La photographie de
plateau : Emmanuel Lowenthal
« Les images de films sont en quelque
sorte des mises en scène de mise en scène,
Si la photographie est une trace,
on la conçoit en général en tant que trace du sujet de la photographie ou trace
de l’instant de la captation de l’image. Pourtant, elle est également une trace
du sujet photographiant, de sa vision des choses ainsi que de l’acte
photographique,[2]
c’est-à-dire de la façon dont ce photographe s’y est pris pour réaliser le
cliché. Si on décide d’aborder cet aspect de la photo, on s’engage dans les
questions de la production de l’image, question qui nous confronte non
seulement au photographe et à ses choix esthétiques et techniques, mais
également au contexte historique et ce selon deux aspects. D’une part en ce qui
concerne le matériel que le photographe pouvait avoir à sa disposition, c’est
donc l’aspect économico-technique et d’autre part les conventions de l’époque
qui exigeaient de lui tel ou tel type de cliché pour tel ou tel type de sujet.
A travers ce travail, le signe
qu’est la photographie sera étudié dans ce sens car ce ne sont pas tant les
sujets de la photo qui nous intéressent mais l’homme derrière l’objectif,
Emmanuel Lowenthal, et nous essayeront de voir ce que ses clichés peuvent nous
apprendre de lui.
Nous serions tentés pour se faire
de situer historiquement et socio-économiquement le photographe et ses photos
et ce afin de pouvoir, une fois dégagées les contraintes exercées de
l’extérieure sur son travail, voir
son originalité, ses choix personnels.
Seulement cette approche serait
assez malhabile étant donné le statut et le travail du photographe à l’époque. En
effet, à cette époque les photographes n’étaient pas considérés comme des
artistes et cela est d’autant plus vrai pour les photographes de plateau qui avaient
un statut de technicien. C’est le sujet qui était l’objet le plus important de
leurs images et non leur technique ou leurs choix esthétiques. Ils répondaient
à des commandes, ils avaient un travail à accomplir sur un film et ce travail consistait
en premier lieu à le résumer, le synthétiser en images publicitaires pour
attirer l’attention des potentiels spectateurs. Comme l’écrit Pierre Jacques
dans l’Univers du cinéma, le
photographe de plateau : « prend à l’aide d’un appareil photo (non une
caméra) des vues fixes propres à constituer un matériel publicitaire pour le
film. [3]»
Aussi, la méthodologie que j’ai
proposée ne correspond pas vraiment au sujet, et ce, comme nous venons de le
voir, selon un critère historique ;
elle n’est pas applicable pour l’époque donnée. Je pense qu’elle serait valable
si on étudiait un artiste, artiste dont Soulages nous propose une définition,
s’appuyant pour ce faire sur la photographe Julia Margaret Cameron « être
artiste, c’est choisir, et {…} ce n’est pas tant l’objet de la photographie qui
est le plus important, mais la manière photographique d’enregistrer ses
apparences visuelles pour produire du photographique.[4] »
Nous venons de voir que c’était exactement l’inverse qui était demandé au
photographe de plateau. C’est ainsi que nous en arrivons à une définition de la
tâche du photographe de plateau des années 20 comme celle que propose Jörg
Becker « Faire des images d’images, sur des images, images de la
réalisation, des acteurs, des stars (…) [5]»
Si j’ai décidé de soulever cette
approche, c’est parce que non seulement elle nous permet d’apprendre des choses
(le statut du photographe à l’époque, sa différence avec l’artiste) mais elle peut
également s’avérer utile non pour définir une originalité mais pour voir
comment le photographe en question se situe dans son époque. Dans le cas de
Lowenthal, on pourra interroger ce qu’il a apporté au cinéma français. En
effet, Emmanuel Lowenthal fait partie des ces émigrés allemands qui ont fait
avancer les choses en France. « Quant
aux photographes de plateau, si on compare les tableaux vivants pris par
Lipnitzki sur “Napoléon” d’Abel Gance et le dynamisme des images de Horst von
Harbou pour le contemporain de “Metropolis” on imagine combien l’arrivée d’un
Walter Lichtenstein, devenu Walter Limot, d’un Emmanuel Lowenthal, a pu
également revivifier la conception de leur travail, au moment d’ailleurs où
apparaissaient une nouvelle génération (illustrée par le travail de Sam Lévin
sur les films de Renoir).[6] »
Les techniques cinématographiques étaient à l’époque plus
développées en Allemagne que dans l’Hexagone et de par le choix de l’UFA de
licencier dès la montée en puissance du nazisme tous les employés juifs,
ceux-ci ont dû migrer pour pouvoir travailler et vivre. La France était à
l’époque le pays de l’immigration, c’est donc là que se sont installés beaucoup
d’entre eux. Si les réalisateurs n’ont pas rencontré de problèmes pour
travailler, il n’en est pas allé de même pour les techniciens qui devaient
faire face à des préjugés xénophobes. En effet, c’était la crise et les
étrangers étaient, entre autre, considérés comme responsables de la corruption[7],…
Pourtant Lowenthal parvint
rapidement à travailler pour de grands réalisateurs. Ces différentes
opportunités qu’il a eues rendent l’étude de son œuvre particulièrement intéressante
de par sa participation à des films qu’on dit représentatifs de leur époque. De
plus, il a travaillé sur un long laps de temps, de la fin des années 20 jusqu’à
la fin des années 50. Sur cette trentaine d’années il a été engagé comme
photographe de plateau sur plus de trente films, on peut donc voir à travers
l’étude de ses photos non seulement l’évolution de la photographie mais
également celle du cinéma.
Comme le souligne Martine Joly dans Introduction à l’analyse de l’image, une
image constitue toujours un message pour autrui[8]. Aussi pour la comprendre il faut
se poser la question de la réception, pour qui cette image a-t-elle été produite
? Cela nous ramène à la question des publics des années 30 jusqu’aux années 50
mais également au contexte politique et économique qui définit ces années-là.
Le public français des années 30 est celui qui sort des années folles,
rattrapés par la crise économique qui atteint l’Europe vers 1931. S’engage
alors une période de transition, ce qui implique une période d’effervescence
intellectuelle donnant lieu à la création de partis tant d’extrême droite que
d’extrême gauche, ainsi que de groupes prônant des valeurs tels que le
personnalisme, l’individualisme… Une demande de modernisation se fait dans les
différents domaines. En 1936 le Front Populaire est élu et pour la première
fois un pays ploutocratique est dirigé par un gouvernement de gauche.
Dans les années 40, le gouvernement Vichy met en place une censure
importante, ce sont les années de l’occupation, de la délation, de la
propagande, de la restriction, de la guerre…Ensuite vint la Libération et
l’épuration à laquelle elle donna lieu.
On voit donc que ce sont des périodes difficiles, des périodes
d’insécurité, de changements sur différents plans. Le cinéma avait un rôle de
distraction, il permettait de s’échapper et resta l’art populaire par
excellence jusqu’à ce qu’il soit relayé par la télévision. Néanmoins, un cinéma
plus engagé se mettait également en place et beaucoup contribuèrent à lui
donner ses lettres de noblesse. En effet, dès les années 20, des tentatives
sont lancées pour promouvoir le cinéma au rang d’art par notamment la critique
cinématographique qui s’affirme avec Louis Delluc, l’inventeur du terme de
cinéaste en 1921. Ce mouvement avait commencé avec les premiers cinéphiles, les
futuristes qui, avec Canudo célèbrent le cinéma en tant que septième art.
Delluc se distingue de ce mouvement par sa volonté de toucher et gagner à sa
cause un large public.
Dans les années 1925, se développe en Allemagne le mouvement de la
Nouvelle Objectivité, prônant, après l’expressionisme le retour à un certain
réalisme et se manifestant autant dans le cinéma que dans la littérature, la
peinture et la photographie qui refuse dès lors le pictorialisme et affirme sa
spécificité d’image du réel. Ce mouvement donne encore, comme
l‘expressionnisme, une très grande importance aux ambiances, aux atmosphères.
En France, le cinéma se développe principalement dans le style réaliste et ce
jusqu’aux années 50. On parle d’une part d’un réalisme poétique et d’autre part
d’un réalisme classique.
Ce travail porte sur l’analyse de
l’image, des photographies de cinéma d’un photographe donnée. Si on suit
François Soulages (entre autres…) pour lequel quatre éléments définissent la
photographie d’un point de vue matériel, il nous faudra aborder la question de la couleur, du noir ou blanc, des formes
qu’on peut repérer dans l’image, du matériau ou support employés et enfin du
format, des dimensions et de la forme de la photographie[9].
Si je soulève cette question de
l’analyse en ces termes, c’est pour souligner la difficulté de ne pas
travailler, de ne pas avoir accès aux photos originales. En effet, le livre
publié pour l’exposition qui lui a été consacré, ne donne pas les détails
portant sur le format et sur les matériaux employés. Cela est d’autant plus frappant si on tente d’analyser les
photographies à l’aide de la fiche technique que nous avons étudiée en cours.
En effet, on ne peut répondre ni aux questions concernant la présentation
matérielles et technique de l’image, ni à celles concernant son utilisation.
Etant donné que le support de ce
travail est justement ce livre, je pense qu’il est intéressant d’interroger ce
support,
Il s’agit donc d’un livre, Emmanuel
Lowenthal. Photographe de plateau/ Standfotograf, publié à l’occasion d’une
exposition organisée par le Goethe-Insitut Paris avec le concours du ministère
de la Culture et de la Communication, ayant lieu du 18 novembre 1999 au 7
janvier 2000 et retraçant la carrière de Lowenthal. Il me semble important de souligner qu’il s’agit d’un projet commun
à ces deux pays et donc qu’il y a une volonté clairement affirmée de présenter
le travail de ce photographe dans ces deux pays. Aussi le livre est publié en
bilingue et des auteurs aussi bien français qu’allemands ont participé à
l’élaboration des commentaires.
Il est difficile d’étudier ces photos étant donné qu’on a très peu
d’informations sur elles. On ne sait pas où on a été les chercher, dans une
collection privée, celle de Lowenthal, des réalisateurs, des acteurs ?
Quelle a été leur finalité ? Ont-elle servies à la promotion du
film ? En tant qu’archive personnelle ou commandes du réalisateur, en tant que promotion de l’acteur ?
En effet, étant donné qu’il a
travaillé sur de grands films, donc avec des acteurs célèbres dans les rôles
principaux, il faut questionner sa manière de photographier les vedettes. Son
approche, son esthétique, vise-t-elle à participer au phénomène de
starification? Peut-on parler de surcodage ? Quelle vision donne-t-il des
personnes photographiées ? Y a-t-il une différence entre les photos
d’acteurs en pause et au travail, entre les photographies du réalisateur, des
autres acteurs ?
Ces questions peuvent être posées à de nombreuses photographies. En
effet, certaines photographies représentent clairement les acteurs en pose, par
exemple la photographie numéro 19 où on voit les acteurs se tenant avec
Emmanuel Lowenthal, se laisser prendre en photo mais non en tant qu’acteur,
simplement en tant que personnes. On reconnaît dans cette photo une volonté de
laisser une trace comme dans les photographies de famille, il n’y a pas d’autres
prétentions me semble-t-il, si ce n’est d’avoir également, pour une fois, une
photo du photographe… Pour les
photographies 18,23, 28, par exemple, c’est le même processus qui en jeu. Par
contre, d’autres photos ne sont pas aussi évidentes. En effet, que penser de la
photo numéro 24 où l’on voit Jeanne Moreau, habillée de son costume de la reine
Margot, boire du coca-cola dans une bouteille. Cette photo est commentée dans
les Notes sur les photos[10] :
« L’anachronisme de la bouteille de Coca-Cola. » On peut donc
imaginer que le photographe s’est amusé de ce décalage d’époque. Néanmoins la
manière dont cette photo est prise, elle en net dans un décor flou, son
expression et sa pose font penser qu’il s’agit d’une photo d’acteur, une photo
visant à la mettre en avant. L’idée qui s’en dégage est que même en pose,
Jeanne Moreau est merveilleuse, différente et encore dans la concentration que
nécessite le jeu, habitée du personnage en quelque sorte…
La photographie de Bourvil et
Gabin à la page 60 pose un autre genre de question. En effet, on dirait une
photo de film en même temps qu’une photo d’acteur. Les commentaires ne nous
aident pas, ils nous donnent uniquement les noms des acteurs. Il me semble que
pour trancher, la seule solution est de visionner le film qui nous apprend que
cette image n’y est pas présente. En effet, la caméra ne film presque jamais
selon cet axe dans cette séquence. De plus, la position des acteurs est
inversée, dans le film Gabin se tient à gauche de Bourvil et la prise de vue le
met davantage en évidence alors qu’avec cette photo c’est Bourvil qui est en
premier plan. On peut donc dire que la photo ne vient pas du tournage ou du
moins du tournage des scènes qui ont été sélectionnées pour constituer le film.
Une question reste néanmoins : s’agit-il d’une photo posée ou d’une photo
de la scène du bar mais jouée/tournée autrement…On voit en tout cas que la
lumière[11]
est importante et qu’ils sont sous des projecteurs, l’image est travaillée et
les met en vedette. En apprenant que cette photo a été utilisée à des fins
publicitaires, c’est elle que l’on retrouve, par exemple, dans Le dictionnaire mondial des films de
Larousse à côté du descriptif du film, on peut, me semble-t-il, trancher en
faveur de la photo d’acteur jouant de cette ambiguïté. Son utilisation vise à
mettre l’accent sur les deux grands acteurs qui ont participé à ce film et
suggère qu’elle est une image du film.
Nous voyons à travers ces quelques exemples la richesse de ce
livre qui propose différents types d’images du et autour du tournage. Cette diversité permet de se demander comment indique-t-il
qu’il s’agit de tel ou tel type de photo ainsi que quels sont les codes à l’œuvre dans ces différentes
représentations.
Sur la plupart de ces photographies, il n’y a pas de doute à avoir
quand au sujet. En effet, Lowenthal situe le lieu, le sujet : s’il s’agit
de photographie du tournage, il s’arrange pour inclure dans le cadre les
caméras, micros, câbles… De même, dans ce type de photos, d’autres personnes
sont présentes, les techniciens, maquilleurs,… on a ainsi un témoignage sur les
conditions et les moyens de réalisation. Néanmoins,
le choix des photographies du livre (en général photo de vedettes) donne
l’impression qu’on a également voulu insister sur le fait que Lowenthal a
travaillé avec les plus grands acteurs…
Il est
intéressant de noter que les commentaires faits en début du livre se font sur
des photographies qui ne s’y trouvent pas, qu’il y est question de série alors
qu’une seule photo est finalement montrée…
Ainsi, par
exemple, Becker parle des photos de couple, de portraits en gros et moyen plans
sur Brigitte Helm où est souligné son chapeau à voilette qui donne un style
« nouvelle objectivité »,…alors que la photo qui est présentée de ce
film est un plan d’ensemble qui ne participe pas à cette esthétique[12].
On peut donc s’interroger sur ce choix…
Un autre
aspect intéressant est l’absence de légende explicatives à côté des
photographies, les seules informations qui sont données sont le titre du film,
le réalisateur, l’année ainsi que, éventuellement, leur lieu de provenance. Cela
montre qu’on veut insister sur la photo en soi, le livre est dédié à Lowenthal
et donc ce sont ses images qui doivent avoir la première place et non servir
d’illustration à des films sur lesquels il a travaillé.
Le livre se
présente dans un ordre chronologique, une autre manière encore de souligner que
le sujet est la carrière de Lowenthal. Le livre ne se présente pas comme un
objet d’art mais comme un témoignage, un document sur ce photographe. Si tous
les films sur lesquels il a travaillé ne sont pas repris, on en retrouve
cependant une grande partie.
Revenons en
à présent aux photographies elles-mêmes.
La photographie du tournage, des
conditions du tournage et les photos de l’équipe se présentent en général comme
de photos de reportages, c’est-à-dire comme des témoignages. Ces photos, écrit
Soulages, prétendent restituer l’objet à
photographier ou du moins en rendre compte et qui affirment rendre possible sa
connaissance en le photographiant[13]. Elles auraient pour objectif, selon
lui, de restituer l’essence des choses.
La difficulté de cette idée de
véracité, de témoignage, se manifeste avec encore plus de force dans les
portraits. En effet, devant un
objectif il est très difficile de rester naturel, aussi nous avons davantage
une photo de la personne en représentation, elle pose et nous présente un
personnage. Si cela est vrai pour tout un chacun, cette question est encore
plus importante avec les vedettes qui se doivent de jouer, de présenter un
personnage au public qui attend cela d’eux. Il y a une identification chez les
stars entre la personne et le personnage. Voir, comme l’explique Edgar Morin
dans Les stars, une interpénétration
entre l’acteur et ses rôles. Le
sociologue écrit que dans la composition du film, la star peut être la
substance la plus précieuse donc la plus coûteuse[14]. Il s'agit d'un investissement, aussi
il faut le rentabiliser au maximum et cela notamment par les photos. Il s’agit
de souligner son rôle, sa présence dans le film. C'est la star que les gens
vont venir voir aussi il faudra à tout prix la mettre en vedette...Il cite Carl Laemmle, l'inventeur des stars: "La fabrication des stars est choses
primordiale dans l'industrie du film[15].
Ce phénomène du star
system perdure jusqu’aux années 50, Lowenthal a donc passé sa vie à travailler
dedans. Si on considère que ce sont notamment les techniques cinématographiques
qui transforment l’acteur en idole[16],
comment se manifestent ces techniques dans la photographie ?
La question est donc comment
Lowenthal se situe-t-il par rapport à ce milieu. Envisage-t-il son travail
selon l’axe de la fidélité ou de la
servilité ? Veut-il rendre témoignage du tournage, des acteurs ou bien
mettre la photo à leur service et les valoriser ?
On sait que Lowenthal a choisi ce métier par passion[17], aussi on peut supposer qu’il aime le
cinéma et veut rendre compte de sa passion. C’est ce que laissent penser toutes
ces photos de tournage, ce sont des images que les personnes extérieures au
plateau n’ont pas l’occasion de voir, et lui semble vouloir le leur communiquer,
en laisser une trace. A l’aide de ces photos, il nous renseigner sur un autre
aspect du cinéma. Ce ne sont pas que des lumières, des caméras, ce sont surtout
des personnes rassemblées autour d’un projet commun. Ce sont des personnes au
travail…
On voit qu’en voulant étudier ces photographies, on est sans cesse
reconduit à interroger la production, et donc celui qui fait être cette image,
celui qui est à son origine. Si on suit la pensée de Soulages qui s’appuie sur
Peirce, on explique cela de par la nature indicielle de la photographie.
L’index ou l’indice représente la classe des signes qui entretiennent avec ce qu’ils représentent une
relation causale de contiguité physique[18], il y a un lien entre l’objet et ce
dont il est le signe, ce lien est le photographe muni de son appareil, il est
donc pertinent de partir de là, surtout si on souscrit à l’idée selon laquelle
{l}a photo est plus un produit qui
interroge le visible qu’un objet qui le donne[19].
Ainsi ces photos posent question
par rapport à leur véracité, en effet on sait qu’elles peuvent être trompeuses
mais il n’est pas évident de définir à quel point. Les photographies peuvent
nous tromper tant, dans un premier moment, sur le sujet, sur l’instant en ayant recours à une composition, à
une mise en scène de la futur image et, dans un second temps, lors du tirage où
le photographe peut améliorer son cliché, faire disparaître des éléments,…[20]
S’appuyant sur ces observations, François Soulages propose de déplacer le
« ça a été » de Barthes par le « ça a été joué »[21].
Ainsi on décide de ne pas s’illusionner sur la véracité, la réalité de l’image.
Contre cette idée, Cartier-Bresson déclare que pour être une photographie,
l’image ne peut pas résulter d’une mise en scène car sinon il ne s’agit plus de
photo mais {de} théâtre (photographié)[22].
Ainsi Cartier Bresson écrit dans L’instant
décisif : « L’arrangement artificiel est ce qu’il faut redouter
par dessus tout.[23]» Soulages infirme cette idée, pour lui
il y a toujours une mise en scène du photographe. « C’est peut-être,
dirait-on dans une perspective humaniste - la spécificité de la mise en scène
qui manifeste le style de l’auteur. [24] »
Il voit le photographe comme un metteur en scène et cela même malgré lui.
Il ne s’agit pas ici de répondre
à cette question mais plutôt de la soulever, de souligner que la photographie,
l’image ne va pas de soi et qu’elle doit être étudiée d’un point de vue
critique si on ne veut pas se faire tromper. Néanmoins, pour pouvoir avancer,
notons que quoi qu’il en soit, la proposition du « ça a été joué »
peut être particulièrement utile pour notre sujet étant donné qu’il s’agit de
photographies de cinéma, donc des photos de plateau, prises pendant le tournage
et ayant pour sujet ou bien les comédiens en train de jouer ou bien l’équipe
technique en train de travailler.
La photographie numéro 9 du livre sur Emmanuel Lowenthal[25],
issue du tournage Les gaietés de
l’exposition, de Ernest Hajos en 1938 est particulièrement éclairante à ce
propos, elle nous renseigne sur la manière dont l’éclairage et l’effet a été
obtenu : par une lumière et un angle de vue en contre plongé, ce qui
provoque un effet inquiétant. De
plus nous avons une indication sur la direction du jeu de l’acteur, on voit
comment son regard se fait guider. On peut donc dire que son but est
métafilmique, il nous renseigne sur les moyens de production, de fabrication de
cette image. A la différence d’autres photographies (photo d’acteur en jeu, en
pose ou naturel) ces photo sont clairement identifiées, situées. En effet,
Lowenthal situe le lieu, le sujet : il s’arrange pour inclure dans le
cadre les caméras, micros, câbles… De même, dans ce type de photos, d’autres
personnes sont présentes, les techniciens, maquilleurs,… on a ainsi un
témoignage sur les conditions et les moyens de réalisation.
Ne travaillant pas sur l’ensemble
de l’œuvre de ce photographe, il est impossible de se prononcer sur ses
photographies en général. Ce livre reprend en majorité des photos des
conditions de tournages, des acteurs, techniciens, réalisateur, de l’équipe…Il
me semble que l’image qu’on a voulu transmettre à travers ce choix est celle
d’un photographe passionné par le cinéma, investi dans l’équipe, intéressé à
ses différents aspects. Si les photos de publicités mettent en avant le fait
qu’il était également un grand photographe qui maîtrisait les procédés de
l ‘époque, c’est avant tout un témoin de l’ambiance et peut-être davantage
du ça a été, cette équipe, cet instant-là a été. C’est sur cette idée que je
voudrais conclure.
Bibliographie
ARANOVICH R., Exposer une histoire au cinéma. La
photographie cinématographique, Editions Dujarric, Paris, 2003.
JACQUES P., Univers du cinéma, éditions félix
touron, Paris, 1966.
JOLY M., Introduction à l’analyse de l’image, Armand
Colin, Paris, 2005.
PERKOWSKI S. (conception et
réalisation), Emmanuel Lowenthal.
Photographe de plateau/Standfotograf, Goethe-Institut Paris, 1999.
SOULAGES
F., Esthétique
de la photographie. La perte et le reste, Nathan, Paris, 1998.
Internet
Bertrand Carrière,
« Photographie de plateau et photographie de tournage, quelques
indications. » in www.bertrandcarriere.com/.../p03_La%20Photo%20%20de%20%20Plateau.pdf
[1] Bertrand Carrière,
« Photographie de plateau et photographie de tournage, quelques
indications. » in www.bertrandcarriere.com/.../p03_La%20Photo%20%20de%20%20Plateau.pdf
[2] SOULAGES F., Esthétique de la photographie. La perte et
le reste, Nathan, Paris, 1998, p.5.
[3] JACQUES P., Univers du cinéma, éditions félix
touron, Paris, 1966, p. 93.
[4] SOULAGES F., Op.cit., p.63.
[5] Jörg Becker, « Comme
écrit sur le visage…La Photographie de plateau à l’exemple d’Emmanuel
Lowenthal » in PERKOWSKI S. ( conception et réalisation), Emmanuel Lowenthal. Photographe de
plateau/Standfotograf, Goethe-Institut Paris, 1999, p.13
[6] Bernard Eisenschitz,
« L’émigration du cinéma allemand en France » in PERKOWSKI S., Ibid.p.10.
[7] Ces informations proviennent
principalement de Bernard Eisenschitz, Loc.cit.
[8] JOLY M., Introduction à l’analyse de l’image, Armand
Colin, Paris, 2005, p.45.
[9] SOULAGES F., Op.cit., p.19
[10] PERKOWSKI S., Op.cit., p.67.
[11] Sur l’utilisation de la
lumière au cinéma voir notamment ARANOVICH R., Exposer une histoire au cinéma. La photographie cinématographique, Editions
Dujarric, Paris, 2003,pp.33-78.
[12] Jörg Becker, « Comme
écrit sur le visage…La Photographie de plateau à l’exemple d’Emmanuel
Lowenthal » in PERKOWSKI S., Idem.,
p.15.
[13] SOULAGES F., Op. cit., p.23.
[14] E. MORIN, Les stars, Seuil, 1972, p.9.
[15] Ibid., p.99.
[16] Ibid., p.19.
[17] PERKOWSKI S., Op.cit.
[18] JOLY M., Op.cit.,.p..27.
[19] SOULAGES F., Op.cit.,p.91.
[20] Ibid.,p.16
[21] Ibid.
[22] Ibid., p.36
[23] Cité par Soulages, Ibid., p.37.
[24] Ibid.,p.65.
[25] PERKOWSKI S., Op.cit, p.35.
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