samedi 11 juin 2011

OGM de compagnie à vendre

En 1999, une équipe de chercheurs dirigée par le docteur Gong Zhiyuan de l’Université de Singapour développe par transgénèse un « poisson fluo ». Il s’agit d’un poisson-zèbre sur le génome duquel a été greffé un gène de méduse qui synthétise une protéine verte. A la même époque, en France, ce même gène est greffé sur des génomes de lapins. Exposé à des rayons UV, l’organisme qui en est doté exprime la couleur fluorescente, ce qui explique la très fréquente utilisation en laboratoire de cette protéine en tant que biomarqueur. Jusque là, nous sommes dans le cadre de la recherche pour laquelle la transgénèse est une démarche courante et (relativement) acceptée. Mais ce qui va nous intéresser ici, c’est la sortie de l’animal génétiquement modifié du laboratoire pour être exposé et proposé au grand public. Pour ce faire, deux cas de figures. Une société taïwanaise, la Taikong Corporation, se rend compte du potentiel économique de la mise sur le marché de ces amusantes chimères et achète les droits de fabrication à une autre équipe de chercheurs parvenue entre temps à créer des poissons aux caractéristiques semblables(1). En France, l’artiste brésilien Eduardo Kac conçoit l’idée d’un « art transgénique » et demande au laboratoire de l’INRA qui l’a conçu de lui donner un de ces lapins afin de l’exposer lors d’un événement sur les nouvelles technologies(2). Il prévoit ensuite de l’adopter, prétendant ainsi le faire entrer dans la société humaine. A partir de ces deux événements, nous nous proposons d’étudier un cas particulier de cette large et complexe problématique que sont les OGM : la « fabrication » d’animaux génétiquement modifiés à des fins de divertissement. Présentation des arguments L’ancienne foi dans le progrès qui nous ferait avancer vers un monde meilleur a, suite aux tragiques événements du vingtième siècle, cédé auprès d’une partie importante de la population la place à la méfiance et à la peur. Une prise de conscience de la nécessité d’une réflexion éthique accompagnant le développement de nouvelles technologies s’en est suivie. Pour pouvoir mener une recherche, il faut désormais parvenir à la justifier, à démontrer son utilité. Or, c’est justement une telle capacité qui semble faire défaut aux deux projets précités. Si on peut comprendre et éventuellement accepter d’intervenir sur le génome d’animaux d’élevage afin d’augmenter la production alimentaire ou pour synthétiser des médicaments nécessaires à l’homme, qu’en est-il par rapport aux animaux d’agrément ? Les deux événements cités contournent cette question en se « contentant » de s’emparer d’animaux déjà là, créés auparavant dans des conditions et pour un projet répondant aux exigences de comités d’éthique. Pourtant, par leur approche, ils ouvrent la porte à d’autres développements semblables : créer des animaux de compagnie sur mesure d’une part et créer des chimères en chair et en os pour le plaisir des amateurs d’art d’autres part. En Belgique et dans toute l’Union Européenne, la vente d’êtres génétiquement modifiés à des particuliers est interdite et ce en raison de manque d’étude quant aux conséquences sur l’environnement et la santé des humains et animaux qui entreraient en contact avec eux(3). Il s’agit donc d’une interdiction appuyée sur l’application du principe de précaution, comme le mentionne explicitement le premier paragraphe du premier article de l’Arrêté royal réglementant « la dissémination volontaire dans l’environnement ainsi que la mise sur le marché d’organismes génétiquement modifiés ou de produits en contenant » du 21.02.2005(4). Les conséquences sur l’environnement et sur la santé des autres êtres vivants qui inquiètent sont en grande majorité les mêmes que pour tous les autres OGM. Néanmoins, d’autres questions se posent ou du moins les questions se posent autrement : il ne s’agit pas de consommer ces animaux mais de vivre avec eux, d’avoir des interactions proches, de les installer dans nos maisons et familles. Aussi, quand on parle de santé on fait principalement référence à des réactions allergiques imprévisibles et au développement de nouveaux virus. Une fois sortis des laboratoires ou des lieux d’exploitations plus ou moins confinés, il n’est plus possible de les surveiller. En proposant au grand public d’acheter ces poissons, on les lâche dans la nature. Ce faisant, on se confronte directement aux plus grands risques et craintes soulevés par les OGM à savoir les conséquences de la dissémination. Les poissons-zèbres (de même que les lapins d’ailleurs) se reproduisent très rapidement et bien que les laboratoires qui fabriquent le Glofish et le Night Pearl prétendent les avoir rendus stériles, la méthode de stérilisation n’est sûre qu’à 70%(5). Or, comme s’en inquiètent les écologistes, on ne peut pas prévoir les conséquences qu’auraient sur l’environnement ces animaux une fois mis en liberté. Ils pourraient être la cause d’une importante pollution génétique en remplaçant une espèce sauvage et réduisant la biodiversité, donnant lieu, selon les termes alarmistes de Rifkin, à : « une véritable tour de Babel biologique propageant le chaos à travers la biosphère et désarticulant le langage immémorial de l’évolution. »(6). La mise sur le marché du GloFish semble en fait résulter d’un vide juridique : si des lois ont été conçues concernant les OGM pour l’élevage ou l’agricultures, la possibilité d’animaux de compagnie n’a, pu bien pas été prévue ou bien, n’a pas intéressée, ce qui pourrait expliquer le lacunaire avis de la Food and Drug Administration publié en 2003 : « Because tropical aquarium fish are not used for food purposes, they pose no threat to the food supply. There is no evidence that these genetically engineered zebra danio fish pose any more threat to the environment than their unmodified counterparts which have long been widely sold in the United States. In the absence of a clear risk to the public health, the FDA finds no reason to regulate these particular fish. »(7). Synthèse En ce qui concerne les problèmes liés au risque de pollution génétique, le principe de précaution nous demande d’attendre d’en savoir plus sur ces organismes avant de les commercialiser. Mais il me semble que la question principale soulevée ici est surtout celle de la légitimité de la modification génétique d’êtres vivants pour notre seul plaisir. Quels droits s’arroge l’homme sur son environnement et sur les créatures qui l’entourent ? Il s’agit là d’une question de choix moral étant donné que nous pensons dans un cadre sécularisé… La question serait donc moins celle du droit que celle du choix du monde dans lequel nous voulons vivre. Quels rapports voulons-nous entretenir avec la nature ? Continuer en la radicalisant dans la voie de la domination ou, au contraire, comme le réclament les tenants de l’écologie et plus particulièrement ceux de la deep ecology(8), développer un rapport plus égalitaire, visant davantage l’échange que l’assujettissement ? Et c’est peut-être justement là que réside le double intérêt de l’œuvre de Kac, « GFP Bunny ». En effet, à travers elle, il pose explicitement la question des conditions de possibilité de cette place. D’autre part, exposant cette œuvre dans un lieu public (ou à défaut, suscitant un phénomène médiatique autour d’elle quand il n’a pas pu la présenter) il propose à tout un chacun de s’y confronter (9). Notes et sources d’information En effet, peu de temps après la première équipe, le groupe de chercheurs du professeur Tsai Huai-jen à Taiwan réalise le même exploit. La seule différence est que le gène greffé et celui d’un corail ce qui permet un type différent de fluorescence. Par la suite, la première équipe vend également son invention, cette fois à une société texane Yorktown Technologies qui commercialise ce poisson aux USA sous le nom de GloFish. Etant donné que le phénomène et le problème qu’il pose sont identiques, nous parlerons indifférents des deux sociétés et de leur produit : le GloFish et le Night Pearl. Concernant le GloFish, voir le site Internet de http://www.glofish.com/, consulté le 25.04.2011. Ce site est assez intéressant en ce qu’il s’agit d’un réel site de publicité, présentant le poisson comme un simple produit ne posant pas problème… 2 Cette « œuvre », ou plutôt ce projet d’œuvre (étant donné que finalement l’autorisation d’exposer le lapin à Avignonuméricable lui a été retirée par le directeur de l’INRA) porte le nom de GFP Bunny. Bien que non réalisée, elle n’en a pas moins soulevé un très important débat concernant le devenir des animaux transgénique. KAC E., Signs Of Life. BioArt and Beyond, Cambridge : The MIT Press, 2007. Voir également HAUSER J. (sous la direction de), L’art biotech’, Nantes : Le lieu unique, 2003, ainsi que le site internet d’Eduardo Kac sur lequel, en plus de ses propres articles, il publie les notes le concernant. 3 Voir à ce propos la circulaire adressée par la SPF Santé publique, Sécurité de la Chaîne alimentaire de Environnement, le 31.08.2006 suite à la découverte de la vente illégale de ces poissons en Europe et en Belgique, disponible sur http://www.icaif.be/files/pdf/circulaire_poissons_ogm_et_teints_31_aout_2006.pdf, consulté le 20.04.2011, niveau de fiabilité : élevé. 4Disponible sur http://www.health.belgium.be/internet2Prd/groups/public/@public/@gmo/documents/ie2law/753139_fr.pdf, niveau de fiabilité : élevé. 5 MAZOYER F., « Le sacre des mutants » dans Le Monde diplomatique, janvier 2004, p.24. 6 RIFKIN J., Le siècle biotech, Paris : Ed. La Découverte, 1998, p.135. 7http://www.fda.gov/AnimalVeterinary/DevelopmentApprovalProcess/GeneticEngineering/GeneticallyEngineeredAnimals/ucm161437.htm 8 Voir par exemple : SINGER P., Libération animale, Paris : Grasset, 1993 et Comment vivre avec les animaux, Paris : Les Empêcheurs de penser en rond, 2004 ou encore les ouvrages de Arne NAESS considéré traditionnellement comme le fondateur de ce mouvement. 9Voir sur ce sujet CHARAUDEAU P. (sous la direction de) La médiatisation de la science. Clonage, OGM, manipulations génétiques, Bruxelles : De Boeck, 2008.

Religion – environnement ; transmutation thématique

Religion – environnement ; transmutation thématique « Si aujourd'hui Jésus marchait sur l'eau, il aurait les pieds sales. » Michel Lancelot Si on peut considérer que chaque époque est habitée par des problématiques et des centres d'intérêt particuliers, on peut sans doute noter que parmis celles qui secouent avec le plus de puissance la nôtre aujourd'hui, on retrouve les questions de l'environnement comme jouant un rôle essentiel. La raison en est évidente : la prise de conscience de plus en plus inévitable du fait que nos actions nous ont entraîné en plein dans une crise écologique. L'importance de celle-ci varie selon les analystes, et la question de notre responsabilité à cet égard déchaîne les passions. Enfin, malgré que la plupart des chercheurs et des politiques se disent d'accord pour déclarer qu'il faut sans doute faire quelque chose, l'ampleur et la nature de ce « quelque chose » ne parviennent pas à faire consensus. Ce qui est certain, c'est que ces problématiques ne laissent que peu de monde indifférent et qu'elles se propagent peu à peu à travers les différentes disciplines et domaines du savoir, chacun se l’appropriant en fonction de ses connaissances, visions du monde et croyances. Dans un tel contexte, il va relativement de soi que les religions ne veulent, ne peuvent, être en reste. Bien que leur réveil à ces questions soit assez tardif (il y a certes eu quelques déclarations dans les années 70 mais ce n'est que vers les années 90 que celles-ci se sont vraiment développées et pleinement affirmées) les Eglises multiplient depuis les appels à la préservation de la création et à la responsabilité de l'homme à son égard. D'autre part, et comme parallèlement à ce phénomène, le discours écologique lui-même semble emprunter un certain nombre de thèmes aux religions en en appelant à un « réenchantement de la nature », voir à sa sacralisation. L'objet du présent travail sera d'étudier la nature du, ou plutôt des rapports qui, à partir de ces premières observations, se nouent entre l'écologie et les religions judéo-chrétiennes. Commençons par noter l'étrangeté de ce phénomène. En effet, et malgré un certain nombre d'exceptions comme la figure de Saint François d'Assise qui est toujours citée à cet égard (pour se donner bonne conscience prétendent les critiques ), les religions chrétiennes n'ont, au cours de leur histoire, porté que très peu d'intérêt à la nature. Ce qui les intéresse ce n'est pas la nature en tant que « ensemble des êtres et des choses qui constituent l'univers, le monde physique » mais bien en tant que « Création », oeuvre de Dieu. Leur appréhension de l'environnement se fait au moyen des textes bibliques, or, selon ceux-ci la nature, le monde, ne peuvent être dits sacrés. Ils ont été créés par Dieu à partir du Néant : étant extérieur à lui, ils n'ont rien de divin. Cette création aurait ensuite été confiée à l'homme, ce qui permit à certains de la comprendre comme créée pour l'homme. Ces récits nous sont transmis dans la Genèse, à travers des passages qui sont fréquemment considérés par certains aujourd'hui comme étant à l'origine de cette crise écologique, de l'attitude qui la provoqua. Deux de ces passages sont systématiquement cités pour appuyer cette accusation : « Soyez la terreur des êtres vivants, de tout animal de la terre, de tout oiseau du ciel, de tout ce qui se meut sur la terre et de tous les poissons de la mer : ils sont livrés entre vos mains. » . En créant l'homme après le reste du monde, Dieu manifesterait selon cette lecture son projet de voir l'homme soumettre tout le reste de la création : « Faisons l'homme à notre image, selon notre ressemblance et qu'il soumette les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les bestiaux, toute la terre et toutes les petites bêtes qui remuent sur la terre ! » . Et c'est d’ailleurs ce qu'il ordonna explicitement à l'homme et à la femme après les avoir créés et bénis : « Soyez féconds et prolifiques, remplissez la terre et dominez-là. Soumettez les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et toute bête qui remue sur la terre. » . L'un des premiers et le plus célèbre de ces accusateurs est Lyon White Jr qui, en 1967, publia « The Historical roots of our ecologic crisis » dans la revue Science, un article dans lequel il tient les religions judéo-chrétiennes ainsi que la philosophie grecque pour responsables de la crise écologique. Sa principale accusation tient dans le fait que « le christianisme, surtout dans sa forme occidentale est la religion la plus anthropocentriste que le monde ait connu ». Cela signifie, selon lui, qu'elle a défendu et promu une vision purement utilitariste du monde et de la nature en promouvant l'idée précédemment citée que le monde aurait été créé pour l'usage de l'homme qui est dès lors justifié de l'utiliser comme bon lui semble. Lynn White dégage ainsi trois aspects principaux de cet anthropocentrisme : d'une part, il y aurait une différence, une coupure entre l'homme et le reste de la création, d'autre part, ce serait Dieu lui-même qui aurait ordonné à l'homme d'exploiter la nature, cette pratique s'en trouvant dès lors justifiée et ne pouvant en aucun cas être remise en question et enfin, les questions éthiques ne concerneraient que les rapports inter-humains. Le rapport aux autres êtres vivants et à la nature en général sortirait du domaine de la morale et l’homme n’aurait aucune responsabilité, aucun devoir autre que utilitariste à leur égard. Une semblable accusation est faite par les tenants de l'écologie profonde. Son principal défenseur, le philosophe norvégien Arne Naiss, reprend en effet les mêmes arguments en s'en prenant à ces passages de la Bible ou du moins aux interprétations les plus courantes qui en ont été faites. Pour sortir de cette crise, il s'agirait pour ces penseurs par commencer à revoir notre rapport au monde en repositionnant l'homme au sein de celui-ci. L'écologie profonde défend à ce titre une égalité biosphérique, c'est-à-dire l'idée que tout ce qui est dans la biosphère doit être considéré comme ayant une valeur identique . Tous les êtres de la nature sont ainsi présentés comme ayant une valeur intrinsèque et non en fonction d’une échelle hiérarchique définie par l’homme se positionnant à son sommet. Après la révolution copernicienne qui déplaça la Terre du centre de l’univers, il est temps à présent de faire advenir une nouvelle révolution aui déplacerait l’homme du centre de la nature. C’est à cette fin que ces penseurs proposent une resacralisation ou un réenchantement de la nature. L'écologie profonde, en faisant de la nature la garante ultime du sens et donc l'instance normative, peut dès lors être pensée comme un mouvement religieux. Si aujourd'hui les religions chrétiennes prennent part au débat et à la défense de l'écologie, elles doivent faire face à ces critiques. A travers les différents textes et déclarations portant sur ces questions, il semble pourtant que ce ne soit pas là leur attitude. L'Eglise préfère se concentrer et défendre désormais d'autres lectures de ces passages, en insistant sur la nécessité d'une lecture non littérale des textes. Pourtant, bien que la religion et la culture ne soient pas monolithiques , elles n'en comportent pas moins un certain nombre de tendances et promeuvent différentes weltanschauungen. La différence entre les pays protestants et catholiques au niveau des rapports à la nature semble en partie témoigner de cette influence de la religion et de la vision du monde qu'elle propage sur le rapport entretenu avec la nature. En effet, de nombreux commentateurs notent qu'il y a toujours eu dans les pays protestants une plus grande attention portée à l'environnement. Certes, l'explication religieuse à elle seule ne suffit pas pour en rendre compte, il faut également la rencontre d'un certain nombre d'autres facteurs tels que la culture, l'histoire, l'influence du romantisme... Néanmoins, il semblerait que le catholicisme développe une attitude plus impérialiste, qu'il pense, ou du moins présente les rapports à la nature en termes de crainte et de domination, en situant l'homme dans un rapport de face à face avec elle alors que dans les pays protestants, par contre, le respect de la nature repose très tôt sur l'idée qu'elle est l'oeuvre de Dieu et doit à ce titre être admirée et préservée . Le rapport que le croyant protestant entretient avec elle serait davantage de l'ordre de la communion alors que celui du catholique se laisserait plutôt penser en terme de pouvoir, de domination. L'anthropocentrisme fait bien évidemment partie de ces deux approches mais il se décline autrement dans chacune d'entre elles. Nous essayerons de voir ce que cet anthropocentrisme peut signifier et comment la religion (principalement catholique) compose avec lui aujourd'hui. Suit-elle la démarche de l'écologie profonde en revoyant la place de l'homme dans le monde et en supprimant la hiérarchie sur laquelle elle est pourtant basée ? Les questions que nous aborderons porterons donc en premier lieu sur la manière dont les religions chrétiennes et plus particulièrement le catholicisme intègrent le discours de la défense de l'environnement et ensuite, d'autre part, sur la façon dont le discours de l'éthique environnementale s'approprie des thèmes à connotations spirituelles et religieuses. Lorsque les hommes de l'Eglise s'emparent des questions écologiques, ils le font en déclarant qu'il s'agit là de leur domaine, de leur responsabilité. Ils s'appuient pour ce dire sur l'idée que l'écologie n'est pas tant une question politique qu'une question éthique et que l'éthique c'est leur domaine... L'attitude écologique est selon eux de l'ordre de la conviction, de la foi. Pour appuyer celle-ci, ils vont chercher ses fondements dans la théologie de la création . Ce n'est donc pas de la nature qu'il est question mais de la création, ce n’est pas tant la nature pour elle-même qui doit être portégée mais c'est l'oeuvre du seigneur qui mérite notre considération. Pour défendre la pratique écologique, ils insistent sur l'idée que l'homme n'est pas le maître et le possesseur de la création mais seulement son gérant. C'est en ce sens que sont réinterprétés les passages précités. L'homme ne domine la nature que dans le cadre de sa préservation, il doit s'en occuper, s'en rendre responsable pour continuer l'oeuvre du seigneur. C'est là le rôle que Dieu lui aurait confié. Il n'est donc pas libre d'en faire ce que bon lui semble étant donné qu'il pourrait à tout moment être amené à devoir rendre des comptes à son véritable propriétaire, qui est Dieu lui-même. Ce dernier a créé la nature par la parole, à partir du Néanr, elle ne partage donc pas de lien ontologique avec lui, pas plus que l'homme. En tant que telle, elle ne peut donc être dite sacrée. Néanmoins, Dieu, en la créant, la trouva et la déclara bonne. Cela suppose l'idée qu'il y instaura un certain ordre, une certaine harmonie. L'homme, créé pour, entre autre, s'occuper de la Terre est donc doublement responsable : devant Dieu, comme nous venons de le voir mais également devant le reste de la création, il doit veiller au maintient de cet équilibre dont dépend son propre bien. Il y a donc une importante idée de préservation dans cette interprétation des textes, préservation qui peut s'inscrire désormais dans la perspective du développement durable. La nature est pensée en tant que bien commun, l'homme en est responsable devant les générations à venir. Les papes Paul VI et son successeur Jean-Paul II se sont inscrits dans cette voie en appelant à un retour aux choses simples et au rejet du mode de vie consumériste qui caractérise nos sociétés occidentales. Il s'agit de se détourner de la voie trop matérialiste que notre société a emprunté pour se tourner à nouveau vers la spiritualité. On retrouve ici la vieille opposition entre corps et esprit, matérialité et spiritualité, réadaptée aux soucis contemporains. Ne peut-on penser une attitude respectueuse envers la nature en dehors d’une telle dichotomie ? Ce n’est en tout cas pas là la position de l’Eglise qui dénonce le mode de vie des hommes modernes comme responsable de la crise écologique et non l'attitude anthropocentrique en tant que telle. Mais peut-on vraiment séparer ces deux aspects ? L’un n’entraîne-t-il pas nécessairement l’autre ? N’est-ce pas parce que l’homme a été placé (ou plutôt devrons-nous dire s’est placé…) au centre de l’univers qu’il a développé une attitude impérialiste à son égard ? Se pensant comme différent et supérieur par rapport au reste de la création il n’y eut aucun scrupule à pousser des recherches visant son utilisation pour son bien-être toujours plus loin… Dans les discours portant sur l’écologie, les hommes d’Eglise ne font pas un tel lien. Il semblerait surtout qu’ils cherchent à chercher des traces de l’attitude écologique dans la Bible elle-même. Ainsi, ils insistent sur l'importance de la place de la nature dans différents textes du livre saint qui mettent en scène de nombreux nomades, voyageurs, pécheurs... c'est-à-dire d'hommes vivant en harmonie avec elle... Le devoir du chrétien est de maintenir ce rapport harmonieux, manifestant ainsi le respect pour le créateur lui-même. Il s'agit, selon les mots de Jean-Paul II, d'une « obligation grave » . Comme le souligne Anne Fagot-Largeault, les problèmes de l'éthique environnementale tournent autour des questions de partenariat : il s'agit de nous interroger sur les rapports que nous nouons avec les animaux, la nature et les autres hommes. Avec quel statut, comme bénéficiant de quelle valeur les considérons-nous et à quoi cela nous contraint-il ? A-t-on des devoirs envers eux ? Pour l'Eglise, il semblerait que si nous devons nous montrer responsable envers la nature, il s'agirait davantage d'une obligation découlant de nos devoirs envers Dieu et envers les autres hommes: « Le respect pour la création découle du respect pour la vie et la dignité humaine. C'est sur la base de notre reconnaissance du fait que le monde est créé par Dieu que nous pouvons distinguer un ordre moral objectif, à l'intérieur duquel nous pouvons mettre en place un code d'éthique environnemental. » . Luc Ferry dans Le nouvel ordre écologique oppose les amis de la nature et les amis de l'homme, considérant que les deux postures sont inconciliables et qu'il faut choisir son camp. En choisissant Dieu, le chrétien doit se montrer amical avec l'un tout comme l'autre. Néanmoins, son prochain reste l'homme et c'est notamment parce qu'il doit partager la nature avec ce dernier qu'il lui faut la respecter et la protéger : la nature est une res omnium (un patrimoine de l'humanité) et non une res nullius (une propriété personnelle). L'homme est et reste considéré comme « la première et la vraie richesse de la terre. » ; s'il lui faut préserver son environnement, c'est pour son propre bien, pour assurer sa propre survie. L'Eglise insiste également sur le caractère social que devrait prendre cette protection : « On devrait voir les problèmes de l'environnement en relation avec les besoins des hommes et des femmes actuels, de leurs familles (...). Car le but dernier des programmes pour l'environnement est de protéger la qualité de vie humaine, de mettre la création le plus possible au service de la famille humaine. » . Il apparaît donc que dans la perspective chrétienne, la nature ne soit jamais défendue pour elle-même, qu'elle n'ait pas de valeur en soi. Nous avons parlé de la critique d'anthropocentrisme faite au christianisme, mais en fonction de ce qui vient d'être dit, nous constatons que celui-ci semble découler en premier lieu d'un théocentrisme. Il semblerait que nous soyons en train d'assister depuis une quarantaine d'années à un retournement de perspective au niveau de l'analyse biblique. Si auparavant l'homme était régulièrement présenté comme maître et possesseur de la nature, on préfère le qualifier aujourd'hui de gérant comme cela a été mentionné plus haut. L'homme reste cependant différent du reste de la création. Si on tend à insister désormais sur le fait qu'il est composé de la même matière que le reste du monde naturel, c'est pour le rendre humble et solidaire avec celui-ci mais certainement pas pour revoir sa place et son rôle en son sein. L'homme reste au sommet de la hiérarchie terrestre et c'est cette supériorité qui l'oblige à la responsabilité. C'est ce dont témoigne Paul VI en déclarant que s'il « a fallu des millénaires à l'homme pour apprendre à soumettre la terre selon le mot inspiré du 1er livre de la Bible (Gn 1,28), il lui faut désormais apprendre à dominer sa domination et cette entreprise nécessaire ne lui demande pas moins de courage et d'intrépidité que la conquête de la nature (...) » . La domination en tant que telle n'est jamais remise en question dans ces textes, seulement le caractère excessif qu'elle prend aujourd'hui et qui est compris comme manifestation de l'hubris humain. Or, l'homme doit également apprendre à rester à la place que Dieu lui a assigné : celle du bon père de famille, du ministre et non de l'esclavagiste qui exploite sans la moindre retenue. L'exégèse contemporaine dénonce les lectures utilitaristes des passages de la Genèse précités : « cette domination de la créature humaine est une invitation à un périlleux défi, celui d'une responsabilité au service de la vie de ce monde. » . Elle prétend également que ce n'est pas tant la Bible qui est anthropocentriste mais l'interprétation qui en a été faite, influencée par les philosophies grecques. Or, l’une des particularités de ces philosophies est justement le rapport désacralisé qu’elles nouent avec la nature. Socrate est le premier qui affirma la dichotomie entre les hommes et les autres êtres vivants en posant qu’ils ne sont pas dépendants du mêm principe vital… L’étude de la nature doit donc selon lui êre abandonnée pour l’étude de l’homme étant donné que la nature ne peut rien nous apprendre sur celui-ci … Quoiqu’il en soit de ces supposées responsabilités, on voit que l’Eglise essaye aujourd’hui de concilier ces concepts d’anthropocentrisme, de création, de domination et de responsabilité en affirmant que l'homme ne peut dominer la terre que dans l'esprit du Seigneur ce qui implique que son approche de celle-ci doit être éthique avant d'être technique. La nature n'a pas de valeur en soi, mais l'homme, en se montrant responsable, lui en accorde et la respecte. La nature n'a donc de valeur qu'en fonction de l'homme. C'est là la démarche anthropocentrique de protection de la nature. Les démarches non-anthropocentriques prétendent que la nature jouit de valeurs intrinsèques et que c'est pour cela que l'homme doit la respecter. Cependant, comme le font remarquer les nombreux critiques d’une telle position, c'est là encore l'homme qui parle à la place de l'autre... Comme le soulignent aussi bien Dominique Bourg que Philippe Descola, on ne peut pourtant se dire responsable que de choses que l'on a sous sa garde, vis-à-vis desquels nous avons un pouvoir . Pour être intéressé et engagé dans ces questions, trois élements semble nécessaires selon les analyses de Descola dans Par delà nature et culture : il doit d'abord y avoir une séparation affirmée et vécue entre l'homme et la nature sinon parler de nature n'aurait aucun sens... Ce serait introduire de la différence illégitime à l’intérieure du même. Ensuite, le rapport que l'homme a entretenu avec elle doit avoir été un rapport de domination, de prédation. Enfin, ce dernier doit avoir eu des conésquences néfastes et l'homme doit vouloir réparer ses « fautes », ou du moins, dans un langage moins connoté, ses excès. Ainsi, les démarches de conservation de la nature ne peuvent résulter que d'un anthropocentrisme, ou, plus précisément, de sociétés dans lesquelles une distinction, une nette coupure est instaurée entre l'homme et les autres êtres vivants et ce, bien évidemment, à l’avantage de l’être humain. Ce sont donc des démarches typiquement modernes et occidentales. C'est pour ces sociétés qu'il y a un problème de lien entre l'homme et la nature. Ce lien a été défait et il leur faut apprendre à réfélchir aujourd’hui non plus en termes de différences comme elles l'ont toujours fait mais, à l'inverse, en termes de convergence. Le problème écologique doit donc être abordé par le biais anthropocentrique. A partir de ce phénomène on constate que c'est principalement la question de l'extériorité qui mérite une urgente révision. En effet, bien que les deux approches soient liées, l'homme, tout en continuant à se considérer comme un être particulier au sein de la nature, voir même comme son aboutissement, peut néanmoins penser davantage son inscription au sein de celle-ci. L’homme, en effet, est également créature (créé par Dieu) et peut donc se penser en solidarité avec le reste de la création, s’inscrire en elle. C'est là ce que propose l'écologie chrétienne, également dénommée « écothéologie » qui, en prônant un anthropocentrisme plus faible permet le rapprochement avec divers mouvements écologiques mais également avec les autres religions. En empruntant cette voie, on considère que la cause de la crise écologique réside dans le rapport d'extériorité à la nature qu'a entretenu l'homme occidentale. Ce rapport, qui se concrétise dans l’affirmation d’une dichotomie, s’est développé et affirmé tout au long de l’histoire du monde occidental : il trouve, comme nous l’avons vu, son origine chez Socrate qui fut le premier à introduire une différence discriminante entre l'homme et le reste de la naturel . Il atteint ensuite son paroxysme avec le cartésianisme : il ne s'agit plus seulement d'une différence de niveaux mais d'une différence de nature : l'homme et l'animal n'ont plus rien en commun. En effet, Descartes associe les animaux aux automates, ils n'ont selon lui ni raison, ni instinct, ce sont des choses dont l'homme peut dès lors jouir comme bon lui semble, conception qui permit de pratiquer sans mauvaise conscience (?) la vivisection. Si cette vision des choses a été, dans sa radicalité, délaissée depuis, elle n'en continue pas moins à habiter les esprits contemporains qui n'abandonnent pas leur quête de la différence homme/animal. Ce dualisme sert de repoussoir, il permet de déterminer ce qui n'est pas humain et donc de promouvoir une certaine idée de l'identité humaine. C'est ce que Descola appelle le phénomène de la naturalisation du monde. Les mouvements écologistes doivent passer par un certain anti-cartésiannisme qui s’avère être particulièrement efficace dès lors qu’il propose qu’au lieu d'aller des animaux vers l'homme (en insistant sur le fait que les animaux partagent tel ou tel caractéristique avec l'être humain) d’emprunter plutôt le chemin allant des hommes aux animaux, c'est-à-dire d’affirme qu'un certain nombres de traits que l'on utilisait jusque là pour qualifier l'animal peuvent également servir à définir l'homme . Ce faisant, on naturalise l'homme, on peut le penser avec la nature, ce qui permet la mise en place d’une démarche holistique pronée par les mouvements écologistes. Un autre aspect important quand on soulève la question de l'implication environnementale de la religion est le fait que pour cette cause, les différentes religions se mettent ensemble afin de trouver des solutions en commun. C'est donc, selon les mots de Jean-Paul II, « une école pour la paix. » . A travers le biais de l'écologie, cette paix peut se faire également entre croyants et laïcs comme en témoignent les nombreuses collaborations qui se sont mises en place à cet égard. Le journaliste François Mazune raconte l'histoire de certaines de ces initiatives aux Etats-Unis. Il explique que l'appel à la religion a été lancé par les associations écologistes pour pallier au désintérêt des Américains face à ces questions. Il s'agissait donc en premier lieu de parvenir à mieux promouvoir leurs idées. La même tentative a été faite par WWF en proposant à différentes religions une collaboration qui permettrait de sensibiliser un plus large public et, en contrepartie, montrerait leur engagement dans cette cause . L'idée de WWF était que chacun de vingt-six participants offre un « cadeau sacré » c'est-à-dire prenne un engagement concret vis-à-vis de la nature. Cette démarche se proposait d'utliser les cadeaux sacrés comme, d’une part, mobilisateurs d’intérêt et, d’autre part, devant servir aux communautés locales de références environnementales. Et cela a marché ! Si on considère qu'il y a 4 à 5 milliards de croyants dans le monde, cela n'a pas grand chose d'étonnant... Si l'une des raisons en est l'importance de la religiosité dans le monde, on peut également avancer l'hypothèse du besoin de spiritualité qui caractérise nos sociétés contemporaines. En s’ouvrant aux laïcs par le biais des questions écologiques qui concenrnent tout le monde, les religions peuvent à nouveau jouer un rôle de rassembleurs entre les hommes et nottament entre les hommes de différentes croyances… C’est là du moins le projet des diverses associations œcuméniques créées pour défendre l’écologie. Citons par exemple : Clergy for all Creation, The National Religious Partnership for the Environment, The Interfaith Task Force to save the Ancient Redwoods,… On peut supposer que si de telles associations voient principalement le jour aux Etats-Unis c’est parce que, non seulement le phénomène de religiosité y est plus important que dans les pays européens mais également parce que la pratique du culte y est différente. Enfin, comme nous l’avons vu en introduction, les pays protestants ont toujours développé une sensibiité plus importante pour ces questions, la nature y jouissant d’un statut particulier… On peut donc noter que si les associations écologiques ont besoins des structures religieuses, ces dernières bénéficient également de cette collaboration. En effet, comme le souligne J.-M. Prieur, la foi n'est pas une connaissance scientifique et ne peut à ce titre pas apporter de solutions ni indiquer les manières de faire ... Au niveau des convictions, ces deux approches se retrouvent également sur un assez important nombre de points qui trouvent leur origine en l'idée fondamentale d'un équilibre premier. En effet, dans chacune d'entre elles le concept d'équilibre, d'harmonie est au centre de leur refléxion. La nature est pensée par eux comme étant initialement ordonnée et ce serait l'homme qui, par son action aurait dérèglé, bouleversé cet équilibre. L’enjeu pour ces mouvements est donc de le réinstaurer aujourd’hui. Cette idée est basée sur une vision fermée et conservatrice du monde : chaque élément y aurait sa juste place et l'homme ne peut déranger cet ordre, devant se maintenir à la sienne propre. Si on peut relever une différence à cet égard entre nos deux « protagonistes » ce serait que la lecture religieuse est, à l'inverse de celle des écologistes, positive, optimiste : Dieu a créé la nature bonne et forte, si l'homme fait attention, il peut réparer les dommages occasionnés en une seule génération ...Dans les discours écologistes, on sent davantage un catastrophisme nous donnant à penser qu'il est sans doute déjà trop tard mais qu'il vaut quand même mieux s'y mettre maintenant que jamais... Les moyens envisagés se rejoignent également : il faut sortir du matérialisme et du mode de vie consummériste qu'il suppose en le remplaçant par un retour aux « valeurs essentielles » telles que la solidarité, le partage,... Si, comme le dit Dominique Bourg en s'appuyant sur les analyses de Keynes, nous sommes la seule société à s'être organisée de façon à satisfaire nos besoins relatifs (c'est-à-dire qui nous apportent du plaisir en tant qu'ils nous donnent un sentiment de supériorité) on conçoit que la tâche ne sera pas facile et que l'appui d'une force de persuasion aussi importante que l'Eglise peut être un facteur important pour la diffusion de ces idées ... Car sur ces points sensibles, les politiques semblent refuser de se prononcer, connaissant le danger de perdre leur électorat s'ils s'en prennent à leur mode de vie... Il faut remplacer le rapport au monde technique qui nous pousse toujours plus loin dans la domination de la nature par un rapport éthique. La transcendance, qu'elle soit comprise en tant que « Nature » ou Dieu, est convoquée pour nous réapprendre la modestie, nous faire prendre conscience de nos limites. Le but est de réouvrir l'homme à une dimension verticale. On connaît la dimension subliminatoire de la nature, déjà mise en avant par les romantiques. Le naturaliste François Terrasson la qualifie, quant-à lui, de transformateur : elle consiste en un passage d'un état conscient, clair, intellectuel et rationnel à une autre dimension plus trouble, moins consciente et chargée de toute la puissance des désirs et des passions. » . Aujourd'hui, les écologistes et les religieux tentent de jouer là-dessus en insistant sur les sentiments qui nous saisissent face à la nature. On parle alors de la nature comme suscitant une expérience spirituelle. La détruire ce serait détruire pour nous la possibilité de ces expériences, de cette énergie qu’elle nous apporte… L'éthique environnementale, particulièrement dans sa dimension radicale à travers l'écologie profonde (ou deep ecology), se présente comme proposant des approches nouvelles : elle prétend entre autre : − traiter d'un nouvel objet en se concentrant sur le monde naturel non-humain et en le considérant comme faisant partie de la communauté morale. − traiter d'une nouvelle temporalité de par l'importance qu'elle accorde au futur. − proposer une nouvelle méthode qui consiste à remplacer l'approche rationaliste par une approche holistique, d'accorder davantage d'importance aux sentiments et émotions et non plus à la raison seule. Si la nouveauté et la pertinence de ces points sont contestées , il n'en reste pas moins que nous sommes effectivement dans une situation particulière et, comme le souligne Bruno Latour, différente des autres crises . En effet, à travers cette crise, Gaia (Bruno Latour reprend le terme de Lovelock) vient à nous, s'impose et menace. Mais à la différence des agressions que nous avons connues auparavant, elle ne s'intéresse pas à nous. C'est une crise qui vient de l'extérieur et qui, pour être surmontée, appelle à de nouvelles approches. Or, plutôt que d'explorer de nouvelles voies, il semble que nous assistions davantage à des discours prônant un retour en arrière, que ce soit au mode de vie des sociétés rurales ou aux valeurs religieuses qui les guidaient. Une autre voie proposée conciste à s'inspirer des cultures dites « traditionnelles », « plus proches de la nature ». Or, comme le dénonce Philippe Descola, une telle solution ne peut avoir de sens : on ne peut pas transposer une expérience historique à une autre société que celle où elle s'est développée. Le défi pourrait être de se laisser prendre par cette crise, habiter par ses problématiques, l’accueillir en nous avec notre histoire, nos pratiques et nos idées. Il semble que ça ne peut être que de cette manière que l’on évite de contourner le problème et de recourir à de fausses solutions. Il n’y a pas de modèles extérieurs à aller chercher ailleurs pour les adapter à notre situation. Il n’y a pas de solutions toutes faites à trouver dans la religion, dans des modes de vie du passé ou d’ailleurs. La question qui semble intéressante à poser est si les alliances entre les religions et l’écologie (dans un sens ou dans l’autre) permettent cela. Ne nous ramènent-elles pas à d’anciens modèles que nous avons abandonné ? Cet abandon, qu’il soit justifié ou non, est réel et on ne peut simplement demander à nos société de faire marche arrière. Des modèles plus complexes sont sans doute à construire, des solutions peuvent certes en partie venir de la religion, mais si cette dernière ne pense qu’à chercher des réponses dans des textes anciens qui ne servent plus vraiment de modèles aux sociétés laïques contemporaines, il n’est pas certain que ces solutions soient adéquates aux difficultés que nous rencontrons. Notre époque est caractérisée par certains comme étant postmoderne. Les idéaux, les grands (ou méta-) récits tels que le marxisme, le christianisme, la croyance en la technique et la rationalité comme devant nous mener vers un monde meilleur s’écroulent. Nous n’avons plus de modèles tout faits à suivre ce qui donne lieu à un malaise dû à la perte de repères qui étaient les nôtres jusqu’à présent. Simultanément, nous assisterions selon André Compte-Sponville à la fin de différentes époques : celle de l’Occident chrétien (suite à l’importance du phénomène dinchristianisation et de déchristianisation des derniers siècles) ainsi qu’à la fin du scientisme et à la vogue des sciences humaines . Nous n’avons plus de modèle à suivre et nous ne pouvons donc pas revenir à la pensée chétienne telle qu’elle. Mais le postmodernisme se caractèrise justement par la récupération qu’il fait d’anciens modèles, d’anciens éléments, qu’il met ensemble sans les soumettre à un ordre hiérarchique particulier. Il n’hésite pas à aller puiser dans des disciplines différentes, des courants de pensées étrangers, des croyances particulières pour les mettre côte à côte dès lors qu’il trouve qu’elles ont quelque chose d’intéressant, qui pourrait lui servir. La pensée écologiste contemporaine, l’écothéologie, peuvent peut-être être comprises en tant que manifestations de cette pensée et pratique du patchwork postmoderne : ne permettent-elles pas la rencontre de religions différentes et de modes de vie qui nous sont étrangers ? En récupérant de façon originale l’ancien, peut-être peut-on parvenir également à quelque chose de nouveau qui soit en adéquation avec nos sociétés pluralistes…Le développement des pratiques (théo)écologiques nous permettra de vérifier cette hypothèse… Bibliographie : CHAMPION F. « Religions, approches de la nature et écologies » dans Archives des sciences sociales des religions, N. 90,1995. pp. 39-56. COMTE-SPONVILLE A., JACQUART A., et alii, Ecologie et spiritualité, ?: Albin Michel, 2006 DESCOLA P., Par delà nature et culture, Paris : Gallimard, 2005. FAGOT-LARGEAULT A., ACOT P., (sous la direction de), L'éthique environnementale, Chilly- Mazarin : senS Ed., 2000. FRANCOIS S. , « La Nouvelle Droite et l'écologie : une écologie néopaïenne ? », Parlement[s], Revue d'histoire politique, 2009/2 n° 12, p. 132-143. LANG D., L'Eglise & la question écologique,?:Aersis, 2008. SIMONDON G., Deux leçons sur l'animal et l'homme, Paris : ed.Ellipse, 2004. TERRASSON F., La peur de la nature, ?: Ed. Ellébore- Sang de la Terre, 2007. Sur Internet : BOURG D., « Spiritualité, environnement et technologieé » intervention lors d'un colloque « Environnement et spiritualité: l'Occident doit-il se réinventer face à la crise écologique ?», podcast disponible sur http://itunes.apple.com/WebObjects/MZStore.woa/wa/viewPodcast?id=431042289, consulté le 10.05.2011, niveau de faibilté :élevé. HOTTOIS G., « Panorama critique des éthiques du monde vivant », sur http://www.bioeticaunbosque.edu.co/publicaciones/Revista/Revista1/Articulo_Hotis.pdf, consulté le 14.06.2011, niveau de fiabilité : élevé. Entretient avec Bruno Latour : sur http://www.revue-emergences.org/accueil/item/215-entretien-bruno-latour, consulté le 16.05.2011, niveau de faibilité : moyen.