vendredi 27 août 2010

La photographie de plateau : Emmanuel Lowenthal


La photographie de plateau : Emmanuel Lowenthal


                                                                                             « Les images de films sont en quelque   
                                                                                      sorte des mises en scène de mise en scène,
                                                                               contrefaçons d’une contrefaçon de la réalité.[1] »


Si la photographie est une trace, on la conçoit en général en tant que trace du sujet de la photographie ou trace de l’instant de la captation de l’image. Pourtant, elle est également une trace du sujet photographiant, de sa vision des choses ainsi que de l’acte photographique,[2] c’est-à-dire de la façon dont ce photographe s’y est pris pour réaliser le cliché. Si on décide d’aborder cet aspect de la photo, on s’engage dans les questions de la production de l’image, question qui nous confronte non seulement au photographe et à ses choix esthétiques et techniques, mais également au contexte historique et ce selon deux aspects. D’une part en ce qui concerne le matériel que le photographe pouvait avoir à sa disposition, c’est donc l’aspect économico-technique et d’autre part les conventions de l’époque qui exigeaient de lui tel ou tel type de cliché pour tel ou tel type de sujet.
A travers ce travail, le signe qu’est la photographie sera étudié dans ce sens car ce ne sont pas tant les sujets de la photo qui nous intéressent mais l’homme derrière l’objectif, Emmanuel Lowenthal, et nous essayeront de voir ce que ses clichés peuvent nous apprendre de lui.

Nous serions tentés pour se faire de situer historiquement et socio-économiquement le photographe et ses photos et ce afin de pouvoir, une fois dégagées les contraintes exercées de l’extérieure sur son travail,  voir son originalité, ses choix personnels.

Seulement cette approche serait assez malhabile étant donné le statut et le travail du photographe à l’époque. En effet, à cette époque les photographes n’étaient pas considérés comme des artistes et cela est d’autant plus vrai pour les photographes de plateau qui avaient un statut de technicien. C’est le sujet qui était l’objet le plus important de leurs images et non leur technique ou leurs choix esthétiques. Ils répondaient à des commandes, ils avaient un travail à accomplir sur un film et ce travail consistait en premier lieu à le résumer, le synthétiser en images publicitaires pour attirer l’attention des potentiels spectateurs. Comme l’écrit Pierre Jacques dans l’Univers du cinéma, le photographe de plateau : « prend à l’aide d’un appareil photo (non une caméra) des vues fixes propres à constituer un matériel publicitaire pour le film. [3]» 
Aussi, la méthodologie que j’ai proposée ne correspond pas vraiment au sujet, et ce, comme nous venons de le voir,  selon un critère historique ; elle n’est pas applicable pour l’époque donnée. Je pense qu’elle serait valable si on étudiait un artiste, artiste dont Soulages nous propose une définition, s’appuyant pour ce faire sur la photographe Julia Margaret Cameron « être artiste, c’est choisir, et {…} ce n’est pas tant l’objet de la photographie qui est le plus important, mais la manière photographique d’enregistrer ses apparences visuelles pour produire du photographique.[4] » Nous venons de voir que c’était exactement l’inverse qui était demandé au photographe de plateau. C’est ainsi que nous en arrivons à une définition de la tâche du photographe de plateau des années 20 comme celle que propose Jörg Becker « Faire des images d’images, sur des images, images de la réalisation, des acteurs, des stars (…) [5]»


Si j’ai décidé de soulever cette approche, c’est parce que non seulement elle nous permet d’apprendre des choses  (le statut du photographe à l’époque, sa différence avec l’artiste) mais elle peut également s’avérer utile non pour définir une originalité mais pour voir comment le photographe en question se situe dans son époque. Dans le cas de Lowenthal, on pourra interroger ce qu’il a apporté au cinéma français. En effet, Emmanuel Lowenthal fait partie des ces émigrés allemands qui ont fait avancer les choses en France. « Quant aux photographes de plateau, si on compare les tableaux vivants pris par Lipnitzki sur “Napoléon” d’Abel Gance et le dynamisme des images de Horst von Harbou pour le contemporain de “Metropolis” on imagine combien l’arrivée d’un Walter Lichtenstein, devenu Walter Limot, d’un Emmanuel Lowenthal, a pu également revivifier la conception de leur travail, au moment d’ailleurs où apparaissaient une nouvelle génération (illustrée par le travail de Sam Lévin sur les films de Renoir).[6] »
 Les techniques cinématographiques étaient à l’époque plus développées en Allemagne que dans l’Hexagone et de par le choix de l’UFA de licencier dès la montée en puissance du nazisme tous les employés juifs, ceux-ci ont dû migrer pour pouvoir travailler et vivre. La France était à l’époque le pays de l’immigration, c’est donc là que se sont installés beaucoup d’entre eux. Si les réalisateurs n’ont pas rencontré de problèmes pour travailler, il n’en est pas allé de même pour les techniciens qui devaient faire face à des préjugés xénophobes. En effet, c’était la crise et les étrangers étaient, entre autre, considérés comme responsables de la corruption[7],…
Pourtant Lowenthal parvint rapidement à travailler pour de grands réalisateurs. Ces différentes opportunités qu’il a eues rendent l’étude de son œuvre particulièrement intéressante de par sa participation à des films qu’on dit représentatifs de leur époque. De plus, il a travaillé sur un long laps de temps, de la fin des années 20 jusqu’à la fin des années 50. Sur cette trentaine d’années il a été engagé comme photographe de plateau sur plus de trente films, on peut donc voir à travers l’étude de ses photos non seulement l’évolution de la photographie mais également celle du cinéma.

Comme le souligne Martine Joly dans Introduction à l’analyse de l’image, une image constitue toujours un message pour autrui[8]. Aussi pour la comprendre il faut se poser la question de la réception, pour qui cette image a-t-elle été produite ? Cela nous ramène à la question des publics des années 30 jusqu’aux années 50 mais également au contexte politique et économique qui définit ces années-là.  
Le public français des années 30 est celui qui sort des années folles, rattrapés par la crise économique qui atteint l’Europe vers 1931. S’engage alors une période de transition, ce qui implique une période d’effervescence intellectuelle donnant lieu à la création de partis tant d’extrême droite que d’extrême gauche, ainsi que de groupes prônant des valeurs tels que le personnalisme, l’individualisme… Une demande de modernisation se fait dans les différents domaines. En 1936 le Front Populaire est élu et pour la première fois un pays ploutocratique est dirigé par un gouvernement de gauche.
Dans les années 40, le gouvernement Vichy met en place une censure importante, ce sont les années de l’occupation, de la délation, de la propagande, de la restriction, de la guerre…Ensuite vint la Libération et l’épuration à laquelle elle donna lieu.
On voit donc que ce sont des périodes difficiles, des périodes d’insécurité, de changements sur différents plans. Le cinéma avait un rôle de distraction, il permettait de s’échapper et resta l’art populaire par excellence jusqu’à ce qu’il soit relayé par la télévision. Néanmoins, un cinéma plus engagé se mettait également en place et beaucoup contribuèrent à lui donner ses lettres de noblesse. En effet, dès les années 20, des tentatives sont lancées pour promouvoir le cinéma au rang d’art par notamment la critique cinématographique qui s’affirme avec Louis Delluc, l’inventeur du terme de cinéaste en 1921. Ce mouvement avait commencé avec les premiers cinéphiles, les futuristes qui, avec Canudo célèbrent le cinéma en tant que septième art. Delluc se distingue de ce mouvement par sa volonté de toucher et gagner à sa cause un large public.
Dans les années 1925, se développe en Allemagne le mouvement de la Nouvelle Objectivité, prônant, après l’expressionisme le retour à un certain réalisme et se manifestant autant dans le cinéma que dans la littérature, la peinture et la photographie qui refuse dès lors le pictorialisme et affirme sa spécificité d’image du réel. Ce mouvement donne encore, comme l‘expressionnisme, une très grande importance aux ambiances, aux atmosphères. En France, le cinéma se développe principalement dans le style réaliste et ce jusqu’aux années 50. On parle d’une part d’un réalisme poétique et d’autre part d’un réalisme classique.

Ce travail porte sur l’analyse de l’image, des photographies de cinéma d’un photographe donnée. Si on suit François Soulages (entre autres…) pour lequel quatre éléments définissent la photographie d’un point de vue matériel, il nous faudra aborder la question de  la couleur, du noir ou blanc, des formes qu’on peut repérer dans l’image, du matériau ou support employés et enfin du format, des dimensions et de la forme de la photographie[9].
Si je soulève cette question de l’analyse en ces termes, c’est pour souligner la difficulté de ne pas travailler, de ne pas avoir accès aux photos originales. En effet, le livre publié pour l’exposition qui lui a été consacré, ne donne pas les détails portant sur le format et sur les matériaux employés.  Cela est d’autant plus frappant si on tente d’analyser les photographies à l’aide de la fiche technique que nous avons étudiée en cours. En effet, on ne peut répondre ni aux questions concernant la présentation matérielles et technique de l’image, ni à celles concernant son utilisation.
Etant donné que le support de ce travail est justement ce livre, je pense qu’il est intéressant d’interroger ce support,
Il s’agit donc d’un livre, Emmanuel Lowenthal. Photographe de plateau/ Standfotograf, publié à l’occasion d’une exposition organisée par le Goethe-Insitut Paris avec le concours du ministère de la Culture et de la Communication, ayant lieu du 18 novembre 1999 au 7 janvier 2000 et retraçant la carrière de Lowenthal. Il me semble important de souligner qu’il s’agit d’un projet commun à ces deux pays et donc qu’il y a une volonté clairement affirmée de présenter le travail de ce photographe dans ces deux pays. Aussi le livre est publié en bilingue et des auteurs aussi bien français qu’allemands ont participé à l’élaboration des commentaires.
Il est difficile d’étudier ces photos étant donné qu’on a très peu d’informations sur elles. On ne sait pas où on a été les chercher, dans une collection privée, celle de Lowenthal, des réalisateurs, des acteurs ? Quelle a été leur finalité ? Ont-elle servies à la promotion du film ? En tant qu’archive personnelle  ou commandes du réalisateur,  en tant que promotion de l’acteur ? En effet, étant donné qu’il a travaillé sur de grands films, donc avec des acteurs célèbres dans les rôles principaux, il faut questionner sa manière de photographier les vedettes. Son approche, son esthétique, vise-t-elle à participer au phénomène de starification? Peut-on parler de surcodage ? Quelle vision donne-t-il des personnes photographiées ? Y a-t-il une différence entre les photos d’acteurs en pause et au travail, entre les photographies du réalisateur, des autres acteurs ?
Ces questions peuvent être posées à de nombreuses photographies. En effet, certaines photographies représentent clairement les acteurs en pose, par exemple la photographie numéro 19 où on voit les acteurs se tenant avec Emmanuel Lowenthal, se laisser prendre en photo mais non en tant qu’acteur, simplement en tant que personnes. On reconnaît dans cette photo une volonté de laisser une trace comme dans les photographies de famille, il n’y a pas d’autres prétentions me semble-t-il, si ce n’est d’avoir également, pour une fois, une photo du photographe…  Pour les photographies 18,23, 28, par exemple, c’est le même processus qui en jeu. Par contre, d’autres photos ne sont pas aussi évidentes. En effet, que penser de la photo numéro 24 où l’on voit Jeanne Moreau, habillée de son costume de la reine Margot, boire du coca-cola dans une bouteille. Cette photo est commentée dans les Notes sur les photos[10] : « L’anachronisme de la bouteille de Coca-Cola. » On peut donc imaginer que le photographe s’est amusé de ce décalage d’époque. Néanmoins la manière dont cette photo est prise, elle en net dans un décor flou, son expression et sa pose font penser qu’il s’agit d’une photo d’acteur, une photo visant à la mettre en avant. L’idée qui s’en dégage est que même en pose, Jeanne Moreau est merveilleuse, différente et encore dans la concentration que nécessite le jeu, habitée du personnage en quelque sorte…
La photographie de Bourvil et Gabin à la page 60 pose un autre genre de question. En effet, on dirait une photo de film en même temps qu’une photo d’acteur. Les commentaires ne nous aident pas, ils nous donnent uniquement les noms des acteurs. Il me semble que pour trancher, la seule solution est de visionner le film qui nous apprend que cette image n’y est pas présente. En effet, la caméra ne film presque jamais selon cet axe dans cette séquence. De plus, la position des acteurs est inversée, dans le film Gabin se tient à gauche de Bourvil et la prise de vue le met davantage en évidence alors qu’avec cette photo c’est Bourvil qui est en premier plan. On peut donc dire que la photo ne vient pas du tournage ou du moins du tournage des scènes qui ont été sélectionnées pour constituer le film. Une question reste néanmoins : s’agit-il d’une photo posée ou d’une photo de la scène du bar mais jouée/tournée autrement…On voit en tout cas que la lumière[11] est importante et qu’ils sont sous des projecteurs, l’image est travaillée et les met en vedette. En apprenant que cette photo a été utilisée à des fins publicitaires, c’est elle que l’on retrouve, par exemple, dans Le dictionnaire mondial des films de Larousse à côté du descriptif du film, on peut, me semble-t-il, trancher en faveur de la photo d’acteur jouant de cette ambiguïté. Son utilisation vise à mettre l’accent sur les deux grands acteurs qui ont participé à ce film et suggère qu’elle est une image du film.

Nous voyons à travers ces quelques exemples la richesse de ce livre qui propose différents types d’images du et autour du tournage.  Cette diversité permet de se demander comment indique-t-il qu’il s’agit de tel ou tel type de photo ainsi que quels sont les codes à l’œuvre  dans ces différentes représentations.
Sur la plupart de ces photographies, il n’y a pas de doute à avoir quand au sujet. En effet, Lowenthal situe le lieu, le sujet : s’il s’agit de photographie du tournage, il s’arrange pour inclure dans le cadre les caméras, micros, câbles… De même, dans ce type de photos, d’autres personnes sont présentes, les techniciens, maquilleurs,… on a ainsi un témoignage sur les conditions et les moyens de réalisation. Néanmoins, le choix des photographies du livre (en général photo de vedettes) donne l’impression qu’on a également voulu insister sur le fait que Lowenthal a travaillé avec les plus grands acteurs…
Il est intéressant de noter que les commentaires faits en début du livre se font sur des photographies qui ne s’y trouvent pas, qu’il y est question de série alors qu’une seule photo est finalement montrée…
Ainsi, par exemple, Becker parle des photos de couple, de portraits en gros et moyen plans sur Brigitte Helm où est souligné son chapeau à voilette qui donne un style « nouvelle objectivité »,…alors que la photo qui est présentée de ce film est un plan d’ensemble qui ne participe pas à cette esthétique[12]. On peut donc s’interroger sur ce choix…
Un autre aspect intéressant est l’absence de légende explicatives à côté des photographies, les seules informations qui sont données sont le titre du film, le réalisateur, l’année ainsi que, éventuellement, leur lieu de provenance. Cela montre qu’on veut insister sur la photo en soi, le livre est dédié à Lowenthal et donc ce sont ses images qui doivent avoir la première place et non servir d’illustration à des films sur lesquels il a travaillé.
Le livre se présente dans un ordre chronologique, une autre manière encore de souligner que le sujet est la carrière de Lowenthal. Le livre ne se présente pas comme un objet d’art mais comme un témoignage, un document sur ce photographe. Si tous les films sur lesquels il a travaillé ne sont pas repris, on en retrouve cependant une grande partie.
Revenons en à présent aux photographies elles-mêmes.

La photographie du tournage, des conditions du tournage et les photos de l’équipe se présentent en général comme de photos de reportages, c’est-à-dire comme des témoignages. Ces photos, écrit Soulages, prétendent restituer l’objet à photographier ou du moins en rendre compte et qui affirment rendre possible sa connaissance en le photographiant[13]. Elles auraient pour objectif, selon lui, de restituer l’essence des choses.

La difficulté de cette idée de véracité, de témoignage, se manifeste avec encore plus de force dans les portraits.  En effet, devant un objectif il est très difficile de rester naturel, aussi nous avons davantage une photo de la personne en représentation, elle pose et nous présente un personnage. Si cela est vrai pour tout un chacun, cette question est encore plus importante avec les vedettes qui se doivent de jouer, de présenter un personnage au public qui attend cela d’eux. Il y a une identification chez les stars entre la personne et le personnage. Voir, comme l’explique Edgar Morin dans Les stars, une interpénétration entre l’acteur et ses rôles. Le sociologue écrit que dans la composition du film, la star peut être la substance la plus précieuse donc la plus coûteuse[14]. Il s'agit d'un investissement, aussi il faut le rentabiliser au maximum et cela notamment par les photos. Il s’agit de souligner son rôle, sa présence dans le film. C'est la star que les gens vont venir voir aussi il faudra à tout prix la mettre en vedette...Il cite Carl Laemmle, l'inventeur des stars: "La fabrication des stars est choses primordiale dans l'industrie du film[15]. Ce phénomène du star system perdure jusqu’aux années 50, Lowenthal a donc passé sa vie à travailler dedans. Si on considère que ce sont notamment les techniques cinématographiques qui transforment l’acteur en idole[16], comment se manifestent ces techniques dans la photographie ?
La question est donc comment Lowenthal se situe-t-il par rapport à ce milieu. Envisage-t-il son travail selon l’axe de la fidélité ou de la servilité ? Veut-il rendre témoignage du tournage, des acteurs ou bien mettre la photo à leur service et les valoriser ?
On sait que Lowenthal a choisi ce métier par passion[17], aussi on peut supposer qu’il aime le cinéma et veut rendre compte de sa passion. C’est ce que laissent penser toutes ces photos de tournage, ce sont des images que les personnes extérieures au plateau n’ont pas l’occasion de voir, et lui semble vouloir le leur communiquer, en laisser une trace. A l’aide de ces photos, il nous renseigner sur un autre aspect du cinéma. Ce ne sont pas que des lumières, des caméras, ce sont surtout des personnes rassemblées autour d’un projet commun. Ce sont des personnes au travail…
On voit qu’en voulant étudier ces photographies, on est sans cesse reconduit à interroger la production, et donc celui qui fait être cette image, celui qui est à son origine. Si on suit la pensée de Soulages qui s’appuie sur Peirce, on explique cela de par la nature indicielle de la photographie. L’index ou l’indice représente la classe des signes qui entretiennent avec ce qu’ils représentent une relation causale de contiguité physique[18], il y a un lien entre l’objet et ce dont il est le signe, ce lien est le photographe muni de son appareil, il est donc pertinent de partir de là, surtout si on souscrit à l’idée selon laquelle {l}a photo est plus un produit qui interroge le visible qu’un objet qui le donne[19]. 

Ainsi ces photos posent question par rapport à leur véracité, en effet on sait qu’elles peuvent être trompeuses mais il n’est pas évident de définir à quel point. Les photographies peuvent nous tromper tant, dans un premier moment, sur le sujet, sur l’instant  en ayant recours à une composition, à une mise en scène de la futur image et, dans un second temps, lors du tirage où le photographe peut améliorer son cliché, faire disparaître des éléments,…[20] S’appuyant sur ces observations, François Soulages propose de déplacer le « ça a été » de Barthes par le « ça a été joué »[21]. Ainsi on décide de ne pas s’illusionner sur la véracité, la réalité de l’image. Contre cette idée, Cartier-Bresson déclare que pour être une photographie, l’image ne peut pas résulter d’une mise en scène car sinon il ne s’agit plus de photo mais  {de} théâtre (photographié)[22]. Ainsi Cartier Bresson écrit dans L’instant décisif : « L’arrangement artificiel est ce qu’il faut redouter par dessus tout.[23]»  Soulages infirme cette idée, pour lui il y a toujours une mise en scène du photographe. « C’est peut-être, dirait-on dans une perspective humaniste - la spécificité de la mise en scène qui manifeste le style de l’auteur. [24] » Il voit le photographe comme un metteur en scène et cela même malgré lui.
Il ne s’agit pas ici de répondre à cette question mais plutôt de la soulever, de souligner que la photographie, l’image ne va pas de soi et qu’elle doit être étudiée d’un point de vue critique si on ne veut pas se faire tromper. Néanmoins, pour pouvoir avancer, notons que quoi qu’il en soit, la proposition du « ça a été joué » peut être particulièrement utile pour notre sujet étant donné qu’il s’agit de photographies de cinéma, donc des photos de plateau, prises pendant le tournage et ayant pour sujet ou bien les comédiens en train de jouer ou bien l’équipe technique en train de travailler.

La photographie numéro 9 du livre sur Emmanuel Lowenthal[25], issue du tournage Les gaietés de l’exposition, de Ernest Hajos en 1938 est particulièrement éclairante à ce propos, elle nous renseigne sur la manière dont l’éclairage et l’effet a été obtenu : par une lumière et un angle de vue en contre plongé, ce qui provoque un effet inquiétant.  De plus nous avons une indication sur la direction du jeu de l’acteur, on voit comment son regard se fait guider. On peut donc dire que son but est métafilmique, il nous renseigne sur les moyens de production, de fabrication de cette image. A la différence d’autres photographies (photo d’acteur en jeu, en pose ou naturel) ces photo sont clairement identifiées, situées. En effet, Lowenthal situe le lieu, le sujet : il s’arrange pour inclure dans le cadre les caméras, micros, câbles… De même, dans ce type de photos, d’autres personnes sont présentes, les techniciens, maquilleurs,… on a ainsi un témoignage sur les conditions et les moyens de réalisation.

Ne travaillant pas sur l’ensemble de l’œuvre de ce photographe, il est impossible de se prononcer sur ses photographies en général. Ce livre reprend en majorité des photos des conditions de tournages, des acteurs, techniciens, réalisateur, de l’équipe…Il me semble que l’image qu’on a voulu transmettre à travers ce choix est celle d’un photographe passionné par le cinéma, investi dans l’équipe, intéressé à ses différents aspects. Si les photos de publicités mettent en avant le fait qu’il était également un grand photographe qui maîtrisait les procédés de l ‘époque, c’est avant tout un témoin de l’ambiance et peut-être davantage du ça a été, cette équipe, cet instant-là a été. C’est sur cette idée que je voudrais conclure.







Bibliographie


ARANOVICH R., Exposer une histoire au cinéma. La photographie cinématographique, Editions Dujarric, Paris, 2003.

JACQUES P., Univers du cinéma, éditions félix touron, Paris, 1966.

JOLY M., Introduction à l’analyse de l’image, Armand Colin, Paris, 2005.

PERKOWSKI S. (conception et réalisation), Emmanuel Lowenthal. Photographe de plateau/Standfotograf, Goethe-Institut Paris, 1999.

SOULAGES F., Esthétique
de la photographie. La perte et le reste, Nathan, Paris, 1998.



Internet

Bertrand Carrière, « Photographie de plateau et photographie de tournage, quelques indications. » in www.bertrandcarriere.com/.../p03_La%20Photo%20%20de%20%20Plateau.pdf





[1] Bertrand Carrière, « Photographie de plateau et photographie de tournage, quelques indications. » in www.bertrandcarriere.com/.../p03_La%20Photo%20%20de%20%20Plateau.pdf

[2] SOULAGES F., Esthétique de la photographie. La perte et le reste, Nathan, Paris, 1998, p.5.
[3] JACQUES P., Univers du cinéma, éditions félix touron, Paris, 1966, p. 93.
[4] SOULAGES F., Op.cit., p.63.
[5] Jörg Becker, « Comme écrit sur le visage…La Photographie de plateau à l’exemple d’Emmanuel Lowenthal » in PERKOWSKI S. ( conception et réalisation), Emmanuel Lowenthal. Photographe de plateau/Standfotograf, Goethe-Institut Paris, 1999, p.13
[6] Bernard Eisenschitz, « L’émigration du cinéma allemand en France »  in PERKOWSKI S., Ibid.p.10.
[7] Ces informations proviennent principalement de Bernard Eisenschitz, Loc.cit.
[8] JOLY M., Introduction à l’analyse de l’image, Armand Colin, Paris, 2005,  p.45.
[9] SOULAGES F., Op.cit., p.19
[10] PERKOWSKI S., Op.cit., p.67.
[11] Sur l’utilisation de la lumière au cinéma voir notamment ARANOVICH R., Exposer une histoire au cinéma. La photographie cinématographique, Editions Dujarric, Paris, 2003,pp.33-78.
[12] Jörg Becker, « Comme écrit sur le visage…La Photographie de plateau à l’exemple d’Emmanuel Lowenthal » in PERKOWSKI S., Idem., p.15.
[13] SOULAGES F., Op. cit., p.23.
[14] E. MORIN, Les stars, Seuil, 1972, p.9.
[15] Ibid., p.99.
[16]  Ibid., p.19.
[17] PERKOWSKI S., Op.cit.
[18] JOLY M., Op.cit.,.p..27.
[19] SOULAGES F., Op.cit.,p.91.
[20] Ibid.,p.16
[21] Ibid.
[22] Ibid., p.36
[23] Cité par Soulages, Ibid., p.37.
[24] Ibid.,p.65.
[25] PERKOWSKI S., Op.cit, p.35. 

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