mardi 25 janvier 2011

Analyse critique de quelques cas de conflits entre dignité et liberté. Ambiguïté (dualité) du concept de dignité. Est-il un fondement nécessaire à la bioéthique ?

Analyse critique de quelques cas de conflits entre dignité et liberté. Ambiguïté (dualité) du concept de dignité. Est-il un fondement nécessaire à la bioéthique ? (il s'agit seulement de notes en vue d'un exposé oral) A travers cette question c’est celle de la valeur, de l’origine et de l’effectivité des concepts et normes auxquels font aujourd’hui appel tant la loi que l’éthique qui est à examiner. En effet, nous sommes ici face à deux concepts très larges auxquels font sans cesse référence les différents traités et conventions de bioéthique et ce sans jamais les expliciter sérieusement. Ainsi, la définition de la dignité que l’on retient principalement aujourd’hui est issue de la conception formaliste de la morale développée par Kant et qui veut que la personne humaine ne soit jamais traitée simplement comme un moyen mais comme une fin en soi. Selon ce principe on ne peut jamais aborder l’homme sans tenir en même temps compte du fait qu’il est une fin en soi . La définition du Larousse pose simplement qu’il s’agit du respect dû à une personne, à une chose ou à soi-même. La notion de liberté est nettement plus complexe selon qu’on la comprend de façon positive ou de façon négative. La compréhension moderne est négative est consiste à dire qu’être libre c’est « ne pas être empêché de ». La définition la plus commune : « Etat de l’être qui ne subit pas de contrainte, qui agit conformément à sa volonté, à sa nature ». Il y a également un sens moral et psychologique : Etat de l’être qui, qu’il fasse le bien ou le mal, le fasse en connaissance de cause, donc après réflexion. Sait ce qu’il veut et pourquoi il le veut. Après une telle délibération, on peut dire qu’il s’agit librement (>< inconscience, impulsion, folie,…). Mais en bioéthique, les définitions sont d’emblée chargées d’une fonction normative permettant ou interdisant certaines choses. Donc ces définitions ne sont pas neutres mais opératives, pratiques, elles visent une réalité à laquelle elles veulent ou non donner lieu. De même, la loi est toujours celle d’un pouvoir humain. Mais qu’en est-il de ces lois et normes qui refusent de reconnaître leur contingence en prétendant tirer leur force et légitimité de valeur intrinsèque ? Car c’est bien de cela qu’il s’agit lorsqu’on fait référence à la dignité humaine, celle-ci se prétendant intrinsèque, niant le fait que la valeur de l’humain dépend en fait de lui-même…En parlant de dignité humaine on insiste sur la différence anthropologique comprise d’un point de vue ontologique. L’homme acquière ainsi une valeur particulière, la dignité, à partir de sa différence d’essence avec le reste des êtres et choses qui l’entourent. L’homme doit dès lors être protégé et ce jusque contre lui-même, ce qui nous confronte aux cas où la liberté de l’individu peut être entravée au nom de sa dignité. A côté de cette approche ontologique, la pensée technologique propose de penser l’homme de façon technoscientifique : son corps est alors naturalisé, c’est-à-dire pensé comme produit naturel contingent et dès lors peut-être pensé comme modifiable, opérable et ce suivant des finalités déterminées par les hommes eux-mêmes. Selon Gilbert Hottois, quand les définitions, concepts ne s’avouent pas comme produites par l’homme mais se prétendent reflet de la réalité, ils ont seulement un effet conservateur ou réactionnaire, veulent freiner certains développement des RDTS et transformations de la nature de l’homme. Et ce en véhiculant et protégeant les représentations symboliques. « Le réel allégué est toujours celui de quelqu’un et pour quelqu’un ». A partir de là, que peut nous apprendre cette valorisation de la notion de dignité en et pour elle-même, en tant que principe transcendant ? Le concept de dignité jour aujourd’hui un rôle essentiellement protecteur ce qui peut s’expliquer par son émergence historique. En effet, il a été développé et promu suite aux horreurs de la seconde guerre mondiale. A travers lui, il s’agissait d’assurer un « plus jamais ça ». Aujourd’hui, il sert à conserver, à prévenir l’homme des avancées de la science et des modifications qu’il pourrait pratiquer sur lui-même grâce à cette dernière. Mais ce rôle de conservation est-il légitime ? Ou bien peut-on penser avec le philosophe Michel Butor que « toute idée de l’homme qui ne déborde pas vers l’animal ou la machine, ou plus généralement vers l’abhumain et le surhumain, aboutit nécessairement à une oppression de l’homme par lui-même. » ? Si on récuse le développement de l’humain au nom d’une définition posée comme s’opposant au non-humain, il me semble effectivement difficile de parler encore d’humanisme. Michel Butor souligne que si c’est cela l’humanisme, il est contre. Ce rapport à l’humanisme nous fait nous poser la question des valeurs défendues à travers la philosophie développée dans les droits de l’homme et celle des Lumières dont elle s’inspire. Pour elle, il s’agissait de défendre l’idéal d’autonomie et de liberté. Avec le renversement donnant la priorité à al notion de dignité, c’est une autre pensée qui est en marche et avec elle un nouveau système de valeurs qui est révélateur de la méfiance éprouvée face à la science aujourd’hui. Il s’agit non plus d’être libre et de chercher coûte que coûte à aller de l’avant mais bien à conserver ce qui, par certains, est posé comme essentiel. Au nom de sa dignité, l’homme doit renoncer à être libre et à prendre lui-même en main son destin… Ce qui n’est pas sans en inquiéter certains comme le souligne le juriste Christian Byk et leur faire se demander si on assiste pas à une rupture avec la conception traditionnelle des Droits de l’Homme. « Les droits de l’homme ainsi revisités ne perdent-ils pas en effet leur essence politique libérale pour asseoir des valeurs morales et contraindre la science ? ». Ce dernier explique en effet que le développement du biodroit s’explique par l’émergence de nouvelles peurs et que pour asseoir sa légitimité, il doit reposer sur des principes posés comme imprescriptibles . Aujourd’hui, la science permet ou en en voie de permettre, à l’homme de se redéfinir. La difficile question à laquelle doit répondre le biodroit, c’est celle de notre identité. C’est en fonction de celle-ci qu’il pourra définir ce que nous pouvons ou non faire. (nous pouvons faire ceci parce que nous avons décidé que nous sommes cela. Hottois p.55). Et c’est là que nous ressentons un changement dans notre compréhension de la dignité. En effet, celle-ci ne correspond plus à celle qu’avait proposé Pic de la Mirandole : « la dignité de l’homme tient au fait qu’il est toujours à faire, y compris dans sa physionomie, dans sa capacité, sa liberté et sa volonté de transgresser les limites du donné naturel. ». On sent les immenses enjeux pratiques derrière ces remarques d’ordre théorique. Nous allons, comme annoncé plus haut, tenter de développer cette question de la (re)définition de l’homme par lui-même. Nous avons vu le changement survenu dans le domaine médical qui tend aujourd’hui à passer de la médecine thérapeutique classique à la médecine d’amélioration. Il ne s’agit plus seulement d’être bien mais peut-être d’être, selon la célèbre formule du bioéthicien Carl Elliott « mieux que bien ». La définition de la santé de l’oms (est un état de complet bien-être physique, mental et social, ne consistant pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité) semble témoigner de cela. Car ce n’est pas seulement à l’éclosion de caprices que l’on assiste mais à celles de réels besoins : besoin d’être beau, bien dans sa peau, performant…Un ensemble de médicaments, de procédures chirurgiques sont mis à disposition en vue de cette fin. Mais jusqu’où peut-on aller dans cette recherche ? Jusqu’où ces « besoins » sont compris comme légitimes et le médecin tenu d’y répondre ? Pour illustrer cela, voyons le cas de l’apotemnophilie qui tente de rester dans le cadre de la médecine thérapeutique mais qui peut également ouvrir à la médecine d’amélioration. L’apotemnophilie a été définie par la psychiatrie en tant que « trouble identitaire relatif à l’intégrité corporelle ». Il s’agit donc bien d’un trouble reconnu par le corps médical. Pourtant, les aspirants (ceux qui veulent se faire amputer) rencontrent un refus de la part des médecins lorsqu’ils demandent à subir une intervention chirurgicale qui est la seule capable de les soulager. En effet, aucun médicament, aucune thérapie ne parvient à les soulager. Pour ces personnes, il s’agit de retrouver leur moi, leur identité réelle. Il s’agit pour eux d’un besoin, d’une nécessité impérieuse conduisant les aspirants déboutés à tenter eux-mêmes de se mutiler. Le docteur Robert Smith avait pratiqué trois de ces amputations en Ecosse avec l’accord de l’hôpital, jusqu’à cet accord lui soit retiré. Il justifiait son intervention par le fait qu’il n’y avait pas d’alternatives efficaces et, deuxièmement par le fait que les patients auraient autrement tenté de se mutiler eux-mêmes. Il s’agissait dès lors de prévenir un mal plus grave et de soulager des individus en souffrance, pour leur permettre de parvenir à un état de bien-être…Sa justification est pragmatique. Nous rencontrons là la définition de la santé de l’oms. Pourtant, cette intervention se voit partout interdite et ce notamment au nom du principe de non-malfaisance qui est essentiel dans la déontologie médicale, mais également au nom de la dignité du corps humain, celle-ci étant liée à son intégrité. On a là une conception holiste et symbolique du corps qui est en opposition avec la conception technoscientifique qui analyse, divise, distingue… Les demandes des aspirants n’aboutissent pas au nom de l’interdiction de la mutilation d’un corps, d’un organisme sain (en France). Mais ne faut-il pas penser plus loin ? Il s’agit là d’un cas qu’il me semble pouvoir rapprocher du transsexualisme, c’est un trouble identitaire que seule la chirurgie peut résoudre… On assiste aujourd’hui à quelque chose de l’ordre de la désarticulation entre le soi et le corps, ce dernier devant de plus en plus correspondre au(x) phantasme(s) du soi. Si le transsexuel entame une nouvelle vie sous un nouveau genre, l’amputé l’entame avec un statut d’handicapé. Est-ce que le malaise qui semble être éprouvé face à ces demandes ne peut pas s’expliquer également par le fait que ce statut n’est pas compris comme souhaitable et dès lors on a du mal à y répondre favorablement ? On pourrait faire le parallèle avec la demande de certains parents sourds qui voudraient que des embryions sourds puissent être choisis lors du diagnostique préimplantatoire pour permettre à leur futur enfant d’entrer dans leur communauté et d’en partager la richesse …On voit l’état d’handicapé comme défavorable, c’est un état diminué et dès lors rendre quelqu’un handicapé n’est pas envisagé comme un bien pour cette personne… C’est au nom de la conception de la norme, de l’état « naturel » compris comme optimal qu’on refuse…Si dans le cas des parents on peut mieux comprendre qu’ils soient déboutés (il s’agit de déterminer autrui, de le sélectionner en fonction de ses critères personnels) dans le cas de l’aspirant il s’agit de choix personnels, fait en connaissance de cause… Les arguments pour sont les mêmes que pour le transsexualisme : -autonomie individuelle -maîtrise de son corps -définition large de la santé par l’OMS Les arguments contre -traitement lourd, mutilant et irréversible -pathologie ou perception individuelle de son corps. -est-ce thérapeutique ? Dans le cas du transsexualisme, le médecin peut déroger à l’intégrité corporelle parce qu’il poursuit un but thérapeutique. Ne serait-ce pas le cas pour l’apotemnophile ? Mais qu’en serait-il en poussant l’imagination plus loin et en suivant les transhumanistes qui se proposent d’améliorer l’humain par tous les moyens à sa disposition ? Imaginons une amputation volontaire de jambes saines pour les remplacer par des prothèses plus performantes. Il n’y a plus ici de justification thérapeutique, seulement une volonté d’amélioration qui paraissait si légitime aux penseurs des Lumières (souvenons-nous de la définition de la dignité posée par Pic de la Mirandole). On voit le problème que pose la notion de la dignité et de son utilisation dans les différents traités et littérature bioéthique. Le problème principal me semble être cette conception générique de la dignité qui, de plus, n’est jamais définie clairement. Face aux principes développés et défendus par la bioéthique nous rencontrons le même problème. Si la bioéthique n’est pas une, c’est néanmoins le principlisme qui est retenu et utilisé parmi ses différents courants… Le principlisme est une approche de la bioéthique purement procédural qui se définit par le respect de quatre principes : « principe de bien-faisance, principe de non-malfaisance, principe d’autonomie, principe de justice ». On pense le cas du patient sous forme de procédures à suivre et non à partir de lui, pour lui. Si on reste dans un tel registre, le principe de dignité est indépassable en bioéthique, mais si on veut une éthique plus proche de l’individu, telle que l’est l’éthique du car par exemple, on peut s’attacher à une compréhension de la dignité qui me semble plus correcte et respectueuse de l’individu lui-même, il s’agit, comme le propose Gilbert Hottois, de : Ne plus penser LE corps humain et LA dignité de ce corps. Ceux-ci n’existent pas en soi mais bien dans un contexte donné ou alors dans des discours….Par contre, ce qui existent ce sont des corps particuliers, individuels et divisibles dans une foule d’états et revêtus de dignités et de valeurs aussi nombreuses que diverses. (Hottois, p.58). Une telle compréhension quitte l’universalisme des droits de l’homme régulièrement critiqué pour leur occidentalisme et essaye de penser l’homme contemporain, postmoderne pris dans les différentes compréhensions de soi et appartenances avec lesquelles il doit composer aujourd’hui. Dans ce monde postmoderne, il n’y a plus de fondements éthiques communs à partir desquels dériver nos lois et coutumes. Ne faudrait-il pas tenir compte de ce nouvel état de fait plutôt que de vouloir s’attacher à des valeurs anciennes en refusant de les remettre en question en les prétendant intrinsèques à l’homme ? A l’heure où il s’agit de repenser en quoi consiste l’humanité, il me semble que le pire des chemins est celui du dogmatisme dans lequel risque de nous faire tomber des valeurs se prétendant ontologiques et donc inaccessibles, hors débats… Pour conclure, attachons-nous à cette réflexion de Kant qui proposait de lier dignité et liberté en posant que la dignité de la personne c’est le respect de l’autonomie de la personne et en même temps, que l’exercice de la liberté doit se faire dans le respect de la dignité de l’autre, c’est-à-dire celle de son autonomie… Nous avons ainsi un aller-retour de l’un à l’autre et c’est peut-être dans cette rencontre que nous pouvons trouver une voie respectueuse à suivre.