samedi 11 juin 2011

OGM de compagnie à vendre

En 1999, une équipe de chercheurs dirigée par le docteur Gong Zhiyuan de l’Université de Singapour développe par transgénèse un « poisson fluo ». Il s’agit d’un poisson-zèbre sur le génome duquel a été greffé un gène de méduse qui synthétise une protéine verte. A la même époque, en France, ce même gène est greffé sur des génomes de lapins. Exposé à des rayons UV, l’organisme qui en est doté exprime la couleur fluorescente, ce qui explique la très fréquente utilisation en laboratoire de cette protéine en tant que biomarqueur. Jusque là, nous sommes dans le cadre de la recherche pour laquelle la transgénèse est une démarche courante et (relativement) acceptée. Mais ce qui va nous intéresser ici, c’est la sortie de l’animal génétiquement modifié du laboratoire pour être exposé et proposé au grand public. Pour ce faire, deux cas de figures. Une société taïwanaise, la Taikong Corporation, se rend compte du potentiel économique de la mise sur le marché de ces amusantes chimères et achète les droits de fabrication à une autre équipe de chercheurs parvenue entre temps à créer des poissons aux caractéristiques semblables(1). En France, l’artiste brésilien Eduardo Kac conçoit l’idée d’un « art transgénique » et demande au laboratoire de l’INRA qui l’a conçu de lui donner un de ces lapins afin de l’exposer lors d’un événement sur les nouvelles technologies(2). Il prévoit ensuite de l’adopter, prétendant ainsi le faire entrer dans la société humaine. A partir de ces deux événements, nous nous proposons d’étudier un cas particulier de cette large et complexe problématique que sont les OGM : la « fabrication » d’animaux génétiquement modifiés à des fins de divertissement. Présentation des arguments L’ancienne foi dans le progrès qui nous ferait avancer vers un monde meilleur a, suite aux tragiques événements du vingtième siècle, cédé auprès d’une partie importante de la population la place à la méfiance et à la peur. Une prise de conscience de la nécessité d’une réflexion éthique accompagnant le développement de nouvelles technologies s’en est suivie. Pour pouvoir mener une recherche, il faut désormais parvenir à la justifier, à démontrer son utilité. Or, c’est justement une telle capacité qui semble faire défaut aux deux projets précités. Si on peut comprendre et éventuellement accepter d’intervenir sur le génome d’animaux d’élevage afin d’augmenter la production alimentaire ou pour synthétiser des médicaments nécessaires à l’homme, qu’en est-il par rapport aux animaux d’agrément ? Les deux événements cités contournent cette question en se « contentant » de s’emparer d’animaux déjà là, créés auparavant dans des conditions et pour un projet répondant aux exigences de comités d’éthique. Pourtant, par leur approche, ils ouvrent la porte à d’autres développements semblables : créer des animaux de compagnie sur mesure d’une part et créer des chimères en chair et en os pour le plaisir des amateurs d’art d’autres part. En Belgique et dans toute l’Union Européenne, la vente d’êtres génétiquement modifiés à des particuliers est interdite et ce en raison de manque d’étude quant aux conséquences sur l’environnement et la santé des humains et animaux qui entreraient en contact avec eux(3). Il s’agit donc d’une interdiction appuyée sur l’application du principe de précaution, comme le mentionne explicitement le premier paragraphe du premier article de l’Arrêté royal réglementant « la dissémination volontaire dans l’environnement ainsi que la mise sur le marché d’organismes génétiquement modifiés ou de produits en contenant » du 21.02.2005(4). Les conséquences sur l’environnement et sur la santé des autres êtres vivants qui inquiètent sont en grande majorité les mêmes que pour tous les autres OGM. Néanmoins, d’autres questions se posent ou du moins les questions se posent autrement : il ne s’agit pas de consommer ces animaux mais de vivre avec eux, d’avoir des interactions proches, de les installer dans nos maisons et familles. Aussi, quand on parle de santé on fait principalement référence à des réactions allergiques imprévisibles et au développement de nouveaux virus. Une fois sortis des laboratoires ou des lieux d’exploitations plus ou moins confinés, il n’est plus possible de les surveiller. En proposant au grand public d’acheter ces poissons, on les lâche dans la nature. Ce faisant, on se confronte directement aux plus grands risques et craintes soulevés par les OGM à savoir les conséquences de la dissémination. Les poissons-zèbres (de même que les lapins d’ailleurs) se reproduisent très rapidement et bien que les laboratoires qui fabriquent le Glofish et le Night Pearl prétendent les avoir rendus stériles, la méthode de stérilisation n’est sûre qu’à 70%(5). Or, comme s’en inquiètent les écologistes, on ne peut pas prévoir les conséquences qu’auraient sur l’environnement ces animaux une fois mis en liberté. Ils pourraient être la cause d’une importante pollution génétique en remplaçant une espèce sauvage et réduisant la biodiversité, donnant lieu, selon les termes alarmistes de Rifkin, à : « une véritable tour de Babel biologique propageant le chaos à travers la biosphère et désarticulant le langage immémorial de l’évolution. »(6). La mise sur le marché du GloFish semble en fait résulter d’un vide juridique : si des lois ont été conçues concernant les OGM pour l’élevage ou l’agricultures, la possibilité d’animaux de compagnie n’a, pu bien pas été prévue ou bien, n’a pas intéressée, ce qui pourrait expliquer le lacunaire avis de la Food and Drug Administration publié en 2003 : « Because tropical aquarium fish are not used for food purposes, they pose no threat to the food supply. There is no evidence that these genetically engineered zebra danio fish pose any more threat to the environment than their unmodified counterparts which have long been widely sold in the United States. In the absence of a clear risk to the public health, the FDA finds no reason to regulate these particular fish. »(7). Synthèse En ce qui concerne les problèmes liés au risque de pollution génétique, le principe de précaution nous demande d’attendre d’en savoir plus sur ces organismes avant de les commercialiser. Mais il me semble que la question principale soulevée ici est surtout celle de la légitimité de la modification génétique d’êtres vivants pour notre seul plaisir. Quels droits s’arroge l’homme sur son environnement et sur les créatures qui l’entourent ? Il s’agit là d’une question de choix moral étant donné que nous pensons dans un cadre sécularisé… La question serait donc moins celle du droit que celle du choix du monde dans lequel nous voulons vivre. Quels rapports voulons-nous entretenir avec la nature ? Continuer en la radicalisant dans la voie de la domination ou, au contraire, comme le réclament les tenants de l’écologie et plus particulièrement ceux de la deep ecology(8), développer un rapport plus égalitaire, visant davantage l’échange que l’assujettissement ? Et c’est peut-être justement là que réside le double intérêt de l’œuvre de Kac, « GFP Bunny ». En effet, à travers elle, il pose explicitement la question des conditions de possibilité de cette place. D’autre part, exposant cette œuvre dans un lieu public (ou à défaut, suscitant un phénomène médiatique autour d’elle quand il n’a pas pu la présenter) il propose à tout un chacun de s’y confronter (9). Notes et sources d’information En effet, peu de temps après la première équipe, le groupe de chercheurs du professeur Tsai Huai-jen à Taiwan réalise le même exploit. La seule différence est que le gène greffé et celui d’un corail ce qui permet un type différent de fluorescence. Par la suite, la première équipe vend également son invention, cette fois à une société texane Yorktown Technologies qui commercialise ce poisson aux USA sous le nom de GloFish. Etant donné que le phénomène et le problème qu’il pose sont identiques, nous parlerons indifférents des deux sociétés et de leur produit : le GloFish et le Night Pearl. Concernant le GloFish, voir le site Internet de http://www.glofish.com/, consulté le 25.04.2011. Ce site est assez intéressant en ce qu’il s’agit d’un réel site de publicité, présentant le poisson comme un simple produit ne posant pas problème… 2 Cette « œuvre », ou plutôt ce projet d’œuvre (étant donné que finalement l’autorisation d’exposer le lapin à Avignonuméricable lui a été retirée par le directeur de l’INRA) porte le nom de GFP Bunny. Bien que non réalisée, elle n’en a pas moins soulevé un très important débat concernant le devenir des animaux transgénique. KAC E., Signs Of Life. BioArt and Beyond, Cambridge : The MIT Press, 2007. Voir également HAUSER J. (sous la direction de), L’art biotech’, Nantes : Le lieu unique, 2003, ainsi que le site internet d’Eduardo Kac sur lequel, en plus de ses propres articles, il publie les notes le concernant. 3 Voir à ce propos la circulaire adressée par la SPF Santé publique, Sécurité de la Chaîne alimentaire de Environnement, le 31.08.2006 suite à la découverte de la vente illégale de ces poissons en Europe et en Belgique, disponible sur http://www.icaif.be/files/pdf/circulaire_poissons_ogm_et_teints_31_aout_2006.pdf, consulté le 20.04.2011, niveau de fiabilité : élevé. 4Disponible sur http://www.health.belgium.be/internet2Prd/groups/public/@public/@gmo/documents/ie2law/753139_fr.pdf, niveau de fiabilité : élevé. 5 MAZOYER F., « Le sacre des mutants » dans Le Monde diplomatique, janvier 2004, p.24. 6 RIFKIN J., Le siècle biotech, Paris : Ed. La Découverte, 1998, p.135. 7http://www.fda.gov/AnimalVeterinary/DevelopmentApprovalProcess/GeneticEngineering/GeneticallyEngineeredAnimals/ucm161437.htm 8 Voir par exemple : SINGER P., Libération animale, Paris : Grasset, 1993 et Comment vivre avec les animaux, Paris : Les Empêcheurs de penser en rond, 2004 ou encore les ouvrages de Arne NAESS considéré traditionnellement comme le fondateur de ce mouvement. 9Voir sur ce sujet CHARAUDEAU P. (sous la direction de) La médiatisation de la science. Clonage, OGM, manipulations génétiques, Bruxelles : De Boeck, 2008.

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