dimanche 28 novembre 2010

Les lois de l’honneur chez Hobbes au regard du code chevaleresquee

Les lois de l’honneur chez Hobbes au regard du code chevaleresque Après avoir posé la question de l’homme et avoir défini ses facultés et son mode de fonctionnement, Hobbes se penche, dans la seconde partie de son ouvrage, sur la constitution et le mode de fonctionnement de l’Etat. Dès lors que l’on a conscience qu’il s’agit là de la partie centrale de sa réflexion, on peut comprendre que la première partie servait à préparer la seconde, étant donné que Hobbes pense l’Etat à partir de la condition naturelle de l’homme, c’est-à-dire comme moyen trouvé rationnellement par les hommes d’en sortir… Dès lors, il est cohérent que la transition de l’un à l’autre se fasse, au chapitre XVII qui entame la section traitant de l’Etat, au moyen d’un système « intermédiaire » comme celui décrit par Hobbes sous les termes de « contrées où les hommes vivent en petites familles », en « regroupement d’un petit nombre d’humains » et dans lesquelles il n’y a pas d’Etat ou bien un Etat trop faible que pour faire appliquer les lois. Selon cette configuration, les lois naturelles décrites par le penseur dans les chapitres précédents ne peuvent avoir cours étant donné qu’il n’y a pas d’instance supérieure qui pourrait assurer leur effectivité. Dès lors, ces petits groupes se trouvent dans l’état de nature, c’est-à-dire dans un état de guerre, les uns vis-à-vis des autres. Ce sont donc les passions naturelles (la vanité, la partialité, la vengeance,…) qui dirigent les actions humaines. Hobbes pose cette étape comme précédent celle de la constitution des villes et enfin des Etats. La relation entrenue entre les hommes individuellement est donc d’abord transposée à celle que les hommes vivants en petits groupes ont avec les autres petits groupes, et ensuite à celle des groupes plus grands que sont les villes et les Etats. Mais il semble déjà y avoir ici une avancée par rapport à la situation première. En effet, l’auteur précise que si les hommes vivants en petits groupes, c’est-à-dire dans une situation des plus incertaines, peuvent licitement recourir au vol et à la rapine, au point que ce métier soit digne de reconnaissance de la part des autres, ils observent néanmoins les lois des codes de l’honneur qui demandent de d’abstenir de cruauté envers les autres, de leur laisser la vie sauve et les outils pour l’agriculture . Ce passage pose question car comme Hobbes ne cesse de le répéter tout au long de son ouvrage, « les conventions sans l’épée ne sont que des mots ». Comment se fait-il alors que ces lois dites de l’honneur aient de l’importance et soient respectées dès lors qu’aucune puissance ne puisse assurer ce respect ? Un détour par les codes de l’honneur de la chevalerie et le mode de fonctionnement féodal auxquels Hobbes pourrait faire référence pourra peut-être nos aider à éclaircir ce point et à voir où Hobbes souhaite en venir… Bien que la chevalerie soit loin d’être une, on peut néanmoins dire que ce qui la distingue en tant que groupe particulier, c’est le code d’honneur, l’éthique particulière à laquelle elle souscrit et qui sert dès lors à la définir. Cette éthique peut être résumée de la façon suivante : « ne pas fuir, ne pas se vanter, protéger l’Eglise, prodiguer des largesses et se garder de la honte et de l’ivresse ». Jean Flori pose pour origine de la celle-ci la décentralisation du pouvoir qui eut lieu aux IXe et Xe siècles avec l’instauration de la féodalité. La réalité du pouvoir glissa vers le bas, passant du roi aux princes et des princes aux châtelains qui, grâce à leurs milices (l’ancêtre de la chevalerie) étaient les plus présents sur le terrain. Mais avec le pouvoir, ce sont également les devoirs qui leur furent transmis et parmi ceux-ci, celui de l’engagement du Roi vis-à-vis de l’Eglise de protéger les faibles, les veuves et les orphelins. Ce devoir issu des valeurs religieuses assure la légitimité des chevaliers et se trouve à la base de toute l’idéologie chevaleresque. La société médiévale était très militarisée et les valeurs militaires y avaient un statut presque aussi sacré que les valeurs religieuses , ce qui permet d’expliquer l’importance qu’a pu y avoir l’idéal chevaleresque réunissant les valeurs guerrières, religieuses et aristocratiques. L’honneur, tel qu’il était alors compris, représentait la quintessence de l’idéal chevaleresque, c’est par rapport à ce dernier que le chevalier était défini par les autres et qu’il s’estimait lui-même. On comprend donc qu’à défaut de la constitution d’un Etat (ou du moins d’un Etat suffisamment puissant) qui donnerait la mesure du juste et de l’injuste, c’est l’honneur qui servait de maître étalon pour qualifier les actions effectuées. Ces différents aspects nous permettent de noter que le chevalier n’est pas à comprendre seulement en tant qu’individu isolé mais qu’il fait avant tout partie d’une communauté, d’un groupe soudé et ce justement grâce à ce code. C’est en partie dans ce fait que l’on peut trouver la force qui assure le respect des lois du code. La chevalerie est une communauté et si, à ses débuts, elle pouvait s’ouvrir à un homme vaillant quelle que fût sa classe sociale, elle fût peu à peu restreinte aux nobles seuls. Il s’agit donc très vite d’une élite qui se connaît, se fréquente et s’estime. Cela devient particulièrement vrai avec l’instauration des tournois qui sert de révélateur aux pratiques de la guerre chevaleresque. Hobbes comprend la guerre non seulement en tant que bataille volontaire et effective entre deux partis mais également en tant que disposition à celle-ci. Lorsque nous nous intéressons à la guerre au Moyen Âge, il est intéressant de remarquer que c’est bien cette réalité que nous retrouvons. Les batailles réelles étaient relativement rares alors même qu’un état conflictuel était permanent. Il s’agissait dans la plupart des cas de sièges, les princes et seigneurs ne voulant pas tout perdre lors d’affrontements sanglants . Bien que dangereuses, nous retrouvons néanmoins un certain aspect ludique dans ces rencontres : il s’agissait davantage de vaincre son adversaire que de le tuer, l’enjeu principal étant non seulement de montrer sa bravoure mais également de pouvoir gagner des armes, des chevaux et divers richesses ainsi qu’une rançon exigée pour la libération du prisonnier. Cette pratique de la rançon est devenue peu à peu la norme. On voit donc qu’un grand nombre de précautions sont prises afin d’éviter la mort du chevalier. Dans cet état de guerre de tous contre tous, la force et la tromperie sont, nous dit Hobbes, des vertus cardinales. Si nous retrouvons bien une valorisation de la force dans la guerre chevaleresque, les lois de l’honneur, au contraire, servent à prévenir de la tromperie. La parole donnée avait une valeur sacrée et le déshonneur attendait celui qui la bafouerait. Comme nous l’avons vu, la communauté exerçait une pression qui servait en partie à assurer le respect de ces lois. Néanmoins, on comprend bien que cela ne saurait suffire et ce particulièrement si l’on suit la pensée hobbesienne. Si l’on pose la question de l’utilité de ces lois, on se rend compte sans peine qu’elles servent non seulement à protéger le chevalier lui-même mais également à éviter de nouvelles causes de guerre. En effet, lors de batailles les chevaliers n’agissent pas en leur propre nom mais pour leur seigneur, c’est donc également le bien de celui-ci qui est en jeu et qu’ils doivent défendre. Ce renvoi à la préservation de ses propres intérêts nous fait rencontrer la fameuse idée hobbesienne selon laquelle, par nécessité naturelle, les actions humaines ont pour fin le seul bien de leur investigateur . Si l’état de guerre fait que chacun a un droit égal sur toutes les choses, on constate que par les lois de l’honneur, ce droit est restreint. Cette restriction volontaire à laquelle se plient les chevaliers lorsqu’ils prêtent sermon lors de l’adoubement aurait-elle pour but de permettre la paix et donc la réintroduction des lois naturelles ? En effet, en évitant la cruauté, le meurtre et le retrait des moyens de subsistance, on se montre clément vis-à-vis de son ennemi…Or une telle attitude a pour but (si l’on pense de façon utilitariste ou, comme le pose Hobbes, réaliste) d’entraîner la gratitude. La gratitude est la quatrième loi de la nature qui pose que « celui qui bénéficie d’une simple grâce de la part de quelqu’un s’efforce que ce dernier n’ait pas de motif raisonnable de se repentir de sa bonne volonté ». De même, en évitant d’être cruel et de priver l’ennemi de ses moyens de survie, on renoue potentiellement avec la septième loi qui exige que la vengeance assure seulement le bien futur et ne soit donc pas « gratuite », risquant de donner lieu à de nouvelles représailles. On pourrait ainsi faire le lien avec encore bien d’autres lois mais l’essentiel est de noter que par les codes de l’honneur il semble qu’il s’agit d’assurer une certaine paix, ou du moins d’éviter de donner raison à de nouvelles guerres…En effet, par l’ensemble de ces prescriptions, il semble qu’il s’agisse d’éviter d’attiser la haine qui est à l’origine de nombreux conflits. Dès lors qu’un respect est rendu possible, une déontologie peut se développer et permettre que la guerre, qui semble dans une configuration telle que la société médiévale, échapper à toute lois, soit régulée… En partant de l’idée que l’état de guerre est principalement une disposition à celle-ci, il semblerait que l’enjeu des lois de l’honneur soit de mettre les partis dans de meilleures dispositions les uns vis-à-vis des autres et témoignerait donc d’une inclinaison vers la paix dans cet état inconfortable qu’est l’état naturel alors même que rien, en l’absence d’un Etat fort, ne peut la garantir. ANNEXE Le code de la chevalerie n’a jamais été rédigé, de plus, il a évolué selon les tendances idéologiques de l’époque. Néanmoins, Léon Gautier en présente dix commandements : I. Tu croiras à tout ce qu’enseigne l’Eglise et observeras tous ces commandements. II. Tu protégeras l’Eglise. III. Tu auras le respect de toutes les faiblesses et tu t’en constitueras le défenseur. IV. Tu aimeras le pays où tu es né. V. Tu ne reculeras pas devant l’ennemi. VI. Tu feras aux Infidèles une guerre sans trêve et sans merci. VII. Tu t’acquitteras exactement de tes devoirs féodaux, s’ils ne sont pas contraires à la loi de Dieu. VIII. Tu ne mentiras point et seras fidèle à la parole donnée. IX. Tu seras libéral et feras largesse à tous. X. Tu seras, partout et toujours, le champion du Droit et du Bien contre l’Injustice et le Mal.