vendredi 27 août 2010

Sphères de Justice de Walzer comme réponse à la fin du politique


Le politique est celui qui prend les décisions pour l’ensemble des citoyens, il représente ceux-ci. Mais de plus, il constitue un monde commun en faisant exister les individus en tant que corps politique. Il organise la société. La fin du politique est la fin d’une position de surplomb du politique sur les autres domaines de la société. On peut comprendre la crise de la fin du politique en tant que crise institutionnelle de l’Etat. Nous ne retiendrons pas les autres aspects qui englobent cette problématique. La position de Walzer concerne essentiellement l’Etat au niveau national et interne. C’est pourquoi nous nous baserons sur l’analyse que Pierre Birnbaum effectue dans son livre « la fin du politique[1] » au nom évocateur. Nous y verrons surtout comment une idéologie d’une société « organique » a pu naître et en réaction à quoi.
 Avant toute chose, il convient de voir de quelle manière se caractérise concrètement la réalisation de cette fin du politique. Comprise dans une dimension interne à l’Etat, elle est particulièrement visible dans la concomitance du pouvoir et des sphères économiques. C’est assez notable au sein des Etats faibles comme aux Etats-Unis, ou le néolibéralisme tend à réduire le gouvernement en une sorte d’Etat sans aucune fonction de souveraineté. Dans une conception atomiste de la société, seule prime comme critère acceptable l’intérêt individuel. Des penseurs comme Nozick réfutent l’Etat comme « producteur d’intérêt général » pour la raison qu’il constitue une entrave à la liberté « démocratique ». Contre lui, le marché est cette « main invisible qui peut seule réaliser les ajustements individuels en respectant l’efficacité »[2]. L’Etat se cristallise alors en un Etat-gendarme qui assure la protection de ses clients. 
Là où l’on observe un retour et une prédominance du marché, on assiste à l’instauration d’une « démocratie sans l’Etat ». Dans les Etats faibles ou dédifférenciés comme les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, s’est érigée une politique allant à l’encontre du Welfare State. Le marché y devient l’unique mécanisme de régulation. Toute forme d’interventionnisme Etatique a eu tôt fait d’être balayée par la conception individualiste propre à ces Etats, dont l’émergence est observable à l’échelle mondiale. Cet ordre des choses s’accommode en général d’une recrudescence des communautés autogestionnaires qui ne peuvent cependant subsister qu’au sein d’un Etat. On retrouve ici « l’antiétatisme des partisans d’une Strong democraty participative »[3].
 Le processus de retour à la seule logique du marché s’observe également dans les Etats forts ou différenciés comme la France, bien qu’une telle logique aurait plus de mal à s’enraciner dans un pays où la différenciation Etatique résulte d’une longue histoire. De même, au sein d’un pays où l’Etat semble avoir conservé sa propre logique, l’émergence d’un self-government ne sera pas aussi aisée que dans les Etats faibles que sont les sociétés anglo-saxonnes.
Mais il faut constater avec Pierre Birnbaum que le processus de la Fin du Politique est amorcé subtilement dés les prémisses de l’ère industrielle. Progressivement les veines utilitaristes, scientistes et positivistes épuisèrent ce qu’il restait de symbolique dans le monde. La fin du politique survient en effet parallèlement au « désenchantement » proclamé par Weber et l’échec de la Raison à fonder quelque chose comme du sens. En même temps l’âge de l’organisation scientifique sonna le glas des « chimères métaphysiques » qui animaient la pensée des politologues. On comprit de plus en plus le politique comme un organisme autopoiëtique. Pour St Simon « la société est une véritable machine organisée dont toutes les parties contribuent de manière différente à la marche de l’ensemble »[4]. Cette croyance d’une entéléchie au sein de la société qui nécessairement s’autorégule en vue du bien demeurera, contre l’idée même d’une idéologie partisane. Le politique passa dans l’univers de l’opératoire.

La fin du politique comme dépréciation idéologie


Pierre Birnbaum avance que la grande partie de la théorie politique qui s’est élaborée dans la deuxième moitié du 20e siècle tend à annoncer ce constat. De ce mouvement de pensée, il nous donne ce qui constitue, selon lui, les grandes lignes directrices de ce courant de dépréciation de l’idéologie politique. Ces grandes théories partagent entre elle un refus commun d’accorder une importance au pouvoir et aux rapports conflictuels. Elles opèrent également le lien entre temps de la confrontation et idée partisane, de même entre modernité et société consensuelle. Ce dernier point constitue une des croyances principales et déterminantes pour la compréhension de cette pensée. Cette idée de consensus opérant est d’ailleurs à rattacher à deux notions essentielle pour leur système : la professionnalisation et les groupes primaires.
Conséquence inéluctable de la division du travail, la professionnalisation définit le processus par lequel chaque poste de l’administration, mais aussi des autres sphères qui subsistent au sein de la société, est attribué à un individu selon sa compétence, indépendamment de son appartenance ethnique, de son sexe, de son âge ou encore de son rang social. La professionnalisation est un grand bien pour la société car elle garantit une institution scientifique et non partisane de la politique. Cela induit qu’il faille gérer la cité à la manière du technicien qui résout les problèmes au moyen de son savoir et de sa technique. Cela montre également comment le positivisme s’étend maintenant à la régulation politique de la collectivité. Il est nécessaire, selon eux, que la Politique acquière ce statut positiviste et fonctionnel, afin d’éviter les verbiages qui animent les débats démocratiques et qui ont plus tendance à accentuer les conflits qu’à les résoudre. Idéalement, les autorités ne devraient plus prendre part au débat mais devraient s’accomplir, selon le terme parsonien, en une seule « autorité en action »[5] qui agirait déontologiquement. Ainsi les décisions sont abandonnées inévitablement à une classe technocratique, confiant de la légitimité que leur confère leur compétence. Il s’en suit que les masses ne sont plus conviées à participer à la vie politique, tout au plus en donnant leur voix à l’un ou l’autre candidat à la présidentielle. Parsons affirme cependant positif qu’ « un tout petit pouvoir est encore du pouvoir, de même qu’un dollar, bien que cela fasse peu d’argent, est encore, de façon très précise, de l’argent »[6]. C’est très précisément ce que nous avançons négativement. Il se produit inévitablement un désinvestissement de l’individu en tant que citoyen, qui alors se tourne vers sa vie privée, abandonnant toute idée réfractaire ou révolutionnaire. La professionnalisation est censée maintenir, par un consensus présupposé par la théorie, l’équilibre et la stabilité de la société. Cela serait certes le cas mais au désavantage du processus démocratique, les grandes masses étant complètement écartées des affaires politiques.
Ceci nous conduit à ce que bon nombre d’auteurs ont appelé la redécouverte des « groupes primaires ». Ceux-ci jouent semble-t-il un rôle capital dans les sociétés modernes. Les politologues ont vu en eux la pierre de touche qui allait permettre de fonder leur théorie. Dans une communauté organique et apolitique aux relations primaires, le citoyen (si l’on peut encore l’exprimer en ce terme) est englobé au sein de ces groupes sociaux. Les individus y sont liés par une caractéristique commune (« Race », langue, origine…) et la force de coercition y est très présente. Le groupe primaire agit comme un milieu naturel antérieur à la communauté citoyenne dans lequel l’individu mène sa vie paisiblement, en l’absence de trouble conflictuel. Cette même force de coercition limite naturellement la décision de la personne, l’éloigne de la vie politique qui, n’étant pas spécialiste (ne savant pas), ne le concerne de toute façon que fort peu. Les groupes primaires en outre votent en masse unilatéralement, rendant illusoire tout consensus, et laisse libre action aux dirigeants de respecter leur « programme », rendu ici bien inutile. On comprend dés lors que le constat empirique des behavioristes de l’apathie politique du citoyen, tout en refusant de s’aventurer dans une explication du phénomène qui les conduiraient dans les terres de l’idéologie, sert finalement de justification aux autorités. Faut-il encore le rappeler, le suffrage universel, qui précisément est une caractéristique des sociétés modernes, deviendrait inutile, la démocratie se réduisant à une sorte de rituel.
« En rejetant les « visions », les « chimères métaphysiques » et les idéologies politiques, la théorie politique contemporaine a perdu une dimension fondamentale qui consiste, à l’aide de la Raison, à mettre en cause l’abandon par les citoyens d’un pouvoir qui devrait leur être dévolu. »[7]

Talcott nous semblera à bien des égards le représentant le plus ostensible de cette idéologie, non certes qu’il en soit le chef de file, mais son modèle de la société est à la fin du politique ce que le Tractatus de Wittgenstein est à l’onto-logique, c’est-à-dire une, voire sans doute la plus profonde radicalisation. Son analyse nous paraîtra à ce point extrême qu’elle en montrera à la fois la force et l’inanité, certes au regard de notre travail.
Si l’on considère au préalable qu’il n’existe pas de faits conflictuels entre les citoyens. Si nous considérons ensuite qu’il y a réellement une égalité des chances face aux ressources disponibles, aux droits, à l’emploi… ; si l’éducation et la compétence demeurent les seuls critères intervenant dans l’accession de postes spécifiques ; si enfin nous constatons qu’un consensus lie effectivement les individus, rendant ainsi légitime le « pouvoir » comme instrument visant le seul bien collectif, alors pour Parsons, il ne subsisterait plus aucune hiérarchie, aucun pouvoir au sein d’une société. Aucun Etat moderne, cela semble évident, ne répond (ni ne répondra sans doute un jour) ne serait-ce qu’à un seul de ces critères, même le plus démocratique. Ce n’est d’ailleurs pas la thèse de Parsons qu’il puisse un jour exister un tel Etat, il s’agit bien plus d’un modèle que d’une réalité empirique.
  Qu’advient-il du pouvoir dans un tel modèle sociétal ? Celui-ci est réduit à une « autorité en action ». Les élites qui le constituent sont marqués du sceau de la légitimité car leur action visera nécessairement le bien collectif. Ce serait en effet le cas si, comme l’avance Parsons, la compétence uniquement confèrerait l’autorité qui alors devient purement fonctionnelle. En théorie, la compétence confère la légitimité d’un poste. Cela est surtout vrai des spécialistes, car le citoyen espère à raison que les rôles qui requièrent un savoir spécifique soient occupés par ceux qui en ont la plus grande connaissance. Dans cet ordre d’idée, s’impose la nécessité de pourvoir aux postes gouvernementaux les citoyens les plus compétents. Ceci suppose cependant que ceux-ci n’opinent que selon leur connaissance et leur raison dans l’intérêt de la communauté, et non sous quelque influence étrangère à ce même intérêt. En d’autres termes, il faut que la sphère administrative soit étanche aux débordements que les sphères économiques et militaires peuvent avoir sur elle. La réalité nous montre malheureusement que ce n’est pas le cas.
Dans la même idée, Parsons affirme que les dirigeants de la sphère économique agiront en milieu fermé et n’essaieront pas d’exercer leur influence dans le milieu politique. Il justifie tout d’abord les patrons non seulement par l’idée qu’ils possèdent réellement une compétence. Mais Parsons s’inspire également de la notion calviniste de « vocation » dont les élites seraient investies. La morale protestante rejette en effet tout égoïsme, ostentation, et enrichissement personnel. Les patrons seraient donc poussés à réinvestir leur capital aux bénéfices des finalités collectives. Ceci laisse entendre que les élites de la classe économique partageraient selon lui un aspect rationnel, universel et fonctionnel de la tâche, ce qui n’est pas nécessairement vrai. D’autre part Weber avait également traité la notion de « vocation » protestante dans ces travaux mais plus précisément comme un facteur déterminant de l’apparition du capitalisme aux USA. Birnbaum soutient que Parsons reprend cet argument à son compte, désirant ici justifier le capitalisme « si l’on entend par là l’institutionnalisation des responsabilités au bénéfice d’organisations privées non gouvernementales qui déterminent la plus grande partie de la production économique »[8]. Précisons ici que l’influence grandissante des organisations non gouvernementales constitue justement une des caractéristiques principales de la fin du politique.
Laissons pour le moment l’économie pour revenir sur le problème de la classe dirigeante. Nous en étions restés sur l’idée que le « politicien » se verrait attribuer sa tâche au regard de sa compétence. La remarquable stabilité du système électoral tiendrait sur l’existence des « groupes primaires » dans un desquels s’inscrit nécessairement le citoyen. Celui-ci est induit par la force coercitive de son groupe social à voter avec lui, selon des valeurs antérieures et propres à ce même groupe. Cela possède l’avantage de prédéterminer le vote des masses bien avant toute élection, réduisant ainsi les campagnes des partis à des « rituels ». Cela a aussi le désavantage de nier l’efficience du suffrage universel, qui pourtant fonde le modèle consensuel de la société parsonienne. En outre, les partis républicains et démocrates peuvent compter sur cette grande stabilité du corps électoral. Rien ne dit dans ce cas qu’ils aient à respecter leur engagement (rien ne les y oblige) vis-à-vis des finalités collectives, qui pourtant rendaient légitiment ces mêmes partis dans le système parsonien. Bref, les fonctions ne semblent pas liées à une professionnalisation, comme ces dirigeants ne sont pas élus raisonnablement mais par vote de masse.
En soi le modèle de Parsons n’est pas critiquable, au contraire nous aurions beaucoup à espérer qu’un modèle semblable tienne lieu de système sociétale. Mais la réalité est loin de s’y superposer. Il y a toujours dans les élites des actions spécifiques visant leur intérêt personnel. Si le patron, comme le dit Parsons, n’est pas propriétaire de l’entreprise, il en est du moins généralement l’actionnaire. Ceci dit, nous comprenons l’idéal de Parsons. Il n’est certes pas un capitaliste avide de richesse et de pouvoir, ni le promoteur de ce genre de comportement. Il avance qu’au moyen d’un gouvernement constitué technocratiquement, les débats s’y résoudraient fonctionnellement et surtout dans le but des finalités collectives. « La rationalisation du monde annoncée et décrite par Max Weber mène à un « désenchantement » peu propice, selon Parsons, à l’épanouissement des utopies. »[9] Sa vision d’un Etat apolitique et d’une société organique s’appuie sur ce constat que les Etats modernes, précisément les USA, progressent vers une société libre, parce que libérée de l’idéologie politique. Nous retrouvons la croyance du lien entre raison et fonctionnalité, opposé au couple passion et idéologie. 

La position politique de Michael Walzer[10].


Michael Walzer fait partie des grands penseurs du communautarisme. Le communautarisme est un des points centraux de la discussion politique aux Etats-Unis et au Canada et ce, parce que les questions qu’il pose portent sur l’interprétation de la constitution, sur l’équilibre entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir exécutif ainsi que sur la nature des droits de l’Homme[11]. Ces débats ont d’une certaine manière attrait à la question du politique puisqu’ils se centrent sur la question d’un agir de l’Etat contre un « ordre juridique » autonome qui traite de problèmes qui d’ordinaire se résoudraient politiquement.

Le terme communitarian, traduit en général par communautariste ou communautarien, est apparu dans les discussions suscitées par le livre de John Rawls Théorie de la justice.
 « Il est naturel du supposer que la congruence entre le juste et le bien dépend pour une large part de savoir si une société bien ordonnée réalise le bien de la communauté »[12]. La société de John Rawls est conçue comme une entreprise de coopération, ou pour reprendre avec précaution le terme des penseurs de la société organique, une entreprise consensuelle. Cependant Rawls ne nie pas qu’elle se caractérise également par de constants conflits d’intérêts. Rawls nous avance qu’il existe deux manières antinomiques de répondre à ce constat, la première étant sa propre théorie de la justice, la deuxième réponse se trouvant sous l’angle de ce qu’il appelle la « société privé ». Selon cette dernière, les personnes qui la composent possèdent leurs fins privés. Ces fins peuvent être concurrentes, indépendantes, mais en aucun cas complémentaires. Il s’agit de favoriser les libertés individuelles et le champ d’intervention, dés lors que les institutions sont considérées comme un fardeau. L’organisation est ici bien plus un moyen pour accomplir ses fins personnelles qu’une coopération en vue d’un bien collectif qui serait propre à cette organisation. L’individu n’interviendra que selon une notion d’utilité. Rawls précise à ce propos que « les seules variables intervenant dans la fonction d’utilité d’un individu sont les biens et les avoirs qu’il possède, mais pas ceux des autres ni leur niveau d’utilité »[13]. Si la répartition des ressources et des biens peut alors être tout à fait équitable et résultant de ces rapports de force, il se peut aussi que cela soit du au hasard. La théorie des marchés concurrentiels, avance Rawls, est appropriée à cette vision. Optimistes, nous pouvons espérer qu’une telle société profite au final à chacun, donc d’une certaine façon à la communauté en chacune de ses parties. Mais il est plus raisonnable de croire qu’il y a bien peu de chances que l’organisme sociétal répartisse de lui-même, par son seul fonctionnement interne, l’ensemble des biens au sein de la communauté. Quand bien même la réalité refléterait cet Etat de fait, Rawls ajoute que les citoyens, poursuivant leur unique intérêt personnel, n’agissent plus en fonction du juste. Il conclue qu’il faut bien quelque institution pour maintenir l’harmonisation entre le privé et les intérêts publics. La cohésion d’une telle société est fondée sur la croyance, non qu’elle soit juste ou bonne, mais suffisante à pourvoir aux intérêts privés.
La notion de communauté humaine, défendue par la théorie de la Justice, prend justement tout son sens quand on l’oppose à la notion de société privée. Dans cette optique, les êtres humains partagent leur fin et valorisent les institutions et la vie commune comme bien en soi. Cette valorisation n’est compréhensible cependant que si le citoyen à conscience que le bien d’autrui est nécessaire au sien. Le bien est alors compris comme rationalité, comme moyen de penser les interactions sociales. Cette rationalité est fondée sur le constat évident mais non trivial que les humains ont en eux un potentiel qui dépasse largement tout ce qu’ils pourront espérer réaliser en toute une vie. Ils ne peuvent pas tout faire, ni à plus forte raison accomplir ce que peuvent les autres. Si nous désirons faire plus que ce que nous permet notre unique existence, nous devons passer par une forme de coopération des talents semblables ou dissemblables, en tout cas ici complémentaires. Ceci ne peut se faire qu’au sein d’une société où l’on se sent en sécurité de la faire et si tous les objectifs sont acceptés par le plus grand nombre. Il faut ainsi plus qu’un « Etat policier » protégeant la liberté individuelle, il faut également des institutions diverses qui garantissent la réalisation du bien collectif, considéré par Rawls comme le plus grand bien. Pour qui est familier à l’œuvre d’Aristote, ces mots ne peuvent que rentrer en résonance avec une certaine conception du politique. Il ne s’agit rien d’autre que d’« une communauté dont chaque membre bénéficie des qualités et de la personnalité de tous les autres, telles qu’elles sont rendues possibles par des institutions libres »[14]. Semblable communauté humaine ne se comprend en outre qu’à travers le diachronisme de histoire humaine. Ceci signifie simplement que les projets demandent une coopération inter mais aussi trans-générationnelle.
Mais bien qu’au final les gens désirent les mêmes choses, cela ne crée pas nécessairement une communauté entre eux. Rawls cite l’exemple de deux chefs militaires adverses qui, désirant tous deux la victoire, ne créent pas pour autant mutuellement une communauté humaine. Pour qu’il y ait à proprement parler communauté, nous citoyens requerrons qu’il subsiste un système de conduite partagé, une justice en somme, pour la vie politique, mais également  pour les sports, les sciences, les arts… Pour rendre possible la vie en société, il doit exister un moyen commun pour le réaliser. Ceci reste vrai pour tout rassemblement de citoyens en vue d’une même fin. Dés lors, si nous comprenons l’Etat comme la communauté des communautés (rassemblement), nous distinguons précisément ce qui serait un bien commun pour cette communauté la plus haute: le fonctionnement des institutions dans l’avantages de toute communauté. C’est pourquoi Rawls considère les instituions comme un bien en soi. Très certainement les individus espèrent agir au sein d’une communauté qui a conscience de ce qu’est la justice et l’égalité. En revanche il est plus compliqué de comprendre pourquoi les institutions sont un bien en soi. Si certes la valorisation de celles-ci défend par cela même l’intérêt de chacun, Rawls ajoute qu’elles permettent la réalisation de l’individu moral, du bien privé et collectif.
La réalisation de la justice devient une valeur certaine de la communauté. Il subsistera certes le problème de la division du travail et de la dépendance vis-à-vis d’autrui qui en découle obligatoirement. Mais Rawls ne voit pas comment nous ne pouvons malgré tout souhaiter que cela ne soit pas ainsi. Il ne discute rien d’autre que la possibilité pour l’homme, par la coopération, de s’accomplir au regard de sa finitude humaine, tout en la dépassant.   

Pour les communautaristes, il s’agit de penser la société en tenant compte de la nature sociale de l’homme et de penser l’ordre social à partir des institutions et des communautés qui lui donnent forme. Pour Michael Walzer, les hommes partagent des significations, ils ont une identité commune en tant que membres d’une même communauté. Pour Charles Taylor[15] les hommes ont une même conception du bien et des différentes valeurs. Chez Michael Sandel[16] les hommes ont des finalités et des buts communs. Les critiques adressées à cette pensée communautariste portent principalement sur le fait que l’individu y est assujetti à la communauté, il y a réductionnisme identitaire car on considère que c’est un élément communautaire qui confère à l’identité personnelle son individualité    
Dans Sphères de justice, Walzer pense en communautarien : il part du libéralisme qui a adopté l'individualisme pour base et qui a ensuite pensé les institutions en tant que protection de la sécurité et de la libre activité de l'individu. [17].  Walzer défend le multiculturalisme contre l’individualisme effréné, tout en soulignant que les deux peuvent avoir le même genre de conséquence, à savoir la dissolution de la société.  Si les cultures sont trop contraignantes, il faut un correctif individualiste mais si c’est l’individu qui est la base première, alors un correctif de la communauté et une cohésion culturelle est nécessaire pour préserver la société. Il faut un sens fort de la citoyenneté et des valeurs communes pour pouvoir faire la part des choses et c’est à l’Etat d’assurer une éducation dans ce sens. Toute communauté politique est une sorte d’Etat-providence car elle recourt à la coercition pour maintenir un système public destiné à répondre à ses besoins, en fonction de l’idéal qu’elle s’en fait. Le multiculturalisme peut selon Michael Walzer favoriser l’égalité sociale car les communautés sont capables de conclure des alliances entre elles tout en défendant leurs propres intérêts.
  Walzer rêve d’une troisième voie entre les régimes totalitaires et les systèmes extra-libéraux. Il s’agit d’un socialisme qui ne s’appuierait pas sur l’Etat mais sur une démocratie participative décentralisée. D’autres formes de vie sociale existent et sont politiquement et économiquement possibles, il faudrait s’y intéresser davantage. Il y a une telle diversité d’individus dotés d’une telle inventivité et créativité qu’il serait absurde de croire qu’il n’existe qu’une seule façon de bien vivre et de s’organiser socialement. Il considère que la théorie politique devrait trouver ses racines dans la tradition et la culture des sociétés particulières et réagit contre l’abstraction excessive de la philosophie politique en générale.[18]  Ainsi il refuse de parler de l'individu en soi, on parle de l'individu en société et, plutôt de séparer les individus comme le fait le libéralisme, il propose de séparer les différentes communautés basées sur différents biens qui forment la société. Pour réaliser une égale liberté, il faut appliquer le principe de séparation suivant lequel chaque bien social doit être séparé des autres et constituer une sphère autonome fonctionnant sur des principes spécifiques et interdisant toute ingérence des autres sphères. Dans sa critique de Michael Walzer, Marc Hunyadi[19] précise la signification du titre Sphères de justice. Il ne s’agit pas d’un constat de la nature de la justice mais bien d’un programme.
Walzer définit la justice suivant différentes sphères dont chacune a une logique de justification propre. Il ne s’intéresse pas à une définition théorique de la justice car il ne croit pas à l’univocité et à l’universalité de celle-ci. La justice est une construction humaine, il y a particularisme de l’histoire et de la culture, dès lors il y a différents principes de justice, celle-ci étant avant tout un standard moral au sein de nations et de sociétés particulières. C’est notamment à partir de cette idée que sa position a été définie, et souvent critiquée, comme relativiste. Cela dit, c’est à partir de cette conception qu’il développe son idée originale d’«égalité complexe». Cette égalité demande que chaque bien soit distribué selon sa signification sociale et qu’aucun bien ne soit prédominant, c’est-à-dire qu’il ne puisse dominer dans les autres sphères. Cette thèse -dite du pluralisme- considère que les biens que l’on distribue n’ont jamais de valeur propre mais de valeur en contexte seulement ; ils n’ont pas de signification naturelle et ne répondent pas à des besoins naturels. Les uns comme les autres sont institués par la culture, dès lors chaque culture, chaque société crée ses propres significations sociales en fonction de ses propres besoins. Cependant, ces besoins et significations ainsi que les règles auxquelles elles donnent lieu, ne sont pas issues de simples discussions, de purs choix. En effet, il existe un grand nombre de significations partagées qui sont à la base même de la formation de la communauté, on peut en discuter, elles sont différemment adaptables mais ineffaçables. Ce sont les significations sociales, c’est ce que les hommes ont en commun, elles font tenir les hommes ensemble à travers une compréhension commune de la société et du bien-être.
 La théorie de justice de Walzer est une théorie des biens. Les biens sont pensés comme des produits de l’expérience humaine et ont leurs effets dans celle-ci. Ce sont les biens et leurs significations qui sont les intermédiaires essentiels des relations sociales. Quel genre de biens pour quelle sphère ? Il y a autant de biens que de sphères et on comprend qu’il y a un pluralisme de base nécessaire étant donné qu’il n’y a pas de biens primaires dont dépendraient les autres biens. Walzer explicite tour à tour chacune des sphères et par là, limite le pluralisme afin de permettre sa réalisation.  Selon Jean Jacques Sarfati[20], la thèse de Walzer s’articule autour de trois refus : en premier lieu le refus d’une hiérarchie entre les biens sociaux, ensuite le refus de la domination d’une sphère sur une autre et enfin le refus d’une vision univoque de la justice. Ces trois refus manifestent le rejet de la tyrannie qui est un des points de départ de l’ouvrage.
Walzer réfléchit sur l’injustice et sur la tyrannie qui l’entraîne, la tyrannie étant pensée comme la monopolisation d’un bien prédominant[21]. La question qui se pose alors est celle des limites d’un monopole légitime car la tyrannie c’est aussi le franchissement d’une frontière particulière, une violation d’une signification sociale. L’auteur n’est pas contre le monopole, il critique la prédominance. La question de la distribution des biens sociaux s’est posée dans toutes les sociétés humaines, chacune tentant de trouver une répartition valable suivant son genre de fonctionnement. Ce n’est pas à une instance unique, c’est-à-dire a l’Etat, à prendre la décision de la valorisation de tel ou tel bien social car il existe dans les faits de multiples procédures de justice distributive.  Il n’y a en effet jamais eu de pouvoir de décision unique à partir duquel les répartitions seraient contrôlées ni aucun ensemble unique d’agent qui prendrait toutes les décisions. La politique est le chemin qui mène le plus facilement à la prédominance et le bien politique est sans doute le plus important et le plus dangereux de l’humanité. C’est une espèce particulière de bien par son caractère double : d’une part il ressemble aux autres biens car il est tantôt possédé par un grand nombre, tantôt par un nombre plus restreint, tantôt prédominant, tantôt pas… et d’autre part, il est différent car il reste toujours l’instrument de régulation des biens sociaux en général. Il peut être utilisé pour défendre les frontières des différentes sphères mais aussi pour les envahir. Et c’est là le danger. Le pouvoir politique devrait toujours être prédominant aux frontières mais non pas à l’intérieure de celles-ci. Ce maintient et cette distinction sont le problème central de la vie politique. C'est là que se pose la question de la fin du politique.
 La prétention au monopole d’un bien prédominant à des fins publiques constitue une idéologie et le fait de monopoliser le contrôle d’un bien dominant est ce qui fait d’une classe la classe dirigeante. D’où la lutte pour la suprématie entre les différentes sphères, lutte qui sera le fil conducteur de Walzer pour qui les conflits revêtent une forme paradigmatique.
Comment limiter le pouvoir politique ? Walzer rejette la solution qui propose de distribuer le pouvoir plus largement car il constate qu’un gouvernement trop démocratique sera faible lorsqu’il devra affronter la montée des différents monopoles, chacun ayant ses intérêts dans l’un ou l’autre d’entre eux. Il propose de moins s’intéresser au monopole mais davantage à la réduction de la prédominance. A partir de là, on pourra se faire une idée de la forme à donner à la complexité réelle des répartitions par l’image d’une société égalitaire complexe. Une société égalitaire complexe est une société dans laquelle différents biens sociaux sont l’objet d’une monopolisation mais dans laquelle on ne peut en général convertir aucun bien particulier. Si l’on considère qu’il n’y a qu’un bien dominant -l’argent par exemple – alors il faudra défendre une égalité simple. Walzer rejette celle-ci car elle ne peut, selon lui, conduire qu’à la tyrannie. Pour assurer cette égalité il faudra un Etat très fort. Sans la coercition de ce dernier, les hommes lutteront pour éviter de tomber sous la domination des autres. Le régime de l’égalité complexe, par contre, est le contraire de la tyrannie. L’égalité complexe permet la formation de monopoles à l’intérieur d’une sphère de signification mais refuse la prédominance en soutenant l’autonomie des différentes sphères. La position qu’occupe une personne dans une sphère ne peut être réévaluée par sa position à l’intérieur d’une autre. Tant que chaque sphère aura sa charge et qu’aucune charge ne sera prédominante ni ne pourra être convertie, tous ceux qui possèdent une charge seront dans une relation d’égalité par rapport aux hommes et aux femmes qui les gouvernent. Les individus ne pourront plus se comparer en fonction d’un critère unique, dès lors il y aura moins de conflits sociaux.  L’existence d’un bien propre à chaque sphère rend nécessaire l’autonomie de chacune des sphères distributives. Cette autonomie est un des points centraux de la pensée walzérienne; elle implique l’idée d’égalité complexe et de séparation. Néanmoins, séparation et autonomie ne signifient pas indifférence et relativisme. Dans le deuxième chapitre de Sphères de justice, Walzer pose la question de l’appartenance et arrive à la conclusion que bien qu’il n’y ait pas de biens de base, il y a des biens qui sont premiers au sens de la fondation initiale de la personne, telle l’appartenance à une communauté.
La séparation des sphères conduit à l’harmonie car une interchangeabilité devient possible : les relations dominants-dominés changent suivant les sphères et chacun peut être maître quelque part. Cette interchangeabilité est la condition même de la justice telle qu’elle est conçue par Walzer.
Pour assurer la démocratie et la justice il faut d’une part que la politique ne soit pas à la base de tous les pouvoirs et d’autre part que le pouvoir s’exerce de manière autonome dans chaque sphère par rapport aux critères de justice qui lui sont propres. En cela on peut parler de fin du politique en tant que fin de la position de surplomb de la politique sur les autres domaines de la vie social, que Walzer nomme, sphères de justice.
Walzer se base sur le principe de répartition ouvert, principe qui s’énonce : « Aucun bien social x ne doit être réparti entre des hommes et des femmes qui possèdent un autre bien y du simple fait qu’ils possèdent y et sans tenir compte de la signification de x. »[22] Trois critères satisfont aux réquisits de ce principe et sont en général considérés comme les points principaux de la justice distributive. Il s’agit du libre échange, du mérite et du besoin. Le libre échange fait de l’argent le bien prédominant qui permet de convertir tous les autres biens. Le mérite tient compte des significations sociales dans l’attribution des récompenses et respecte l’autonomie des sphères mais n’est applicable que dans chaque sphère séparément car il est difficilement universalisable. Le besoin, enfin, respecte également les conditions précitées mais est tout aussi difficilement généralisable pour la répartition des biens. En effet, on ne peut pas tout attribuer suivant la nécessité. Qui a le plus besoin d’une œuvre d’art ?  Ce qui caractérise ces trois critères, c’est que chacun d’entre eux s’impose à l’intérieur de sa propre sphère comme règle générale. Et c’est bien là la conséquence du principe : des biens différents pour des groupes différents, pour des raisons différentes et selon différentes procédures. Pour Walzer, si on respecte cela, on trace la carte de l’ensemble du monde social.
L’égalité complexe est difficile, elle requiert la défense des frontières et la délimitation des biens mais combien faut-il concevoir de biens sur un mode autonome avant que les relations qu’ils transmettent puissent devenir celles d’hommes et de femmes égaux ? Il n’y pas de réponse exacte donc pas de régime idéal. Mais on se place néanmoins sur la voie d’une distribution égalitaire dès que l’on tente de distinguer des significations et de délimiter nos sphères distributives. Walzer en distingue treize, consacrant un chapitre à l’analyse de chacune d’entre elles. Mais attention, il ne s’agit pas, comme le souligne Hunyadi, de faire le relevé des différents principes de justice qui président à la distribution des différents biens mais d’identifier ces biens, de comprendre leur signification sociale et d’ensuite les distribuer d’une façon déterminée[23] suivant cette compréhension et l’idéal communautaire sur lequel se base la société en question.
La communauté politique est ce qui s’approche le plus d’un monde de significations communes car elle est elle-même issu de la conscience collective produite par le langage, l’histoire et la culture. Pourquoi est-elle une base ? Etant donné que la justice distributive ne peut être mise en œuvre dans la perspective de l’égalité complexe que dans un espace où existent des significations partagées, on comprend que cet espace est la communauté politique où s’organisent les débats sur la répartition des biens.

Sphère distributive : réalisation de l’Etat


  Walzer partage avec Rawls une conception de la communauté politique se réalisant par la justice. Mais au sein de ce qui devient de plus en plus un Welfare State, il y reconnaissance d’un net multiculturalisme et d’une plurivocité des acteurs de la société. L’habilité de Walzer va être de sauvegarder, et la démocratie social, et une reconnaissance de l’idiosyncrasie de l’individu. L’égalité complexe chez Walzer, comme fondement de toute société juste va ainsi se voir appliquée dans les diverses sphères de distribution. Elle est donc complexe puisqu’elle reconnaît, distingue et répartit également chaque bien propre à chaque sphère. Bien que l’ensemble des chapitres qui composent Sphères de Justice peut être ramené à notre problématique, nous avons retenu trois chapitres traitant respectivement de l’argent, du pouvoir politique et de la citoyenneté démocratique. Ces chapitres-ci démontrent davantage, non seulement l’égalité complexe, mais surtout l’émergence dans l’analyse de Walzer du processus de dépolitisation de la société par ses propres acteurs.





Le Pouvoir politique


Le pouvoir, dit Walzer, devrait idéalement être limité et soutenu, afin qu’il nous protège de la tyrannie sans pour autant en devenir une. Il ne s’agit rien d’autre que d’une bataille pour la redistribution des sphères distributives. « En tant que pouvoir d’Etat, c’est aussi le moyen de régulation de toutes les recherches de biens, y compris de celles du pouvoir lui-même. »[24] Autrement dit, la politique doit être partout en action et favoriser le plus grand nombre. Malheureusement, la réalité nous montre que le pouvoir ne sert généralement que les intérêts que des maris, des parents, des aristocrates, des diplômés et des capitalistes. L’on peut alors avancé qu’il est rarement limité voire parfois tout à fait tyrannique. C’est la raison pour laquelle les sociétés modernes ont requis la restriction du pouvoir et du souverain. Pour cela, les citoyens ont établi diverses limitations qui fixent la frontière entre la sphère de l’Etat et toutes les autres sphères. « Le Gouvernement limité est (…) l’un des moyens cruciaux de l’institution de l’égalité complexe. »[25]


Cependant, un pouvoir limité ne nous désigne pas explicitement qui gouverne et comment gouverne-t-il. Un argument en faveur de la démocratie est que plus de gens auront alors la chance d’être représentés dans le gouvernement et pourront défendre au mieux l’intérêt de chacun.  Mais il subsiste une certaine idée qui veut que le pouvoir soit une fonction, qu’il faille en conséquence des personnes compétentes à sa tête. Or, de tout temps, soit « Dieu choisissait ses élus », soit le pouvoir était aux mains de la classe dirigeante qui avait accès au savoir et qui était la première à subir les effets directs de ce même pouvoir. La défense d’un tel gouvernement exclusif a toujours découlé d’un argument fondé sur une nécessité d’un savoir spécifique. Nous étions invités à chercher quelques individus qui avaient connaissance des « mystères de l’Etat », plutôt que de consulter la masse des ignorants. Walzer expose cette idée à travers le schéma du navire Etat, analogue à la conception platonicienne corps/âme. Le peuple est le corps, sujet aux passions, aux sensibilités qui égarent, tandis que l’âme éternelle trône au sommet comme le capitaine commande son équipage. Toutefois, Walzer nous enjoint à ne pas confondre technème et finalité, dans l’exemple du navire, la course particulière et la destination. De même que le capitaine ne détermine par la destination que va prendre son équipage, le pouvoir ne détermine par les finalités. Les passagers soumettent au navigateur leur destination, légitiment du coup ce dernier à prendre les meilleurs décisions pour aller à bon port. C’est au fond le pouvoir fonctionnel qui ne poursuit pas un but en soi mais permet d’atteindre un but extérieur à lui. Walzer adhère bien plus à l’idée que diriger, c’est précisément le choix des fins, qu’ainsi le savoir à ce sujet est largement partagé. Il ne peut ainsi y avoir de meilleur juge que les citoyens quant aux fins de la cité. Ainsi, il est possible définir le pouvoir démocratique que comme la conjonction des volontés.
Mais encore de nos jours, « le savoir produit une sorte de pouvoir que la souveraineté ne peut contrôler ». Le savoir est ce devant quoi nous nous inclinons et ce qui s’oppose à la souveraineté des citoyens dans leur majorité. Walzer constate que le choix des fins est déterminé par l’ensemble des technocrates. Certes la décision finale incombe au citoyen, mais celui-ci a dés lors peu de chance de se consacrer pleinement à cette entreprise, l’herbe lui étant coupé sous le pied. Le désinvestissement des masses devant leur responsabilité de citoyen profite aux experts, dont le pouvoir est désormais grand. Cependant Walzer reconnaît que le savoir, précisément le savoir spécifique, est nécessaire au fonctionnement de l’Etat. C’est pour cette raison que les experts des diverses sphères de la société ne sont pas élus démocratiquement. On imagine assez mal comment le peuple, au sein duquel le savoir militaire n’est pas également partagé, serait apte à élire avec sagesse les généraux de l’armée. 
De surcroît, nous espérons avec raison que les personnes les plus compétentes soient à la tête des institutions dont dépend parfois notre subsistance ou plus généralement notre bien être. Heureusement pour nous, ce savoir ne saurait ne saurait constituer un pouvoir illimité. Certes les experts détiennent un certain pouvoir, tel le directeur de prison sur ses détenus, mais ce pouvoir, à moins de devenir tyrannique, ne lui permet pas prolonger ou de modifier leur peine comme bon lui semble. Le savoir en soi n’est pas tyrannique : tout dépend de l’usage dont fait leur détenteur. C’est précisément pour éviter les dérives de la sorte que Walzer insiste sur la distinction des sphères de pouvoir.

Argent et marchandises


L’argent constitue également ce bien qui a tendance à la dérive. Que l’on considère en effet que l’argent peut tout ou en quelque sorte rien, il possède des effets notoires sur la société. Selon une certaine conception, l’argent, véhicule universel, est la source de tout ce qui advient de bénéfique ou de néfaste pour la communauté ou l’individu. Dans ce même ordre d’idée, certains penseurs radicaux, constatant à juste titre que l’argent crée des inégalités, envisagèrent une société où l’égalité naîtrait de l’absence d’argent. Il est fort peu probable qu’une telle société puisse voir le jour, car il y a fort à parier que ressurgirait toujours une forme de « véhicule universel ».
Ce qui est en revanche contestable n’est pas le « véhicule en lui-même mais bien l’universalité du véhicule »[26]. N’est cependant pas absurde l’idée de concevoir que l’argent, représentation de la valeur, puisse tout acheter puisque tout a une valeur. Mais nous connaissons aussi la « vraie valeur » de certaines choses, et par vraie valeur, nous entendons ce qui n’a justement pas de prix, ce qui ne peut être marchandé. Nous pensons à la vie, à l’amour, à la mort, etc… Et si justement pour l’assureur, le club de rencontre et les pompes funèbres, ces trois valeurs possèdent en quelque sorte un prix tout à fait quantifiable, nous voyons combien cela parait indécent. La problématique du pouvoir de l’argent advient précisément lorsque celui-ci exerce un contrôle au-delà des frontières qui lui sont assignées par la morale, lorsqu’il s’immisce dans les choses auxquelles nous ne voulons pas donner de prix. Il existe toute une série de chose qui ne peuvent être achetées. Ces échanges prohibés, définis d’abord par ce qu’Okun appelle le « domaine du droit », ensuite par l’éthique circonscrivent (idéalement) la sphère de l’argent dans un usage légitime que l’on peut en faire. 
A l’exception de ceux-ci, l’argent peut acheter marchandises, produits et services que nous jugeons utiles et/ou plaisants. C’est une idée admise et qui fonde la légitimité de l’argent qu’il n’y a pas de processus de répartition plus efficace, pas de meilleur moyen pour rassembler les hommes. Les échanges créent des rapports d’interdépendances entre les personnes sous un même langage. Mais l’argent ne pousse pas sur les arbres. De la même manière, personne ne possède a priori un droit légitime sur les choses. Celles-ci ne sont pas disponibles, prêtes à êtres reçues : il y faut toujours un effort, un travail accompli, pour obtenir quelque chose. C’est ce même effort qui procure le droit d’obtention des choses disponibles sur le marché. Toutefois le sociologue Rainwater tend à prouver que le pouvoir de l’argent déborde les limites de la propriété. Il n’entend pas là démontrer l’usage de corruption que l’on peut en faire ; son analyse avance l’idée que « l’argent achète aussi l’appartenance dans la société industrielle ». L’activité de consommation est devenue ce qui permet désormais, selon Rainwater, la reconnaissance de l’individu au sein de la communauté. Elle octroie en outre un ensemble de propriété (Une maison, une voiture, une bouteille de GlenFiddich) qui me font reconnaître aux yeux des autres comme citoyen participant à la société, du moins une certaine société.  « Sans un nombre de choses socialement requises, nous ne pouvons être socialement reconnus ni être vraiment des personnes. »[27] Cet Etat de fait est particulièrement vrai dans une culture où le marché de consommation est fort développé. Ceci entraîne cependant qu’une personne qui vivrait une situation d’échec économique ressentirait, outre les désagréments de subsistances, une dépréciation de son être comme citoyen, légalement comme socialement. C’est de ce point de vue là qu’il faille réfléchir la redistribution équitable de l’argent, au regard de l’importante influence qu’il prend dans notre existence sociale. 

On peut vouloir niveler les inégalités par différents dispositifs (redistribuer l’argent en part égale, un revenu minimal pour tous, un emploi garanti…) de sorte d’obtenir une égalité simple entre les citoyens, du moins quant à leur pouvoir d’achat. Walzer a cependant démontré pour son système demanderait un Etat fort. Nous pensons en l’occurrence au communisme qui procéda d’une radicale redistribution du capital. Or Walzer, faut-il le rappeler, essaie justement d’éviter au pouvoir Etatique de devenir tyrannique. De toute façon, Cette situation ne peut pas demeurer stable à long terme car même si les hommes partageaient un même capital, les marchandises et investissement qu’ils voudront se procurer se trouvent sur le marché. Or le marché crée immanquablement des inégalités. Notre but sera donc « d’apprivoiser l’inexorable dynamique de l’économie du marché »[28] et parvenir ainsi comme nous l’avons décrit en introduction à une égalité complexe. Tout problème provient donc du fait de la position centrale du marché et de sa malheureuse extension hors de sa sphère. Pour sa défense, les tenants du capitalisme avancent qu’il fournit à l’individu les mérites qui lui sont dus, relativement à son investissement et son effort. Mais le marché possède ses lois propres qui font que nous ne sommes pas assurés d’obtenir un mérité égal à la témérité et l’efficacité de notre entreprise (de quelque nature qu’elle soit) au sein du marché. La vérité est que celui-ci ne se préoccupe guère de la distribution des mérites. En revanche on peut dire qu’il donne des récompenses justes et qu’après tout, il n’y a rien de dégradant à acheter et vendre. « L’animation du marché reflète notre sens de la grande variété des choses désirables. » Encore une fois, le marché en soi n’est en rien néfaste aux citoyens. Quand bien même nous l’abolirions pour une certaine idée négative que nous avons de lui, les échanges réapparaîtraient naturellement car les hommes sont liés entre eux par cette activité, car ils ont un rapport particulier aux choses.
Tant que le marché ne déborde pas de sa sphère d’activité, nous n’y trouvons rien à redire. Mais le marché fait naître la convoitise de certains chefs d’entreprise, et leur bonne fortune dans les affaires pose inévitablement problème. Walzer en retient deux essentiels pour sa thèse : Premièrement le fait qu’ils puissent retirer de ce succès, outre des richesses, du prestige et, dans un deuxième temps, de l’influence politique, ensuite qu’ils puissent exercer un certain pouvoir direct au sein de leur entreprise.

La Propriété


La propriété consiste, entre autre, à avoir à divers degrés un pouvoir sur les gens. Les effets ne sont alors pas loin de la sujétion. Il faut en effet comprendre que ce que la propriété permet d’obtenir, c’est le contrôle des destinations et risques encourus par d’autres gens, ce qui faire dire Walzer que les propriétaires sont un « gouvernement privé ». Il subsiste encore selon lui un rapport proche de la féodalité entre le patron d’entreprise et ses employés. Avec Marx, l’Etat fut émancipée de l’économie. S’est opérée une division des sphères économiques et politiques. Mais Walzer soutient que la féodalité a survécu au sein des entreprises.
Il est clair que la propriété n’est pas une base du pouvoir. Celui-ci peut s’exercer indépendamment d’une possession en relation avec l’objet concerné, et inversement. Mais cela ne semble pas être le cas quand on parle des entreprises. « J’aimerais défendre l’idée que la distribution démocratiques des pouvoirs politiques ne s’aurait s’arrêter à la porte des usines. »[29] A l’instar du savoir, Walzer ne conteste guère la propriété en tant que telle, mais ce à quoi elle donne droit bien souvent dans la réalité, en l’occurrence une forme de pouvoir politique. Walzer évoque l’exemple de Pullman qui constitue le paradigme même du propriétaire féodal. La ville qu’il bâtit pour ses employés posa le problème de la compétence qu’il possédait dans sa gestion de son entreprise et sa transposition dans la gestion d’une ville. Walzer précise que la ligne de partage entre l’économie et la politique se situe justement entre la résidence et le travail. Pullman, qui était néanmoins un génie, eut le tord d’associer les deux. 
Sur bien des aspects, une entreprise ressemble à une ville si l’on la considère comme le lieu d’une action coopérative, non un lieu d’intimité et de repos. Ceci veut dire qu’aussi bien la vie citadine que le temps passé au travail ne sauraient se confondre avec les moments passés au repos dans sa demeure. Certes, Walzer reconnaît qu’en théorie, « les décisions économiques sont non politiques, et elles sont coordonnées sans l’intervention de l’autorité politique. (…) En fait, cette théorie ignore et les collusions des propriétaires entre eux et leur capacité collective à faire appel au soutien des représentants de l’Etat »[30]. C’est pour cette raison que Walzer sous-entend qu’il faudrait réglementer les usines de la même manière que les villes, qui ne sont pas libres de tout faire, car leur préexiste un niveau fédéral. Idéalement, il faudrait instaurer un agir politique contre l’usage libre de la propriété. Walzer ajoute que ceux qui avancent qu’ils dirigent les gens comme des choses qu’ils possèderaient se trompent, puisque ce genre de « possession » ne légitime pas le pouvoir qu’ils tendent à exercer. De toute façon, nous dit Walzer, il y a bien d’autres aspects de la vie politique et plus attrayants que la possession.

Jusqu’à ce point, on peut constater que de façon analogue, argent, propriété et savoir sont des biens qui, non de part leur nature, mais de part leur usage peut conférer à ceux qui le détiennent un pouvoir illégitime car celui-ci dépasse le cadre de leur sphère de distribution respective. Le cas de Pullman est tout à fait paradigmatique dans la mesure où il s’agit d’un pouvoir direct, et non pas politique, qu’il exerçait sur ses travailleurs. Mais cet Etat de fait nous rappelle également comment les acteurs dominant de la société civile évoluent dans une dimension apolitique, faisant naître un ordre juridique dans lequel ils s’arrangent entre eux.   Les parois poreuses de ces sphères nous amènent à considérer qu’il faudrait les rendre étanches à toute influence extérieure. Or un Etat fort ne peut que faire respecter une égalité simple, qui encore une fois serait tout le contraire de notre visée, puisqu’une telle égalité fera prédominer un bien sur les autres, créant ainsi une hiérarchie entre les sphères. La difficulté de l’égalité complexe réside précisément en ce qu’elle tend de réaliser une harmonie entre des lieux, des moments de la société que sont les sphères qui ne partagent pas le même dénominateur commun. La démocratie peut pourvoir à cette égalité. Encore faut-il définir quel type de démocratie il s’agit.

Citoyenneté démocratique


Walzer est un penseur totalement en faveur de la démocratie comme les occidentaux la conçoivent : Les citoyens doivent se gouverner eux-mêmes. Mais un tel système n’apparaît pas vraiment comme une pure et simple égalité. De même dit Walzer, la démocratie n’est qu’un mode de distribution des pouvoirs, non un pouvoir en soi. Le fait que chaque citoyen ait une chance égale ne fait pas encore de lui un détenteur du pouvoir. Car la démocratie, c’est aussi « accepter de déposer les armes, argent et mérite»[31]. En effet, le citoyen ne vient (idéalement) sur le devant de la scène qu’avec sa raison, ses arguments et sa conception de la justice. Or, nous comprenons bien qu’un problème se pose puisqu’ il subsiste malgré tout des citoyens plus influents que d’autres, dont le charisme leur confère effectivement une place au premier plan. C’est en cela qu’une simple égalité ne peut être respecté. Toutefois, il clair que semblable situation d’égalité parfaite ne serait pas viable. Si tous les citoyens possédaient de la sorte autant d’influence les uns que les autres, on verrait mal comment une décision pourrait être tranchée. La discussion n’est possible que si tout le monde détient la même chance de base de se faire entendre, mais il est nécessaire que le pluralisme souvent irréductible des avis se résolve en une décision unanime. Sinon comment sortir de l’impasse ?
Ainsi la distribution des charges relatives au pouvoir ne procède pas d’une simple égalité. La voix que peut revendiquer tout citoyen n’est au fond que le reflet de l’appartenance à la démocratie. Les lois, les propositions, hors du choix direct du citoyen, dépendent en réalité de la considération d’une quantité majoritaire de voix, qui elle aussi dépend de l’influence des politiques. Le pouvoir réel en démocratie qu’a le politique ne se situe pas autre part que dans la capacité de persuasion et de conviction. Dans ce cas, il semblerait légitime, au nom d’une égalité parfaite, de vouloir limiter ce pouvoir de persuasion, en interdisant par exemple les groupes ou encore les clubs d’influence. Nous pourrions croire que, dans ces conditions, Le citoyen ne jugerait que par sa propre raison ou, dirait Rousseau, « il n’opinerait que par lui-même ». Mais concrètement, nous nous retrouverions à nouveau dans l’impasse de la non-décision. En ce sens où la démocratie constitue bien ce jeu d’influence du plus grand nombre, la politique, dit Walzer, est réellement inévitable. 
La solution résidera encore une fois dans le mode de redistribution des pouvoirs. Une manière de favoriser l’égalité complexe reviendrait à défendre une forme de participation plus intense. Cela revient à considérer que la vérité émerge de la discussion, à laquelle il faut alors faire participer le plus grand nombre. « Il est meilleur, plus satisfaisant, de partager les discussions et les débats, même sur des bases inégales, que de les abolir au bénéfice de l’égalité simple. »[32] Le pouvoir n’est certes, et ne sera jamais égal, mais bien les possibilités de l’exercer. Il s’agit d’une, voire de la condition nécessaire du respect du citoyen. Walzer paraphrase alors Lord Acton lorsqu’il affirme : « Le pouvoir corrompt, mais le manque de pouvoir corrompt absolument ! ». Le pouvoir potentiel en tant que Praxis aristotélicienne une forme de visée du Bien, donc un sens moral constitutif de la personne. Or cette forme d’absence de pouvoir provient aux USA de la domination de la sphère de l’argent dans la sphère politique. Cela a pour effet vicieux d’induire chez ceux qui n’en ont pas qu’ils sont a priori exclus de la sphère de décision. La passivité et le fatalisme sont enseignés aux enfants de ces groupes primaires. La ploutocratie s’instaurant aux USA est en train de miner complètement la démocratie. Walzer conclue en disant ceci : « La domination de la citoyenneté (…) n’est pas la tyrannie. C’est la fin de la tyrannie. »[33]

Une critique de Michael Walzer par Mark Hunyadi[34].


La théorie de la justice distributive commence par une analyse des droits d’appartenance. C’est une sphère très importante, Hunyadi la nomme méta-sphère mettant en évidence que Walzer, pensant en communautarien, pense le système social ainsi que l’homme lui-même à partir de ses communautés d’appartenance. On verra par la suite les problèmes que pose une telle démarche. L’appartenance en tant que bien social est constituée par la conception que nous en avons. C’est nous, en tant que membres d’une communauté qui faisons le choix de qui nous acceptons et des critères pour cette acceptation. Comme on ne voit pas la communauté politique, Walzer l’analyse par analogie : on peut considérer les pays comme des quartiers, comme des clubs ou comme des familles. A partir de là, on peut examiner les principaux traits d’admission et d’exclusion de la communauté politique. Un quartier ne choisit pas ses membres et ce parce qu’il existe une solidarité entre les habitants d’un même pays. Mais si les frontières de l’Etat venaient à s’ouvrir complètement, on pourrait s’attendre à une fermeture xénophobe du quartier.  Les deux communautés sont donc en interaction. La restriction sur les entrées sert à défendre la liberté et le bien-être, la politique et la culture d’un groupe de gens qui d’engagent les uns vis-à-vis des autres et à une vie commune.

L’analogie avec les clubs est pertinente car comme les clubs, les Etats ont des politiques d’admission. Quelle sorte de communauté politique les citoyens veulent-ils créer ?
Pour ce qu’il en est de la comparaison avec la famille, elle se justifie dans le fait que l’Etat reconnaît le « principe de la parenté », selon lequel on se sent obligés envers les membres de la nation, leurs descendants, leur famille, … et ce qu’ils soient citoyens, résidents ou pas. Car les Etats sont originairement l’expression politique d’une « famille» nationale qui n’est jamais tout à fait enfermée à l’intérieur de frontières légales. Enfin, il ne faut pas oublier que les pays sont aussi des Etats territoriaux. Par le contrat social, l’Etat doit quelque chose à ses habitants, il faut qu’il leur assure un endroit où vivre à l’intérieur de ce territoire. 
La question se pose de ce qui arriverait si, suivant la thèse du théoricien socialiste Otto Bauer, on refusait aux Etats nationaux le droit collectif de juridiction territoriale. Les pays seraient ouverts et il n’y aurait de fermeture que dans les groupes non territoriaux. Selon Walzer cela ne pourrait marcher car les nations se font sur un territoire, l’identité nationale se fait notamment par le lien entre le peuple et la terre. On ne peut pas abandonner l’Etat car on abandonnerait également toute autodétermination effective. Il faut donc permettre l’Etat territorial en spécifiant les droits des habitants et en reconnaissant le droit collectif d’admission et de refus d’admission. Les individus participent aux décisions dans un Etat démocratique mais ce n’est pas pour eux en tant qu’individus qu’ils décident mais pour l’ensemble de la société. Les membres d’une communauté politique ont un droit collectif à façonner la population résidente. Ce droit est soumis à un double contrôle, celui de la signification de l’appartenance pour ces membres et le principe de l’aide mutuelle. En se posant la question de l’immigration, qui est le thème central de ce chapitre, Walzer met avant la situation des immigrés que l’on accepte d’accueillir mais auxquels on refuse la naturalisation. Il compare leur situation à celle des domestiques vivants sous le même toit. Il y a là tyrannie, dit-il, car on établit une sorte d’autorité parentale en dehors de sa sphère sur des hommes et sur des femmes adultes qui ne seront jamais des membres de la famille à part entière. Il y a tyrannie car la sphère économique en se mélangeant à la sphère politique y introduit ses principes déterminants. Le pouvoir politique est l’aptitude à prendre des décisions sur des périodes de temps déterminés, à changer les règles, à prendre en compte les urgences ; il ne peut s’exercer de façon démocratique sans le consentement des sujets. Ses sujets incluent tout homme et toute femme qui vivent sur le territoire sur lequel ces décisions sont applicables. L’admission et l’exclusion sont selon Walzer au cœur de l’indépendance de la communauté car sans elles il n’y aurait pas de communauté de caractère historiquement stable, des associations continues d’hommes et de femmes spécialement engagés les uns envers les autres et ayant un sens spécifique de la vie en commun.
Ce n’est qu’au sein d’une communauté que peuvent se partager les autres biens sociaux car c’est justement la communauté qui les rend possibles.
Marc Hunyadi définit le projet de Walzer comme tentative d’approfondir la question de l’organisation de la société du point de vue des acteurs sociaux eux-mêmes et non pas du point de vue des dirigeants. Dans l’utilitarisme par contre, ce rôle incombe nécessairement au législateur. En effet, il s’agit d’organiser, pour le plus grand nombre, le maximum de bien-être[35]. Or, les individus, étant des entités égoïstes, ne peuvent penser qu’à leur bien être qui, en général, s’oppose à celui d’autrui. Le législateur est dès lors érigé en ingénieur moral de la communauté[36] dont le rôle est d’accroître le bien-être des citoyens malgré eux-mêmes. Walzer s’oppose à cette idée car le pouvoir des planificateurs serait dominant[37]ce qu’il refuse d’accepter. On retrouve là sa défiance vis à vis de l’Etat ainsi que son projet de minimiser le rôle de celui-ci en augmentant le poids des acteurs sociaux. Mais Walzer ne soutient pas un Etat minimal ou libertarien où les sujets seraient laissés livrés à eux-mêmes car ils considère que livrés à eux mêmes, il ont besoin les uns des autres.  Dans l'histoire on ne trouve presque pas de revendication pour l'abolition de l'Etat mais bien des revendications quant aux actions de l'Etat.
Hunyadi comprend que pour Walzer les acteurs sociaux constituent eux-mêmes leur espace social et que ces derniers doivent se remettre dans le jeu en tant que participants, qu’ils doivent définir les règles qui les concernent. C’est ce que Hunyadi appelle réappropriation de l’espace normatif par les acteurs sociaux[38]. Pour Walzer, la société résulte d’un choix, de choix, la société est une communauté qui met en place ses règles de vie commune, sa politique. Il n’y a pas d’essence de la société, on choisit comment on veut vivre ensemble, le rôle des acteurs sociaux est premier. Dans le chapitre trois, traitant de la sphère de la sécurité et du bien-être, Walzer explique que la communauté est nécessaire à l’homme. Il en fait la démonstration suivante : la première chose que se doivent les membres d’une certaine communauté, c’est une assistance en matière de sécurité et de bien-être (welfare). Mais s’il faut une communauté politique pour permettre l’assistance, il faut aussi l’assistance pour la communauté politique, c’est-à-dire que la communauté elle-même est un de nos besoins et non pas seulement le résultat d’un calcul rationaliste qui nous a poussé à passer un contrat social. Si nous avons besoin de la société, c’est parce que c’est seulement au sein de celle-ci que se développent la culture, la religion et la politique, autrement dit, les trois instances sous l’égide desquelles toutes les autres choses dont nous avons besoin deviennent des biens socialement reconnus et prennent une forme historique déterminée. Le contrat social est un accord passé pour parvenir ensemble à des décisions sur les biens qui sont nécessaires à notre vie commune ; nous vivons ensemble parce que nous ne pouvons pas vivre séparément. Les citoyens doivent débattre de l'étendue de l'assistance mutuelle ainsi que sur la signification du contrat social. Walzer défend la démocratie qui a selon le lui le plus de chance de devenir un Etat providence. Tout effort d'assistance communautaire a une nature redistributive. Et la redistribution est une affaire politique. Il propose une définition plus précise du contrat social : c'est un accord sur la redistribution des ressources des membres de la communauté en accord avec une compréhension partagée de leurs besoins, soumise à une détermination politique constante. Ce contrat est donc un lien moral entre les différents individus d'une même communauté. Il repose sur les principes : A chacun selon ses aptitudes et ses ressources, à chacun selon ses besoins socialement reconnus. Le bien-être social vise à supprimer la domination de l'argent dans la sphère du besoin, dès lors une participation active de la part des citoyens dans le travail de bien-être social vise à  s'assurer que la domination de l'argent ne soit pas simplement remplacée par celle du pouvoir. On retrouve là le projet d’équilibrer les différentes sphères. De plus, à travers les quelques exemples cités, celui des travailleurs-hôtes,..., on comprend pourquoi Hunyadi écrit que Walzer donne la primauté à raison pratique et que l’implication normative de sa pensée s’énonce : « si nous voulons, souhaitons, décidons,...que X, alors il faut faire Y[39] ». Il n’y a pas de modèle, il n’y a pas d’Etat idéal. Walzer réfute l’idéalisme de Platon, il n’y a pas une Idée de la cité et le législateur n’est pas le pilote d’un navire. Walzer effectue la démarche inverse de celle de l’Etranger du Politique de Platon. En effet, ce dernier déclare : « le savoir propre au roi relève du théorique. Laissons donc de côté les savoirs pratiques (...) [40]». Si la politique est l’art d’élevage collectif des hommes comme le démontre dialectiquement Platon[41], Walzer refuse d’en laisser le seul soin au pasteur et ceci parce que quelque chose comme la justice en soi n’existe pas. Comme l’écrit Hunyadi, la justice sociale est quelque chose d’irréductiblement interne aux différents régimes de distribution[42].

Walzer pose comme un fait établi que la communauté a toujours été là. Hunyadi lui reproche cette thèse, lui voudrait savoir comment s’est créée la communauté. Il se demande comment justifier la préséance normative de l’autoconstitution communautaire[43]. En effet, Walzer ne la justifie nullement car pour lui il n’y a pas de problème étant donné que les communautés sont originaires et toujours-déjà-présentes, elles ont une préséance normative et toutes les décisions politiques sont secondaires aux communautés elles-mêmes[44]. Pour Hunyadi, c’est là que se trouve la faille principale du raisonnement de Walzer car il y a problème au niveau de l’articulation du principe communautaire et du principe de discussion.
En effet, dans la pensée de Walzer, c’est la discussion, le débat, qui donne sa légitimité aux règles et à la politique. C’est parce qu’on les à décidé ensemble qu’elles valent. Les participants à ces discussions sont les acteurs sociaux, c’est-à-dire tous ceux qui ont accès aux significations communes. Mais qui est-ce ? Il n’y a pas, comme le souligne Hunyadi, que les membres d’une même communauté qui partagent des significations, une signification est par nature ouverte à ceux qui ont quelque chose à en dire.[45]Dès lors, se pose la question de la participation. On aura d’une part tous ceux qui sont concernés et qui représentent la volonté, et, d’autre part, ceux qui prendront les décisions. Mais qui sont ceux qui sont concernés si le principe de discussion est de nature universaliste ? Qui fait partie de la communauté ? Hunyadi s’étonne du fait que, alors même que la discussion est un des points centraux de la pensée de Walzer, il ne l’autonomise jamais en sphère ce qui pourtant lui donnerait une légitimité propre. Hunyadi demande une institutionnalisation de ce qu’il nomme principe de discussion, s’étonnant que Walzer lui-même n’ait pas nommé une des clés de voûtes de son raisonnement. Pour Hunyadi, cela s’explique par le fait que Walzer comprend la démocratie en tant que principe de distribution de pouvoir et non pas en tant que principe de légitimation des règles sociales[46]. Lisons une de ses définitions de la démocratie : « La démocratie, dans les pays occidentaux, est à la fois le moyen de distribuer le bien pouvoir politique dans la sphère politique et le critère de l’exercice du pouvoir par les institutions »[47]. La démocratie a donc pour rôle de gérer la sphère politique ainsi que les lient entre les différentes sphères, de faire en sorte que chacune reste autonome et qu’il n’y ait pas d’ingérence. C’est ce qu’on nous avons déjà dit à propos de la politique elle-même en expliquant en quoi elle est un bien particulier...On en déduit que Michael Walzer identifie une bonne politique, une politique bien gérée, à la démocratie. Hunyadi critique le fait que à la base de la démocratie se trouve placé par Walzer le principe d’autonomie des sphères et non pas un principe procédural de légitimation démocratique des règles sociales par les concernés comme ce devrait être le ces si Walzer faisait effectivement de la discussion son principe fondamental. Il y a donc selon lui un important paradoxe dans Sphères de Justice. En effet, alors que l’importance du débat y est sans cesse proclamée (c’est elle qui donne sa légitimité aux règles en l’absence de vérité quant à l’organisation d’une vie commune), elle n’a finalement que peut de pouvoir car le débat, n’étant pas institutionnalisé, n’a de rôle à jouer qu’au sein des différentes sphères. La discussion est donc fort réduite et instrumentalisée au profit d’une légitimité qu’elle ne détermine pas par elle-même[48]... Ce qui importe le plus pour Walzer, c’est l’équilibre entre les sphères, il considère que ce qui est à la base de toute communauté humaine, ce sont les significations partagées. Hunyadi conclut que la justice walzérienne est indépassablement locale[49] étant donné qu’elle s’appuie sur une sorte de consensus résultant de ces significations partagées. Mais alors, comme le demande Dworkin[50], que ce passe-t-il s’il n’y a plus consensus ? On voit que le relativisme (et l’anti-réalisme dont il résulte) de Walzer ne va pas sans poser quelques problèmes. L’analyse de Hunyadi nous révèle que si Walzer a bien pensé la pluralité des biens, de la justice et de toutes les grandes notions, il n’a pas pensé la pluralité des personnes. Il a inclut les personnes en tant que membres dans de nombreuses communautés sans s’attarder sur le fait que ces personnes étaient également des individualités et ne pensaient pas toutes de la même façon au sein d’un même groupe.

La justice comme fondement de l’Etat


La réponse de Walzer contre le glissement vertigineux du politique vers sa chute nous apparaît dés lors bien subtile. Ceux qui croient que Walzer défend un Etat fort se trompent. Certes Walzer effectue à sa manière un retour vers l’Etat comme acteur à part entière de la société civile. Mais le pouvoir qu’il occupe n’est plus direct et immanent. Il serait même juste de dire que l’Etat n’apparaît plus chez Walzer comme réel pouvoir. L’auteur des Sphères de Justice sait trop bien comment le pouvoir peut sans difficulté se muer en tyrannie. Mais il ne prône certes pas un basculement vers l’autre extrémité du néo-libéralisme : son exposé a démontré qu’à l’inverse d’une conception organique de la société, les individus, par la défaillance du mode de distribution des biens, ne résolvent pas leur conflit d’eux-mêmes, ou s’ils le font, ce n’est sûrement pas de manière juste.
Le système de Michael Walzer a ceci d’ingénieux qu’il se tient de lui-même. L’égalité complexe désirée par l’auteur fonde une justice de distribution qui permet du coup la construction d’une démocratie. Or seule la démocratie est à même de faire respecter l’égalité complexe. Ce système étant posé, l’Etat renaît de ses cendres puisqu’il devient le garant de la régulation, il permet la survie de la justice distributive. Cet Etat n’est plus seulement « gendarme » de la société mais il n’est pas non plus fondé sur une idéologie. Nous pourrions dire qu’il est neutre, vide d’idéologie a priori.
En revanche l’Etat walzerien amorce le retour d’une politique qui ne fonde plus sa légitimité substantiellement, mais en tant qu’agir politique, comme praxis aristotélicienne et démocratique. L’action citoyenne qu’elle permet et encourage se dresse contre l’abstentionnisme, contre la passivité dans laquelle était confiné le citoyen. C’est en ceci que réside la réponse la plus claire face à la fin du politique. Nous voyons désormais combien la conception de Walzer est éloignée de l’Etat organique de Parsons. Elle se situe précisément dans la comparaison entre la communauté politique de l’un et le « groupe primaire » de l’autre. Si les deux partagent un sentiment d’appartenance qui crée leur cohésion, la communauté politique a ceci de plus qu’elle se construit comme actrice. Sa force coercitive n’est plus ici cette force de gravité qui immobilise l’individu en son centre. Elle agit au contraire comme un élan vers l’engagement. Mais cet engagement ne se fonde plus une certaine idée entretenue par le politique mais par une visée du bien actualisé. En cela, la position de Walzer se situe tout à la fois entre l’Etat idéologique et l’individualisme déconstructif.  
Bibliographie


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[1] BIRNBAUM, Pierre, La fin du politique, 1975, Paris, Edition du Seuil.
[2] BIRNBAUM, Pierre, La fin de l’Etat ? , Revue française de Science politique, 1985, volume 35, n°6, p.984.
[3] BIRNBAUM, Pierre, La fin de l’Etat ? , Revue française de Science politique, 1985, volume 35, n°6, p.985.
[4] St Simon cité par E. Durkheim, le socialisme, op. cit., p.166
[5] PARSONS, Talcott, Le système des sociétés modernes, 1973, Paris, Bordas, p. 18.
[6] Ibid, p. 19.

[7] BIRNBAUM, Pierre, La fin du politique, 1975, Paris, Edition du Seuil, p.259.

[8] BIRNBAUM, Pierre, La fin du politique, 1975, Paris, Edition du Seuil, p.176

[9] BIRNBAUM, Pierre, La fin du politique, 1975, Paris, Edition du Seuil, p.181.
[10] WALZER, Michael, Sphères de Justice, 1983, New-York, Editions du Seuil.
[11] www.revue-lebanquet.com/fr/art/1994/86.htm
[12] RAWLS, John, théorie de la justice, 1997, Paris, Edition du Seuil, p. 564.
[13] RAWLS, John, théorie de la justice, 1997, Paris, Edition du Seuil, p. 565.

[14] Id. p.567
[15] TAYLOR C., Les sources du moi, Seuil, Paris, 1998.
[16] SANDEL M., Le libéralisme et les limites de la justice, trad. de SPITZ J.-F., Seuil, Paris, 1999.
[17] HUNYADI  M., L’art de l’exclusion –Une critique de Michael Walzer, Cerf, Paris, 2000, p117.
[18] In  globenet.org article de BRACHET et de SEBAG.
[19] HUNYADI  M., L’art de l’exclusion –Une critique de Michael Walzer, Cerf, Paris, 2000.
[20] http://www.philagora.eu/educatif/
[21] www.philosophie.net article de DUPONT G.
[22] WALZER, Michael, Sphères de Justice, 1983, New-York, Editions du Seuil, p. 48.

[23] Idem, p29.
[24] WALZER, Michael, Sphères de Justice, 1983, New-York, Editions du Seuil, p. 319.
[25] Ibid, p. 321.

[26] WALZER, MICHAEL, Sphères de Justice, 1983, Editions du Seuil, p. 145.
[27] WALZER, MICHAEL, Sphères de Justice, 1983, Editions du Seuil, p. 157.
[28] WALZER, MICHAEL, Sphères de Justice, 1983, Editions du Seuil, p. 159.

[29] WALZER, Michael, Sphères de Justice, 1983, New-York, Editions du Seuil, p.413.
[30] WALZER, Michael, Sphères de Justice, 1983, New-York, Editions du Seuil, p.418
[31] WALZER, Michael, Sphères de Justice, 1983, New-York, Editions du Seuil, p.421.
[32] WALZER, Michael, Sphères de Justice, 1983, New-York, Editions du Seuil, p.426.
[33] WALZER, Michael, Sphères de Justice, 1983, New-York, Editions du Seuil, p.431.

[34] HUNYADI  M., L’art de l’exclusion –Une critique de Michael Walzer, Cerf, Paris, 2000.
[35] Idem p10.
[36] Idem.
[37] WALZER M., Sphères de justice, idem, p19.
[38] HUNYADI, idem, p14.
[39] HUNYADI  M, idem, p41.
[40] PLATON, Politique, 259 d10-11.
[41] DELCOMIMINETTE S., L’inventivité dialectique dans le Politique de Platon, OUSIA, Bruxelles, 2000.
[42] HUNYADI M., idem, p46.
[45] Idem, p84.
[46] Idem, p103.
[47] In Le Magazine Littéraire, « Michael Walzer : pour une théorie de la justice distributive », n°361, janvier 1998,
     p94.
[48] HUNYADI M., idem p105.
[49] Idem p 109.
[50] DWORKIN R., Une question de principe, trad. de GUILLAIN A., Presses Universitaires de France, Paris, 1998.

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