Le
politique est celui qui prend les décisions pour l’ensemble des citoyens, il
représente ceux-ci. Mais de plus, il constitue un monde commun en faisant
exister les individus en tant que corps politique. Il organise la société. La
fin du politique est la fin d’une position de surplomb du politique sur les
autres domaines de la société. On peut comprendre la crise de la fin du
politique en tant que crise institutionnelle de l’Etat. Nous ne retiendrons pas
les autres aspects qui englobent cette problématique. La position de Walzer
concerne essentiellement l’Etat au niveau national et interne. C’est pourquoi
nous nous baserons sur l’analyse que Pierre Birnbaum effectue dans son livre
« la fin du politique[1] »
au nom évocateur. Nous y verrons surtout comment une idéologie d’une société
« organique » a pu naître et en réaction à quoi.
Avant toute chose, il convient de voir
de quelle manière se caractérise concrètement la réalisation de cette fin du
politique. Comprise dans une dimension interne à l’Etat, elle est
particulièrement visible dans la concomitance du pouvoir et des sphères
économiques. C’est assez notable au sein des Etats faibles comme
aux Etats-Unis, ou le néolibéralisme tend à réduire le gouvernement en une
sorte d’Etat sans aucune fonction de souveraineté. Dans une conception atomiste
de la société, seule prime comme critère acceptable l’intérêt individuel. Des
penseurs comme Nozick réfutent l’Etat comme « producteur d’intérêt
général » pour la raison qu’il constitue une entrave à la liberté
« démocratique ». Contre lui, le marché est cette « main
invisible qui peut seule réaliser les ajustements individuels en respectant
l’efficacité »[2]. L’Etat se
cristallise alors en un Etat-gendarme qui assure la protection de ses
clients.
Là où l’on observe un retour et une prédominance du marché, on
assiste à l’instauration d’une « démocratie sans l’Etat ». Dans les Etats
faibles ou dédifférenciés comme les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, s’est
érigée une politique allant à l’encontre du Welfare State. Le marché y
devient l’unique mécanisme de régulation. Toute forme d’interventionnisme Etatique
a eu tôt fait d’être balayée par la conception individualiste propre à ces Etats,
dont l’émergence est observable à l’échelle mondiale. Cet ordre des choses
s’accommode en général d’une recrudescence des communautés autogestionnaires
qui ne peuvent cependant subsister qu’au sein d’un Etat. On retrouve ici
« l’antiétatisme des partisans d’une Strong democraty
participative »[3].
Le processus de retour
à la seule logique du marché s’observe également dans les Etats forts ou
différenciés comme la France, bien qu’une telle logique aurait plus de mal à
s’enraciner dans un pays où la différenciation Etatique résulte d’une longue
histoire. De même, au sein d’un pays où l’Etat semble avoir conservé sa propre
logique, l’émergence d’un self-government ne sera pas aussi aisée que dans les Etats
faibles que sont les sociétés anglo-saxonnes.
Mais il faut constater avec Pierre Birnbaum que le processus de la Fin
du Politique est amorcé subtilement dés les prémisses de l’ère
industrielle. Progressivement les veines utilitaristes, scientistes et
positivistes épuisèrent ce qu’il restait de symbolique dans le monde. La fin du
politique survient en effet parallèlement au « désenchantement »
proclamé par Weber et l’échec de la Raison à fonder quelque chose comme du
sens. En même temps l’âge de l’organisation scientifique sonna le glas des
« chimères métaphysiques » qui animaient la pensée des politologues.
On comprit de plus en plus le politique comme un organisme autopoiëtique. Pour
St Simon « la société est une véritable machine organisée dont toutes les
parties contribuent de manière différente à la marche de l’ensemble »[4].
Cette croyance d’une entéléchie au sein de la société qui nécessairement
s’autorégule en vue du bien demeurera, contre l’idée même d’une idéologie
partisane. Le politique passa dans l’univers de l’opératoire.
La fin du politique comme dépréciation idéologie
Pierre
Birnbaum avance que la grande partie de la théorie politique qui s’est élaborée
dans la deuxième moitié du 20e siècle tend à annoncer ce constat. De
ce mouvement de pensée, il nous donne ce qui constitue, selon lui, les grandes
lignes directrices de ce courant de dépréciation de l’idéologie politique. Ces
grandes théories partagent entre elle un refus commun d’accorder une importance
au pouvoir et aux rapports conflictuels. Elles opèrent également le lien entre
temps de la confrontation et idée partisane, de même entre modernité et société
consensuelle. Ce dernier point constitue une des croyances principales et
déterminantes pour la compréhension de cette pensée. Cette idée de consensus
opérant est d’ailleurs à rattacher à deux notions essentielle pour leur
système : la professionnalisation et les groupes primaires.
Conséquence inéluctable de la division du travail, la professionnalisation
définit le processus par lequel chaque poste de l’administration, mais aussi
des autres sphères qui subsistent au sein de la société, est attribué à un
individu selon sa compétence, indépendamment de son appartenance ethnique, de
son sexe, de son âge ou encore de son rang social. La professionnalisation est
un grand bien pour la société car elle garantit une institution scientifique et
non partisane de la politique. Cela induit qu’il faille gérer la cité à la
manière du technicien qui résout les problèmes au moyen de son savoir et de sa
technique. Cela montre également comment le positivisme s’étend maintenant à la
régulation politique de la collectivité. Il est nécessaire, selon eux, que la
Politique acquière ce statut positiviste et fonctionnel, afin d’éviter les
verbiages qui animent les débats démocratiques et qui ont plus tendance à
accentuer les conflits qu’à les résoudre. Idéalement, les autorités ne
devraient plus prendre part au débat mais devraient s’accomplir, selon le terme
parsonien, en une seule « autorité en action »[5]
qui agirait déontologiquement. Ainsi les décisions sont abandonnées
inévitablement à une classe technocratique, confiant de la légitimité que leur
confère leur compétence. Il s’en suit que les masses ne sont plus conviées à
participer à la vie politique, tout au plus en donnant leur voix à l’un ou
l’autre candidat à la présidentielle. Parsons affirme cependant positif qu’
« un tout petit pouvoir est encore du pouvoir, de même qu’un dollar, bien
que cela fasse peu d’argent, est encore, de façon très précise, de
l’argent »[6]. C’est très
précisément ce que nous avançons négativement. Il se produit inévitablement un
désinvestissement de l’individu en tant que citoyen, qui alors se tourne vers
sa vie privée, abandonnant toute idée réfractaire ou révolutionnaire. La
professionnalisation est censée maintenir, par un consensus présupposé par la
théorie, l’équilibre et la stabilité de la société. Cela serait certes le cas
mais au désavantage du processus démocratique, les grandes masses étant
complètement écartées des affaires politiques.
Ceci nous conduit à ce que bon nombre d’auteurs ont appelé la
redécouverte des « groupes primaires ». Ceux-ci jouent semble-t-il un
rôle capital dans les sociétés modernes. Les politologues ont vu en eux la
pierre de touche qui allait permettre de fonder leur théorie. Dans une
communauté organique et apolitique aux relations primaires, le citoyen (si l’on
peut encore l’exprimer en ce terme) est englobé au sein de ces groupes sociaux.
Les individus y sont liés par une caractéristique commune (« Race »,
langue, origine…) et la force de coercition y est très présente. Le groupe
primaire agit comme un milieu naturel antérieur à la communauté citoyenne dans
lequel l’individu mène sa vie paisiblement, en l’absence de trouble conflictuel.
Cette même force de coercition limite naturellement la décision de la personne,
l’éloigne de la vie politique qui, n’étant pas spécialiste (ne savant pas),
ne le concerne de toute façon que fort peu. Les groupes primaires en outre
votent en masse unilatéralement, rendant illusoire tout consensus, et laisse
libre action aux dirigeants de respecter leur « programme », rendu
ici bien inutile. On comprend dés lors que le constat empirique des
behavioristes de l’apathie politique du citoyen, tout en refusant de s’aventurer
dans une explication du phénomène qui les conduiraient dans les terres de
l’idéologie, sert finalement de justification aux autorités. Faut-il encore le
rappeler, le suffrage universel, qui précisément est une caractéristique des
sociétés modernes, deviendrait inutile, la démocratie se réduisant à une sorte
de rituel.
« En rejetant les « visions »,
les « chimères métaphysiques » et les idéologies politiques, la
théorie politique contemporaine a perdu une dimension fondamentale qui
consiste, à l’aide de la Raison, à mettre en cause l’abandon par les citoyens
d’un pouvoir qui devrait leur être dévolu. »[7]
Talcott nous semblera à
bien des égards le représentant le plus ostensible de cette idéologie, non
certes qu’il en soit le chef de file, mais son modèle de la société est à la fin
du politique ce que le Tractatus de Wittgenstein est à
l’onto-logique, c’est-à-dire une, voire sans doute la plus profonde
radicalisation. Son analyse nous paraîtra à ce point extrême qu’elle en
montrera à la fois la force et l’inanité, certes au regard de notre travail.
Si
l’on considère au préalable qu’il n’existe pas de faits conflictuels entre les
citoyens. Si nous considérons ensuite qu’il y a réellement une égalité des
chances face aux ressources disponibles, aux droits, à l’emploi… ; si
l’éducation et la compétence demeurent les seuls critères intervenant dans
l’accession de postes spécifiques ; si enfin nous constatons qu’un
consensus lie effectivement les individus, rendant ainsi légitime le « pouvoir »
comme instrument visant le seul bien collectif, alors pour Parsons, il ne
subsisterait plus aucune hiérarchie, aucun pouvoir au sein d’une société. Aucun
Etat moderne, cela semble évident, ne répond (ni ne répondra sans doute un
jour) ne serait-ce qu’à un seul de ces critères, même le plus démocratique. Ce
n’est d’ailleurs pas la thèse de Parsons qu’il puisse un jour exister un tel Etat,
il s’agit bien plus d’un modèle que d’une réalité empirique.
Qu’advient-il du
pouvoir dans un tel modèle sociétal ? Celui-ci est réduit à une
« autorité en action ». Les élites qui le constituent sont marqués du
sceau de la légitimité car leur action visera nécessairement le bien collectif.
Ce serait en effet le cas si, comme l’avance Parsons, la compétence uniquement
confèrerait l’autorité qui alors devient purement fonctionnelle. En théorie, la
compétence confère la légitimité d’un poste. Cela est surtout vrai des
spécialistes, car le citoyen espère à raison que les rôles qui requièrent un savoir
spécifique soient occupés par ceux qui en ont la plus grande connaissance.
Dans cet ordre d’idée, s’impose la nécessité de pourvoir aux postes
gouvernementaux les citoyens les plus compétents. Ceci suppose cependant que
ceux-ci n’opinent que selon leur connaissance et leur raison dans l’intérêt de
la communauté, et non sous quelque influence étrangère à ce même intérêt. En
d’autres termes, il faut que la sphère administrative soit étanche aux
débordements que les sphères économiques et militaires peuvent avoir sur elle.
La réalité nous montre malheureusement que ce n’est pas le cas.
Dans
la même idée, Parsons affirme que les dirigeants de la sphère économique
agiront en milieu fermé et n’essaieront pas d’exercer leur influence dans le
milieu politique. Il justifie tout d’abord les patrons non seulement par l’idée
qu’ils possèdent réellement une compétence. Mais Parsons s’inspire également de
la notion calviniste de « vocation » dont les élites seraient
investies. La morale protestante rejette en effet tout égoïsme, ostentation, et
enrichissement personnel. Les patrons seraient donc poussés à réinvestir leur
capital aux bénéfices des finalités collectives. Ceci laisse entendre que les
élites de la classe économique partageraient selon lui un aspect rationnel,
universel et fonctionnel de la tâche, ce qui n’est pas nécessairement vrai.
D’autre part Weber avait également traité la notion de « vocation »
protestante dans ces travaux mais plus précisément comme un facteur déterminant
de l’apparition du capitalisme aux USA. Birnbaum soutient que Parsons reprend
cet argument à son compte, désirant ici justifier le capitalisme « si l’on
entend par là l’institutionnalisation des responsabilités au bénéfice
d’organisations privées non gouvernementales qui déterminent la plus grande
partie de la production économique »[8].
Précisons ici que l’influence grandissante des organisations non
gouvernementales constitue justement une des caractéristiques principales de la
fin du politique.
Laissons pour le moment l’économie pour revenir
sur le problème de la classe dirigeante. Nous en étions restés sur l’idée que
le « politicien » se verrait attribuer sa tâche au regard de sa
compétence. La remarquable stabilité du système électoral tiendrait sur
l’existence des « groupes primaires » dans un desquels s’inscrit
nécessairement le citoyen. Celui-ci est induit par la force coercitive de son
groupe social à voter avec lui, selon des valeurs antérieures et propres
à ce même groupe. Cela possède l’avantage de prédéterminer le vote des masses
bien avant toute élection, réduisant ainsi les campagnes des partis à des
« rituels ». Cela a aussi le désavantage de nier l’efficience du
suffrage universel, qui pourtant fonde le modèle consensuel de la société
parsonienne. En outre, les partis républicains et démocrates peuvent compter
sur cette grande stabilité du corps électoral. Rien ne dit dans ce cas qu’ils
aient à respecter leur engagement (rien ne les y oblige) vis-à-vis des
finalités collectives, qui pourtant rendaient légitiment ces mêmes partis dans
le système parsonien. Bref, les fonctions ne semblent pas liées à une
professionnalisation, comme ces dirigeants ne sont pas élus raisonnablement
mais par vote de masse.
En soi le modèle de Parsons n’est pas critiquable, au contraire nous
aurions beaucoup à espérer qu’un modèle semblable tienne lieu de système
sociétale. Mais la réalité est loin de s’y superposer. Il y a toujours dans les
élites des actions spécifiques visant leur intérêt personnel. Si le patron,
comme le dit Parsons, n’est pas propriétaire de l’entreprise, il en est du
moins généralement l’actionnaire. Ceci dit, nous comprenons l’idéal de Parsons.
Il n’est certes pas un capitaliste avide de richesse et de pouvoir, ni le
promoteur de ce genre de comportement. Il avance qu’au moyen d’un gouvernement
constitué technocratiquement, les débats s’y résoudraient fonctionnellement et
surtout dans le but des finalités collectives. « La rationalisation du
monde annoncée et décrite par Max Weber mène à un « désenchantement »
peu propice, selon Parsons, à l’épanouissement des utopies. »[9]
Sa vision d’un Etat apolitique et d’une société organique s’appuie sur ce
constat que les Etats modernes, précisément les USA, progressent vers une
société libre, parce que libérée de l’idéologie politique. Nous
retrouvons la croyance du lien entre raison et fonctionnalité, opposé au couple
passion et idéologie.
La position politique de Michael Walzer[10].
Michael Walzer fait partie des grands penseurs du communautarisme.
Le communautarisme est un des points centraux de la discussion politique aux Etats-Unis
et au Canada et ce, parce que les questions qu’il pose portent sur l’interprétation
de la constitution, sur l’équilibre entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir
exécutif ainsi que sur la nature des droits de l’Homme[11].
Ces débats ont d’une certaine manière attrait à la question du politique
puisqu’ils se centrent sur la question d’un agir de l’Etat contre un
« ordre juridique » autonome qui traite de problèmes qui d’ordinaire
se résoudraient politiquement.
Le terme communitarian, traduit en général par
communautariste ou communautarien, est apparu dans les discussions suscitées
par le livre de John Rawls Théorie de la justice.
« Il
est naturel du supposer que la congruence entre le juste et le bien dépend pour
une large part de savoir si une société bien ordonnée réalise le bien de la
communauté »[12]. La société
de John Rawls est conçue comme une entreprise de coopération, ou pour reprendre
avec précaution le terme des penseurs de la société organique, une entreprise
consensuelle. Cependant Rawls ne nie pas qu’elle se caractérise également par
de constants conflits d’intérêts. Rawls nous avance qu’il existe deux manières
antinomiques de répondre à ce constat, la première étant sa propre théorie de
la justice, la deuxième réponse se trouvant sous l’angle de ce qu’il appelle la
« société privé ». Selon cette dernière, les personnes qui la
composent possèdent leurs fins privés. Ces fins peuvent être concurrentes,
indépendantes, mais en aucun cas complémentaires. Il s’agit de favoriser les
libertés individuelles et le champ d’intervention, dés lors que les
institutions sont considérées comme un fardeau. L’organisation est ici bien
plus un moyen pour accomplir ses fins personnelles qu’une coopération en vue
d’un bien collectif qui serait propre à cette organisation. L’individu
n’interviendra que selon une notion d’utilité. Rawls précise à ce propos que
« les seules variables intervenant dans la fonction d’utilité d’un
individu sont les biens et les avoirs qu’il possède, mais pas ceux des autres
ni leur niveau d’utilité »[13].
Si la répartition des ressources et des biens peut alors être tout à fait
équitable et résultant de ces rapports de force, il se peut aussi que cela soit
du au hasard. La théorie des marchés concurrentiels, avance Rawls, est
appropriée à cette vision. Optimistes, nous pouvons espérer qu’une telle
société profite au final à chacun, donc d’une certaine façon à la communauté en
chacune de ses parties. Mais il est plus raisonnable de croire qu’il y a bien
peu de chances que l’organisme sociétal répartisse de lui-même, par son
seul fonctionnement interne, l’ensemble des biens au sein de la communauté.
Quand bien même la réalité refléterait cet Etat de fait, Rawls ajoute que les
citoyens, poursuivant leur unique intérêt personnel, n’agissent plus en
fonction du juste. Il conclue qu’il faut bien quelque institution pour
maintenir l’harmonisation entre le privé et les intérêts publics. La cohésion
d’une telle société est fondée sur la croyance, non qu’elle soit juste ou
bonne, mais suffisante à pourvoir aux intérêts privés.
La notion de communauté humaine, défendue par la théorie de
la Justice, prend justement tout son sens quand on l’oppose à la notion de
société privée. Dans cette optique, les êtres humains partagent leur fin et
valorisent les institutions et la vie commune comme bien en soi. Cette
valorisation n’est compréhensible cependant que si le citoyen à conscience que
le bien d’autrui est nécessaire au sien. Le bien est alors compris comme
rationalité, comme moyen de penser les interactions sociales. Cette rationalité
est fondée sur le constat évident mais non trivial que les humains ont en eux
un potentiel qui dépasse largement tout ce qu’ils pourront espérer réaliser en
toute une vie. Ils ne peuvent pas tout faire, ni à plus forte raison accomplir
ce que peuvent les autres. Si nous désirons faire plus que ce que nous permet
notre unique existence, nous devons passer par une forme de coopération des
talents semblables ou dissemblables, en tout cas ici complémentaires.
Ceci ne peut se faire qu’au sein d’une société où l’on se sent en sécurité de
la faire et si tous les objectifs sont acceptés par le plus grand nombre. Il
faut ainsi plus qu’un « Etat policier » protégeant la liberté
individuelle, il faut également des institutions diverses qui garantissent la
réalisation du bien collectif, considéré par Rawls comme le plus grand bien.
Pour qui est familier à l’œuvre d’Aristote, ces mots ne peuvent que rentrer en
résonance avec une certaine conception du politique. Il ne s’agit rien d’autre
que d’« une communauté dont chaque membre bénéficie des qualités et de la
personnalité de tous les autres, telles qu’elles sont rendues possibles par des
institutions libres »[14].
Semblable communauté humaine ne se comprend en outre qu’à travers le
diachronisme de histoire humaine. Ceci signifie simplement que les projets
demandent une coopération inter mais aussi trans-générationnelle.
Mais bien qu’au final les gens désirent les
mêmes choses, cela ne crée pas nécessairement une communauté entre eux. Rawls
cite l’exemple de deux chefs militaires adverses qui, désirant tous deux la
victoire, ne créent pas pour autant mutuellement une communauté humaine. Pour
qu’il y ait à proprement parler communauté, nous citoyens requerrons
qu’il subsiste un système de conduite partagé, une justice en somme, pour la
vie politique, mais également pour
les sports, les sciences, les arts… Pour rendre possible la vie en société, il
doit exister un moyen commun pour le réaliser. Ceci reste vrai pour tout
rassemblement de citoyens en vue d’une même fin. Dés lors, si nous comprenons
l’Etat comme la communauté des communautés (rassemblement), nous distinguons
précisément ce qui serait un bien commun pour cette communauté la plus
haute: le fonctionnement des institutions dans l’avantages de toute
communauté. C’est pourquoi Rawls considère les instituions comme un bien en
soi. Très certainement les individus espèrent agir au sein d’une communauté
qui a conscience de ce qu’est la justice et l’égalité. En revanche il est plus
compliqué de comprendre pourquoi les institutions sont un bien en soi. Si
certes la valorisation de celles-ci défend par cela même l’intérêt de chacun,
Rawls ajoute qu’elles permettent la réalisation de l’individu moral, du bien
privé et collectif.
La réalisation de la justice devient une valeur
certaine de la communauté. Il subsistera certes le problème de la division du
travail et de la dépendance vis-à-vis d’autrui qui en découle obligatoirement.
Mais Rawls ne voit pas comment nous ne pouvons malgré tout souhaiter que cela
ne soit pas ainsi. Il ne discute rien d’autre que la possibilité pour l’homme,
par la coopération, de s’accomplir au regard de sa finitude humaine, tout en la
dépassant.
Pour les communautaristes, il s’agit de penser la société en tenant
compte de la nature sociale de l’homme et de penser l’ordre social à partir des
institutions et des communautés qui lui donnent forme. Pour Michael Walzer, les
hommes partagent des significations, ils ont une identité commune en tant que
membres d’une même communauté. Pour Charles Taylor[15]
les hommes ont une même conception du bien et des différentes valeurs. Chez
Michael Sandel[16] les hommes
ont des finalités et des buts communs. Les critiques adressées à cette pensée
communautariste portent principalement sur le fait que l’individu y est
assujetti à la communauté, il y a réductionnisme identitaire car on considère
que c’est un élément communautaire qui confère à l’identité personnelle son
individualité
Dans Sphères de justice, Walzer pense en communautarien : il
part du libéralisme qui a adopté l'individualisme pour base et qui a ensuite
pensé les institutions en tant que protection de la sécurité et de la libre
activité de l'individu. [17]. Walzer défend le multiculturalisme
contre l’individualisme effréné, tout en soulignant que les deux peuvent avoir
le même genre de conséquence, à savoir la dissolution de la société. Si les cultures sont trop
contraignantes, il faut un correctif individualiste mais si c’est l’individu
qui est la base première, alors un correctif de la communauté et une cohésion
culturelle est nécessaire pour préserver la société. Il faut un sens fort de la
citoyenneté et des valeurs communes pour pouvoir
faire la part des choses et c’est à l’Etat d’assurer une éducation dans ce
sens. Toute communauté politique est une sorte d’Etat-providence car elle
recourt à la coercition pour maintenir un système public destiné à répondre à
ses besoins, en fonction de l’idéal qu’elle s’en fait. Le multiculturalisme
peut selon Michael Walzer favoriser l’égalité sociale car les communautés sont
capables de conclure des alliances entre elles tout en défendant leurs propres
intérêts.
Walzer
rêve d’une troisième voie entre les régimes totalitaires et les systèmes
extra-libéraux. Il s’agit d’un socialisme qui ne s’appuierait pas sur l’Etat
mais sur une démocratie participative décentralisée. D’autres formes de vie
sociale existent et sont politiquement et économiquement possibles, il faudrait
s’y intéresser davantage. Il y a une telle diversité d’individus dotés d’une
telle inventivité et créativité qu’il serait absurde de croire qu’il n’existe
qu’une seule façon de bien vivre et de s’organiser socialement. Il considère
que la théorie politique devrait trouver ses racines dans la tradition et la
culture des sociétés particulières et réagit contre l’abstraction excessive de
la philosophie politique en générale.[18] Ainsi il refuse de parler de l'individu
en soi, on parle de l'individu en société et, plutôt de séparer les individus
comme le fait le libéralisme, il propose de séparer les différentes communautés
basées sur différents biens qui forment la société. Pour réaliser une égale
liberté, il faut appliquer le principe de séparation suivant lequel chaque bien
social doit être séparé des autres et constituer une sphère autonome
fonctionnant sur des principes spécifiques et interdisant toute ingérence des
autres sphères. Dans sa critique de Michael Walzer, Marc Hunyadi[19]
précise la signification du titre Sphères de justice. Il ne s’agit pas
d’un constat de la nature de la justice mais bien d’un programme.
Walzer
définit la justice suivant différentes sphères dont chacune a une logique de
justification propre. Il ne s’intéresse pas à une définition théorique de la
justice car il ne croit pas à l’univocité et à l’universalité de celle-ci. La
justice est une construction humaine, il y a particularisme de l’histoire et de
la culture, dès lors il y a différents principes de justice, celle-ci étant
avant tout un standard moral au sein de nations et de sociétés particulières.
C’est notamment à partir de cette idée que sa position a été définie, et
souvent critiquée, comme relativiste. Cela dit, c’est à partir de
cette conception qu’il développe son idée originale d’«égalité complexe». Cette
égalité demande que chaque bien soit distribué selon sa signification sociale
et qu’aucun bien ne soit prédominant, c’est-à-dire qu’il ne puisse dominer dans
les autres sphères. Cette thèse -dite du pluralisme- considère que les biens
que l’on distribue n’ont jamais de valeur propre mais de valeur en contexte
seulement ; ils n’ont pas de signification naturelle et ne répondent pas à
des besoins naturels. Les uns comme les autres sont institués par la culture,
dès lors chaque culture, chaque société crée ses propres significations
sociales en fonction de ses propres besoins. Cependant, ces besoins et
significations ainsi que les règles auxquelles elles donnent lieu, ne sont pas
issues de simples discussions, de purs choix. En effet, il existe un grand
nombre de significations partagées qui sont à la base même de la formation de
la communauté, on peut en discuter, elles sont différemment adaptables mais
ineffaçables. Ce sont les significations sociales, c’est ce que les hommes ont
en commun, elles font tenir les hommes ensemble à travers une compréhension
commune de la société et du bien-être.
La théorie de justice
de Walzer est une théorie des biens. Les biens sont pensés comme des produits
de l’expérience humaine et ont leurs effets dans celle-ci. Ce sont les biens et
leurs significations qui sont les intermédiaires essentiels des relations
sociales. Quel genre de biens pour quelle sphère ? Il y a autant de
biens que de sphères et on comprend qu’il y a un pluralisme de base nécessaire
étant donné qu’il n’y a pas de biens primaires dont dépendraient les autres
biens. Walzer explicite tour à tour chacune des sphères et par là, limite le
pluralisme afin de permettre sa réalisation. Selon Jean Jacques Sarfati[20],
la thèse de Walzer s’articule autour de trois refus : en premier lieu le
refus d’une hiérarchie entre les biens sociaux, ensuite le refus de la
domination d’une sphère sur une autre et enfin le refus d’une vision univoque
de la justice. Ces trois refus manifestent le rejet de la tyrannie qui est un
des points de départ de l’ouvrage.
Walzer
réfléchit sur l’injustice et sur la tyrannie qui l’entraîne, la tyrannie étant
pensée comme la monopolisation d’un bien prédominant[21].
La question qui se pose alors est celle des limites d’un monopole légitime car
la tyrannie c’est aussi le franchissement d’une frontière particulière, une
violation d’une signification sociale. L’auteur n’est pas contre le monopole,
il critique la prédominance. La question de la distribution des biens sociaux
s’est posée dans toutes les sociétés humaines, chacune tentant de trouver une
répartition valable suivant son genre de fonctionnement. Ce n’est pas à une instance unique, c’est-à-dire a l’Etat,
à prendre la décision de la valorisation de tel ou tel bien social car il
existe dans les faits de multiples procédures de justice distributive. Il n’y a en effet jamais eu de pouvoir
de décision unique à partir duquel les répartitions seraient contrôlées ni
aucun ensemble unique d’agent qui prendrait toutes les décisions. La politique
est le chemin qui mène le plus facilement à la prédominance et le bien
politique est sans doute le plus important et le plus dangereux de l’humanité.
C’est une espèce particulière de bien par son caractère double : d’une
part il ressemble aux autres biens car il est tantôt possédé par un grand
nombre, tantôt par un nombre plus restreint, tantôt prédominant, tantôt pas… et
d’autre part, il est différent car il reste toujours l’instrument de régulation
des biens sociaux en général. Il peut être utilisé pour défendre les frontières
des différentes sphères mais aussi pour les envahir. Et c’est là le danger. Le
pouvoir politique devrait toujours être prédominant aux frontières mais non pas
à l’intérieure de celles-ci. Ce maintient et cette distinction sont le problème
central de la vie politique. C'est là que se pose la question de la fin du
politique.
La prétention au monopole d’un bien prédominant à des fins publiques
constitue une idéologie et le fait de monopoliser le contrôle d’un bien
dominant est ce qui fait d’une classe la classe dirigeante. D’où la lutte pour
la suprématie entre les différentes sphères, lutte qui sera le fil conducteur
de Walzer pour qui les conflits revêtent une forme paradigmatique.
Comment limiter le pouvoir politique ? Walzer rejette
la solution qui propose de distribuer le pouvoir plus largement car il constate
qu’un gouvernement trop démocratique sera faible lorsqu’il devra
affronter la montée des différents monopoles, chacun ayant ses intérêts dans
l’un ou l’autre d’entre eux. Il propose de moins s’intéresser au monopole mais
davantage à la réduction de la prédominance. A partir de là, on pourra se faire
une idée de la forme à donner à la complexité réelle des répartitions par
l’image d’une société égalitaire complexe. Une société
égalitaire complexe est une société dans laquelle différents biens sociaux sont
l’objet d’une monopolisation mais dans laquelle on ne peut en général convertir
aucun bien particulier. Si l’on considère qu’il n’y a qu’un bien dominant
-l’argent par exemple – alors il faudra défendre une égalité simple. Walzer rejette
celle-ci car elle ne peut, selon lui, conduire qu’à la tyrannie. Pour assurer
cette égalité il faudra un Etat très fort. Sans la coercition de ce dernier,
les hommes lutteront pour éviter de tomber sous la domination des autres. Le
régime de l’égalité complexe, par contre, est le contraire de la tyrannie.
L’égalité complexe permet la formation de monopoles à l’intérieur d’une sphère
de signification mais refuse la prédominance en soutenant l’autonomie des
différentes sphères. La position qu’occupe une personne dans une sphère ne peut
être réévaluée par sa position à l’intérieur d’une autre. Tant que chaque
sphère aura sa charge et qu’aucune charge ne sera prédominante ni ne pourra
être convertie, tous ceux qui possèdent une charge seront dans une relation
d’égalité par rapport aux hommes et aux femmes qui les gouvernent. Les
individus ne pourront plus se comparer en fonction d’un critère unique, dès
lors il y aura moins de conflits sociaux.
L’existence d’un bien propre à chaque sphère rend nécessaire l’autonomie
de chacune des sphères distributives. Cette autonomie est un des points
centraux de la pensée walzérienne; elle implique l’idée d’égalité complexe et
de séparation. Néanmoins, séparation et autonomie ne signifient pas
indifférence et relativisme. Dans le deuxième chapitre de Sphères de
justice, Walzer pose la question de l’appartenance et arrive à la
conclusion que bien qu’il n’y ait pas de biens de base, il y a des biens qui
sont premiers au sens de la fondation initiale de la personne, telle l’appartenance
à une communauté.
La
séparation des sphères conduit à l’harmonie car une interchangeabilité devient
possible : les relations dominants-dominés changent suivant les sphères et
chacun peut être maître quelque part. Cette interchangeabilité est la condition
même de la justice telle qu’elle est conçue par Walzer.
Pour assurer la démocratie et la justice il faut d’une part que la
politique ne soit pas à la base de tous les pouvoirs et d’autre part que le
pouvoir s’exerce de manière autonome dans chaque sphère par rapport aux
critères de justice qui lui sont propres. En cela on peut parler de fin du
politique en tant que fin de la position de surplomb de la politique sur les
autres domaines de la vie social, que Walzer nomme, sphères de justice.
Walzer se base sur le principe de répartition ouvert, principe qui
s’énonce : « Aucun bien social x ne doit être réparti entre des
hommes et des femmes qui possèdent un autre bien y du simple fait qu’ils
possèdent y et sans tenir compte de la signification de x. »[22]
Trois critères satisfont aux réquisits de ce principe et sont en général
considérés comme les points principaux de la justice distributive. Il s’agit du
libre échange, du mérite et du besoin. Le libre échange fait de l’argent le
bien prédominant qui permet de convertir tous les autres biens. Le mérite tient
compte des significations sociales dans l’attribution des récompenses et
respecte l’autonomie des sphères mais n’est applicable que dans chaque sphère
séparément car il est difficilement universalisable. Le besoin, enfin, respecte
également les conditions précitées mais est tout aussi difficilement
généralisable pour la répartition des biens. En effet, on ne peut pas tout attribuer
suivant la nécessité. Qui a le plus besoin d’une œuvre d’art ? Ce qui caractérise ces trois critères,
c’est que chacun d’entre eux s’impose à l’intérieur de sa propre sphère comme
règle générale. Et c’est bien là la conséquence du principe : des biens
différents pour des groupes différents, pour des raisons différentes et selon
différentes procédures. Pour Walzer, si on respecte cela, on trace la carte de
l’ensemble du monde social.
L’égalité complexe est difficile, elle requiert la défense des
frontières et la délimitation des biens mais combien faut-il concevoir de biens
sur un mode autonome avant que les relations qu’ils transmettent puissent
devenir celles d’hommes et de femmes égaux ? Il n’y pas de réponse exacte
donc pas de régime idéal. Mais on se place néanmoins sur la voie d’une
distribution égalitaire dès que l’on tente de distinguer des significations et
de délimiter nos sphères distributives. Walzer en distingue treize, consacrant
un chapitre à l’analyse de chacune d’entre elles. Mais attention, il ne s’agit
pas, comme le souligne Hunyadi, de faire le relevé des différents principes de
justice qui président à la distribution des différents biens mais d’identifier
ces biens, de comprendre leur signification sociale et d’ensuite les distribuer
d’une façon déterminée[23]
suivant cette compréhension et l’idéal communautaire sur lequel se base la
société en question.
La
communauté politique est ce qui s’approche le plus d’un monde de significations
communes car elle est elle-même issu de la conscience collective produite par
le langage, l’histoire et la culture. Pourquoi est-elle une base ? Etant
donné que la justice distributive ne peut être mise en œuvre dans la
perspective de l’égalité complexe que dans un espace où existent des
significations partagées, on comprend que cet espace est la communauté
politique où s’organisent les débats sur la répartition des biens.
Sphère distributive : réalisation de l’Etat
Walzer
partage avec Rawls une conception de la communauté politique se réalisant par
la justice. Mais au sein de ce qui devient de plus en plus un Welfare State, il
y reconnaissance d’un net multiculturalisme et d’une plurivocité des acteurs de
la société. L’habilité de Walzer va être de sauvegarder, et la démocratie
social, et une reconnaissance de l’idiosyncrasie de l’individu. L’égalité
complexe chez Walzer, comme fondement de toute société juste va ainsi se voir
appliquée dans les diverses sphères de distribution. Elle est donc complexe
puisqu’elle reconnaît, distingue et répartit également chaque bien propre à
chaque sphère. Bien que l’ensemble des chapitres qui composent Sphères de
Justice peut être ramené à notre problématique, nous avons retenu trois
chapitres traitant respectivement de l’argent, du pouvoir politique et de la
citoyenneté démocratique. Ces chapitres-ci démontrent davantage, non seulement
l’égalité complexe, mais surtout l’émergence dans l’analyse de Walzer du
processus de dépolitisation de la société par ses propres acteurs.
Le Pouvoir politique
Le pouvoir, dit Walzer, devrait idéalement être limité et soutenu,
afin qu’il nous protège de la tyrannie sans pour autant en devenir une. Il ne
s’agit rien d’autre que d’une bataille pour la redistribution des sphères
distributives. « En tant que pouvoir d’Etat, c’est aussi le moyen de
régulation de toutes les recherches de biens, y compris de celles du pouvoir
lui-même. »[24] Autrement
dit, la politique doit être partout en action et favoriser le plus grand
nombre. Malheureusement, la réalité nous montre que le pouvoir ne sert
généralement que les intérêts que des maris, des parents, des aristocrates, des
diplômés et des capitalistes. L’on peut alors avancé qu’il est rarement limité
voire parfois tout à fait tyrannique. C’est la raison pour laquelle les
sociétés modernes ont requis la restriction du pouvoir et du souverain. Pour
cela, les citoyens ont établi diverses limitations qui fixent la frontière
entre la sphère de l’Etat et toutes les autres sphères. « Le Gouvernement
limité est (…) l’un des moyens cruciaux de l’institution de l’égalité
complexe. »[25]
Cependant, un pouvoir limité ne nous désigne pas explicitement qui
gouverne et comment gouverne-t-il. Un argument en faveur de la démocratie est
que plus de gens auront alors la chance d’être représentés dans le gouvernement
et pourront défendre au mieux l’intérêt de chacun. Mais il subsiste une certaine idée qui veut que le pouvoir
soit une fonction, qu’il faille en conséquence des personnes compétentes à sa
tête. Or, de tout temps, soit « Dieu choisissait ses élus », soit le
pouvoir était aux mains de la classe dirigeante qui avait accès au savoir et
qui était la première à subir les effets directs de ce même pouvoir. La défense
d’un tel gouvernement exclusif a toujours découlé d’un argument fondé sur une
nécessité d’un savoir spécifique. Nous étions invités à chercher quelques
individus qui avaient connaissance des « mystères de l’Etat », plutôt
que de consulter la masse des ignorants. Walzer expose cette idée à travers le
schéma du navire Etat, analogue à la conception platonicienne corps/âme. Le
peuple est le corps, sujet aux passions, aux sensibilités qui égarent, tandis
que l’âme éternelle trône au sommet comme le capitaine commande son équipage.
Toutefois, Walzer nous enjoint à ne pas confondre technème et finalité,
dans l’exemple du navire, la course particulière et la destination. De même que
le capitaine ne détermine par la destination que va prendre son équipage, le
pouvoir ne détermine par les finalités. Les
passagers soumettent au navigateur leur destination, légitiment du coup ce
dernier à prendre les meilleurs décisions pour aller à bon port. C’est au fond
le pouvoir fonctionnel qui ne poursuit pas un but en soi mais permet
d’atteindre un but extérieur à lui. Walzer adhère bien plus à l’idée que
diriger, c’est précisément le choix des fins, qu’ainsi le savoir à ce sujet est
largement partagé. Il ne peut ainsi y avoir de meilleur juge que les citoyens
quant aux fins de la cité. Ainsi, il est possible définir le pouvoir
démocratique que comme la conjonction des volontés.
Mais
encore de nos jours, « le savoir produit une sorte de pouvoir que la
souveraineté ne peut contrôler ». Le savoir est ce devant quoi nous nous
inclinons et ce qui s’oppose à la souveraineté des citoyens dans leur majorité.
Walzer constate que le choix des fins est déterminé par l’ensemble des
technocrates. Certes la décision finale incombe au citoyen, mais celui-ci a dés
lors peu de chance de se consacrer pleinement à cette entreprise, l’herbe lui
étant coupé sous le pied. Le désinvestissement des masses devant leur
responsabilité de citoyen profite aux experts, dont le pouvoir est désormais
grand. Cependant Walzer reconnaît que le savoir, précisément le savoir
spécifique, est nécessaire au fonctionnement de l’Etat. C’est pour cette raison
que les experts des diverses sphères de la société ne sont pas élus
démocratiquement. On imagine assez mal comment le peuple, au sein duquel le
savoir militaire n’est pas également partagé, serait apte à élire avec sagesse
les généraux de l’armée.
De surcroît, nous
espérons avec raison que les personnes les plus compétentes soient à la tête
des institutions dont dépend parfois notre subsistance ou plus généralement
notre bien être. Heureusement pour nous, ce savoir ne saurait ne saurait
constituer un pouvoir illimité. Certes les experts détiennent un certain
pouvoir, tel le directeur de prison sur ses détenus, mais ce pouvoir, à moins
de devenir tyrannique, ne lui permet pas prolonger ou de modifier leur peine
comme bon lui semble. Le savoir en soi n’est pas tyrannique : tout dépend
de l’usage dont fait leur détenteur. C’est précisément pour éviter les dérives
de la sorte que Walzer insiste sur la distinction des sphères de pouvoir.
Argent et marchandises
L’argent constitue également ce bien qui a tendance à la dérive. Que
l’on considère en effet que l’argent peut tout ou en quelque sorte rien, il
possède des effets notoires sur la société. Selon une certaine conception,
l’argent, véhicule universel, est la source de tout ce qui advient de bénéfique
ou de néfaste pour la communauté ou l’individu. Dans ce même ordre d’idée,
certains penseurs radicaux, constatant à juste titre que l’argent crée des
inégalités, envisagèrent une société où l’égalité naîtrait de l’absence
d’argent. Il est fort peu probable qu’une telle société puisse voir le jour,
car il y a fort à parier que ressurgirait toujours une forme de « véhicule
universel ».
Ce qui est en revanche contestable n’est pas le « véhicule en
lui-même mais bien l’universalité du véhicule »[26].
N’est cependant pas absurde l’idée de concevoir que l’argent, représentation de
la valeur, puisse tout acheter puisque tout a une valeur. Mais nous connaissons
aussi la « vraie valeur » de certaines choses, et par vraie valeur,
nous entendons ce qui n’a justement pas de prix, ce qui ne peut être marchandé.
Nous pensons à la vie, à l’amour, à la mort, etc… Et si justement pour
l’assureur, le club de rencontre et les pompes funèbres, ces trois valeurs
possèdent en quelque sorte un prix tout à fait quantifiable, nous voyons
combien cela parait indécent. La problématique du pouvoir de l’argent advient
précisément lorsque celui-ci exerce un contrôle au-delà des frontières qui lui
sont assignées par la morale, lorsqu’il s’immisce dans les choses auxquelles
nous ne voulons pas donner de prix. Il existe toute une série de chose qui ne
peuvent être achetées. Ces échanges prohibés, définis d’abord par ce qu’Okun
appelle le « domaine du droit », ensuite par l’éthique circonscrivent
(idéalement) la sphère de l’argent dans un usage légitime que l’on peut en
faire.
A l’exception de ceux-ci, l’argent peut acheter
marchandises, produits et services que nous jugeons utiles et/ou plaisants.
C’est une idée admise et qui fonde la légitimité de l’argent qu’il n’y a pas de
processus de répartition plus efficace, pas de meilleur moyen pour rassembler
les hommes. Les échanges créent des rapports d’interdépendances entre les
personnes sous un même langage. Mais l’argent ne pousse pas sur les arbres. De
la même manière, personne ne possède a priori un droit légitime sur les
choses. Celles-ci ne sont pas disponibles, prêtes à êtres reçues : il y
faut toujours un effort, un travail accompli, pour obtenir quelque chose. C’est
ce même effort qui procure le droit d’obtention des choses disponibles sur le
marché. Toutefois le sociologue Rainwater tend à prouver que le pouvoir de l’argent
déborde les limites de la propriété. Il n’entend pas là démontrer l’usage de
corruption que l’on peut en faire ; son analyse avance l’idée que
« l’argent achète aussi l’appartenance dans la société
industrielle ». L’activité de consommation est devenue ce qui permet désormais,
selon Rainwater, la reconnaissance de l’individu au sein de la communauté. Elle
octroie en outre un ensemble de propriété (Une maison, une voiture, une
bouteille de GlenFiddich) qui me font reconnaître aux yeux des autres comme
citoyen participant à la société, du moins une certaine société. « Sans un nombre de choses
socialement requises, nous ne pouvons être socialement reconnus ni être
vraiment des personnes. »[27]
Cet Etat de fait est particulièrement vrai dans une culture où le marché de
consommation est fort développé. Ceci entraîne cependant qu’une personne qui
vivrait une situation d’échec économique ressentirait, outre les désagréments
de subsistances, une dépréciation de son être comme citoyen, légalement comme
socialement. C’est de ce point de vue là qu’il faille réfléchir la
redistribution équitable de l’argent, au regard de l’importante influence qu’il
prend dans notre existence sociale.
On peut vouloir niveler les inégalités par différents dispositifs
(redistribuer l’argent en part égale, un revenu minimal pour tous, un emploi
garanti…) de sorte d’obtenir une égalité simple entre les citoyens, du
moins quant à leur pouvoir d’achat. Walzer a cependant démontré pour son
système demanderait un Etat fort. Nous pensons en l’occurrence au communisme
qui procéda d’une radicale redistribution du capital. Or Walzer, faut-il le
rappeler, essaie justement d’éviter au pouvoir Etatique de devenir tyrannique.
De toute façon, Cette situation ne peut pas demeurer stable à long terme car
même si les hommes partageaient un même capital, les marchandises et
investissement qu’ils voudront se procurer se trouvent sur le marché. Or le
marché crée immanquablement des inégalités. Notre but sera donc
« d’apprivoiser l’inexorable dynamique de l’économie du marché »[28]
et parvenir ainsi comme nous l’avons décrit en introduction à une égalité
complexe. Tout problème provient donc du fait de la position centrale du
marché et de sa malheureuse extension hors de sa sphère. Pour sa défense, les
tenants du capitalisme avancent qu’il fournit à l’individu les mérites qui lui
sont dus, relativement à son investissement et son effort. Mais le marché
possède ses lois propres qui font que nous ne sommes pas assurés d’obtenir un
mérité égal à la témérité et l’efficacité de notre entreprise (de quelque
nature qu’elle soit) au sein du marché. La vérité est que celui-ci ne se
préoccupe guère de la distribution des mérites. En revanche on peut dire qu’il
donne des récompenses justes et qu’après tout, il n’y a rien de dégradant à
acheter et vendre. « L’animation du marché reflète notre sens de la grande
variété des choses désirables. » Encore une fois, le marché en soi
n’est en rien néfaste aux citoyens. Quand bien même nous l’abolirions pour une
certaine idée négative que nous avons de lui, les échanges réapparaîtraient
naturellement car les hommes sont liés entre eux par cette activité, car ils
ont un rapport particulier aux choses.
Tant que le marché ne déborde pas de sa sphère
d’activité, nous n’y trouvons rien à redire. Mais le marché fait naître la
convoitise de certains chefs d’entreprise, et leur bonne fortune dans les
affaires pose inévitablement problème. Walzer en retient deux essentiels pour
sa thèse : Premièrement le fait qu’ils puissent retirer de ce succès, outre
des richesses, du prestige et, dans un deuxième temps, de l’influence politique,
ensuite qu’ils puissent exercer un certain pouvoir direct au sein de
leur entreprise.
La Propriété
La propriété consiste, entre autre, à avoir à divers degrés un
pouvoir sur les gens. Les effets ne sont alors pas loin de la sujétion. Il faut
en effet comprendre que ce que la propriété permet d’obtenir, c’est le contrôle
des destinations et risques encourus par d’autres gens, ce qui faire dire
Walzer que les propriétaires sont un « gouvernement privé ». Il
subsiste encore selon lui un rapport proche de la féodalité entre le patron
d’entreprise et ses employés. Avec Marx, l’Etat fut émancipée de l’économie.
S’est opérée une division des sphères économiques et politiques. Mais Walzer
soutient que la féodalité a survécu au sein des entreprises.
Il est clair que la propriété
n’est pas une base du pouvoir. Celui-ci peut s’exercer indépendamment d’une
possession en relation avec l’objet concerné, et inversement. Mais cela ne semble
pas être le cas quand on parle des entreprises. « J’aimerais défendre
l’idée que la distribution démocratiques des pouvoirs politiques ne s’aurait
s’arrêter à la porte des usines. »[29]
A l’instar du savoir, Walzer ne conteste guère la propriété en tant que telle,
mais ce à quoi elle donne droit bien souvent dans la réalité, en l’occurrence
une forme de pouvoir politique. Walzer évoque l’exemple de Pullman qui
constitue le paradigme même du propriétaire féodal. La ville qu’il bâtit pour
ses employés posa le problème de la compétence qu’il possédait dans sa gestion
de son entreprise et sa transposition dans la gestion d’une ville. Walzer
précise que la ligne de partage entre l’économie et la politique se situe
justement entre la résidence et le travail. Pullman, qui était néanmoins un
génie, eut le tord d’associer les deux.
Sur bien des
aspects, une entreprise ressemble à une ville si l’on la considère comme le
lieu d’une action coopérative, non un lieu d’intimité et de repos. Ceci veut
dire qu’aussi bien la vie citadine que le temps passé au travail ne sauraient
se confondre avec les moments passés au repos dans sa demeure. Certes, Walzer
reconnaît qu’en théorie, « les décisions économiques sont non
politiques, et elles sont coordonnées sans l’intervention de l’autorité
politique. (…) En fait, cette théorie ignore et les collusions des
propriétaires entre eux et leur capacité collective à faire appel au soutien
des représentants de l’Etat »[30].
C’est pour cette raison que Walzer sous-entend qu’il faudrait réglementer les
usines de la même manière que les villes, qui ne sont pas libres de tout faire,
car leur préexiste un niveau fédéral. Idéalement, il faudrait instaurer un agir
politique contre l’usage libre de la propriété. Walzer ajoute que ceux qui
avancent qu’ils dirigent les gens comme des choses qu’ils possèderaient se
trompent, puisque ce genre de « possession » ne légitime pas le
pouvoir qu’ils tendent à exercer. De toute façon, nous dit Walzer, il y a bien
d’autres aspects de la vie politique et plus attrayants que la possession.
Jusqu’à ce point, on peut constater que de
façon analogue, argent, propriété et savoir sont des biens qui, non de part
leur nature, mais de part leur usage peut conférer à ceux qui le détiennent un
pouvoir illégitime car celui-ci dépasse le cadre de leur sphère de distribution
respective. Le cas de Pullman est tout à fait paradigmatique dans la mesure où
il s’agit d’un pouvoir direct, et non pas politique, qu’il exerçait sur ses
travailleurs. Mais cet Etat de fait nous rappelle également comment les acteurs
dominant de la société civile évoluent dans une dimension apolitique, faisant
naître un ordre juridique dans lequel ils s’arrangent entre eux. Les parois poreuses de ces sphères nous amènent à considérer
qu’il faudrait les rendre étanches à toute influence extérieure. Or un Etat
fort ne peut que faire respecter une égalité simple, qui encore une fois
serait tout le contraire de notre visée, puisqu’une telle égalité fera
prédominer un bien sur les autres, créant ainsi une hiérarchie entre les
sphères. La difficulté de l’égalité complexe réside précisément en ce
qu’elle tend de réaliser une harmonie entre des lieux, des moments de la
société que sont les sphères qui ne partagent pas le même dénominateur commun. La
démocratie peut pourvoir à cette égalité. Encore faut-il définir quel type de
démocratie il s’agit.
Citoyenneté démocratique
Walzer est un penseur totalement en faveur de la démocratie comme
les occidentaux la conçoivent : Les citoyens doivent se gouverner
eux-mêmes. Mais un tel système n’apparaît pas vraiment comme une pure et simple
égalité. De même dit Walzer, la démocratie n’est qu’un mode de
distribution des pouvoirs, non un pouvoir en soi. Le fait que chaque citoyen
ait une chance égale ne fait pas encore de lui un détenteur du pouvoir. Car la
démocratie, c’est aussi « accepter de déposer les armes, argent et mérite»[31].
En effet, le citoyen ne vient (idéalement) sur le devant de la scène qu’avec sa
raison, ses arguments et sa conception de la justice. Or, nous comprenons bien
qu’un problème se pose puisqu’ il subsiste malgré tout des citoyens plus
influents que d’autres, dont le charisme leur confère effectivement une place
au premier plan. C’est en cela qu’une simple égalité ne peut être respecté.
Toutefois, il clair que semblable situation d’égalité parfaite ne serait pas
viable. Si tous les citoyens possédaient de la sorte autant d’influence les uns
que les autres, on verrait mal comment une décision pourrait être tranchée. La
discussion n’est possible que si tout le monde détient la même chance de base
de se faire entendre, mais il est nécessaire que le pluralisme souvent
irréductible des avis se résolve en une décision unanime. Sinon comment sortir
de l’impasse ?
Ainsi la distribution des charges relatives au pouvoir ne procède
pas d’une simple égalité. La voix que peut revendiquer tout citoyen n’est au
fond que le reflet de l’appartenance à la démocratie. Les lois, les
propositions, hors du choix direct du citoyen, dépendent en réalité de la
considération d’une quantité majoritaire de voix, qui elle aussi dépend de
l’influence des politiques. Le pouvoir réel en démocratie qu’a le politique ne
se situe pas autre part que dans la capacité de persuasion et de conviction.
Dans ce cas, il semblerait légitime, au nom d’une égalité parfaite, de vouloir
limiter ce pouvoir de persuasion, en interdisant par exemple les groupes ou
encore les clubs d’influence. Nous pourrions croire que, dans ces conditions, Le
citoyen ne jugerait que par sa propre raison ou, dirait Rousseau, « il
n’opinerait que par lui-même ». Mais concrètement, nous nous retrouverions
à nouveau dans l’impasse de la non-décision. En ce sens où la démocratie
constitue bien ce jeu d’influence du plus grand nombre, la politique, dit
Walzer, est réellement inévitable.
La solution résidera encore une fois dans le mode de redistribution
des pouvoirs. Une manière de favoriser l’égalité complexe reviendrait à
défendre une forme de participation plus intense. Cela revient à considérer que
la vérité émerge de la discussion, à laquelle il faut alors faire participer le
plus grand nombre. « Il est
meilleur, plus satisfaisant, de partager les discussions et les débats, même
sur des bases inégales, que de les abolir au bénéfice de l’égalité
simple. »[32] Le pouvoir
n’est certes, et ne sera jamais égal, mais bien les possibilités de l’exercer.
Il s’agit d’une, voire de la condition nécessaire du respect du citoyen. Walzer
paraphrase alors Lord Acton lorsqu’il affirme : « Le pouvoir
corrompt, mais le manque de pouvoir corrompt absolument ! ». Le pouvoir potentiel en tant que Praxis aristotélicienne une forme
de visée du Bien, donc un sens moral constitutif de la personne. Or cette forme
d’absence de pouvoir provient aux USA de la domination de la sphère de l’argent
dans la sphère politique. Cela a pour effet vicieux d’induire chez ceux qui
n’en ont pas qu’ils sont a priori exclus de la sphère de décision. La
passivité et le fatalisme sont enseignés aux enfants de ces groupes primaires.
La ploutocratie s’instaurant aux USA est en train de miner complètement la
démocratie. Walzer conclue en disant ceci : « La domination de
la citoyenneté (…) n’est pas la tyrannie. C’est la fin de la tyrannie. »[33]
Une critique de Michael Walzer par Mark Hunyadi[34].
La théorie de la justice
distributive commence par une analyse des droits d’appartenance. C’est une
sphère très importante, Hunyadi la nomme méta-sphère mettant en évidence que
Walzer, pensant en communautarien, pense le système social ainsi que l’homme
lui-même à partir de ses communautés d’appartenance. On verra par la suite les
problèmes que pose une telle démarche. L’appartenance en tant que bien social
est constituée par la conception que nous en avons. C’est nous, en tant que
membres d’une communauté qui faisons le choix de qui nous acceptons et des
critères pour cette acceptation. Comme on ne voit pas la communauté politique,
Walzer l’analyse par analogie : on peut considérer les pays comme des
quartiers, comme des clubs ou comme des familles. A partir de là, on peut
examiner les principaux traits d’admission et d’exclusion de la communauté
politique. Un quartier ne choisit pas ses membres et ce parce qu’il existe une
solidarité entre les habitants d’un même pays. Mais si les frontières de l’Etat
venaient à s’ouvrir complètement, on pourrait s’attendre à une fermeture
xénophobe du quartier. Les deux
communautés sont donc en interaction. La restriction sur les entrées sert à
défendre la liberté et le bien-être, la politique et la culture d’un groupe de
gens qui d’engagent les uns vis-à-vis des autres et à une vie commune.
L’analogie avec les clubs
est pertinente car comme les clubs, les Etats ont des politiques d’admission.
Quelle sorte de communauté politique les citoyens veulent-ils créer ?
Pour ce qu’il en est de la comparaison avec la famille,
elle se justifie dans le fait que l’Etat reconnaît le « principe de la
parenté », selon lequel on se sent obligés envers les membres de la
nation, leurs descendants, leur famille, … et ce qu’ils soient citoyens,
résidents ou pas. Car les Etats sont originairement l’expression politique
d’une « famille» nationale qui n’est jamais tout à fait enfermée à
l’intérieur de frontières légales. Enfin, il ne faut pas oublier que les pays
sont aussi des Etats territoriaux. Par le contrat social, l’Etat doit quelque
chose à ses habitants, il faut qu’il leur assure un endroit où vivre à
l’intérieur de ce territoire.
La
question se pose de ce qui arriverait si, suivant la thèse du théoricien
socialiste Otto Bauer, on refusait aux Etats nationaux le droit collectif de
juridiction territoriale. Les pays seraient ouverts et il n’y aurait de
fermeture que dans les groupes non territoriaux. Selon Walzer cela ne pourrait
marcher car les nations se font sur un territoire, l’identité nationale se fait
notamment par le lien entre le peuple et la terre. On ne peut pas abandonner
l’Etat car on abandonnerait également toute autodétermination effective. Il
faut donc permettre l’Etat territorial en spécifiant les droits des habitants
et en reconnaissant le droit collectif d’admission et de refus d’admission. Les
individus participent aux décisions dans un Etat démocratique mais ce n’est pas
pour eux en tant qu’individus qu’ils décident mais pour l’ensemble de la
société. Les membres d’une communauté politique ont un droit collectif à
façonner la population résidente. Ce droit est soumis à un double contrôle,
celui de la signification de l’appartenance pour ces membres et le principe de
l’aide mutuelle. En se posant la question de l’immigration, qui est le thème central
de ce chapitre, Walzer met avant la situation des immigrés que l’on accepte
d’accueillir mais auxquels on refuse la naturalisation. Il compare leur
situation à celle des domestiques vivants sous le même toit. Il y a là
tyrannie, dit-il, car on établit une sorte d’autorité parentale en dehors de sa
sphère sur des hommes et sur des femmes adultes qui ne seront jamais des
membres de la famille à part entière. Il y a tyrannie car la sphère économique
en se mélangeant à la sphère politique y introduit ses principes déterminants.
Le pouvoir politique est l’aptitude à prendre des décisions sur des périodes de
temps déterminés, à changer les règles, à prendre en compte les urgences ;
il ne peut s’exercer de façon démocratique sans le consentement des sujets. Ses
sujets incluent tout homme et toute femme qui vivent sur le territoire sur
lequel ces décisions sont applicables. L’admission et l’exclusion sont selon
Walzer au cœur de l’indépendance de la communauté car sans elles il n’y
aurait pas de communauté de caractère historiquement stable, des associations
continues d’hommes et de femmes spécialement engagés les uns envers les autres
et ayant un sens spécifique de la vie en commun.
Ce n’est qu’au sein d’une communauté que
peuvent se partager les autres biens sociaux car c’est justement la communauté
qui les rend possibles.
Marc Hunyadi définit le
projet de Walzer comme tentative d’approfondir la question de l’organisation de
la société du point de vue des acteurs sociaux eux-mêmes et non pas du point de
vue des dirigeants. Dans l’utilitarisme par contre, ce rôle incombe
nécessairement au législateur. En effet, il s’agit d’organiser, pour
le plus grand nombre, le maximum de bien-être[35]. Or, les individus, étant des entités égoïstes, ne peuvent penser
qu’à leur bien être qui, en général, s’oppose à celui d’autrui. Le législateur
est dès lors érigé en ingénieur moral de la communauté[36] dont le rôle est d’accroître le bien-être des citoyens malgré
eux-mêmes. Walzer s’oppose à cette idée car le
pouvoir des planificateurs serait dominant[37]ce
qu’il refuse d’accepter. On retrouve là sa défiance vis à vis de l’Etat ainsi
que son projet de minimiser le rôle de celui-ci en augmentant le poids des
acteurs sociaux. Mais Walzer ne soutient pas un Etat minimal ou libertarien où
les sujets seraient laissés livrés à eux-mêmes car ils considère que livrés à
eux mêmes, il ont besoin les uns des autres. Dans l'histoire on ne trouve presque pas de revendication
pour l'abolition de l'Etat mais bien des revendications quant aux actions de
l'Etat.
Hunyadi comprend que pour Walzer les acteurs
sociaux constituent eux-mêmes leur espace social et que ces derniers doivent se
remettre dans le jeu en tant que participants, qu’ils doivent définir les
règles qui les concernent. C’est ce que Hunyadi appelle réappropriation
de l’espace normatif par les acteurs sociaux[38]. Pour Walzer, la société résulte d’un choix, de choix, la société
est une communauté qui met en place ses règles de vie commune, sa politique.
Il n’y a pas d’essence de la société, on choisit comment on veut vivre
ensemble, le rôle des acteurs sociaux est premier. Dans le chapitre trois,
traitant de la sphère de la sécurité et du bien-être, Walzer explique que la
communauté est nécessaire à l’homme. Il en fait la démonstration
suivante : la première chose que se doivent les membres d’une certaine
communauté, c’est une assistance en matière de sécurité et de bien-être (welfare).
Mais s’il faut une communauté politique pour permettre l’assistance, il faut
aussi l’assistance pour la communauté politique, c’est-à-dire que la communauté
elle-même est un de nos besoins et non pas seulement le résultat d’un calcul
rationaliste qui nous a poussé à passer un contrat social. Si nous avons besoin
de la société, c’est parce que c’est seulement au sein de celle-ci que se
développent la culture, la religion et la politique, autrement dit, les trois
instances sous l’égide desquelles toutes les autres choses dont nous avons
besoin deviennent des biens socialement reconnus et prennent une forme
historique déterminée. Le contrat social est un accord passé pour parvenir
ensemble à des décisions sur les biens qui sont nécessaires à notre vie
commune ; nous vivons ensemble parce que nous ne pouvons pas vivre
séparément. Les citoyens doivent débattre de l'étendue de l'assistance mutuelle
ainsi que sur la signification du contrat social. Walzer défend la démocratie
qui a selon le lui le plus de chance de devenir un Etat providence. Tout effort
d'assistance communautaire a une nature redistributive. Et la redistribution
est une affaire politique. Il propose une définition plus précise du contrat
social : c'est un accord sur la redistribution des ressources des
membres de la communauté en accord avec une compréhension partagée de leurs
besoins, soumise à une détermination politique constante. Ce contrat est
donc un lien moral entre les différents individus d'une même communauté. Il
repose sur les principes : A chacun selon ses aptitudes et ses ressources, à
chacun selon ses besoins socialement reconnus. Le bien-être social vise à supprimer
la domination de l'argent dans la sphère du besoin, dès lors une participation
active de la part des citoyens dans le travail de bien-être social vise à s'assurer que la domination de l'argent
ne soit pas simplement remplacée par celle du pouvoir. On retrouve là le projet
d’équilibrer les différentes sphères. De plus, à travers les quelques exemples
cités, celui des travailleurs-hôtes,..., on comprend pourquoi Hunyadi écrit que
Walzer donne la primauté à raison pratique et que l’implication normative de sa
pensée s’énonce : « si nous voulons, souhaitons,
décidons,...que X, alors il faut faire Y[39] ». Il n’y a pas de
modèle, il n’y a pas d’Etat idéal. Walzer réfute l’idéalisme de Platon, il n’y
a pas une Idée de la cité et le législateur n’est pas le pilote d’un navire.
Walzer effectue la démarche inverse de celle de l’Etranger du Politique
de Platon. En effet, ce dernier déclare : « le savoir propre au
roi relève du théorique. Laissons donc de côté les savoirs pratiques
(...) [40]». Si la politique est l’art
d’élevage collectif des hommes comme le démontre dialectiquement Platon[41], Walzer refuse d’en
laisser le seul soin au pasteur et ceci parce que quelque chose comme la
justice en soi n’existe pas. Comme l’écrit Hunyadi, la justice sociale est quelque
chose d’irréductiblement interne aux différents régimes de distribution[42].
Walzer pose comme un fait établi que la
communauté a toujours été là. Hunyadi lui reproche cette thèse, lui voudrait
savoir comment s’est créée la communauté. Il se demande comment justifier la
préséance normative de l’autoconstitution communautaire[43]. En effet, Walzer ne la
justifie nullement car pour lui il n’y a pas de problème étant donné que les
communautés sont originaires et toujours-déjà-présentes, elles ont une
préséance normative et toutes les décisions politiques sont secondaires aux
communautés elles-mêmes[44]. Pour Hunyadi, c’est là
que se trouve la faille principale du raisonnement de Walzer car il y a
problème au niveau de l’articulation du principe communautaire et du principe de
discussion.
En effet, dans la pensée de Walzer, c’est la discussion, le débat,
qui donne sa légitimité aux règles et à la politique. C’est parce qu’on les à
décidé ensemble qu’elles valent. Les participants à ces discussions sont les
acteurs sociaux, c’est-à-dire tous ceux qui ont accès aux significations
communes. Mais qui est-ce ? Il n’y a pas, comme le souligne Hunyadi, que
les membres d’une même communauté qui partagent des significations, une
signification est par nature ouverte à ceux qui ont quelque chose à en dire.[45]Dès lors, se pose la
question de la participation. On aura d’une part tous ceux qui sont concernés
et qui représentent la volonté, et, d’autre part, ceux qui prendront les
décisions. Mais qui sont ceux qui sont concernés si le principe de discussion
est de nature universaliste ? Qui fait partie de la communauté ?
Hunyadi s’étonne du fait que, alors même que la discussion est un des points
centraux de la pensée de Walzer, il ne l’autonomise jamais en sphère ce
qui pourtant lui donnerait une légitimité propre. Hunyadi demande une
institutionnalisation de ce qu’il nomme principe de discussion, s’étonnant que
Walzer lui-même n’ait pas nommé une des clés de voûtes de son raisonnement. Pour
Hunyadi, cela s’explique par le fait que Walzer comprend la démocratie en
tant que principe de distribution de pouvoir et non pas en tant que principe de
légitimation des règles sociales[46]. Lisons une de ses
définitions de la démocratie : « La démocratie, dans les pays
occidentaux, est à la fois le moyen de distribuer le bien pouvoir politique dans
la sphère politique et le critère de l’exercice du pouvoir par les
institutions »[47]. La démocratie a donc pour
rôle de gérer la sphère politique ainsi que les lient entre les différentes
sphères, de faire en sorte que chacune reste autonome et qu’il n’y ait pas
d’ingérence. C’est ce qu’on nous avons déjà dit à propos de la politique
elle-même en expliquant en quoi elle est un bien particulier...On en déduit que
Michael Walzer identifie une bonne politique, une politique bien gérée, à la
démocratie. Hunyadi critique le fait que à la base de la démocratie se trouve
placé par Walzer le principe d’autonomie des sphères et non pas un principe
procédural de légitimation démocratique des règles sociales par les concernés
comme ce devrait être le ces si Walzer faisait effectivement de la discussion
son principe fondamental. Il y a donc selon lui un important paradoxe dans Sphères
de Justice. En effet, alors que l’importance du débat y est sans cesse
proclamée (c’est elle qui donne sa légitimité aux règles en l’absence de vérité
quant à l’organisation d’une vie commune), elle n’a finalement que peut de
pouvoir car le débat, n’étant pas institutionnalisé, n’a de rôle à jouer qu’au
sein des différentes sphères. La discussion est donc fort réduite et instrumentalisée
au profit d’une légitimité qu’elle ne détermine pas par elle-même[48]... Ce qui importe le plus pour Walzer, c’est l’équilibre entre les
sphères, il considère que ce qui est à la base de toute communauté humaine, ce
sont les significations partagées. Hunyadi conclut que la justice walzérienne
est indépassablement locale[49] étant donné qu’elle
s’appuie sur une sorte de consensus résultant de ces significations partagées.
Mais alors, comme le demande Dworkin[50], que ce passe-t-il s’il
n’y a plus consensus ? On voit que le relativisme (et l’anti-réalisme dont
il résulte) de Walzer ne va pas sans poser quelques problèmes. L’analyse de
Hunyadi nous révèle que si Walzer a bien pensé la pluralité des biens, de la
justice et de toutes les grandes notions, il n’a pas pensé la pluralité des
personnes. Il a inclut les personnes en tant que membres dans de nombreuses
communautés sans s’attarder sur le fait que ces personnes étaient également des
individualités et ne pensaient pas toutes de la même façon au sein d’un même
groupe.
La justice comme fondement de l’Etat
La réponse de Walzer contre le glissement
vertigineux du politique vers sa chute nous apparaît dés lors bien subtile.
Ceux qui croient que Walzer défend un Etat fort se trompent. Certes Walzer
effectue à sa manière un retour vers l’Etat comme acteur à part entière de la
société civile. Mais le pouvoir qu’il occupe n’est plus direct et immanent. Il
serait même juste de dire que l’Etat n’apparaît plus chez Walzer comme réel
pouvoir. L’auteur des Sphères de Justice sait trop bien comment le
pouvoir peut sans difficulté se muer en tyrannie. Mais il ne prône certes pas
un basculement vers l’autre extrémité du néo-libéralisme : son exposé a
démontré qu’à l’inverse d’une conception organique de la société, les
individus, par la défaillance du mode de distribution des biens, ne résolvent
pas leur conflit d’eux-mêmes, ou s’ils le font, ce n’est sûrement pas de
manière juste.
Le système de Michael Walzer a ceci d’ingénieux
qu’il se tient de lui-même. L’égalité complexe désirée par l’auteur fonde une
justice de distribution qui permet du coup la construction d’une démocratie. Or
seule la démocratie est à même de faire respecter l’égalité complexe. Ce
système étant posé, l’Etat renaît de ses cendres puisqu’il devient le garant de
la régulation, il permet la survie de la justice distributive. Cet Etat n’est
plus seulement « gendarme » de la société mais il n’est pas non plus
fondé sur une idéologie. Nous pourrions dire qu’il est neutre, vide d’idéologie
a priori.
En revanche l’Etat walzerien amorce le retour
d’une politique qui ne fonde plus sa légitimité substantiellement, mais en tant
qu’agir politique, comme praxis aristotélicienne et démocratique.
L’action citoyenne qu’elle permet et encourage se dresse contre
l’abstentionnisme, contre la passivité dans laquelle était confiné le citoyen.
C’est en ceci que réside la réponse la plus claire face à la fin du
politique. Nous voyons désormais combien la conception de Walzer est
éloignée de l’Etat organique de Parsons. Elle se situe précisément dans la
comparaison entre la communauté politique de l’un et le
« groupe primaire » de l’autre. Si les deux partagent un
sentiment d’appartenance qui crée leur cohésion, la communauté politique a ceci
de plus qu’elle se construit comme actrice. Sa force coercitive n’est plus ici
cette force de gravité qui immobilise l’individu en son centre. Elle agit au
contraire comme un élan vers l’engagement. Mais cet engagement ne se fonde plus
une certaine idée entretenue par le politique mais par une visée du bien
actualisé. En cela, la position de Walzer se situe tout à la fois entre l’Etat
idéologique et l’individualisme déconstructif.
Bibliographie
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[1] BIRNBAUM, Pierre, La fin du politique, 1975, Paris, Edition du
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[2] BIRNBAUM, Pierre, La fin de l’Etat ? , Revue française
de Science politique, 1985, volume 35, n°6, p.984.
[3] BIRNBAUM, Pierre, La fin de l’Etat ? , Revue française
de Science politique, 1985, volume 35, n°6, p.985.
[4] St Simon cité par E. Durkheim, le
socialisme, op. cit., p.166
[5] PARSONS, Talcott, Le système des sociétés
modernes, 1973, Paris, Bordas, p. 18.
[6] Ibid, p. 19.
[7] BIRNBAUM, Pierre, La fin du politique,
1975, Paris, Edition du Seuil, p.259.
[9] BIRNBAUM, Pierre, La fin du politique, 1975, Paris, Edition du
Seuil, p.181.
[10] WALZER, Michael, Sphères de Justice,
1983, New-York, Editions du Seuil.
[11] www.revue-lebanquet.com/fr/art/1994/86.htm
[12] RAWLS, John, théorie de la justice, 1997,
Paris, Edition du Seuil, p. 564.
[13] RAWLS, John, théorie de la justice, 1997,
Paris, Edition du Seuil, p. 565.
[14] Id. p.567
[15] TAYLOR C., Les sources du moi, Seuil, Paris, 1998.
[16] SANDEL M., Le libéralisme et les limites de la justice, trad.
de SPITZ J.-F., Seuil, Paris, 1999.
[17] HUNYADI M., L’art
de l’exclusion –Une critique de Michael Walzer, Cerf, Paris, 2000, p117.
[18] In globenet.org
article de BRACHET et de SEBAG.
[19] HUNYADI M., L’art
de l’exclusion –Une critique de Michael Walzer, Cerf, Paris, 2000.
[20] http://www.philagora.eu/educatif/
[22] WALZER, Michael, Sphères de Justice,
1983, New-York, Editions du Seuil, p. 48.
[23] Idem, p29.
[24] WALZER, Michael, Sphères de Justice, 1983, New-York, Editions
du Seuil, p. 319.
[25] Ibid, p. 321.
[26] WALZER, MICHAEL, Sphères de Justice, 1983, Editions du Seuil, p.
145.
[27] WALZER, MICHAEL, Sphères de Justice, 1983, Editions du Seuil, p.
157.
[28] WALZER, MICHAEL, Sphères de Justice, 1983, Editions du Seuil, p.
159.
[30] WALZER, Michael, Sphères de Justice, 1983, New-York,
Editions du Seuil, p.418
[31] WALZER, Michael, Sphères de Justice, 1983, New-York,
Editions du Seuil, p.421.
[32] WALZER, Michael, Sphères de Justice, 1983, New-York,
Editions du Seuil, p.426.
[33] WALZER, Michael, Sphères de Justice, 1983, New-York,
Editions du Seuil, p.431.
[34] HUNYADI M., L’art
de l’exclusion –Une critique de Michael Walzer, Cerf, Paris, 2000.
[35] Idem p10.
[36] Idem.
[37] WALZER M., Sphères de justice, idem, p19.
[38] HUNYADI, idem, p14.
[39] HUNYADI M, idem, p41.
[40] PLATON, Politique, 259 d10-11.
[41] DELCOMIMINETTE S., L’inventivité dialectique dans le Politique
de Platon, OUSIA, Bruxelles, 2000.
[42] HUNYADI M., idem, p46.
[45] Idem, p84.
[46] Idem, p103.
[47] In Le Magazine Littéraire, « Michael Walzer :
pour une théorie de la justice distributive », n°361, janvier 1998,
p94.
[48] HUNYADI M., idem p105.
[49] Idem p 109.
[50] DWORKIN R., Une question de principe, trad. de GUILLAIN A.,
Presses Universitaires de France, Paris, 1998.
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