci est co-définie par la  notion de l’auteur. Jameson présuppose également cette idée étant donné que c’est à partir de la mise à mal de la notion du sujet moderne qu’il nie la notion d’œuvre.
Nous nous en tenons ici à la conception d’Umberto Eco étant donné que ce sont ses méthodes qui ont servi de base d’appui pour l’analyse du spectacle. En effet, il n’a pas été question  d’approcher l’œuvre à partir de la biographie de Roméo Castellucci, d’expliquer son esthétique à partir de sa formation de plasticien ou de son origine italienne, bien que sa façon de travailler y trouve une partie de sa méthode. Les citations qui sont faites des écrits et déclarations de la troupe ont pour but soit l’illustration du propos, soit de servir de matériaux pour poser la question de l’attitude et la place à laquelle se met l’artiste face à son œuvre. Si on ne peut pas s’appuyer sur ces déclarations pour dire ce « qu’est réellement» le spectacle, elles nous informent néanmoins d’une certaine intention, d’un vouloir faire croire et d’un mode de présentation, d’une stratégie utilisée par l’artiste pour donner à voir et à penser son œuvre. Nous les lisons donc de la manière dont Enzo Cormann propose d’aborder le doigt du sage qui pointe la lune : « le doigt pointé désigne beaucoup de choses sur celui qui le pointe, tandis que la lune ne dit rien d’elle-même que nous ne puissions voir. Le doigt exprime un point de vue, (…) »[232]. Aussi nous nous sommes engagés à regarder le spectacle par nous-mêmes tout en interrogeant le pourquoi de ce doigt…
Cette question du statut du l’œuvre d’art ne peut donc être résolue par le simple fait que Castellucci prétend utiliser davantage que créer. Nous avons effectivement vu que son spectacle était composé d’images de références, de sons fortement évocateurs, d’un agencement puissant d’éléments déjà signifiants en soi tel que le cheval, l’enfant, la masse de corps…
Cette question de la composition nous fait rejoindre celle du collage posée plus haut à propos des formes d’art postmodernes dont un certain nombre se prononcent en faveur d’une esthétique du pastiche, du retour aux anciens styles et images pré-existantes dans lesquels ils puisent librement pour récupérer ce qui les intéressent, sans procéder à une classification ou à une hiérarchie quelconque, se déclarant par là anti-élitiste.
Il est à noter que cette démarche sur le mode du patchwork se retrouve aussi bien dans le fond théorique qu’au travers des formes grâce auxquelles le postmodernisme se manifeste.

9.2.1 Collage, citation, parodie


La pratique du pastiche est un des éléments les plus vivement critiqués par ses opposants pour lesquels si tout devient imitation, c’est l’affirmation absolue de la société de l’image, voir pire même, du simulacre. L’idée est qu’elle nous ferait entrer dans la pure superficialité, dans la dephthelssness telle que la pense Jameson[233], ce qui aurait pour conséquence de placer les spectateurs non plus face à des œuvres d’art originales, mais uniquement face à des textes[234].
Nous considérons ici que ce n’est pas la nature des éléments utilisés qui permet de juger de l’originalité de l’œuvre mais bien leur agencement, comme en témoigne les nombreuses œuvres traitant d’un même sujet ou développées selon un même style. Ce n’est pas autre chose que déclare Michel Debrinay-Rizos en écrivant à propos de Roméo Castellucci que : « Le mot ‘création’ est une parole trop forte si on la lit à la lueur de la réalité ; on ne doit la lire que dans le sens de re-création.» [235]. Par cet aspect, nous renouons ici avec la qualification d’artisan que nous avons utilisé plus haut à son sujet.
De plus, dans la pratique du collage, il ne s’agit pas seulement d’imiter mais bien de jouer avec la polysémie de l’objet, de lui rajouter une dimension critique, comique ou autre et d’en permettre ainsi une seconde lecture, proposant des sens multiples de par la rencontre entre ces différentes strates... Il s’agit là de la compréhension de la parodie et de l’ironie développée par Linda Hutcheon[236], définissant ces deux figures de comme représentantes de la postmodernité, qu’elle comprend à partir de la manifestation de ce mouvement au sein de l’architecture. Mais pour que ce type de lecture puisse fonctionner il faut d’une part que la citation soit reconnue et qu’ensuite, on saisisse le décalage, le second degré ou le rapport critique avec lequel la référence est utilisée. Le pastiche nécessite donc une connivence, une complicité avec le public établi sur base d’une culture commune. Nous avons vu l’importance des citations dans le spectacle de Castellucci qui rendait possible une lecture à plusieurs niveaux. Mais nous avons également remarqué que l’œuvre pouvait être lue au premier degré, sans la reconnaissance de ces références et sans qu’elle perde pour autant son intérêt. La coexistence de ces deux possibilités définies est ce qui caractérise selon les auteurs de « Lire les images de cinéma » les créations postmodernes[237]. Cette lecture sur le mode de « l’ironie » ou du collage est donc en puissance dans l’œuvre étant donné que le collage est effectivement un des modes d’élaboration de l’œuvre et que comme nous l’avons vu, Castellucci réinterroge les images qu’il donne à voir. Mais comme cette lecture n’est pas nécessaire, ces images fonctionnant en elles-mêmes, nous pouvons parler de double jeu pour ce spectacle : le spectaculaire et le distancié, jeu qui peut faire perdre ses repères au spectateur, ce dernier ne sachant pas définir l’objet qu’il a devant les yeux, hésitant entre sa simplicité et sa complexité.
Ce côté spectaculaire, ainsi que le mode de composition de l’objet nous évoque une autre esthétique, avec laquelle il serait peut-être intéressant de faire le rapprochement dès lors que l’on retrouve l’esprit de cette dernière dans la postmodernité.

9.2.2 Le baroque




Le rapprochement entre la postmodernité et le baroque se fait sur base des caractéristiques principales de cette esthétique ainsi que de l’idéologie qui la sous-tend et que l’on peut opposer à l’idéologie de l’esthétique moderne. En effet, cette dernière est basée sur le pouvoir rationnel qui visait à supprimer tout l’inutile, à défaire les plis. En ce sens, elle manifeste d’une volonté diairétique, c’est-à-dire qu’elle cherche à expliquer le monde et que pour ce faire, elle supprime tout ce qui est inutile et inefficace.
Le baroque, bien que caractérisant une époque et un style défini, n’en est pas moins un « éon » comme l’explique Eugenio d’Ors[238]. Cette caractéristique qu’il partage avec la postmodernité permet d’expliquer la grande variété de leurs formes ainsi que de comparer cet état d’esprit avec celui de la modernité.
Selon Michel Maffesoli l’attitude au monde exigée par la modernité est celle de l’activité, de l’engagement et de maîtrise de toute chose. Le postmodernisme et le baroque se rejoignent en premier lieu par rapport à la distance qu’ils prennent par rapport à cette conception, faisant correspondre les différents éléments et cherchant le plaisir de chacun des sens. On peut parler de l’attitude de ces deux sensibilités comme d’un « oui à la vie », à l’opposé de la « philosophie du non », terme employé par  Gaston Bachelard pour qualifier la modernité[239]. Nous avons vu que ce spectacle fonctionnait par système de résonnance et cette importance de la mise en relation est une autre des marques essentielles du baroque. L’intérêt accordé aux détails en est un autre, intérêt à partir duquel Maffesoli explique le sens des icônes postmodernes, le faisant résider dans la signification que l’on accorde aux petits riens qui constituent le tout de l’existence[240]. Cela permet de considérer que l’attitude postmoderne suppose une disponibilité envers ce qui arrive, les petits comme les grands événements ce qui lui fait abandonner la recherche d’un sens transcendant éloigné. Dès los, si dans la modernité il s’agit d’être actif, et de suivre une logique de domination, dans le postmodernisme, au contraire, on est davantage dans le laisser aller ou peut-être mieux, dans le laisser être, dans la désinvolture et la disponibilité à ce qui advient. N’est-ce pas là la posture proposée au spectateur de « Inferno » ? De lâcher prise quant à sa volonté de comprendre pour adopter un état que l’on pourrait rapprocher de l’« attention flottante » développée par Freud pour qualifier l’écoute de l’analyse, visant à suspendre tout ce qui focalise habituellement l’attention pour s’ouvrir à l’inconscient et à ce que l’on tend à qualifier habituellement d’insignifiant [241]?
Parler de baroque à propos de spectacle à la scénographie minimaliste peut sembler totalement inadéquat avec une compréhension du baroque comme « pli à l’infini »[242], art des textures plutôt que de structures et obéissant à la loi d’extremum de la matière  (un maximum de matière pour un minimum d’étendue) comme l’explique Deleuze. Au niveau de l’esthétique, un tel rapprochement ne peut effectivement se faire. Mais au niveau de l’attitude, nous venons de remarquer le nombre important de concordances, ce qui nous permet de dire que cette mise en parallèle est réellement utile, bien que basée seulement sur l’analogie de certains traits.
Cette dernière nous permet également de remarquer une autre caractéristique commune au spectacle, à la postmodernité et au baroque et qui est la présence de l’oxymoron dans les rapports internes de l’objet. Cette figure de style peut en effet être utilisée pour qualifier le rapport entre les éléments a priori antagonistes tels que les étranglements plein de tendresse, les caresses qui font souffrir, le son angoissant qui se surimprime à des images joyeuses, et ce sans la résolution de ces éléments. Or c’est bien là ce qui fait la puissance de ce spectacle et lui permet d’échapper à de l’anecdotique…

9.3 « Inferno », spectacle postmoderne ou spectacle de la postmodernité ?



De la postmodernité nous pouvons retenir l’importance de la pluralité, que nous retrouvons dans l’hétérogénéité des langages utilisés par les formes artistiques qui s’en réclament, une déhiérarchisation de ces différents éléments, les mettant ainsi à égalité ce qui permet à de nouvelles connexions de se développer et qui concoure au fonctionnement et à la pensée en réseau caractéristique de cette « dominante culturelle ». L’artiste abandonne la prétention quant à la maîtrise de son œuvre de même que l’interprète abandonne la sienne quant à l’objet qui lui est proposé. La pensée postmoderne ne cherche pas à faire consensus car ce se serait nier l’hétérogénéité dont il vient d’être question au profit d’une résolution bénéficiant à la majorité, et donc réinstaurer un macro-récit. A l’opposé de ce dernier, ce sont de micro-récits qui se mettent en place, manifestant d’une « coexistence pacifique de différences »[243] davantage que de la recherche d’une symbiose. Il en découle plusieurs conséquences : la fin de la recherche du consensus dont nous venons de faire mention, la fin d’un certain anthropocentrisme, le développement de l’affirmation de soi-même contre l’imposition de normes extérieures, la promotion du différentialisme et donc d’une « équilégitimité »[244]. La postmodernité ne prétend pas à la vérité en soi et mais défend une vérité du relatif qui a sans cesse à être réinterrogée et a être remise en cause.
La pensée postmoderne est une pensée créative, qui, ayant abandonné l’idéal de la maîtrise considère le doute en tat que richesse et propose dès lors que la pensée elle-même se fasse aventure. Yves Boisvert propose une définition de l’approche postmoderne qu’il nous semble pouvoir appliquer au mode d’élaboration ainsi qu’à l’expérience du spectacle « Inferno ». Cette approche se veut : « volonté d’explorer les zones de coexistence, [...] les faire interpénétrer, réagir, de jouer de leur métissage, d’opérer des connexions, des anachronismes délibérés[...]. »[245]. N’est-ce pas de cette façon que le spectacle fonctionne en jouant de la confrontation des éléments et de leur transduction ?
De même, cette valorisation de micro-récits échappant à la synthèse d’une méta-narration, n’est-ce pas ainsi que se donnent à voir les différentes séquences de cette œuvre ? Ces micros événements présentés sur scène valent en eux-mêmes, suivant un mode de fonctionnement équivalent à celui qui régit les films d’Andy Warhol. Il y a une compréhension sérielle comme pour une phrase musicale et bien que le spectateur perçoive ces différentes phases ou actions l’une à la suite de l’autre, qu’il les mette en rapport, elles résistent à toute synthèse ou résolution, ne permettant pas qu’un sens général s’en dégage. Comme l’écrit Philippe de Haas dans son ouvrage sur le cinéma de Warhol :

 « tandis que l’élément est étiré indéfiniment dans la continuité temporelle du film, il se trouve répété dans la discontinuité spatiale du tableau. Les éléments conservent leur intégrité : ils ne sont pas intégrés dans un ensemble qui les assimile mais insérés dans une série qui les ‘dissimile’ »[246].

On peut également parler de micro-récits en ce qui concerne l’interprétation des spectateurs, celle-ci échappant à la possibilité d’une validation émanant d’un expert, d’une instance qui pourrait faire autorité. Un tel éclectisme peut peut-être expliquer en partie le rejet de certains critiques face à ces créations et la campagne de diffamation qu’ils ont mené à leur égard en 2005 au festival d’Avignon. Si l’avis des critiques et des artistes eux-mêmes n’est plus qu’une proposition parmi d’autre, tous partage une même expérience de solitude face  à ces œuvres. En effet avec cette impossibilité de maîtrise, de saisie d’une œuvre échappant aux conventions théâtrales, ce sont les horizons d’attente ainsi que les habitudes perceptives et interprétatives forgés par les spectateurs à partir de ces conventions du théâtre occidental qui sont mis à mal. L’idée du théâtre et du rôle du spectateur s’en trouve remise en cause, il y a une rupture qui se fait lors de cette expérience et cette rupture ouvre le spectateur à sa solitude. Pour rendre compte de cette expérience,  nous avons réfléchi sur les fondements de la pensée postmoderne et il nous semble que cette dernière peut en rendre compte, de par sa capacité à incorporer l’incertitude, l’ambiguïté, les formes hybrides, l’inconnu, sans chercher à les réduire à du connu et maîtrisable. La créativité dont elle propose de faire usage ne peut que servir pour approcher un spectacle comme celui qui nous intéresse ici.
Nous avons vu qu’une partie des créations de l’art dit postmoderne échappaient à une telle approche, se tournant davantage vers les formes du passé et affirmant des valeurs comme la clarté et la communicabilité contre ce qu’elles identifient comme les dérives des avant-gardes. Mais à côté de celles-ci, d’autres œuvres également appelées postmodernes continuent à promouvoir l’expérimentation, bien qu’elles aient abandonné l’attitude quelque peu dogmatique des avant-gardes prônant l’expérimentation pour elle-même, animée par une constante fuite en avant[247]. Aussi, Jean-François Lyotard note que si certaines formes postmodernes exigent : «  du référent (et de la réalité objective) ou du sens (et de la transcendance crédible), ou du destinataire (et un public), ou du destinateur (et de l’expressivité subjective), ou du consensus communicationnel (et d’un code général des échanges) .»[248], il se trouve également des formes postmoderne auxquelles de telles demandes sont adressées, formes parmi lesquelles nous pouvons situer notre spectacle.
Christophe Bident ne manque pas de faire le parallèle entre cette exigence de « censeur » et les revendications de certains critiques français, ayant donné lieu à cette fameuse « querelle d’Avignon » mentionnée dans l’introduction[249].

Nous pouvons ainsi renouer avec les interrogations premières de ce travail : la question de la qualification de ces formes originales et le rapport qu’elles entretiennent avec, d’une part la société contemporaine qualifiée par certains de postmoderne[250] et, d’autre part, avec la condition de connaissance d’une pensée postmoderne.
Nous avons expliqué la difficulté de synthétiser un terme tel que le postmodernisme étant donné son utilisation plurielle. Ainsi, le postmodernisme sert à qualifier une société décrite par Lyotard, Lipovetsky et Maffesoli en tant que société du détachement et du narcissisme, plongée dans un esthétisme ambiant. Il s’agirait grossièrement de la société de consommation où l’éclectisme sert de valeur déterminante, permettant, comme l’écrit Lipovetsky, de  « composer à la carte les éléments de son existence »[251], visant toujours plus à l’accomplissement de son désir immédiat. En cela, on peut poser avec Christian Bident, que l’art postmoderne, ou du moins l’œuvre traité ici, s’oppose justement à la société décrite ainsi[252],  comme l’explique Wilson à travers la citation que  nous en avons fait plus haut. Bien évidemment, cette explication ne suffit certainement pas, à moins de vouloir réduire l’œuvre d’art à un discours ou, plus précisément ici, à manifeste. Or, nous avons bien vu que la principale « difficulté » de ce théâtre est qu’il se refusait au discours.
Nous avons posé comme hypothèse du rejet d’une certaine critique et public de ces formes la non rencontre avec leur horizon d’attente, ce dernier étant défini par une compréhension du théâtre basée sur le modèle narratif. Une autre raison peut également être l’inadéquation de ces formes avec les propositions médiatiques auxquelles l’individu dit postmoderne aurait été habitué, voir par lesquelles sa réception aurait été formée. Selon Castellain, le rédacteur en chef de la revue L’œil, c’est là tout l’enjeu des artistes contemporains, parvenir à se démarquer des nouveaux médias et du type de regard que ces deniers supposent[253]. Mais il s’agit là de l’attitude développée auparavant par la peinture face à l’élaboration de la photographie, du théâtre face à celle du cinéma... Le principal bouleversement que nous pensons déceler par rapport à cette question du regard est celui qui concerne sa relation avec l’objet qu’il vise. L’œuvre d’art moderne était décrite par Clement Greenberg comme finie, fermée, dans une relation univoque avec le spectateur qui la regarde[254]. Or ici cette relation va dans les deux sens : le spectateur est regardé par l’œuvre. Celle-ci le confronte à lui-même, à son intimité, à son propre regard[255]
Néanmoins, la remarque de Castellain nous permet de noter que contrairement à ce que l’on pourrait penser pour des œuvres qui affirment l’hybridation à travers la trans- ou l’inter-disciplinarité, la trans-ou l’inter-médialité, ces dernières n’en continuent pas moins à chercher et à justifier leur identité par rapport aux autres formes existantes. Telle est du moins l’attitude de Roméo Castellucci qui s’inscrit dans une telle optique en déclarant : « Le théâtre, tel que je le conçois, est un apparat qui serait capable de réveiller le regard du spectateur. »[256], le regard dont il est question étant défini en opposition avec le regard « plat de la communication, fixe, monotone, comme une caméra de surveillance, sans aucun champ de tensions. »[257] :

« On pourrait nommer ce processus la « prise de conscience du regard ». Ce qui définit un espace de responsabilité. Regarder n’est pas innocent. Surtout aujourd’hui : c’est une action très chargée de sens politique, puisque notre société ne sait plus regarder. Le pouvoir politique passe de plus en plus par l’image, mais pas par le regard, ou alors c’est un regard vide, sans activité, passif, un pur regard de communication. La communication n’a pas besoin d’être regardée, elle avance toute seule. Le théâtre joue un rôle important pour lutter contre cela, et c’est un rôle profondément politique. Le théâtre est certes devenu très minoritaire, car il ne représente presque plus rien : une toute petite île dans l’océan des images. Mais c’est une des îles où, justement, ça résiste. Il y a dans le théâtre, aujourd’hui, une promesse de résistance qui en fait le prix. Le plateau est l’un des derniers espaces contemporains où nous pouvons partager ce regard de résistance aux images, à la communication, au pouvoir, au libéralisme. Regarder est devenu en soi un acte politique, parce que ce geste relie toutes les solitudes en une communauté critique. »[258].

S’il y a donc bien un lien avec la société contemporaine, un parti pris de ces œuvres face à celle-ci, bien qu’il nous faille être prudent quant à l’importance que nous leur donnons dans notre approche de l’œuvre pour ne pas l’y réduire. Nous avons dès lors préféré nous concentrer sur le second aspect étudié, et interroger l’attitude de l’œuvre, la manière dont elle se donne à voir et à penser pour la comparer avec que nous avons déduit comme étant l’attitude postmoderne. Cette comparaison a permis de développer un certain état d’esprit pour l’approche de l’œuvre, état d’esprit qui répondait aux exigences construites à partir des particularités de cette dernière. Il nous semble dès lors que si d’une part, l’œuvre fonctionne en partie suivant les principes de la postmodernité, une méthode construite à partir de ces derniers serait la plus adéquate pour l’approcher car elle nous permet de penser, suivant la belle définition qu’en propose Lyotard :
 
« Penser, c’est accueillir ce qui advient selon sa singularité. C’est ouvrir à l’advenir. L’œuvre d’art ne fait rien d’autre. En venant au monde, elle rend présent un jeu de couleurs - ou de sons ou de mots - qui jusqu’à elle était inimaginable. Cela est particulièrement vrai de l’art contemporain depuis l’invention de l’abstraction… »[259].




10 Conclusion



Ce spectacle nous a donc donné à penser, motivant le travail entrepris à travers ce mémoire. Susciter la réflexion n’était pas sa finalité première, prenant, comme nous l’avons vu, ses distances avec le théâtre épique et psychologique, se concentrant davantage sur le corps du spectateur que sur son intellect. Ce faisant, il évite de transformer les individus qui composent son public en un « on »[260] inauthentique écrasant et insignifiant. Cette abandon de pré-détermination peut être lue comme caractéristique de la postmodernité qui se manifeste par une « tendance globale à réduire les rapports autoritaires et dirigistes »[261], par suite de la dissolution des méta-récits. Dès lors le spectacle ne dit pas, mais donne à voir, ou plutôt suggère, des images. Ces images sont belles et liées aux autres éléments scéniques, elles provoquant des émotions fortes dans le corps de celui qui y assiste. Défini ainsi, on insiste sur son aspect spectaculaire qui est certainement important pour cette création et qui peut être suffisant pour le spectateur qui décide de s’en tenir à un simple rapport esthétique avec l’œuvre. Mais à côté de cette première lecture[262] à laquelle s’en tiennent majoritairement sans doute les détracteurs de la création en considérant qu’il n’y a là qu’un travail de (bon) scénographe[263], il y a d’autres niveaux de lecture et d’expérience qui sont induits.
En effet, ces « belles images » son proposées sans clé de lecture et donc d’orientation pour l’interprétation ou du moins la saisie des spectateurs. Nous avons vu dans ce phénomène une autre manifestation de l’attitude anti-déterministe du metteur en scène, une affirmation de la liberté créatrice des spectateurs dont la lecture a à se faire sans l’aval d’une quelconque instance ainsi qu’une opposition à la communicabilité des images auxquelles nous habituent les médias de notre quotidienneté. Pour d’autres cependant, il s’agit au contraire d’une démission du sens manifestant du vide de notre contemporanéité. C’est du moins ce que déclare le sociologue Gilles Lipovetsky à propos du théâtre de George Wilson qu’il qualifie de postmoderne car indifférent (selon lui) au sens[264].
Or, nous avons vu qu’il n’était pas question d’un vide de sens chez Castellucci mais au contraire, d’une ouverture aux sens. Si nous avons utilisé le terme postmoderne, ce n’était pas seulement dans le sens qu’il prend en sociologie, en philosophie ou en esthétique. Nous avons vu que selon chaque discipline, sa compréhension changeait. A travers la méthode supposée par la complexité telle que définie par Edgar Morin, nous avons suivi le parti pris de l’intermédialité, allant puiser des outils et notions au sein des théories portant sur les autres arts du spectacle vivant, mais également dans celles portant sur la musique, la littérature, la peinture, la philosophie et les sciences.
Ce décloisonnement des frontières était induit par notre objet au contenu indéterminé mais également par la pensée de la postmodernité à laquelle nous nous sommes intéressé.

Si nous pouvons donc envisager le spectacle « Inferno » en tant qu’œuvre postmoderne, hypothèse validée à travers l’analyse de leurs éléments constituants et principalement à travers la mise à jour de leur « état d’esprit » ou « attitude », nous ne pouvons cependant pas expliquer cette création par la thèse de la postmodernité.
Ce faisant, nous refusant le déterminisme historique sans pour autant nier le rapport qu’entretient la culture avec l’époque qui la fait naître. Dès lors, pour répondre à l’une des questions posées en introduction, le fait de qualifier cette œuvre de postmoderne ne nous permet certainement pas de la comprendre elle-même, mais de nous en apprendre davantage sur son mode de fonctionnement, nous permettant de l’envisager de façon inédite suivant la compréhension de Lyotard :

 « Un artiste, un écrivain postmoderne est dans la situation d’un philosophe : le texte qu’il écrit, l’œuvre qu’il accomplit ne sont pas en principe gouvernés par des règles déjà établies, et ils ne peuvent pas être jugées au moyen d’un jugement déterminant, par l’application à ce texte, à cette œuvre de catégories connues. »[265].


L’œuvre a donc les propriétés de l’événement et cela non seulement pour le spectateur mais également pour l’artiste lui-même.
En recherchant les caractéristiques constitutives de cette création, nous avons voulu comprendre comment et en quoi il faisait événement. Par le rapprochement avec la pensée postmoderne nous avons pu développer plus en profondeur certaine d’entres elles mais nous l’avons également placé dans un cadre. Bien que ce cadre soit large, il n’en délimite pas moins un certain contexte ce qui réduit la valeur d’événement de l’œuvre car si nous ne pouvons pas l’expliquer au moyen de ce dernier, nous pouvons néanmoins le situer…
Une des questions inaugurales de cette recherche était celle de la désignation de ces formes, qu’en est-il alors de la proposition de la nomination « postmoderne » à laquelle nous nous sommes attachés ici ?
Nous avons vu au début de ce travail que le problème de la nomination était en premier lieu un problème de théoriciens et de critiques, problème qui ne concerne que peu, voir  aucunement les artistes. Ces derniers préfèrent se situer par leur pratique, dans le savoir propre à celle-ci et ne cherchent pas à le qualifier. Au contraire, il s’agit souvent là d’un cloisonnement, d’une détermination restrictive à laquelle ils veulent échapper. Comme l’écrit Michèle Febvre, cette problématique : « hérissent la plupart du temps les créateurs qui ne se reconnaissent pas dans les étiquettes qu’on leur colle, d’autant qu’elles ne recouvrent la plupart du temps aucune définition stable et sont laissées en état de vagabondage sémantique.»[266]. Ainsi, Roméo Castellucci ne cesse de répéter qu’il fait du théâtre, et pourtant les journalistes continuent à  lui poser la question de la qualification de son travail[267]
Nous avons également parlé de la difficulté rencontrée par un certain public face à ce type de création, posant l’hypothèse que celle-ci pouvait être en partie provoquée par l’inadéquation de leur horizon d’attente découlant d’une certaine idée du théâtre et de la forme rencontrée. En ajoutant un qualificatif au terme théâtre pour annoncer ce type de création, parviendrait-on à éviter de décevoir celle-ci ? Nous parlons bien de vaudeville, de comédie, de tragédie, pourquoi ne pas y inclure le théâtre postmoderne ?
La première remarque à adresser à une telle proposition est que ce théâtre et la postmodernité elle-même, comme nous venons de le remarquer, se développent à l’encontre des différents cloisonnements. Vouloir en faire un genre est donc contradictoire et risque qui plus est de ne plus s’adresser qu’à un public averti et déjà en demande de ce type de représentation. La division entre public n’en serait que plus affirmée, autre point contre lequel se posent et le postmodernisme et le metteur en scène italien dans leur refus d’élitisme.
Nous avons également posé la question d’un nouveau paradigme pour la recherche en arts du spectacle vivant, s’appuyant sur l’idée que celle-ci a été longtemps basée sur la question du drame, assujettissant ainsi les autres éléments spectaculaires et n’étant dès lors pas à même de rendre compte d’un objet entretenant des rapports internes plus complexes. La discipline a à être repensée et le mouvement est amorcé depuis un certain nombre d’années, se liant à d’autres champs de recherche pour se donner les moyens de penser cette complexité. S’agit-il dès lors d’un changement de paradigme ? La postmodernité ne propose pas de théorie mais uniquement une certaine approche qui se prête fort bien à cet art « bâtard »[268] qu’a toujours été le théâtre. La question de la pluridisciplinarité n’est donc pas neuve à son sujet[269], bien que les études qui s’y intéressaient s’interrogeaient principalement sur le rapport de ces formes au drame. C’est donc davantage à une redéfinition qu’à une révolution qu’il nous est donné à assister aujourd’hui.

Pour conclure, nous pouvons dire que le rapprochement entre la postmodernité et un spectacle contemporain nous aura permis de développer un raisonnement que nous espérons intéressant sur ces deux sujets que nous essayions de penser ensemble.  Ce faisant, notre compréhension et de l’un et de l’autre a été fortement enrichie grâce à leur confrontation, ce qui nous permet de valider une telle version. Cependant, comme nous venons de l’expliquer, elle n’est sans doute pas d’un réel intérêt en ce qui concerne une possible utilisation postérieure de cette appellation, dès lors que  son utilisation risquerait de servir davantage à « calmer l’angoisse du contemporain »[270] plutôt que de continuer à réfléchir sur ce qui nous semble être vraiment intéressant à propos de ces créations, à savoir : comment font-elles événement ?

A travers ce travail, nous avons appris à considérer le sujet pour lui-même, et non à vouloir l’inscrire dans un cadre à travers lequel l’expliquer. Or, nous avons bien dû admettre qu’inconsciemment, c’était bien une telle volonté de maîtriser « la bête étrange » qui animait notre recherche en se proposant de l’aborder à travers non seulement un concept, mais également à travers un contexte socio-culturel.
Au fur et à mesure de notre avancée, nous avons pris conscience de cette dernière, mais à ce moment-là, l’animal nous avait déjà conquis, nous faisant comprendre que  son intérêt résidait justement dans l’impossibilité de le dompter, c’est-à-dire à nous saisir de son sens. Nous avons donc appris que si on peut parler à propos d’une œuvre d’art, faire des hypothèses à son sujet et tenter de les vérifier, il ne s’agira jamais que d’hypothèses parmi d’autres, d’interprétations plausibles mais jamais absolues. L’œuvre d’art échappe à la connaissance et c’est ce qui nous permet de dire que si « Inferno » peut être qualifié en tant que spectacle postmoderne, cette qualification n’en reste pas moins inexacte parce que, justement, elle veut le qualifier et ce faisant le réduire, opérant un choix parmi tout ce qu’il est d’autre.
Le terme de théâtre, par la largesse de sa définition, est dès lors sans doute le seul à ne pas lui porter préjudice. Aussi, après toutes ces recherches, interrogations, décortications de notre sujet, nous pouvons reprendre à notre compte la déclaration de Castellucci par laquelle nous avons inauguré cette recherche : «  Dans ma tête tout est confus » et oser affirmer : « Donc tout va bien. », souscrivant également par là aux leçons de la pensée postmoderne sur les possibilités des moyens de connaissance.




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La conférence et certaines des illustrations en annexes proviennent du site Internet consacré au théâtre contemporain sur lequel ont été placées les archives du site du festival d’Avignon, plus disponibles aujourd’hui sur ce dernier.


Annexes

I Description du spectacle



Le spectacle commence en même temps qu’arrivent les spectateurs : tandis que ceux-ci s’installent dans les gradins, une dizaine d’individus déguisés en touristes arpentent le plateau et visitent le palais, audio-guide à l’oreille. On entend la diffusion de phrases en langues étrangères, incompréhensibles, suggérant qu’il s’agit des commentaires amplifiés des audio-guides.
Une fois les spectateurs installés, les acteurs quittent le plateau et le silence s’installe dans la cour. Un homme entre alors par l’une des alcôves du palais, avance droit devant lui et s’arrête au devant de la scène. Celle-ci est éclairée grâce à des panneaux lumineux posés verticalement à l’avant scène suivant une disposition qui redouble en l’accentuant la forme du plateau[271]. Ces néons ne sont lumineux que du côté de la scène, leur lumière est blanche, froide et blafarde. Face au public, regardant au loin, l’homme annonce : « Je m’appelle Roméo Castellucci. ». Retournant vers le fond du plateau, un homme le rejoint pour l’aider à enfiler une tenue de protection tandis que six hommes vêtus en noir, chacun tenant en laisse un chien aboyant, arrivent sur la scène côté jardin, ayant auparavant longé le public.
En ligne droite par rapport aux néons, ils attachent les bergers allemands à l’aide de grosses chaînes en acier. Les chiens sont agités, excités, ils tirent sur leur laisse et aboient très fort. Une fois Castellucci habillé et laissé seul face aux chiens et aux spectateurs, un chien arrive en courant en provenance des coulisses et fonce sur Castellucci qu’il mord à la jambe. Puis, très vite, un deuxième et un troisième chien sont lâchés. Les chiens font tomber l’artiste, le mordent et tirent de toutes leurs forces sur ses vêtements. Il reste assez longtemps à terre, immobilisé par les trois chiens tandis que les  autres continuent à aboyer et à tirer sur leur laisse.
Suite à un coup de sifflet les chiens lâchent leur prise et retournent en coulisses tandis que les gardes vont, à nouveau en file indienne, rechercher les six autres.
Tandis que Castellucci se relève pour se mettre à quatre pattes, un homme s’approche de lui et le revêt d’une peau de chien. Vêtu d’un simple caleçon noir sur lequel est fixé un mousqueton, un autre homme arrive par l’une des alcôves, enlève la peau à Castellucci qui se laisse retomber sur le sol et l’enfile à la manière d’une cape. Le metteur en scène se relève et quitte le plateau alors qu’Antoine Le Menestrel commence à escalader le Palais des papes. Le silence est total, excepté le champ des oiseaux que l’on entend au loin. Son ascension, lente et belle, est parfaitement maîtrisée et souple. On peut reconnaître, lors de son progression, différentes images dont il prend la pose, telles les gargouilles, le Christ en croix, l’homme ascensionnel ou encore l’homme de Vitruve de Léonard de Vinci, figure qu’il réalise en s’accrochant à la rosace de la grande porte du palais[272]. A mi-chemin, se tenant sur un rebord de fenêtre, il se défait de la peau.
Rentre alors en scène un petit garçon d’environ dix ou douze ans, portant un pull jaune, un short, des baskets bleues et des lunettes de la même couleur. Il ramasse la peau, regarde autour de lui, se met à genoux et se recouvre de la peau. Un faible grondement sourd se fait alors entendre et l’enfant se met à quatre pattes, singeant ce faisant la pose que Castellucci avait pris peu de temps auparavant. Il commence à avancer lentement, un projecteur braqué sur lui pendant que l’autre acteur continue son ascension, se suspendant par moment par une seule main, insistant sur l’aspect spectaculaire de sa performance. L’enfant arrive à la hauteur d’une bombe de couleur posée à même le plateau, s’en saisit, se relève et commence à taguer lentement, en majuscules : « J E A N », sur le mur du palais.
L’acteur parvient en haut et regarde la scène. L’enfant s’éloigne, se dirigeant côté jardin, s’arrête, se retourne, le regarde et sourit. L’acteur, du haut du toit, lui lance alors un ballon de basket qui rebondit trois fois avant que l’enfant ne l’attrape. Lors du premier rebond, un projecteur éclaire un panier de basket fixé sur le palais en même temps que se fait entendre un bruit métallique très fort et comme redoublé par un écho lointain. A partir de là, à chaque fois que le ballon touchera le sol, un bruit semblable se fera entendre.
L’acteur crie : « Jean ! » et l’enfant, face au panier, lève les bras comme s’il s’apprêtait à lancer le ballon dans ce dernier mais les laisse ensuite retomber sans n’avoir rien fait. Il s’avance doucement vers le public en tapotant son ballon, puis s’arrête en plein centre de la scène, une douche sur lui. Il commence alors à faire rebondir son ballon, trois fois d’affilée. A chaque fois un son très fort se fait entendre, un bruit de démolition, de tas de pierres qui s’effondre. Après le troisième rebond, l’enfant se retourne vers le palais, le fixe du regard, semblant attendre un événement mais rien ne se passe. Face au public, il fait à nouveau rebondir la balle trois fois, même jeu, même type de son. Rien. La même scène, une troisième fois. Mais cette fois, on voit une lumière, une lumière circulaire qui semble circuler à l’intérieur du bâtiment, nous laissant l’apercevoir à travers les différentes fenêtres du palais. Venant se surimprimer aux « bruits de la balle », des sons encore plus inquiétants se donnent à entendre. L’enfant drible, à nouveau trois fois. Le son se développe encore en intensité et teintes angoissantes, redoublé d’un jeu de lumière semblant figurer une présence fantomatique, surnaturelle. Cette scène, mettant en jeu ce jeune garçon habillé de couleurs vives, comme perdu sur une scène immense plongée dans le noir et jouant innocemment avec un ballon de basket dans une ambiance terrifiante créée à partir de bruits et de lumières inquiétants et mystérieux, se répète plusieurs fois encore, augmentant l’angoisse au fur et à mesure que les lumières et les sons s’amplifient. Ces derniers ne viennent plus seulement après les « coups » du ballon, ils s’autonomisent, s’individualisent. Ce ne sont pas que des effets, ce sont des figures à part entière. La lumière clignote, « circule », un son évoquant celui d’une alarme se fait entendre tandis que la lumière s’agrandit, éclairant circulairement une grande partie du bâtiment, pour s’éteindre ensuite, de la même manière, comme s’il s’agissait d’une apparition.
Entre alors sur la scène une masse, une foule de quidams portant des vêtements de couleurs vives alors même que toute vie leur semble avoir été retirée. Ils avancent lentement, d’un pas sûr, mécanique, formant un bloc relativement compact qui occupe le troisième quart de scène. Ils sont une soixantaine à avancer ainsi mais l’enfant ne semble pas les remarquer, il continue à jouer, toujours de la même manière, avec son ballon. La foule poursuit son avancée, impassible, elle passe devant l’enfant et le cache à notre vue. Mais le bruit qui accompagne le choc du ballon nous indique que ce dernier continue à le faire rebondir.
En partant de la fin, les « gens » commence à se coucher, un rang après l’autre, tandis que les autres continuent à avancer doucement. Au fur et à mesure que les corps tombent, ils découvrent à nouveau l’enfant. Ce dernier joue toujours. La scène des lumières dans le palais recommence, mais cette fois avec davantage de frénésie encore, les lumières s’allumant plusieurs à la fois. L’enfant enlève alors la peau qu’il a toujours sur lui, la garde en main et la foule au sol commence à s’animer. Elle roule vers le fond de la scène, tandis que l’enfant avance en enjambant les corps. Les ayant dépassé, il s’arrête et laisse tomber la peau. Une douche jaunâtre l’éclaire, toutes les fenêtres s’allument d’un coup et se mettent à clignoter très vite. Un son ressemblant à un cri se fait alors entendre, quelques lumières restent allumées, puis s’éteignent à nouveau. La foule, dans le fond, continue à rouler, comme des vagues, en avant, en arrière…
Un homme âgé se lève de la foule de corps et s’avance vers l’enfant, son visage reste dans l’ombre jusqu’à ce qu’il arrive à sa hauteur et se place à côté de lui. Il lui prend le ballon d’une main, sans le regarder. Une musique religieuse, le « Viderunt Omnes » commence à se  faire entendre. Elle accompagnera toute la séquence de l’échange du ballon qui commence avec ces deux protagonistes précités. Le garçon s’en va, rejoint la foule au sol et se laisse rouler avec elle. Un amas de couleurs en mouvement… Le vieil homme, tout comme l’enfant avant lui, se tient immobile au milieu de la scène, face au public, regarde au loin, la peau de chien posée à ses pieds. Toutes les trente secondes environ, un corps se détache de la foule pour aller prendre place à l’avant scène en s’emparant du ballon. Après le vieil homme, une jeune femme en robe verte, un homme en chemise jaune, un autre homme d’à peu près le même âge, une petite fille en robe rose, une femme en rose également et enfin et une vieille femme habillée de la même couleur. La musique et l’expression, le regard relativement grave des acteurs une fois qu’ils tiennent le ballon, donnent un aspect solennel, cérémoniel à la scène. L’échange prend un caractère sacré, celui d’une transmission qui se fait entre des gens de différentes générations, différents genres : homme, femme, adulte, enfant, vieillard. Lorsque la vieille femme s’empare du ballon, un changement est induit : elle le prend des deux mains et le maintient face à elle, comme une offrande,  pour enfin faire mine de mordre violemment dedans. Son geste est accompagné de bruit de crocs, de sons de brisure et de sanglots se mêlant à la musique religieuse. Un halètement de plus en plus fort évoquant des pleurs accompagne les gestes de la femme qui semble embrasser et mordre à la fois le ballon.  Peu à peu, elle tourne le dos à la salle pour faire face à la foule qui se relève doucement et se place face au mur du palais, dos aux spectateurs, en une seule rangée divisée en dix groupes. Une lumière dans une fenêtre du palais à cour se trouvant dans le prolongement de leur ligne est allumée de l’intérieur, éclairant en partie le fond de scène.
Au premier plan, la femme se penche en avant et se relève, ses mouvements sont saccadés, brusques tout en étant à la fois relativement lents. Un bruit régulier évoquant un coup, un choc sur une matière pleine mais que, comme tous les sons précédents ainsi que la plupart des sons suivants, on ne peut identifier clairement, se fait entendre. La première fois où on l’entend, un homme s’avance d’un pas et donne un coup contre le mur du palais puis retourne sur la rangée de départ. L’homme recommence. La troisième fois ce sont plusieurs individus, ensuite, presque tous, exceptés ceux qui se tiennent devant les portes. La séquence recommence, encore et encore. Après une trentaine de seconde, la vielle femme à l’avant-scène s’immobilise et commence lentement à se retourner vers la salle, pour, à nouveau une trentaine de secondes plus tard,  faire semblant de se recouvrir les yeux et essayer de voir ce qui se passe derrière elle. La séquence des coups dans la porte se répètera trente-deux fois, les dernières fois n’étant assurées que par une poignées de personnes. Enfin, tous s’immobilisent. Il y a un noir, puis très vite, des lumières blanches qui clignotent apparaissent dans le fond de la scène. On reconnaît alors dans l’une des alcôves des lettres en néons chacune tenue par un acteur. Le grésillement électrique qui caractérise les néons est ici fortement amplifié et se surimprime à la musique religieuse qui ne s’est pas arrêtée depuis qu’elle s’est fait entendre pour la première fois. Lorsque les acteurs commencent à les porter sur scène, elle s’arrête enfin et ne reste que le grésillement, de plus en plus fort. La scène est toujours plongée dans le noir et la seule source de lumière provient de ces lettres qu’ils placent à l’avant scène, formant le mot « INFERNO » entre guillemets, lisible à l’endroit depuis le plateau et donc à l’envers pour les spectateurs. Ces lettres éclairent  le « JEAN »  écrit sur le palais, les deux noms étant ainsi en vis-à-vis… Les « gens » se placent ensuite derrière les lettres et s’assoient disparaissant à la vue des spectateurs, laissant une petite fille seule sur scène. Celle-ci est assise et regarde sans bouger les lettres comme elle fixerait un écran de télévision dont la lumière blafarde des néons rappelle l’éclairage. Les lettres se mettent alors à qui se mettent à clignoter une à une, comme si elles formaient des mots et lui délivraient un message, des « flash » éclairant par moment la scène dans son ensemble. Là encore un sentiment d’inconfort tient le spectateur qui ne le quitte qu’à de rares moments du spectacle. On est dans une appréhension indéfinie de l’imminence d’un désastre. Mais rien  ne se passe jamais vraiment.
Ensuite, la foule retourne de l’autre côté des lettres, des individus se saisissent des lettres et les emmènent avec eux par une des portes, une femme prend la petite fille dans ses bras et s’en va avec elle tandis qu’une partie d’entre eux se place en rang face à un cube noir. Ce cube est présent depuis le début du spectacle mais il n’a été visible qu’aux rares moments où la scène était éclairée dans son ensemble et même à ces moments là l’attention du spectateur était souvent détournée, focalisée sur autre chose. Il se trouve à présent vers le milieu du plateau, après la première alcôve. Les guillemets sont restés allumés et c’est à travers eux que l’on voit, de dos la masse face au cube dans lequel elle se reflète. Il n’y a qu’une partie d’entre eux qui sont éclairés ce qui a pour résultat qu’on voit principalement des têtes, de dos ou de face, suivant qu’on les regarde dans le miroir ou non. Ce ne sont plus les grésillements que l’on entend mais d’autres bruits qui ont l’air d’avoir une origine électrique sans être identifiables…Ils commencent à se mélanger à des voix d’enfant ainsi qu’à celle d’une femme adulte que l’on entend au fur et à mesure que les « gens » s’en vont, laissant voir le contenu du cube en verre. Ce sont de sept petits enfants âgés de deux ou trois ans qui jouent, la lumière est celle du « plafond » du cube. Il y a des ballons, des jouets, ainsi qu’une femme cachée dans un grand ours en peluche appuyé contre la parois côté salle, nous ne voyions que son reflet dans le miroir. Sur la scène les guillemets ont été éteints. Les quatre côtés sont des miroirs ce qui fait que nous voyons ces images reflétées les unes dans les autres, créant un effet de profondeur et une mise en abîme de cet espace. Les enfants mangent de petits biscuits, jouent, communiquent entre eux. Les plus petits enfants disparaissent, ils ne sont plus que cinq. Un grondement sourd ou un étrange sifflement vient se superposer à leurs babillements. Un grand tissu noir se gonfle au dessus du cube, tandis que des voiles noirs recouvrant progressivement ses côtés, d’abord les latéraux et enfin celui qui fait face à la salle. Le son à l’intérieur du cube baisse progressivement. Lorsque le cube est entièrement recouvert et le grand voile tombé, le silence se fait. Il y a un noir, puis un son sec,  évoquant celui de projecteurs qui s’allument et les néons des guillemets sont rallumés. On entend un bruit qui évoque le vent... Sur la scène on voit à nouveau la foule à cour, face au plateau sur lequel se tiennent, entre les guillemets, quatre acteurs dont trois sont dans des poses affligées (les deux hommes de la scène du ballon et la vieille femme), le quatrième, un homme d’une trentaine d’année, étant couché avec les bras repliés sur son torse, le ballon de basket posé à côté de lui. Il y a le même son que tout à l’heure lorsque les néons se sont rallumés (nous l’appellerons pi) et l’homme au sol laisse retomber ses bras ce qui fait rouler le ballon à l’avant scène. Un chant religieux se fait entendre. Ce n’est qu’une voyelle qui vibre « yiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii. Pendant que le ballon roule, l’homme se relève lentement, comme s’il se dépliait. Une fois debout face à la salle, la musique s’arrête.  Pi  il fait deux grands pas en avant comme s’il enjambait quelque chose, puis il continue à avancer normalement. Les trois acteurs du fond se relève et vont rejoindre la foule, l’un des hommes ayant posé sa main sur l’épaule de l’autre.
L’acteur à l’avant de la scène lève lentement sa main droite, le chant recommence : « aaaaaaaaaaaa », une sorte d’éclair illumine le plateau. Il reste dans cette position, tandis qu’une jeune fille se détache de la foule et s’avance vers lui. Des ventilateurs font voleter sa petite robe verte et ses chevaux, comme s’il y avait beaucoup de vent. Elle se met à genoux devant lui, il laisse retomber sa main, pi, le chant s’arrête, on entend le vent… Elle tente de le  toucher d’une main en s’approchant de lui mais il s’éloigne et lui fait signe de ne pas s’avancer. Pendant ce temps des femmes portant de petits enfants rejoignent la foule. La jeune fille fait à nouveau une tentative pour l’approcher et à nouveau, d’un signe, il la repousse et s’éloigne, étant à présent à la hauteur du second guillemet.  Elle se relève, et avance pour se mettre face à lui. Il ne bouge pas. Tout d’un coup, elle l’enlace, ce geste étant accompagné de pi, le chant recommence. L’homme sursaute, se fige, la tête en arrière, son expression semble exprimer de la douleur. Des notes de piano s’ajoutent au chant. Ensuite il soulève la main droite, la regarde attentivement pour la poser finalement sur elle. Il fait de même avec la main gauche. Ils s’étreignent. D’autres duos se forment autour d’eux suivantes différentes composition : une femme et un homme, deux hommes, une vieille femme et un jeune homme…Le chant s’arrête, aux notes de piano sont ajoutés d’autres sons, une mélodie douce en résulte. A chaque fois les personnes s’enlacent, ont des gestes tendres l’un pour l’autre. Le premier couple se sépare enfin, les acteurs regardent autour d’eux et puis ils s’en vont. Une jeune fille court et se jette dans les bras d’une autre qui l’attrape dans ses bras et la porte comme un enfant. Le bruit d’une voiture qui freine, dérape et finalement s’écrase contre quelque chose se fait entendre alors que l’autre musique continue, il n’y a plus les notes de piano, seulement une sorte de musique d’ambiance. Le bruit de l’accident continuera à se répéter pendant toute la durée de la séquence. Les deux enfants du début, le petit garçon et la petite fille, se placent au milieu du plateau et se prennent par la main. Ils regardent vers le public, ne bougent pas. Les autres couples s’enlacent se détachent l’un de l’autre, regardent vers la salle, puis s’en vont rejoindre les autres acteurs sur le côté de la scène qui est comme délimitée par les guillemets.  Un homme arrive avec la peau (celle-ci a été présente pendant tout le spectacle même si elle n’a pas été mise en évidence, à chaque fois il y avait simplement un membre de la foule qui la portait en main) il enlace une femme en faisant tenir la peau entre leurs deux corps. Bruit d’accident de voiture, bruit de verre brisé, éclaté…Deux femmes qui portent des bambins se couchent par terre, les posent sur leur ventre et les caressent tandis qu’au milieu du plateau, un homme, une femme, un vieille homme et une vieille femme se tiennent tous les quatre par la main. Le vieil homme baille, les trois autres le lâchent et reculent, le laissant seul en scène avec les bras légèrement en arrière, la tête en avant comme s’il était tiré en arrière et qu’il résistait tout en ne figurant aucun effort… Deux hommes viennent se placer à ses derrière lui, chacun d’un de ses côtés, formant ainsi un triangle. Ils tiennent chacun une petite fille qu’ils soulèvent au-dessus de leur tête. Les femmes qui étaient couchées se relèvent et s’en vont. Le vieil homme fait un geste d’ouverture vers les deux hommes derrière lui, décrivant à chaque fois un arc de cercle en se tournant vers l’un et puis vers l’autre. La musique devient de plus en plus angoissante. Les deux hommes se mettent à étrangler les petites filles qu’ils portent, pendant qu’un couple dans le fond s’enlace et que deux autres enfants se promènent sur le plateau. L’homme qui se tient toujours avec les bars déployés au milieu du plateau est rejoint par deux jeunes filles dont chacune lui prend une main. Une l’enlace, ensuite, il se tourne vers l’autre et la regarde. Ils échangent un long regard et il la fait se coucher en appuyant sa main sur son cou. Il l’étrangle alors que d’autres acteurs passent sur le plateau, puis s’en va avec l’autre fille. La jeune fille qui s’est fait étrangler commence une chorégraphie au sol, basé sur des mouvements où elle tourne sur elle-même, ses bras et ses jambes sont souvent écartées, elles l’aident à relever son dos qui est en général courbé mais elle reste au sol. Tourbillonne, est tourbillonnée, mais comme fixé par terre. A la musique d’ambiance s’ajoutent des notes spécifiques, ressemblant à du clavecin...
Au milieu de la scène, entre les guillemets, un homme se trouve entre deux femmes, éloignées l’une de l’autre d’environ quatre mètres. Il en regarde une et va prendre l’autre dans ses bras. Les notes se sont arrêtées, il n’y a à nouveau que la musique d’ambiance. La danseuse a arrêté sa chorégraphie et rejoint la foule. L’homme fixe l’autre femme et s’approche d’elle, regarde à nouveau celle dont il s’éloigne mais enlace la première. A nouveau il veut s’approcher de la seconde mais en chemin refixe la première, refait un pas vers elle…Finalement il reste immobile entre les deux, il n’y a plus que sa tête qui passe de l’une à l’autre, lentement puis plus vite. Il ne semble plus les voir et son geste est mécanique. Une des actrices s’en va, il continue à tourner la tête, l’autre s’en va peu après. Une femme s’avance et se met devant lui. Elle soulève une main, la regarde et une voix off masculine dit dans un chuchotement : « Je t’aime ». L’homme fait le même geste, commence à regarder une main et puis l’autre et à chacun de ces regards des voix prononcent la même phrase. Les gestes ne collent pas parfaitement aux paroles, les acteurs ne les font pas exactement en même temps. D’autres personnes viennent s’ajouter à eux. Ils sont d’abord quatre et puis toute la foule arrive ensemble mais non pas dans le pas à pas zombi du début, davantage dans le désordre d’une foule qui avance dans la même direction. Ils forment trois files perpendiculaires à la salle, il y a des plus en plus de voix qui se superposent les unes aux autres, toutes disent « je t’aime ». Une partie du mur du palais des papes (à cours, près de la fenêtre d’avant a été éclairé)  Les gestes s’accélèrent, les acteurs font semblant que ce sont eux qui disent les mots qui se font de plus en plus angoissant à fur et à mesure qu’ils sont dit plus fort et plus vite. Un homme dit : « Même si tu n’es pas là. » Les « je t’aime » continuent. L’homme, qui se tient au milieu du plateau, ouvre la bouche et une sorte de cri strident se fait entendre, doublé d’un écho et d’un chant indéfini. Les cris sont celles de différentes voix, masculines et féminines, on dirait ceux de personnes qui s’éloignent ou tombent dans un trou très profond ; on les entend fort puis le volume diminue. Les autres continuent le jeu avec leurs mains, on n’entend plus leurs « je t’aime », ils sont peu à peu plongé dans le noir et reculent jusqu’à disparaître du plateau. Les guillemets ont également été éteints. Ne reste en scène que l’homme au t-shirt jaune, petit au milieu de cet immense espace vide comme l’avait été le garçon avec le ballon de basket en début de spectacle. Son cri semble doublé d’un bruit de masse, évoquant des chants de supporters, celui d’une autoroute, un bruit de klaxon,…La lumière de la fenêtre baisse progressivement. Le plateau est presque plongé dans le noir et un corps tombe en arrière, dans un trou d’où provient de la lumière.  . Les cris continuent et la musique, le chant religieux du début vient s’y ajouter pour finalement les remplacer. L’actrice à la robe verte grimpe sur le cube de tout à l’heure, se met debout en son milieu, écarte les bras jusqu’à la hauteur de ses épaules et se laisse tomber en arrière, d’où provient une lumière jaune. Celle-ci n’est pas continue mais vibre légèrement en intensité. D’autres se tiennent en file à côté du cube et tour à tour, grimpent sur le cube et se laissent également tomber. La jeune fille en vert et deux hommes sont couchés sur le sol, les bras levés, les faisant passer d’un côté du corps puis de l’autre. Leurs corps sont plongés dans le noir, on ne voit donc que ces bras, six membres colorés qui font le même mouvement simultanément. Au dessus du cube, dans un cercle de lumière, s’affiche : « JE M’APPELLE ANDY WARHOL ». Ensuite ce sont les titres de plusieurs de ses œuvres : « BANANA, 1966 », « SELF PORTRAIT, 1964 », MARILYN MONROE, 1967 », « HAMMER AND SICKLE, 1977 », « EMPIRE, 1963 »,  « KISS, 1963-1967 », VINYL 1968 », « KNIVES 1981 ». Les corps continuent à tomber, les titres précités accompagnent chaque fois la  montée et la chute d’un corps. Les danseurs au sol sont rejoints par d’autres. Un voile transparent qui semble d’abord noir puis blanc lorsque des lumières sont allumées dans la salle, passe au dessus du public. Ce sont les spectateurs qui s’en emparent et le font progressivement passer au dessus de leur tête, des premières jusqu’au dernières. Au chant religieux se mêlent les bruits de grésillement électrique. Le public est finalement tout entier recouvert de ce suaire transparent et c’est à travers ce dernier que les spectateurs peuvent continuer à regarder la scène. Sur celle-ci les acteurs continuent la même séquence, changent lentement, presque imperceptiblement le décor.  Le voile est ensuite retiré et sur la scène, à la place du cube noir, il y a un piano à queue en feu. Ce feu est la seule source de lumière, de l’eau coule du piano noir. Il y a également de l’eau sur le plateau qui reflète l’image du piano ainsi que celle des personnes qui l’entourent. Le plus près de l’instrument de musique se trouve un homme qui va par la suite rejoindre le groupe de six personnes qui se tiennent un peu plus loin. La musique s’arrête, un bruissement sourd la remplace auquel se mêle le claquement des cordes qui rompent sous l’effet de la chaleur des flammes. Des notes de piano viennent s’y ajouter, jouant une douce mélodie bientôt reprise par un violon. Le violon joue une mélodie plus complexe alors que les notes du piano restent les mêmes, renforcés par un ou deux accords seulement. Les acteurs, à l’exception de la jeune fille en vert, se rapprochent du piano, l’encerclent, le recouvrent d’un tissu, étouffant ainsi les flammes et s’en vont. La jeune fille reste au milieu de la scène, écarte les brase et se penche en arrière. Il s’agit de la même position que celle prise par les acteurs sur le cube avant de se laisser tomber en arrière. L’image de l’eau est projetée sur elle. Sur le mur du palais derrière elle, est projetée un grand rond de lumière au sein duquel on voit son ombre. Ensuite, s’y affiche : « Aux membres de la Societas Raffaello Sanzio qui aujourd’hui ne sont plus » suivis par les noms et la date de mort de ces anciens membres de la Societas. L’actrice reste dans cette position et cinq autres personnes viennent la rejoindre. Le bruit de l’accident se fait à nouveau entendre sur fond de la même mélodie douce qui ne s’est pas arrêtée. Le bruit du vent vient également s’y mêler.  Les acteurs commencent à imiter ses gestes, chacun à son rythme. Le bruit de l’accident se fait entendre encore quelques fois jusqu’à ce qu’un corps soit comme propulsé du côté cours et traverse très vite le plateau. Eux ne réagissent pas, ils continuent leur chorégraphie. Un corps, de la même manière, retraverse la scène. D’autres acteurs viennent sur le plateau et  s’y promènent un cours laps de temps. Le bruit de l’accident s’arrête ainsi que la mélodie. Il n’y a plus qu’une sorte de musique d’ambiance douce et indéfinie. Un homme vient se mettre face à l’actrice qui commencé la chorégraphie et appuie son front contre le sien dans un geste de tendresse. Ensuite il vient se placer derrière elle et fait mine de lui trancher la gorge avec son pouce. Elle s’effondre. D’autres couples se forment et s’entretuent les uns les autres. L’actrice à terre se relève peu de temps après être tombée. Les autres acteurs font de même, les morts se relèvent tour à tour pour à nouveau tuer et être tués, rejoint peu à peu par d’autres « gens » qui prennent part à ce « rituel ». L’eau dont est recouvert le sol mouille leurs vêtements, en des tâches évoquant peut-être le sang. Un battement de tambour sourd vient s’ajouter, ponctuellement à la scène, accompagnant certains corps dans leur chute. Une voix off féminine dit dans un chuchotement : « Ecoute. Ecoute. Ecoute-moi. Ecoute-moi. Ecoute. C’est moi. Où es-tu ? Où es-tu ? Je t’implore. Où es-tu ? Où es-tu ? Je t’implore. » Arrive le vieil homme. Il tue sans être tué. Les corps ne se relèvent plus, les vivants continuent à se trancher la gorge. A la fin, il n’y a plus que les deux vieux acteurs, la vieille femme étant la seule à s’être relevée de parmi les morts. L’homme la tue et reste seul au milieu de tous les corps immobiles à ses pieds. A nouveau, un amas de couleurs. Il les désigne d’un geste circulaire d’une main et puis de l’autre. Il regarde autour et devant lui, comme s’il cherchait quelque chose du regard et répète les phrases dites précédemment par la voix : « Où es-tu ? Où es-tu ? Je t’implore. ».
Arrive le petit garçon avec son ballon de basket, il enjambe les corps, pose le ballon aux pieds de l’homme et le prend dans ses bras. Ils s’enlacent. Il va ensuite derrière lui, l’homme se penche légèrement en arrière, mettant ainsi sa gorge à sa portée et l’enfant la lui tranche dans le même geste assassin. L’homme s’écroule, l’enfant prend le ballon et le pose sous sa tête. Face au public, il fait les mêmes gestes de désignation que ceux exécutés par l’homme, regarde autour de lui et puis s’en va. Il n’a pas encore quitté la scène lorsqu’on se met à entendre des bruits de sabots amplifiés. Un cheval blanc arrive sur scène, guidé par un homme entièrement vêtu de noir. Le peu de lumière et la tenue de l’homme le dissimulent assez bien aux regards du public, toute l’attention étant captivée par ce cheval. La musique d’ambiance se tait, il n’y a plus que les « battements sourds de tambour ». La foule se lève lentement, se place en rangée face de lui et commence à reculer doucement. En reculant elle laisse apparaître un homme couché. Le cheval retourne en arrière et puis revient, la lumière augmente et on voit qu’il est taché de rouge. L’homme couché par terre est sur une plaque tournante, son corps est tourné pendant que le cheval effectue deux tours sur la scène. A chaque fois qu’il revient dans la lumière, il a davantage de rouge sur lui. La scène est ensuite presque entièrement plongée dans le noir, jusqu’à ce qu’un projecteur s’allume et éclaire le palais, tout en se reflétant sur l’eau, éclairant ainsi la scène et le cheval qui entre dans la lumière. Ensuite il n’y a plus qu’une cercle de lumière projeté sur le bâtiment, derrière le cheval, le cheval est dans le noir, comme une ombre au sein du cercle. Il longe le palais, jusqu’à arriver devant la foule toujours en rang, à son tour éclairée progressivement par le cercle de lumière au fur et à mesure que le cheval passe devant elle. Durant cette séquence il n’y a plus le son de tambours, plus qu’une musique d’ambiance froide, presque métallique ainsi que le bruit des sabots du cheval. Ce dernier quitte la scène et une lumière générale qui ressemble à de la lumière naturelle éclaire faiblement tout le plateau, presque constamment plongé depuis le début de spectacle dans le noir. On voit une grande flaque rouge  occuper une partie importante du plateau côté jardin. Les « gens » quittent lentement, la scène, quelque chose semble bloquer le passage de la grande porte. On voit alors une voiture carbonisée comme après un très grave accident. Elle est poussée par trois acteurs en tenue de secours orange. Ils la laissent au milieu de la flaque de sang, la regardent, se couchent par terre, forment une sorte de boule en s’enroulant de leurs bras et jambes et commencent à rouler sur eux-mêmes, se dirigeant ainsi très lentement vers la grande porte par laquelle ils sont venus. Une musique d’ambiance très lente accompagne cette scène, ponctué d’un son évoquant celui d’une goutte qui tombe, ou d’une machine de maintient…Ce son est presque régulier sans l’être tout à fait, il a le désordre di vivant et la sonorité de l’électrique…
Tandis que les trois corps continuent leur pénible avancée, un homme s’extirpe progressivement de la voiture du côté conducteur. Dans les trois alcôves du palais, des entassements de corps dont on voit seulement la plante des pieds. De la voiture, des mains, une masse de chevaux blancs, une perruque. L’homme ou la femme se relève, garde la tête baissé, claque la portière de la voiture. Il/elle porte un polaroïd autour du cou, un t-shirt noir, un veston noir et un jeans bleu. Regarde ses mains, s’époussète le pantalon, défait ses plis. Il relève enfin la tête et regarde le public à travers ses grandes lunettes. Il porte un masque et on reconnaît Andy Warhol. Au dessus de la scène, des écrans de télévisions. Sur chacun d’entre eux, une lettre, l’ensemble forme le mot « ETOILES ». L’acteur déguisé en Andy Warhol s’adosse à la voiture, regarde le public et commence à applaudir, d’abord posément puis un peu plus vite. Il se saisit de son polaroïd et fait une photo du public qu’il secoue pour sécher et regarde se développer. Il traverse ensuite la scène dans sa longueur, s’arrête, dépose l’appareil par terre, l’attache à un quelque chose qu’on ne peut pas distinguer clairement. L’appareil, ainsi tiré commence à effectuer des tours de cercle. Lui enlève ses chaussures et ses lunettes en regardant la structure devant lui. L’appareil tourne ainsi que trois autres objets indistincts et nettement plus petits, équidistants l’un de l’autre, dont l’un sert à tirer l’appareil. En chaussettes blanches, il entre dans le cercle, le premier pas étant accompagné d’un bruit semblable à celui que fait la très fine couche de glace recouvrant une flaque d’eau lorsqu’on la brise. Même bruit avec l’autre pied quoique nettement moins fort. On l’entend à nouveau lorsqu’il pose les genoux, d’abord un et puis l’autre, dans le peu d’eau qui se trouve dans cet cercle. Les engins continuent à tourner autour de lui. Il se penche et regarde son reflet dans l’eau, y trempe presque son nez puis tourne la tête, comme pour écouter. De nouveaux sons se font entendre, électricité, sortes de grondements légers, bruits de pas résonnants assez forts ou sabots de cheval,… Il se couche au milieu de ce cercle, et commence à suivre la trajectoire de l’appareil photo avec son doigt, tournant sur lui-même pour pouvoir le suivre. en fonction de lui. Des bruits de battements. Il relève la tête, et le haut de son corps en prenant appuie sur ses bras. Se recouche. Des bruits étranges et inquiétants se font entendre : grondement, grésillement,… Se met à genoux et sort du cercle pour se recoucher juste à côté de lui. Il entame alors une chorégraphie étrange, se tourne sur lui-même, se met en boule, se relève sur les genoux, se laisse retomber. Son poing fermé, l’index tendu. Ensuite sa danse devient celle de la danseuse dans la première partie du spectacle, celle qu’elle entame après s’être fait étrangler par le vieil homme.  Il s’arrête, couché sur le dos il lève le doigt, pointe les sept écrans au-dessus de la scène. Il se relève tout à fait, monte sur la voiture et lève les bras à nouveaux dans la position du Christ sur la croix des personnes sur le cube et de la scène après le piano en feu. La musique religieuse recommence.  Il se laisse tomber en arrière et sa chute est accompagnée de celle d’un des écrans. Cet écran affichait la lettre « L ». Il remonte sur la voiture, la scène se répète exactement de la même façon. Tombe l’écran affichant la lettre « É ». La scène recommence encore deux fois, la lettre « E » tombe suivie par la lettre « S ». Finalement les trois écrans restant affiche le mot « toi ». L’acteur retourne à la voiture, en sort la peau de chien, s’en revêt à la manière d’une cape comme les autres acteurs l’avaient fait avant lui. Il entre dans la voiture. Ferme la porte derrière lui. La musique s’arrête. La scène est plongée dans le noir à l’exception de cet trois lettre et d’une très faible douche sur la voiture dans laquelle entre l’acteur. La douche s’éteint, seul « TOI » reste  allumé.








 

 






II Photographies du spectacle


Photographie n° 1 : la cour d’honneur du palais des papes à Avignon[273].
our d'honneur du Palais des papes

Photographie n°2 Antoine le Ménestrel figurant l’« homme de Vitruve »[274].http://www.theatre-contemporain.net/images/upload/jpg/4211110727.jpg
Photographies n°3. Scène des enlacements : tableaux vivants mettant en exergue l’acte du regard[275].
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[1] Frie Leysen cite une phrase d’une lettre que Roméo Castellucci lui a envoyé et qu’elle reprend à son compte dans  LEYSEN F., « Dans ma tête tout est confus. Donc tout va bien » dans CASTELLUCCI R., Epitaph. Besançon : Les Solitaires Intempestifs, 2003, p.26.
[2] Formule utilisée par LIPASKA Ch. dans l’émission de France Inter « Le masque et la plume » du 11 juillet 2010.
[3] RYNGAERT J.P., Lire le théâtre contemporain, Paris : Dunod, 1993, p.6
[4] Voir VAUTRIN E., « Castellucci et la condition de spectateur » sur http://ericvautrin.wordpress.com/, niveau de fiabilité : élevé, ainsi que dans la plupart des articles cités tout au long de ce travail. Ces questions ont également été émises  par les personnes avec lesquelles nous avons assisté à la représentation le vendredi 8 mai 2009 au deSingel, émanant de la foule, de même qu’elles ont été directement posées au metteur en scène lors de la rencontre avec ce dernier au Théâtre National à Bruxelles le 14 mai 2009. Elles ont également été posées par les différentes personnes auxquelles nous avons fait regarder le DVD de la captation d’une des représentations ayant lieu lors du festival Avignon de 2008. Etant donné que ce sont les mêmes interrogations qui reviennent à chaque fois, nous pouvons les considérer comme celles que tend à se poser le spectateur lambda.
[5] Alain Platel déclare à ce propos : « Je comprends qu’il soit nécessaire à certains de décrire ou de définir mon travail, et de le ranger dans ce qu’on appelle la ‘ danse-théâtre’ ou le ‘théâtre-danse’. La musique, la danse, les mots, les images, l’opéra…peuvent entrer dans mon travail et les nourrir (…) Je ne me pose pas la question de savoir si je fais de la danse ou du théâtre. Et je crois que très peu d’artistes se posent encore cette question aujourd’hui. » propos cités par HESPEL O., « Alain Platel : le singulier au présent pluriel », dans Alternatives théâtrales, n°105, 2ème trimestre 2010.
[6] LEHMANN H.-T., Le théâtre postdramatique, Paris : L’Arche, 2002, p.25.
[7] HOTTOIS G., De la Renaissance à la postmodernité : une histoire de la philosophie moderne et contemporaine, Bruxelles : De Boeck Université, 2002, p. 412.
[8] Voir par exemple sur le site Internet de la compagnie le calendrier de leurs prochains spectacles http://www.raffaellosanzio.org/presenze%20et%20annunci.html et ainsi que l’historique de leurs tournées.
[9] FERNANDEZ D. LAROCHE P. et al, « Italie, langue, littérature », sur le site d’Encyclopaedia Universalis : http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/italie-langue-et-litterature/#45, niveau de fiabilité : élevé. 
[10] FEBVRE M., Danse contemporaine et théâtralité, Paris : Ed. Chiron, 1995, p.30-31.
[11] CVILINSKI C., VEAUX C., « Inferno, Purgatorio, Paradisio », dans Pièces (dé)montées sur http://crdp.ac-paris.fr/piece-demontee/piece/index.php?id=inferno-purgatorio-paradiso, niveau de fiabilité : élevé.
[12] MEVEL M., « Roméo Castellucci (performer, magicien) ou la fête du refus », dans Théâtre/public, n°194, septembre 2009, p.61-65, p.62.
[13] DORT B., Le spectateur en dialogue : jeu de théâtre, Paris : P.O.L, 1995, p.207.
[14] FERNANDEZ D., LAROCHE P. et al., Loc. cit.
[15] CVILINSKI C., VEAUX C., Loc.cit.
[16] DESPRET V., Quand le loup habitera avec l’agneau, Paris : Les Empêcheurs de penser en rond, 2002., STENGERS I., La Vierge et le neutrino, Paris: Les Empêcheurs de penser en rond, 2006.
[17] Le terme de représentation est en soi impropre comme le démontre Anne Ubersfeld dans UBERSFELD A., Lire le théâtre II. L’école des spectateurs, Paris : Belin, 1999, p.9 où elle explique que ce dernier suppose l’idée que le spectacle re-présenterait quelque chose qui aurait déjà été présenté ailleurs, comme par exemple un livre. Le spectacle est donc toujours bien une présentation mais comme l’utilisation de ce terme n’est pas possible dans la phrase en question, il s’agit dès lors de le prendre avec cette réserve. Pour les autres occurence de ce mot, il sera à comprendre simplement dans son sens courant de “représentation théâtrale”.
[18] Ibid., p.19.
[19] Ibid., p.13.
[20] HELBO A., Le théâtre : texte ou spectacle vivant ?, Paris : Klincksiek, 2007, p.24.
[21] BANU G., « La révolte d’Avignon » dans BANU G., TACKELS B. (sous la direction de), Le Cas Avignon. Regards critiques, Paris : L’Entretemps, 2005, p.224.

[22]Propos cités sur le site du festival d’Avignon : http://www.festival-avignon.com/fr/Archive/Spectacle/2008/3017
[23] BEDARIDA C., « Filmer le théâtre », dans Le Monde, le 30.06.2008, p.4.
[24] Voir photographie n°1 en annexe.
[25] Voir photographie n°2 en annexe.
[26] Le reste de la description est joint en annexe, à titre de matériau de base ayant servi à la réalisation de ce mémoire.
[27] Cité dans CASTELLUCCI R., Op.cit., p.26.
[28] SARRAZAC J.-P., L’avenir du drame : écritures dramatiques contemporaines, Belval : Circé, 1990, p.63.
[29] Ibid.
[30] MEVEL M., Loc.cit.,p. 62.
[31] FREYDEFONT M., PORCHE D., et al,  Lectures de la scénographie, Nantes : CRDP des Pays de la Loire, 2007, p.13.
[32] BIET CH., TRIAU CH., Qu’est-ce que le théâtre, Paris : Gallimard, 2006, p. 75.
[33] Ibid. p.20.
[34] PERRIER J.-L., « Roméo Castellucci face à l’Enfer », dans Mouvement, n°43, novembre 2007, p.37.
[35]LONGUET MARX A., « La traversée secrète des mondes intérieurs » dans Alternatives théâtrales n°105, p.33.
[36] MERVANT-ROUX M.-M., « Celui qui arrive du dehors », dans HUNKELER T., FOURNIER K. et al. (sous la direction de), Place au public. Les spectateurs du théâtre contemporain, Genève : Metis presses, 2008, p.63.
[37] CORVIN M., Dictionnaire encyclopédique du théâtre, Paris : Ed. Bordas, 1991, p.820.
[38] MERVANT-ROUX M.-M., Loc. cit., p.63.
[39] CHOLLET J., « Le théâtre occidental, mélange des genres », sur Encyclopaedia Universalis : http://www.universalis.fr/encyclopedie/theatre-occidental-le-melange-des-genres/, niveau de fiabilité : élevé.
[40]CASTELLUCCI C&R., Lés Pèlerins de la matière, Besançon : Les Solitaires Intempestifs, 2001, p.170.
[41] Ibid., p.17.
[42] MERVANT-ROUX M.-M., « De la bande-son à la sonosphère. Réflexion sur la résistance de la critique théâtrale à l’usage du terme ‘paysage sonore’ » dans Images revues, n°7, 2009 sur http://www.imagesrevues.org/Article_Archive.php?id_article=50, niveau de fiabilité : élevé.
[43] GIBBONS S., « Quelques remarques par Scott Gibbons » dans Inferno, Purgatorio, Paradisio, livret vendu lors des représentations de la « Divine Comédie ».

[44] DELEUZE G., GUATTARI F., Capitalisme et schizophrénie : Mille plateaux,  Paris : Les Editions de Minuit, 1980, p.429-430.
[45] CAMPAN V., L’écoute filmique. Echo du son en image, Saint-Denis : PUV, 1999, p.83.
[46] DELEUZE G., GUATTARI F., Op.cit., p.429.
[47] CAMPAN V., Op.cit.,p.85.
[48]LESAGE B., La danse dans le processus thérapeutique. Fondements, outils et clinique en  danse-thérapie, Ramonville Saint-Agnes : Editions érès, 2006, p.7.
[49] FORESTIER R., L’évaluation en art-thérapie. Pratiques internationales, Paris : éditions Elsevier Masson, 2007, p. 121.
[50] Cité par FEBVRE M., Op.cit., p.37.
[51] Merleau-Ponty écrit à ce propos : « un corps vivant [...] vu de trop loin, il perd encore la valeur du vivant, ce n’est plus qu’une poupée, un automate. » cité par BEYAERT-GESLIN A. « Fragile Margaret » dans BEYAERT-GESLIN A. (sous la direction de), L’image, entre sens et signification, Paris : Publications de la Sorbonne, 2006, p.51.  
[52] DEBRINAY-RIZOS M., « Romeo Castellucci », dans La pensée de midi n°2, février 2000, p. 100.
[53] TACKELS B., Les Castellucci. Ecrivains de plateau I, Besançon : Les Solitaires Intempestifs, 2008, p.35.
[54] VASSILEVA-FOUILHOUX B., « La performance en danse moderne et postmoderne : une ivresse kinésique » dans ¿ Interrogations ? - Revue pluridisciplinaire en sciences de l’homme et de la société, n°7, décembre 2008 sur http://www.revue-interrogations.org/article.php?article=145, Niveau de fiabilité : élevé, p.171.
[55] BRADLEY K.B., Rudolf Laban, London, New-York : Routledge, 2009, p.63.
[56] MEVEL M., Loc.cit., p.63.
[57] DORT B., Op.cit., p.245.
[58]HEGEL G.W.F, Cours d’esthétique, tome III., trad., de J.P. Lefebvre et V. von Schenck, Paris Aubier, 1997, p.448.
[59] PAVIS P., La mise en scène contemporaine, Origines, tendances, perspectives, Paris : Armand Colin, 2007, p.13.
[60] PICON-VALLIN B., « La mise en scène : vision et image », dans PICON-VALLIN B. (réunis et présentés par), La scène et les images : Les voies de la création théâtrales, n°21, Paris : CNRS Editions, 2001-2002, p.11-31.
[61] ARTAUD A., Le théâtre et son double, Paris : Gallimard, 1985, p.55.
[62] Ibid., p.56.
[63] Ibid., p.61.
[64] Voir photographie n°3 en annexe.
[65] BATARD Y., Les dessins de Sandro Botticelli pour la Divine Comédie, Paris : Olivier Perrin éditeur, 1952.
[67] Dominique Bagouet est une figure importante de la nouvelle danse française. Il est cité ici par FEBVRE M., Op.cit.,p.37.
[68] LEHMANN H.T., « Note sur l’anagnorisis. Réflexions sur le spectateur dans le théâtre pré-et posdramatique » dans HUNKELER T. FOURNIER K.,  et al (éds), Op.cit.,, p.21.
[69] CAMPAN V., Op.cit., p.53.
[70] Ibid., p.58.
[71] MERCIER FAIVRE A.-M., « L’allégorie, une image qui parle  ? », dans Cycnos,  Volume 11 n°1,  p.24 sur http://revel.unice.fr/cycnos/document.html?id=1353. Niveau de fiabilité : élevé.
[72] ARTAUD A., Op.cit., p.56.
[73] MAFFESOLI M., Iconologies. Nos idolâtries postmodernes, Paris : Ed. Albin Michel, 2008, p.225.
[74] DANTE A., La Divine Comédie, trad. de J. Risset, Paris : Citadelles et Mazanod, 1996.
[75] CASTELLUCCI R., « J’ai quelque chose à dire », carnet vendu lors de la représentation des spectacles de la « Divine Comédie ». Ces trois premières lignes sont : « Au milieu du chemin de notre vie, je me retrouvai par une forêt obscure car la voie droite été perdue. », dans DANTE A, Op.cit, p.50.
[76] DREVILLE V., CASTELLUCCI C. et al., Conversation, Paris : P.O.L, 2008, p.61.
[77] MINOIS G., Histoire de l’enfer, Paris : PUF, 1994.
[78] CASTELLUCCI C&R., Op.cit., p. 111.
[79] RENOUE M., « Propositions pour une description dynamique des parcours de signification. L’exemple de l’art-vidéo et des Temps morts d’Emmanuel Carlier » dans Beyaert-Geslin A. (sous la direction de), L’image entre sens et signification, Paris : Publications de la Sorbonne, 2006, p.106.
[80] Cité par DE HAAS P., Andy Warhol comme « braille mental », Paris : Ed. Paris Expérimental, 2005,  p.12.
[81] DE HAAS P., Ibid., p 22.
[82]TACKELS B., Op.cit., p.110.
[83] ARTAUD A., Op.cit., p.61.
[84] Cité dans DEBRINAY-RIZOS M., « Romeo Castellucci », dans La pensée de midi n°2, février 2000, p. 96.
[85] LEHMAN H.-T., Op.cit., p.21.
[86] Ibid.,p.21.
[87] Cité par BLANC M., Voyage en Enfer. De l’art paléochrétien à nos jours, Paris : Citadelles et Mazanod, 2004, p.9.
[88] Voir à ce propos les nombreux débats suscités par la programmation du festival Avignon en 2005.
[89] Sur cette question de l’universalité des émotions, voir notamment DESPRET V., Ces émotions qui nous fabriquent, Paris : Les Empêcheurs de Penser en Rond, 2001.
[90] CASTELLUCCI C., DREVILLE D., et al., Op.cit., p.15.
[91] Ibid., p. 27.
[92] Ibid.
[93] TACKELS B., Op. cit.,p.38-39.
[94] LEHMANN H.-T., « Note sur l’anagnorisis. Réflexions sur le spectateur dans le théâtre pré-et postdramatique » dans HUNKELER T., et al (éds), Op. cit., p.23.
[95] LEHMANN H.-T., Le théâtre postdramatique, Op. cit., p.26.
[96] CASTELLUCCI C., DREVILLE V. et al., Op.cit, p.69.
[97] MEVEL M., Loc cit., p.64.
[98] Ibid., p.114.
[99] TACKELS B., Op.cit., p.33.
[100]CASTELLUCCI C., DREVILLE V., Op.cit., p.33.
[101] CASTELLUCCI C&R., Op.cit,, p.119.
[102] DELEUZE G.&GUATTARI F., Capitalisme et schizophrénie : Mille plateaux,  Paris : Les Editions de Minuit, 1980, p.422.
[103] Ibid.
[104] Ibid., p.423.
[105] Ibid.,p.425-426.
[106] BEYAERT-GESLIN A., Loc.cit., p.58.
[107] BOST B. et al, « Ecrire l’image. G.Stein, Müller, Koltès, Gabily, Fosse, Beckett… » dans SARRAZAC J.-P., NAUGRETTE C.( réunis par), La réinvention du drame : Etudes théâtrales, n°38-39, 2007, p.105.
[108] Cité dans HEBERT Ch. Et PERELLI-CONTOS, La face cachée du théâtre de l’image, Paris : L’Harmattan, 2001, p.11.
[109] Voir DORT B., Théâtre en jeu. Essais critiques, Paris : Seuil, 1979, p.95-99.
[110] Propos de Hans-Thies Lehmann cité par BIET CH., TRIAU CH., Op.cit., pp.889-890.
[111] ARTAUD A., Op.cit., p.57.
[112] HEBERT Ch. et PERELLI-CANTOS I., la Face cachée du théâtre de l’image, Québec, PUL, 2001, p.11.
[113]CRAIG G.,  De l’art du Théâtre, Paris: O.Lieutier,1911, p.115-116.
[114] Voir à ce propos CROMBEZ T., Het antitheater van Antonin Artaud : een onderzoek van de veralgemeende artistieke transgretie toegepast op het werk van Romeo Castellucci en de Societas Raffaello Sanzio, Gent : Academia Press, 2008.
[115] VIRMAUX A., Antonin Artaud et le théâtre, Paris : Seghers, 1977, p.78.
[116] ERULI B., « Dire l’irreprésentable, représenter l’indicible », dans PICON-VALLIN (réunis et présentés par), Loc cit., p.298.
[117] LISTA G., La scène moderne, Paris : Actes Sud, 1997, p.236.
[118] QUINTANE N., « Castellucci et Fabre, les sinistres arlequins d'Avignon », sur http://www.sitaudis.fr/Excitations/castelluci-et-fabre-les-sinistres-arlequins-d-avignon.php, niveau de fiabilité : élevé.
[119] BOST B. et al,, Loc.cit., p.106.
[120] JOLY M., Introduction à l’analyse de l’image, Paris : Armand Colin, 2008, p.18.
[121] BERFORINI A., « Laisser des traces »,  www.comedie.ch/fichiers/journal/journal_comedie_49.pdf. Niveau de fiabilité : élevé.
[122] CASTELLUCCI R.&C., Op.cit., p.24.
[123] Cité dans PERRIER J.-P., Loc.cit.,
[124]CASTELLUCCI C&R., Op.cit.,, p.118.
[125]TACKELS B., p. 56.
[126] DEBROUX B, MANCEL Y., « Jeu et mouvement. Une dramaturgie de l’intime et du sensible » dans Alternatives théâtrales, n°105, p.21.
[127] Cité par DE HAAS, p.32.
[128] PICON-VALLIN B., Loc.cit., p.22.
[129] FERNANDEZ V. et al, Op.cit.  
[130] TACKELS B., Les Castellucci, Op.cit., p.52.
[131] MEVEL M., Loc.cit., p.63.
[132] Ibid.
[133] CASTELLUCCI C&R., Op.cit., p. 111.
[134] VENTRUCCI C., « Cicatrices d’une habituée du théâtre » dans CASTELLUCC C., Epitaph, Op.cit., p.32.
[135] UBERSFELD A.,Op.cit., p.18.
[136] Ibid., p.41.
[137] Cité par JOLY M., Op.cit., p.25.
[138] Ibid.
[139] UBERSFELD A., Op.cit.,p.20.
[140] LEHMANN H.-T., Op.cit.,p.18.
[141] KANT E., Critique de la faculté de juger, Paris : Vrin, 1979, p. 148-154.
[142] CASTELLUCCI C., DREVILLE V., et al., Op.cit.,, p.19.
[143] UBERSFELD A., Op.cit., p.100.
[144] LEHMANN H.T., Op.cit., p.12.
[145] FISCHER-LICHTE E., « De l’activité du spectateur », dans HUNKELER T., FOURIER K., et al (éds), Op.cit.,, p.74.
[146] Ibid.
[147] IVERNEL P., « Dionysos en Allemagne ? Sur l’interférence moderne de la danse er du théâtre » dans ASLAN O. (textes réunis et présentés par), Le corps en jeu, Paris : CNRS EDITIONS, 1994, p.202.
[148] Dans l’émission de France Inter « Le masque et la plume » du 11 juillet 2010.
 [149] LAZZARATO M., « Créer des mondes. Capitalisme contemporain et guerres ‘esthétiques’ » dans 230 · MULTITUDES, n°15, hiver 2004, p.230-231.
[150] MEVEL M., Loc.cit., p.62.
[151] Voir à ce propos RANCIERE J., Le spectateur émancipé, Paris : Ed. La Fabrique, 2008.
[152] TACKELS B., Op.cit., p.64.
[153] CORMANN E., Loc.cit., p.71.
[154] MERVANT-ROUX M.-M., « Celui qui arrive du dehors… », Loc.cit., p.57.
[155] Cité par MERVANT-ROUX M.-M., Figurations du spectateur, Paris : L’Harmattan, p.49.
[156] Cité par DE HAAS P., Andy Warhol comme « braille mental », Paris : Ed. Paris Expérimental, 2005, p.5.
[157] MERVANT-ROUX M.-M., Op.cit., p.62.
[158] Conférence de presse du 3 juillet 2008 à Avignon, disponible sur http://www.theatre-contemporain.net/spectacles/Inferno/ensavoirplus/idcontent/12013
[159] LEHMANN H.T., « Note sur l’anagnorisis… », Op.cit., p.21.
[160] Ibid.
[161] CASTELLUCCI C., DREVILLE V., et al., Op.cit., p.26.
[162] Ibid.
[163] BERFORINI A., « Laisser des traces » dans Journal de la Comédie de Genève, n°49, mars 2009, p.3.
[164] RANCIERE J., Op.cit., p.75.
[165] CASTELLUCCI C&R., Op.cit., p.180.
[166] RANCIERE J., Op.cit., p 66.
[167] Ibid.,p.75.
[168] TACKELS B., Op.cit.,p.74.
[169] Ibid.
[170] CASTELLUCCI C&R., Op.cit., p.16-17.
[171] LYOTARD J.-F., La condition postmoderne : rapport sur le savoir, Paris : Edition de Minuit, 1979, p.36.
[172] TACKELS B., Op.cit., p.49.
[173] LOYER M. et DE BAECQUE A., Histoire du Festival d’Avignon, Paris : Gallimard, 2007, p.543-546.
[174] C. EVENO, « 15, 30, 60 » dans BANU G. et TACKELS B. (sous a direction de), Le Cas Avignon. Regards critiques, Paris : L’Entretemps, 2005, p. 105.
[175] BANU G. et TACKELS B. (sous a direction de), Le Cas Avignon. Regards critiques, Paris : L’Entretemps, 2005.
[176] CASTELLUCCI R., DREVILLE V., et al, Op.cit., p.46.
[177] JAMESON F., Le postmodernisme ou la logique culturelle du capitalisme tardif, trad.. par F. Nevoltry, Paris : ENSBA Ecole nationale supérieure des beaux-arts de Paris, 2007, p.23.
[178] MORIN E., Introduction à la pensée complexe, Paris : Editions du Seuil, 2005,, p.21.
[179] Ibid.,p.73-74.
[180] COULOUBARITSIS L., Aux origines de la philosophie européenne. De la pensée archaïque au néoplatonisme, Bruxelles, Ed. De Boeck Université, 2003.
[181] MORIN E., Ibid.,pp. 99-100.
[182] Je paraphrase« Je suis pris dans ce dont je parle » dans SCARPETTA G., L’impureté, Paris : Grasset, 1985, p. 22.
[183] Cité par MORIN E., Op.cit.,p.135.
[184] Ibid.,p.93.
[185] MOUAWAD W., ARCHAMBAULT, et al., Voyage, Paris : P.O.L, 2009, p.23.
[186] KUHN T.S., La structure des révolutions scientifiques, Paris : Flammarion, 1983, p.23.
[187] Entrée théâtre dans Le Petit Larousse illustré, Paris : Larousse, 2007, p.1051.
[188] MORIN E., Op.cit.,p153.
[189] DORT B., Op.cit.,p.271.
[190] LEHMAN H.-T., Op.cit., p.26.
[191] Introduction de Emmanuel Wallon dans BIET C., TRIAU C., Op.cit., p.7.
[192] BIET C. TRIAU C., Op.cit.,pp. 215-242.
[193] SCHECHNER R., Performance. Expérimentation et théorie du théâtre aux USA, Montreuil-sous-Bois : éditions théâtrales, 2008, p.8.
[194] JOURDHEUIL J., « La Déclaration de Villeurbanne, les nénuphars et les moulins à vent », dans Théâtre/public, n°195, mars 2010, p.73.
[195] LEHMAN H.-T., Ibid., p.13-14.
[196] Ibid., p.35.
[197] PAVIS P., L’analyse des spectacles, Paris : Editions Nathan, 1996, p.14.
[198] Ibid., p.20.
[199] Ibid., p.32.
[200] LEHMANN H.-T., Op.cit., p.30.
[201] WITTGENSTEIN L., Recherches philosophiques, Paris : Gallimard, 2004.
[202] LEHMANN H.-T., Op.cit., p.29.
[203] JAMESON F., Op.cit., p.37.
[204] La pensée de Lyotard a fortement évolué quant à sa conception de la postmodernité telle que définie dans La condition postmoderne. Nous tenons donc à remarquer qu’en ce qui concerne notre travail, c’est principalement à cette première compréhension que nous nous en tiendrons, la postmodernité elle-même n’étant pas le sujet premier de la recherche engagée ici. A propos du devenir de cette notion chez le philosophe, voir notamment : BRÜGGER N., FRANDSEN F., et al., Lyotard, les déplacements philosophiques, Bruxelles: De Boeck-Wesmael, 1993.
[205] LYOTARD J.-F., L’inhumain : Causeries sur le temps, Paris : Galilée, 1988, p.34.
[206] Voir à ce propos les articles échangés entre Habermas et Lyotard dans la revue Critique : HABERMAS J., « La modernité : un projet inachevé » dans Critique, n°413, octobre 1981, p.951-967. LYOTARD J.-F., « Réponse à la question : qu’est-ce que le postmoderne ? », dans Critique, n°419, avril 1982, p.357-367. RORTY R., « Habermas, Lyotard et la postmodernité » dans Critique, n°442, mars 1984, p.181-197.
[207] BOISVERT Y., L’analyse postmoderniste : une nouvelle grille d’analyse socio-politique,  Montréal : L’Harmattan, 1997, p.25.
[208] Voir par exemple à ce propos BANU G., « La révolte d’Avignon » dans BANU G., TACKELS B. (sous la direction de), Loc.cit., p.224 ou TACKELS B., « Avignon révélateur du temps », Ibid., p.202, PY O., «Avignon, le théâtre des questions », Ibid., p.261 et 263. 
[209] RENAUT-CHEVASSUS B., Musique et postmodernité, Paris : PUF, 1998.
[210]GINOT I., MICHEL M., La danse au XXème siècle, Paris : Larousse/VUEF, 2002.
[211] JULLIER L. et MARIE M., Lire les images de cinéma, Paris : Larousse, 2007.
[212] LYOTARD J.-F., Le postmoderne expliqué aux enfants, Op.cit., p.17.
[213] TACKELS B., Les Castellucci, Op.cit., p.57.
[214] HOTTOIS G., Op.cit., p.412.
[215] Ibid., p.412.
[216] LYOTARD J.-F., La condition postmoderne, Op.cit., p. 7-8.
[217] MAFFESOLI M., Op.cit., p.35.
[218] HOTTOIS G., Op.cit., p. 412.
[219] JAMESON F., Op.cit., p.36.
[220] SOURIAU E., Vocabulaire d’esthétique, Paris : Quadrige/Presses Universitaires de France,  1990, p.1018.
[221] LYOTARD J.-F., La condition postmoderne, Op.cit., p.7.
[222] Il s’agit là bien évidemment d’une tendance dont les traits sont grossis afin d’être plus explicites.
[223] JAMESON F., Op.cit., p.68.
[224] BIET Ch. KUNTZ H., «  Théâtre occidental. Dramaturgie », sur Encyclopaedia Universalis : http://www.universalis.fr/encyclopedie/theatre-occidental-la-dramaturgie/ niveau de fiabilité : élevé.
[225] JAMESON F., Op.cit., p.40.
[226] JAMESON F., Op.cit.,p.54.
[227] Ibid., p.55.
[228] CASTELLUCCI C., DREVILLE V., et al, Op.cit., p.46-47.
[229] NAKAJI Y., (sous la direction de), L’Autre de l’œuvre, Paris : PUV, 2007, p.9.
[230] ECO U., Interprétation et surinterprétation, p.9.
[231] FOUCAULT M., Dits et écrits I, Paris : Ed. Gallimard, 1994, p.794.
[232] CORMANN E., « L’opération théâtrale » dans Fabrique d’Europe : Etudes Théâtrales, n°46, 2009, Louvain-La-Neuve : Etudes théâtrales, 2009, 67.
[233] JAMESON F., Op.cit., p.39.
[234] Ibid., p.25.
[235] DEBRINAY-RIZOS M., Loc cit.,p.94-101.
[236] HUTCHEON L., The politics of postmodernism, London : Routledge, 1993.
[237]JULLIER L., MARIE M., Lire les images de cinéma, Paris : Larousse, 2007.
[238] Cité par MAFFESOLI M., Op.cit.,p. 31.
[239] Ibid., p.28-29.
[240] MAFFESOLI M., Iconologies. Nos idolâtries postmodernes, Paris : Ed.Albin Michel, 2008, p.55.
[241] LAPLANCHE J., PONTALIS J.-B., Vocabulaire de la psychanalyse, Paris : PUF, 1967, p.38.
[242] DELEUZE G., Le pli. Leibniz et le baroque, Paris : Les Editions de Minuit, 1988, p.5.
[243] BOISVERT Y., Le monde postmoderne. Analyse du discours sur la postmodernité, Paris : L’Harmattan, 1996, p.71.
[244] Ibid., p.66.
[245] Ibid.
[246] DE HAAS P., Op.cit.,p.9.
[247] VATTIMO G., La fin de la modernité. Nihilisme et herméneutique dans la culture postmoderne, Paris : Seuil, 1987.
[248] LYOTARD J.-F., Le postmoderne expliqué aux enfants,. Op.cit., p.17.
[249]BIDENT Ch., « Et le théâtre devin postdramatique : histoire d’une illusion » dans Théâtre/public, n°194, septembre 2009, p.80.
[250] JAVEAU C., Les paradoxes de la postmodernité, Paris : PUF, 2007.
[251] LIPOVETSKI G., Op.cit.,, p.28.
[252] BIDENT Ch., Loc. cit., p.80.
[253] CASTELLAIN J.-C., L’œil, n°623, avril 2010, p.5.
[254] GREENBERG C., Art et culture. Essais critiques, trad. par A. Hindry, Paris : Macula, 1992.
[255] CROMBEZ T., Op.cit., p.298.
[256] CASTELLUCCI C., DREVILLE V., et al, Op.cit.,p.26.
[257] ibid..
[258] Ibid., p. 44-45.
[259] Phrase de Jean-François Lyotard, l’Inhumain, cité par NEGRI A., Art et multitude, Paris : Mille et une nuits, 2009, p. 28.
[260] RUSS J., La marche des idées contemporaines. Un panorama de la modernité, Paris : Armand Colin, 1994, p.51.
[261] LIPOVETSKY G., L’ère du vide, Paris : Gallimard, 1991, p.28.
[262] VAUTRIN E., « La double lecture », Loc.cit.
[263] Voir les remarques citées dans le point 4.8.1 portant sur le théâtre image et notamment l’article de Nathalie Quintane.
[264] Ibid., p. 54.
[265] LYOTARD J.-F., Le postmoderne…,Op.cit., 1986, p.33.
[266] FEBVRE M., Op.cit., p.33.
[267] BERFERONI A., Loc.sit.
[268] GILLIBERT J., L’esprit du théâtre, Paris : Ed. Phébus, 2001, p.17.
[269] Voir à ce propos la tentative de fondation d’une « théâtrologie » comme chez RABANEL, Théâtrologie. Le théâtre réinventé, Montréal : L’Harmattan, 2003.
[270] JOURDHEUIL J., Loc.cit., p.73.
[271] Voir photographie n°1 en annexe.
[272] Voir photographie n°2 en annexe.
[273] Christophe Raynaud de Lage / Festival d'Avignon
[274] Disponible sur le site
[275] Photographies de Emile Zeizig, sur http://www.mascarille.com/galerie/index.php?/category/144/start-45