Adaptation cinématographique de la pièce
de théâtre A Streetcar Named Desire
de Tennessee
Williams par Elia Kazan.
Le film A Streetcar Nemed Desire, en
français Un tramway nommé désir, est
une adaptation de la pièce du même nom écrite par Tennessee Williams. Cette
pièce a été montée à Broadway en 1947 par Elia Kazan, lequel en a fait un film
quatre ans plus tard.
Il s’agit donc
d’une adaptation particulière étant donné que c’est le même homme qui l’a
adaptée pour deux média différents : la scène et l’écran. De plus, la
pièce de base était déjà très imagée ce qui fait dire à Gene Philips que la pièce de Williams n’avait
pas besoin d’être beaucoup réadaptée pour en faire un film[1].
Néanmoins il fallait faire attention, ce dont étaient conscients Williams et
Kazan, à ce que le côté artistique de l’œuvre ne soit pas détruit par les exigences
de la production et les codes filmiques.
Aussi les questions de l’adaptation seront sans doute un peu déviées. En
effet, les questions de fidélité ou de trahison, les questions de
transpositions et modifications culturelles ne sont pas vraiment pertinentes
ici. Comme nous l’avons vu au cours, il y a deux manières principales
d’interroger le travail adaptatif[2].
La première consiste à se baser sur les questions de filiation, à comparer les
deux œuvres et chercher les points respectés et les aspects trahis. Il s’agit
alors d’une approche génétique.
La deuxième méthode me semble plus utile ici. Il s’agit de l’approche dite
pragmatique qui s’appuie sur l’œuvre dans son ensemble, sur les moyens de
réception, le rendu du sens par les deux œuvres[3].
Dans un premier temps, je
vais suivre une approche plutôt génétique afin de situer les deux œuvres, mais
pour aller plus loin, étant donné que la filiation est assez directe entre le
texte et ce film, j’appliquerai par après davantage l’approche pragmatique. Si
des choses ont été modifiées, je vais tenter d’expliquer les raisons d’être de
ces changements, m’interroger sur le pourquoi de cette adaptation
cinématographique.
Tout d’abord il faut noter
que le film n’a été réalisé que quelques années après que le texte en soit
écrit et quatre ans seulement
après avoir été mis en scène à Broadway. Aussi on reste dans un même contexte
historique et culturel, il n’a pas fallu adapter le texte à un autre public qui
serait celui d’une autre culture ou d’une autre époque. La langue d’origine est
l’américain, il n’a pas fallu passer par la traduction. Aussi, selon les termes
de Jakobson, on est dans un système intralingual[4].
Cela explique en partie que le texte ne change pas beaucoup, que ce soit au
théâtre ou au cinéma.
Cette adaptation est une
traduction intersémiotique étant donné qu’on passe d’un média à un autre. Du
point de vue de la production, le fait de changer de média implique d’emblée
des changements.
En effet, étant donné que le cinéma est un média
nettement plus populaire, plus universel que le théâtre ou la littérature, la
censure y était appliquée plus sévèrement qu’au théâtre.
Du point de vue de la réception, on
s’interroge sur la manière dont la pièce et le film ont été reçus par le
public, si des modifications ont été faites afin de s’adapter aux deux publics.
Tout d’abord, le film, de même que
la pièce de théâtre d’ailleurs, a été un grand succès. La pièce a été jouée
plus de 800 fois. Il faut avoir cela en tête car ce n’est pas le même type de
théâtre qu’on a la possibilité de voir en Belgique, et peut-être en Europe en
général. En effet, le théâtre se rapproche ici d’une production de masse, on
est à Broadway !
Aussi le film, même si sa portée est
davantage universelle, ne vise pas un tout autre public, on ne passe pas du
public du théâtre d’amateur à un public de média de masse. Il n’ y avait donc
pas de transposition spécifique au niveau de la réception. Il fallait néanmoins être sûr de faire
vendre, d’où l’appel à la star qu’était Vivien Leigh.
Tennessee Williams, qui est reconnu
aujourd’hui comme un des plus grands dramaturges américains, avait à l’époque
déjà rencontré un grand succès avec La
Ménagerie de verre montée en 1945. Un
tramway nommé Désir a réitéré ce succès et l’a confirmé en tant que grand
dramaturge.
Le thème de cette pièce, comme des
ses autres œuvres d’ailleurs, est la folie, la violence qui éclate après avoir
été trop longtemps retenue. Il voit jusqu’où un homme, une femme peuvent aller,
combien de temps l’être humain peut tenir. Le personnage principal est Blanche
qui finit par sombrer dans la folie. Cependant, les autres protagonistes n’en
ressortent pas indemnes.
Williams joue sur l’ambiguïté des
sentiments, les personnages ne savent pas s’ils s’aiment ou se haïssent, un peu
des deux en général, d’ailleurs. Il veut jouer également sur l’ambiguïté
des sentiments du spectateur qui,
face à la complexité des personnages ne sait pas toujours se situer…
L’ambiance des ses textes baigne
dans un climat d'oppression quasi atmosphérique, un climat lourd d'avant
l'orage[5].
Cette image de l’orage me semble appropriée pour cette œuvre, il y a une
lourdeur très présente, une violence sous-jacente pendant tout le récit, on
sait qu’à un moment ça va éclater même si on ignore quand. Mais c’est inéluctable
et c’est en ce sens que cette pièce est tragique. Dès le début on sent que cela
va mal finir. Cette impression a été accentuée par le film qui débute sur un
générique avec une musique angoissante, dramatique. Ces premières notes nous
préviennent qu’il ne s’agit pas d’une comédie. L’ambiance clair-obscur
participe au même effet, on ne se repose pas dans ce film, on est tendu,
attendant l’éclatement de l’orage.
Pour passer à l’écran, il a donc
fallu faire des arrangements afin de rendre le texte moins violent. Ces
changements ne sont pas très nombreux et résultent davantage de contrainte de
production, de pression politique que de choix artistiques.
A cette fin Kazan a un peu
« adoucit les traits », il a rendu un univers moins glauque que celui de la pièce, il a
moins insisté sur l’alcoolisme, sur les sous-entendus sexuelles, amenuisant un
peu la sensualité des personnages…
L’homosexualité d’Allan, le mari
décédé de Blanche, n’a pas été mentionnée alors qu’elle était révélée sans
ambiguïté dans le texte. Dans le film on parle de sa faiblesse.
De même il a fallu suggérer le viol
sans rien en montrer. C’est également afin de mieux passer devant la censure et
sous la pression de la « Catholic Legion of Decency » que la fin a
été rendue plus morale, punissant Stanley en le séparant de Stella. Il a fallu
la rendre plus morale et cela a dénaturé le texte.
Cette fin n’a jamais satisfait
Williams. Il fallait une claire distinction entre le gentil et le méchant, il
fallait inclure l’importance de certaines valeurs et de la morale. Cela a
dénaturé le projet de Williams qui était justement de travailler sur la
complexité à se positionner clairement face à une situation, à juger ces
personnages. Kazan a néanmoins réussi à faire passer un film ambigu de par
l’absence de héros et de jugement de valeurs tout au long du film, ce n’est que
la fin qui vient désigner le méchant et le punir.
Néanmoins cette fin soutient la
vision de Kazan. En effet, lui avait tendance à désigner le personnage et leur valeur. Il a rendu le personnage
beaucoup plus antipathique, dangereux par rapport à sa description dans le
texte. Il ne voulait pas laisser le public tomber sous le charme de Brando.
Comme le dit Elia Kazan lui-même, alors
qu’il faisait en général changer beaucoup de choses aux scénaristes et aux
dramaturges, ici, « il n’ y avait rien à toucher, c’était parfait.[6] »
Il s’agit donc d’une adaptation linéaire, très proche de l’œuvre de base, la
filiation est directe.
Si Kazan avait tendance à apporter
de nombreuses modifications au texte, il le faisait, selon lui, dans un but de
clarification. En effet, il s’agissait pour lui de mettre en scène, ou de
porter à l’écran, la pensée de l’auteur. S’il considérait que cette dernière
n’était pas suffisamment claire, il pouvait aller jusqu’à demander au
scénariste, au dramaturge, de réécrire d’importantes parties du texte… C’est ce
qui ressort de ses propos lors d’une interview : « Pour une
compréhension de la nature, du tempérament et des sentiments d’un auteur,
j’essaye de le mettre sur l’écran. En français il y a un mot merveilleux pour
dire metteur en scène, réalisateur. J’essaye de réaliser l’auteur[7].» Pour Kazan l’écriture est la forme la
plus évoluée de l’art[8], aussi
a-t-il toujours eu un profond respect pour les écrivains.
C’est au nom de ce respect qu’il
refuse d’être considéré comme un réalisateur qui modifierait l’œuvre. Il pense
qu’il se met entièrement à son service et que c’est pour elle, pour son bien,
sa vérité, qu’il peut être amené à y apporter des changements.
C’est Williams
qui a demandé que la mise en scène de A
Streetcar…soit confiée à Kazan qui était déjà un metteur en scène très en
vue. Au début, ce dernier n’était pas très motivé : “When I read
it, I must confesse, I had reservations.[9]” Ce sont davantage les conditions de
productions qui lui laissait une très grande liberté, inhabituelle pour
l’époque et ce particulièrement à Broadway, qui ont fait qu’il a accepté.
En effet, étant
donné qu’il était déjà un metteur
en scène reconnu, que Williams voulait absolument que ce soit lui qui monte sa
pièce et que la productrice Selznick débutait dans le métier, il a pu poser un
grand nombre d’exigences. Brenda Murphy parle à son propos d’ « artiste
tyran [10]».
Ainsi, contrairement aux normes en vigueur à l’époque, la productrice n’a pas
eu beaucoup de poids dans les prises de décision. Habituellement c’est le
producteur qui choisissait le casting, on avait besoin de son approbation pour
à peu près tout. Le metteur en scène s’occupait de diriger le travail des
comédiens et donnait son unité à la représentation. Le producteur avait
également son mot à dire sur l’écriture du scénario, demandant au dramaturge de
supprimer des passages, d’en réécrire d’autres, d’ajouter ou de supprimer des
éléments.
Par la suite
Kazan a encore monté trois autres pièces de Tennessee Williams : Camino
Real en 1953, Cat on a Hot Tin Roof en 1955 et Sweet Bird of
Youth en 1959. Il a donc une très grande connaissance des textes et de
l’univers de Williams. A travers
ses mises en scènes et en collaboration avec le scénographe Jo Mielziner,
il a développé dans les années 50 ce qu’on a appelé le style américain :
‘the American Style’.
C’est un des
premiers metteurs en scène, et par la suite réalisateur, à avoir travaillé avec
l’auteur du texte qu’il adaptait, un échange s’est ainsi créé et sans doute le
travail final est un mélange des deux visions. Cette méthodologie lui est venue
du Group Theater dont il a fait partie et qui cherchait à inclure le dramaturge
dans la mise en scène, c’est-à-dire dans la production, dans le faire de
la pièce.
Néanmoins, pour
Kazan une collaboration était possible tant qu’il s’agissait de collaborer avec
lui. Il cherchait à réaliser l’auteur mais tel qu’il le
comprenait.
Heureusement,
Williams avait tendance à s’adapter, du moins en général, à la vision de Kazan
car il avait confiance et ce qu’il appelait la magie de Kazan[11],
sa faculté à faire exister, à laisser vivre le texte dans toute sa puissance.
Kazan
l’influençait beaucoup, finalement il en venait à lui demander conseil lors du
parachèvement de ses pièces pour les rendre plus théâtrales...
Le rôle du réalisateur ou du metteur
en scène n’est pas quelque chose de clairement défini, de déterminé. Ce rôle
varie énormément selon le projet poursuivi. S’agit-il d’adapter dans une
volonté de simple illustration du
texte ? S’agit-t-il de produire une œuvre originale en dénaturant une
œuvre préexistante ? Veut-on présenter une autre interprétation de
celle-ci ? Ou bien la moderniser, la rendre plus actuelle pour le public
contemporain ?
On voit qu’il y a une multiplicité
de projets différents dont chacun développe une compréhension différente de
l’adaptation. Ce qui me semble
évident, c’est qu’on ne peut pas sortir du domaine de l’adaptation comprise en
tant qu’appropriation et dès lors de trahison. Pour reprendre les mots de
Jean-Claude Carrière « Tout est adaptation [12]».
Le degré zéro de la mise en scène
n’existe pas. Dès qu’un autre être humain
s’empare d’une œuvre, il se l’approprie, ne fût-ce que parce que sa
compréhension, sa vision de celle-ci sera d’emblée différente de celle de
l’auteur. Il n’est pas possible de
seulement illustrer un texte, de simplement
mettre en image ce dernier. En effet il ne faut pas oublier que tout ce qui
est présenté à la scène ou à l’écran est porteur de signification. Même si on
décide de ne mettre sur la scène qu’un acteur lisant le texte, le sens de
celui-ci sera toujours présenté différemment que s’il était lu par une personne
dans son intimité. La voix de l’acteur, ses intonations, son corps, ses
moindres gestes, sont porteurs de sens… Peut-être qu’avec la surmarionnette de
Craig on arriverait à maîtriser davantage cet outil qu’est l’acteur mais même
avec ce moyen on n’arriverait pas à transmettre un sens, encore moins la
compréhension de l’auteur…
C’est pour cela que je vais tenter
d’analyser cette adaptation en partant du projet de réalisation d’Elia Kazan.
Tout d’abord il faut avoir en tête
que l’ambition de Kazan au cinéma, était de parvenir à réaliser des films
pareils au cinéma muet, c’est-à-dire compréhensibles sans avoir à écouter, à
comprendre les dialogues. C’est donc un cinéma très visuel, gestuel qu’il s’est
efforcé de produire. On pourrait dire que ce type de cinéma est très proche du
théâtre étant donné l’importance qu’il donne aux gestes, aux expressions…
En effet, ses conceptions quant au
jeu de l’acteur viennent du Group Theater qui s’est fort basé sur la méthode de
Stanislavski ainsi que de l’Actor’s Studio qu’il a fondé en 1947 avec Cheryl
Crawford et Robert Lewis[13].
C’est en ce sens que André Helbo[14],
écrit que le projet de la réalisation de ce film était de pousser jusqu’à ses
limites la représentation théâtrale. Les acteurs formés à l’Actor’s ont une
grande pratique spectaculaire[15],
aucun de leur geste n’est gratuit, tout est chargé de sens.
Le théâtre montre un ensemble, le
cinéma se concentre sur des détails. C’est ce qui est mis en évidence ici avec
toute une série de gestes emblématiques, de gros plans,…
On remarque que les acteurs formés à
l’ Actor’s sont ceux qui ont le mieux représenté, le mieux réussi au
cinéma. Aujourd’hui encore beaucoup de grands acteurs hollywoodiens, prenons Al
Pacino et De Niro par exemple, viennent de là.
Le cinéma se veut réaliste, on n’y
retrouve pas, en tous cas pas en général, la double énonciation qui est le fait
spécifique de l’énonciation théâtrale. On oublie que les acteurs jouent ce qui
nous permet de nous identifier à eux, de voir en eux des personnes qui nous
ressemblent, qu’on peut comprendre. Cette perspective de jouer vrai est une des fins de « la méthode » développée
par le Group Theater et par l’Actor’s Studio, les deux méthodes s’inspirant de
Stanislavski.
Dans ce film Marlon Brando ainsi que
les acteurs secondaire viennent de l’Actor’s Studio. Les acteurs qui jouent
dans le film sont les mêmes que ceux qui ont joué dans la pièce, à l’exception
de Vivien Leigh qui a remplacé Jessica Tandy pour le rôle de Blanche. La rencontre entre ces
différents types de jeu a d’ailleurs inquiété Kazan au début.
Si Vivien Leigh vient également du
théâtre, c’est le cinéma qui l’a révélée, en a fait une star grâce à son
interprétation de Scarlett dans Autant en emporte le vent. En
1947, elle a joué dans une mise en scène de Laurence Olivier d’Un tramway
nommé Désir où elle interprétait le rôle de Blanche. Ce sont les
producteurs du film l’ont choisie pour tenir le même rôle à l’écran car Kazan
et Williams ont tous deux eu un coup de cœur pour Tandy pour le rôle de
Blanche. Néanmoins, la formation classique du théâtre anglais qu’a reçue Jessica
Tandy a d’abord inquiété Kazan[16].
Par la suite il a su faire de cette contrainte une ressource. Il a profité de
cette différence de jeu, il l’a utilisée afin de marquer la différence entre
Blanche et Stanley, entre deux mondes : celui de Belle Rêve et celui des
quartiers pauvres de la Nouvelle Orléans. Ainsi si le jeu de Tandy était
traditionnel, classique, cela allait bien avec ce à quoi jouait Blanche, le
monde de la tradition qu’elle voulait préserver et dont elle était pétrie.
Le fait que tous les acteurs
interprétant les rôles principaux de ce film les ont d’abord joué au théâtre a
eu une conséquence sur le film, renforçant le sentiment de pièce filmée.
Pour Florence Colombani, Elia Kazan
exploite l’inconscient collectif, c’est ce qui donne autant de profondeur à ses
films, ce qui leur confèrent « une épaisseur dramatique [17]».
En effet, Kazan exploite ici le
passé cinématographique de Vivien Leigh, il joue sur l’univers de référence
américain de son époque : tout le monde connaît Leigh dans le rôle de
Scarlett, on l’associe d’emblée à elle. Kazan joue là-dessus, faisant de
Blanche une Scarlett déchue, reliant les deux femmes. Cette
« manœuvre » fait que Blanche est d’emblée aimée par le public car il
ne peut s’empêcher de voir Scarlett. Les deux personnages féminins ont d’ailleurs des points communs comme
leur égoïsme, leur tendance pour l’alcoolisme, et pour l’autodestruction, leur
absence de sens moral,... Cela favorise la réalisation du projet de Williams
qui ne voulait pas rendre Blanche pathétique mais provoquer la compassion et la compréhension du public.
De plus, le réalisateur exploite
également la véritable personnalité de ses acteurs. Il a besoin de les
connaître de façon intime, de faire des choses avec eux afin de comprendre
comment ils fonctionnent, comment ils réagissent[18].
Bref, il a besoin de les connaître en tant qu’individus. Ses choix d’acteurs se
basent donc en grande partie sur leur personnalité : « Je ne veux pas
qu’on me dise un texte mais qu’on puisse vivre le rôle. [19]»
Il cherche des liens entre les personnages et les acteurs. Le fait que Leigh
souffrait, de même que Blanche, de maniaco-dépression a donc dû servir ses
desseins. Le film est donc construit, par rapport aux acteurs du moins,
sur un métadiscours filmique.[20]
Les personnages inventés par
Williams sont extrêmement complexes même s’ils peuvent paraître caricaturaux au
premier abord. Il y a toujours autre chose qui est en jeu. Aussi, il n’ y a pas
que du texte discursif dans les pièces du Williams, on ne fait pas que raconter
mais on montre également à travers un vocabulaire fort imagé. On peut parler
d’une dramaturgie fortement visuelle. C’est notamment pour cela que les œuvres
de Williams ont été souvent montées au cinéma et mises à l’écran, parce
qu’elles sont très imagées, retiennent une puissance picturale qui donne envie
de les réaliser. Il y a en elles tout un symbolisme, une imagerie qui cherche à
aller au-delà des mots. A exprimer de façon plus directe, plus à même les sens
que ne peut le faire un texte.
C’est peut-être
grâce à cette complexité des personnages, leur réalité, et tout ce
« langage extra-verbal [21]»
qu’ils ont pu être aussi bien rendu par les acteurs de l’Actor’s Studio et par
Kazan qui travaille beaucoup sur la complexité de l’acteur lui-même. En effet, « la
méthode » se basait surtout sur l’action physique pour rendre compte de la
psychologie, en veillant à préserver l’ambiguïté, « le secret des
personnages[22] ».
La mise en scène
de Kazan d’Un Tramway nommé désir a
été qualifiée de révolutionnaire à son époque. En effet, ce dernier s’est
inspiré de Stanislavski qui n’était pas encore vraiment connu en Amérique, sa
méthode prônant le naturalisme du jeu et des décors n’était pas encore
utilisée. Ses autres influences sont Meyerhold, Vakhtangov et les films[23],
c’est-à-dire le cinéma. La
pièce, la dramaturgie développée par Williams était fort proche des moyens
cinématographiques. Néanmoins le passage du texte à l’écran transforme le
sonore en visuel[24].
Selon Kolin[25],
les moyens cinématographiques n’ont que bénéficié au texte, pouvant insister
sur les effets de lumière, créer une atmosphère claustrophobique dans
l’appartement du couple de Stella et Stanley,...
Pour la
scénographie, Mielziner a représenté la réalité objective de façon atténuée,
suggérée. Cette scénographie a été reprise dans le film où les murs de l’appartement ont été rendus
amovibles afin de pouvoir rétrécir l’espace petit à petit. C’est là un effet
expressionniste qui vise à expliciter le sentiment claustrophobique et la folie
de Blanche[26].
Cette mise en scène se fait dans un
espace restreint. Le deux pièces où vit le couple et où se passe presque
l’entièreté est reconstitué en studio. Un espace restreint oblige une mise en
scène plus imaginative, plus recherchée. La tendance générale voudrait que les
mouvements de caméra soient réduits si on filme dans peu d’espace. Il est vrai
que les mouvements de caméra ne sont pas très nombreux dans le film et sont
assez classiques, forts statiques. Cela vient du fait que Kazan n’avait pas
encore une grande pratique cinématographique et qu’il voulait faire de ce film
une pièce filmée.
Il reprend à la
méthode de Stanislavski l’idée que tout ce que fait un acteur est une
action. Le concept d’action est central dans le travail de mise en scène de
Kazan. Travailler sur la mémoire de l’émotion, se souvenir et recréer cet état[27].
Il travaille sur le corps, sur l’extériorisation de la vie intérieure, celle-ci
étant également exprimée à travers les décors, les costumes,...
Il a également
beaucoup puisé chez Meyerhold et Vakhtangov pour le côté visuel, la théâtralité. Il traite chaque personnage comme une entité
psychologique, tout, les actes, les paroles, les postures, prend sens à partir
de la psychologie du personnage[28].
La brusquerie de
Brando, sa violence, faisait un grand effet sur la salle qui se laissait
emporter, enthousiaste, prise dans l’action. On peut dire que son jeu suscitait
un phénomène d’identification au personnage, ce qui n’est normalement pas le
cas au théâtre qui se définit par la double énonciation et la dénégation[29].
C’est comme si le public oubliait qu’il était au théâtre, ce qui est un phénomène anormal.
En effet, comme
je viens de le dire, le théâtre ne vise pas l’identification, son essence est la dénégation de la réalité,
il ne veut pas nous faire oublier où nous sommes et ce à quoi nous sommes en
train d’assister, c’est-à-dire à une représentation, à un spectacle, quelque
chose d’irréel. C’est le cinéma qui vise à nous emmener dans l’action, à nous
identifier aux protagonistes. Il est donc possible, qu’il y avait déjà dans
cette pièce quelque chose de très cinématographique, tel l’insistance sur les
détails, l’orientation du point de vue du spectateur…
Comme Elia Kazan
avait réalisé son premier film, Le Lys de Brooklyn, en 1945, il avait déjà une expérience
cinématographique quand il a mis en scène A
Streetcar et donc quand il l’a réalisé. Ce qui peut laisser supposer qu’il
s’est inspiré de cet autre média pour sa mise en scène… Mais cela est difficile
à vérifier étant donné qu’il ne reste pas d’enregistrement de cette pièce, il
se peu que ce soit simplement, le type de jeu qui surprenait et donc créait des
réactions.
Le jeu de Brando est sensuel,
violent. Il joue de cette ambiguïté du personnage et nous la fait ressentir, il
nous attire et en même temps nous effraie. Son jeu est physique, ce qui
correspond au personnage de Stanley. En effet, ce dernier est plutôt taciturne
quant à ses sentiments, c’est par ses mouvements, ses gestes, qu’on comprend ce
qu’il ressent et cela est déjà perceptible dans le texte. La caméra le film
souvent de près, insistant ainsi sur sa peau, sa sueur sur le t-shirt,
accentuant le côté érotique du personnage.
Pour Kazan[30]
il a besoin de voir tout le monde à son niveau. Ainsi il a arraché Stella à son
milieu et en ressent de la fierté. Ses amis sont ses voisins, ses copains de
l’armée, ils travaillent avec lui, ils sont tous du même monde. Il est perdu
face à Blanche qui refuse de se mettre à son niveau, de se rabaisser à son
monde. Il lui reproche ses airs de reine et ses robes et bijoux qu’il voit
comme des déguisements. Le seul moyen qu’il trouve en fin de compte pour la
dominer, c’est de la violer.
Pour exprimer son hédonisme, (il
aime manger, fumer, boire, faire
l’amour,...), sa sensualité, Kazan utilise des objets évocateurs. Ainsi
il a tout le temps une cigarette en bouche, une bouteille de bière, quelque
chose à manger... Ses déplacements indiquent son attirance pour Blanche.
Ce qui compte le plus pour Kazan ce
n’est pas tant ce que fait le personnage mais comment il le fait. Et c’est là
le travail du réalisateur dans sa fonction de directeur des artistes. Comme il
le dit lui-même: « il faut toujours s’intéresser à l’émotion plutôt
qu’au fait[31] »
On pourrait, pour expliquer ceci,
lier le fond et la forme et analyser un extrait du film. Prenons la scène où
Mitch vient voir Blanche pour lui demander des explications. Il lui reproche de
lui avoir menti, ce à quoi Blanche répond qu’elle ne lui a jamais menti dans
son cœur[32].
Dans les faits elle lui a menti, mais dans le fond, dans la manière dont elle
l’a fait, ce n’était pas mensonger. Elle lui explique qu’elle ne veut pas de la
réalité mais de la féerie[33] : « C’est
ce que je cherche à donner aux autres ! Je veux enjoliver les choses. Je
ne dis pas la vérité, je dis ce qui devrait être la vérité ! Que je sois
damnée si c’est un péché ! [34]»
Et c’est ce qui rend le personnage de Blanche en fin de compte touchant. Elle
ment, c’est un fait, mais elle ment pour rendre le monde plus beau, tel qu’elle
voudrait le voir.
Tout est dans l’intention et c’est
ce qui, d’une part, fait l’ambiguïté du texte de base et ce qui, d’autre part,
constitue le travail des acteurs de ce film.
D’où l’importance des gestes, du ton
de voix, de la façon de parler, des mots choisis.
Kazan a monté, et réalisé cette
pièce sous le mode du réalisme abstrait, le « stylized realism[35] ».
Il s’agit d’un naturalisme, d’un réalisme teinté de quelque chose de flou,
d’abstrait. Il a puisé cette idée chez Vakhtangov par rapport à son
travail sur l’expressivité du corps de l’acteur et le « réalisme
imaginatif » qu’il a repris sous le nom de « réalisme
poétique ». Quelque chose peut être réel et à la fois tout à fait
poétique, il n’y a pas d’opposition entre les deux.
Une illustration de cette méthode,
est de nous faire entendre la musique et les coups de revolver dans la tête de
Blanche. La musique « Varsouvania » est utilisée pour
symboliser la folie de Blanche, son éloignement par rapport à la réalité Kazan y a eu recourt afin de
souligner l’idée que c’est le passé qui détruit Blanche, le suicide de son mari
lors du bal où passait cet air, qu’elle n’arrive pas à se défaire de ce passé.
Le temps est une notion très importante dans les écrits de Williams, c’est pour
fuir les ravages du temps que ses personnages sombrent dans l’alcool ou dans la
drogue.
Il y a également une certaine
nostalgie chez eux. C’est ce qu’on voit avec Blanche que, d’une part son passé
a détruit et, d’autre part est nostalgique d’une certaine Amérique, d’un temps
révolu où les hommes étaient galants, où elle se serait fait servir… Une
certaine nostalgie de l’aristocratie du Sud représentée par tous ces objets
qu’elle ne quitte pas, comme ses bijoux et ses robes, son flocon d’eau de
Cologne, son portefeuille… Cette apparence, Kazan parle de « masque
social [36]» lui sert
également à se protéger elle-même. Selon lui, ce masque ne tombe jamais et il
le prend comme base, comme clef, pour expliquer le comportement de Blanche.
Ces objets ne signifient pas
seulement son attachement à son apparence mais expriment symboliquement son
attachement pour la tradition. En effet, ce souci de son apparence, cette
exigence d’être toujours classe et parfumée est celle d’un ancien temps, d’une
autre classe sociale. Aucun autre personnage n’a ce souci de l’apparence, Stella
ne s’habille pas avec beaucoup de classe, on ne la voit pas dépenser de
l’argent pour des vêtements. D’autres valeurs, un autre style de vie ont
supplanté celui de Blanche et de Belle Rêve. Un peu comme dans la Cerisaie
de Tchekhov où la disparition d’un lieu signifie la disparition d’une
époque, d’une classe sociale. Les temps ont changé favorisant l’avènement
d’hommes comme Stanley et faisant disparaître les femmes comme Blanche.
La dépendance de Blanche vis-à-vis
des hommes est également un reste de cet ancien ordre social, le système
patriarcal, où une femme ne pouvait pas survivre sans un homme et pour trouver
un homme elle devait être capable de le séduire.
D’où son obsession pour son
apparence. Williams a exprimé cela à travers ses bains, son amour des robes et
des bijoux et le fait qu’elle parle souvent de son physique, demande des
compliments. Kazan y a ajouté les gestes, montrant Blanche se regardant à de
nombreuses reprises dans le miroir, sa façon de bouger...
Williams ne
cherche pas à porter de jugement, il ne veut pas décrire des gens comme étant
des gens bien et d’autres comme des gens mauvais. Il décrit les gens comme ils
sont ou peuvent être. C’est ce qui ressort de la lettre envoyée pas Williams à
Kazan afin de lui expliquer la pièce[37].
Ce dernier s’est beaucoup inspiré de cette lettre en faisant « la clé pour
la production [38]», ce qui
montre que sur le fond, c’est la vision de l’auteur qu’il mettait en scène.
Ainsi Williams explique que les personnages ne se comprennent pas, ne se voient
pas tels que nous les voyons. Stanley ne voit pas en Blanche une femme
désespérée mais une profiteuse, une calculatrice. Cela explique son attitude
vis-à-vis d’elle qui peut nous sembler cruelle. Ce n’est pas seulement Stanley
qui la détruit, il ne veut pas présenter ce dernier comme « le
méchant ». Blanche est victime de l’incompréhension ou plutôt, d’un procès
d’intention, produit par son passé.
C’est donc une pièce centrée sur Blanche
et la tragédie de l’incompréhension. Au début Stanley est présenté de façon à
nous être sympathique, on le comprend. C’est Blanche qui déplaît au premier
abord. Mais petit à petit on la comprend également et on commence à compatir
avec cette femme qui souffre, on se rend compte qu’elle ne joue pas la
fragilité mais qu’elle est vraiment fragile, au bord du gouffre. C’est la
dynamique à la base du travail de Kazan. On voit que Stella en est exclue, et
donc qu’elle est un personnage assez secondaire. Ce qui est central, c’est où
mène la mauvaise compréhension qu’a Stanley de Blanche, à cause de ses préjugés.
Si la film ne présente pas les
choses d’une façon aussi manichéenne, c’est parce que Williams a pu intervenir
et insister sur le fait qu’il ne fallait pas montrer l’un comme tout blanc et
l’autre comme ayant tous les tords. Nous sommes en face d’êtres humains, avec
leurs bons et leurs mauvais côtés. Ce qui arrive ne peut être l’œuvre d’un
seul. Il lui demande de ne pas simplifier les choses[39]
mais bien de montrer les rapports, les personnages dans toute leur complexité.
Il ne faut pas réduire la pièce à un jugement moral. C’est une tragédie de la
subjectivité mettant en scène les confusions résultant de fait qu’on ait chacun
une certaine vision des choses, que parfois on perçoit une même réalité de
façon diamétralement différente.
C’est une pièce basée sur la
relation triangulaire entre les trois protagonistes. Blanche est à son sommet,
compliquant la relation entre le couple, faisant changer chacun d’entre eux. Ainsi elle exerce
une forte influence sur Stella, elle la domine, la subjugue, lui rappelle toute
cette tradition dans laquelle elle aussi a grandi. Dans les mouvements de
Stella, on sent le recul par rapport à Blanche, elle s’en éloigne et ce dès le
début. Elle est tout le temps en mouvement, marche à travers l’appartement,... Blanche et Stanley essaient chacun de
rallier Stella à son camp. Néanmoins j’ai l’impression que le rôle de Stella
est nettement plus négatif et secondaire que dans la pièce originale. N’est-ce
pas cela que signifie la suppression de la première scène où on voit Stella
chez elle, à manger des bonbons…C’est là que se met en place son personnage,
qu’il est présenté au public.
Pour Kazan, Stella est comme sa
sœur, c’est la protection qu’elle cherche chez Stanley, elle n’arrive à rien
sans lui, ne vit que pour lui plaire…
Chez Williams le
personnage est plus subtil, la sensualité du couple est beaucoup plus évidente.
Celle-ci s’amenuise quelque peu chez Kazan qui tend à interpréter les rapports
des personnages en rapports de force…
A la fin du film, Stella s’éloigne
de Stanley, c’est dans les bras d’Eunice qu’elle va se réfugier. Pour Kazan,
Blanche a changé le regard de Stella sur Stanley, pour lui elle lui a ouvert
les yeux[40].
Cette fin punit Stanley, Stella le quitte, désormais elle ne vivra plus que
pour son bébé comme semble le suggérer une des dernières images où elle soulève
son bébé dans le ciel… Blanche est emmenée à l’hôpital psychiatrique, elle
sourit au bras du médecin, elle a enfin trouvé son protecteur… Dans la pièce
écrite, tandis que Blanche est emmenée Stanley prend Stella sans ses bras et
lui murmure des mots doux, lui promettant qu’à présent tout ira mieux. Elle
reste avec lui, il n’est donc pas puni pour son crime, on suppose que les
choses reprendront le cours qu’elles suivaient avant l’arrivée de Blanche.
Cette fin nettement moins hollywoodienne a paru amorale parce qu’elle ne juge
pas. Elle présente les choses telles qu’elles se seraient sans doute passées
dans la réalité…
La conception de
Williams et celle de Kazan ne concordaient pas quant à la représentation de
l’ambiance générale de la pièce, du style de la représentation.
Williams voulait
représenter la subjectivité et l’objectivité de la réalité à travers des moyens
réalistes et expressionnistes, alors que Kazan défendait une représentation
entre le naturalisme et l’abstraction.
Williams ne voulait pas d’un théâtre
réaliste tel qu’il était pratiqué aux Etats-Unis avant la seconde guerre
mondiale, il voulait de la liberté pour l’adaptation de ses pièces. Il
proposait particulièrement de s’ouvrir à d’autres techniques comme celles de
l’expressionnisme et ce non pour en faire quelque chose de lyrique, de
poétique, mais au contraire, pour mieux montrer la réalité. Il voulait un
théâtre plastique capable d’exprimer la vitalité, le changement, car c’est là
qu’on saisit la réalité, la vie[41].
On peut
illustrer cela par des propositions d’adaptation du texte différentes. Par
exemple, pour la scène du viol[42],
Williams voulait rendre
l’ambiance angoissante, jouer sur les ombres, rendre les fenêtres, les formes
menaçantes afin de signifier la menace qui pèse sur Blanche. Kazan a rendu
cette scène beaucoup plus réaliste, se basant sur la violence déjà instaurée du
personnage de Stanley et l’ambiance violente du quartier où en entend tout le
temps des gens se disputer.
Le réalisme
servait jusque-là, était l’outil, du théâtre commercial de Broadway.
L’expressionnisme par contre était le mode du théâtre d’avant-garde. Aussi ce
que proposait Williams en voulant lier les deux genres, c’était d’amener
l’avant-garde à Broadway, de la faire connaître à un autre public. Pour cela il
fallait adoucir les propositions avant-gardistes, les mêler au réalisme de
Broadway.
Cette volonté de
lier les dichotomies apparaît donc autant dans la forme qu’il voulait donner à
ses pièces, que dans leur fond.
Dans les pièces
suivantes, l’influence de Kazan n’a fait qu’accroître, rentrant souvent en
conflit avec Williams qui lui cédait puis s’interrogeait si c’était la chose à
faire[43]...
D’après des critiques comme Henry Hewes, Kazan rendait les pièces plus
commerciales, alors que Williams était davantage dans une recherche artistique.
Cette
collaboration a été d’ailleurs été pas mal critiquée, certains[44]
considérant que le travail du dramaturge devait se faire de façon autonome et
qui n’appréciaient pas que la pièce écrite ressemble davantage à un script.
En effet, dans
les versions de la pièce écrite -une plus fidèle au travail collectif, plus
proche du spectacle et une destinée à la lecture[45]-
ont été ajoutés les décors tes que conçu par Mielziner et les mouvements des
acteurs tels que développés par Kazan (même si ces informations sont moins
importantes, moins nombreuses dans le version pour la lecture). La pièce écrite
est donc elle-même une oeuvre collective[46].
L’utilisation de la musique a été
ostensiblement modifiée par Kazan. Dans la pièce de Williams la polka obsédant
Blanche ne devait intervenir que très peu de fois. Kazan la fait jouer beaucoup
plus souvent. C’est par la musique qu’il indique la folie de Blanche qui se
fait de plus en plus importante, alors que Williams voulait indiquer la
progression de celle-ci par des moyens expressionnistes.
Une autre modification apportée par
Kazan est d’avoir rendu la pièce plus politique. Pour lui ce qui oppose
principalement Blanche à Stanley, c’est leur classe politique. Cet aspect est
présent dans le texte, on voit Stanley se vanter d’avoir sorti Stella de son
milieu et qu’elle a aimé ça. Néanmoins,
il me semble que chez Williams il s’agit d’insister surtout sur le passage
d’une époque à l’autre, ce sont des représentants de deux mondes qui s’affrontent,
ne se comprennent pas, s’attirent et se repousse. Ce n’est pas qu’une question
de classe sociale.
En conclusion on
peut dire que si la pièce Un tramway
nommé désir est encore connue aujourd’hui, c’est principalement grâce au
film d’Elia Kazan. Sur la plupart des éditions de cette pièce une image du film
sert d’illustration à la couverture.
La performance
du jeu de Brando et de Vivien Leigh participe également au succès encore actuel
de ce film.
Le film est une
adaptation assez fidèle du texte. Le contenu du texte ne change pratiquement
pas, le texte lui-même subit très peu de coupures et de modifications.
Celles-ci sont, comme cela a été vu plus haut, davantage le produit des
contraintes de productions que résultant de choix artistiques. La filiation
entre le méta-texte et le proto-texte est linéaire. Même si toute adaptation
est trahison, on peut sans doute dire qu’ici le choix était de rester au
maximum fidèle, dans les limites du possible.
Si le théâtre
défend la multifocalisation, le cinéma est un média total, ne rendant compte, à
travers le montage, que du point de vue du réalisateur.
Le sens de la
pièce étant de montrer les conséquences de l’incompréhension et des jugements
destructeurs. Dès lors, il ne fallait pas que le film commette la même erreur,
c’est-à-dire produire un point de vue réducteur sur les personnages.
Aussi, s’il a
réussi à rendre compte de la plurivocité des points de vue, on peut penser qu’il
a réussit a adapter fidèlement la
pièce car il en aura transmis le noyau essentiel.
Bibliographie
COLOMBANI F., Elia Kazan: Une
Amérique du chaos, Pirey, Paris, 2004.
HELBO A., L’adaptation. Du théâtre au cinéma, Armand Colin/Masson, Paris,
1997.
HELBO A., Signes du spectacle. Des arts
vivants aux médias, Peter Lang, Bruxelles, 2006.
MURPHY B., Tennesse Williams and Elia Kazan : a
collaboration in the theatre, Cambridge
University Press, Cambridge, 1992.
KOLIN P., Confronting Tennesse William’s A Streetcar Named Desir. Essays in
critical
pluralism, Greenwood Press, Wesport, 1993.
PASSEK J.-L. (sous la direction de), Dictionnaire du cinéma , Larousse, Paris, 1995.
PAVIS P., La mise en scène
contemporaine. Origines, tendances, perspectives, Armand
Colin, Paris, 2007.
WILLIAMS T., Un tramway nommé désir, Laffont, Paris,
1958.
Reportage
Portrait d’Elia Kazan, reportage Arte de TRESGOT A. et CIMENT M.,
1982.
[1] KOLIN Ph., Confronting Tennesse William’s A Streetcar Named Desir. Essays in critical
pluralism,
Greenwood
Press, Wesport, 1993, p.15.
[2]HELBO A., Signes du specatcle. Des
arts vivants aux médias, Peter Lang, Bruxelles, 2006, p.75.
[3] Ibid.
[4] Ibid., p. 66.
[5] Encyclopedia
Universalis
[6] Portrait d’Elia Kazan, reportage Arte de
TRESGOT A .et CIMENT M., 1982.
Amérique du chaos, Pirey, Paris, 2004, p.48.
[8] Reportage
Arte, loc.cit.
[9] MURPHY B., Tennesse Williams and Elia Kazan : a collaboration in the theatre,
Cambridge University Press,
Cambridge, 1992, p.16.
[10] Ibid., p. 17.
[11] Ibid. p.5.
[12] HELBO A., L’adaptation. Du théâtre au cinéma.
Armand Colin/Masson, Paris, 1997, p.27.
[13] PASSEK
J.-L. (sous la direction de), Dictionnaire
du cinéma, Larousse, Paris, 1995, p.62.
[14] HELBO A., Signes du spectacle. Des arts vivants aux
médias, Peter Lang, Bruxelles, 2006, p. 66.
[15] Ibid.
[16] PASSEK
J.-L., op. cit., p.61.
[17]COLOMBANI
F., op. cit. p.44.
[18] Emission
Arte, loc.cit.
[19] Loc. cit.
[20] HELBO A., op. cit. p.77.
[21] Ibid.
[22] Ibid.
[23] MURPHY B., op.cit., p.11.
[24] HELBO A., op. cit. p.70.
[25] KOLIN Ph., op. cit., p.16.
[26] COLOMBANI
F., op. cit., p.42.
[27] Ibid. p.13.
[28] MURPHY B., op. cit., p.46.
[29] La
dénégation est une notion développée par Mammoni pour définir le mode
spécifique de la réception théâtrale. Cité in HELBO A., L’adaptation.
Du théâtre au cinéma, Armand Colin/Masson, Paris, 1997, p 52.
[30] MURPHY B., op. cit, p.55.
[31]COLOMBANI
F., op. cit.,p.135.
[32] WILLIAMS
T., Un tramway nommé désir,
Laffont, Paris, 1958, p.180.
[33]MURPHY B., op. cit, p. 210.
[34]Ibid.
[35] Ibid. p.25.
[36] Ibid. p.38.
[37] Ibid. p.24.
[38] Ibid.
[39] Ibid.
[40]Ibid.50.
[41] Ibid. p.7.
[42] Ibid. p.55.
[43] Ainsi il a
ajouté une note dans Une chatte sur un toit brûlant où il expliquer à
quel point Kazan avait changé la pièce et qu’il n’était pas tout à fait
persuadé de la valeur de ces changements, cité par MURPHY B., op. cit., p.4.
[44] Nancy Tischler
parle de collaboration aesthétique, ibid., p.3.
[45] La reading
version publiée par New Direction, ibid.
[46]Ibid.
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