vendredi 27 août 2010

Notion de Polis


Analyse de terms philosophiques latins et grecs

POLIS


Polis, politeia- cité, Etat ; société, nation.

     Le terme grec polis passe pour intraduisible, est-ce parce qu’il désigne une réalité qui n’est plus : celle de la communauté politique propre à un moment de la civilisation grecque ou n’a-t-il simplement pas d’équivalents dans nos langues ? Il se trouve habituellement traduit par : cité, Etat, société, nation, Mais ces traductions ne sont valides qu’à défaut de trouver un autre mot pour désigner cette réalité anthropologique.
Le terme politeia est compréhensible à partir du mot politês. On sait que ce dernier signifie citoyen, aussi  peut-on en déduire que politeia désigne ou bien, la constitution, le régime, c’est à dire, l’organisation des citoyens en un tout, ou alors la citoyenneté qui est la participation des citoyens au tout de la Cité.
Le problème de la traduction est un problème d’historicité : comment rendre compte d’une réalité éteinte et qui nous est a priori inaccessible? De plus, comment séparer des faits historiques des concepts qui ont été forgés dessus...principalement lorsque ces deux choses paraissent indissociablement liées?
Francis Wolff pose ces questions dans le Vocabulaire Européen des Philosophies1. Il s’intéresse ensuite à chacun des termes soulevés en étudiant son évolution dans le temps.
Polis est donc une entité politique propre à la civilisation grecque archaïque et classique. Celle-ci se distinguait des empires des autres peuples par son caractère « territorial » : la polis liait une communauté humaine et un territoire, alors que dans les empires primait le caractère ethnique. Les Grecs vivaient dans de petites communautés libres qui n’étaient unifiées que par la politique : chaque cité s’autogérait mais il y avait des institutions gouvernementales qui leur étaient communes. Ces poleis adoptaient une politeia démocratique ou oligarchique qui définissait le mode de fonctionnement de la polis et les fonctions de ses habitants.
A partir de cet aperçu, on pourrait traduire polis par « cité ». Mais avec ce terme on risque d’ensuite vouloir traduire par ville et d’oublier finalement que la polis contient en elle la base même de la pensée politique puisque celle-ci est née alors que des questions se posaient sur la polis, sur son organisation, sur le meilleur moyen pour des hommes de vivre ensemble. Selon cette définition, la polis fait davantage penser à une société, à un Etat, à une nation...En effet, comme dans les Etats, les politas vivaient sous une souveraineté juridique. Ils vivaient en communauté d’individus et de familles, or c’est ce qui constitue une société. Enfin, ils partageaient cette identité nationale qui crée la nation. Seulement la polis est plus que cela, elle procurait un sentiment d’appartenance à cette communauté d’hommes qui partageaient un passé ainsi que l’idée d’un avenir à  construire. Ce qui distingue la polis de nos Etats modernes, c’est le rapport entre les politas et ces institutions qui constituent le pouvoir souverain : « chez nous» la liberté individuelle se mesure vis-à-vis de l’indépendance par rapport à l’Etat, « chez eux» elle se mesurait par rapport à la participation à la polis. Ce qui la distingue de nos sociétés, c’est que chez les Grecs les rapports sociaux et économiques ne relevaient pas de la polis mais des affaires privées et que la polis était vraiment une unité politique et non pas un milieu neutre d’échanges de biens.
La polis n’est donc ni Etat, ni nation, ni société. Elle est constituée de l’identité de la sphère du pouvoir et de la sphère de la communauté. C’est à cet ensemble que se sentait appartenir le politês. Voilà pourquoi la polis a servi de modèle aux premiers penseurs du politique : Aristote définit l’homme comme «  un animal politique »2,c’est à dire, qui ne peut être heureux qu’en vivant dans la polis, Platon fait dire à Protagoras que les hommes sont obligés de vivre ensemble car ils sont dépourvus des qualités biologiques nécessaires à la survie, leur seule chance étant de vivre dans des poleis3.
Le terme de  Politeia  présente une dichotomie. Il peut signifier citoyenneté et représenter la manière de laquelle le politês peut et doit agir au sein de cette communauté, ou bien régime, constitution et concerne alors l’organisation du pouvoir pour tous les habitants de la polis.    
Le premier sens est le plus ancien et on ne le rencontre que chez Hérodote4, qui propose la plus ancienne classification des régimes politiques suivant le nombres de chefs5, celle-ci est encore utilisée aujourd’hui.
C’est donc le deuxième sens qui s’est imposé, si on en croit le corpus des oeuvres de Xénophon qui nous transmet La politeia des Lacédémoniens ainsi que La politeia des Athéniens .Ce sont des codifications a posteriori, la traduction la plus adéquate pour ce sens est « constitution ». Mais dans la Politeia de Platon ainsi que dans celle d’Aristote, le sens est différent, il s’agit plutôt de dégager le principe fondamental sur lequel repose l’organisation du pouvoir dans la polis, on traduit alors par « régime ». Et là encore, comme pour polis, ces deux sens se révèlent insuffisant : Aristote décrit une politeia où  tous les citoyens ont la charge du pouvoir en vue du bien commun, il l’appelle politeia, ce sens regroupe en quelque sortes les deux précédents. En effet, c’est l’organisation de l’administration de la polis,(un sens de politeia) par ceux qui ont part à la citoyenneté (autre sens de politeia).6
Le problème de la traduction de ces termes est plus lourd encore lorsqu’il s’agit de traduire les intitulés des ouvrages politiques. En effet, ces Politeiai proposent un système complet et innovateur de vie commune et ne présentent pas seulement le fonctionnement d’un régime. Ces termes rendent donc bien compte d’une réalité plus complexe et enchevêtrée que la nôtre, la polis grecque est une unité, celle de la communauté et du pouvoir, deux choses que nous divisons en Etat et société.




























Polis pour les Grecs, pour Platon et pour Aristote.



Dans la première partie de ce travail, la notion d’historicité à été mise en avant : le terme polis pose problème car il ne désigne pour nous rien de réel, c’est une réalité particulière, développée dans un contexte particulier. Il est nécessaire de le resituer si on veut sortir de cette abstraction première où l’on se trouve de prime abord.
Le Vème siècle1, dit siècle de Périclès, est l’âge d’or, un ordre nouveau s’établit où Athènes est le centre de la vie hellénistique, une nouvelle culture s’y développe et nous éblouit aujourd’hui encore. Comme le dit Périclès lui-même :(...), j’ose le dire : notre cité, dans son ensemble, est pour la Grèce une vivante leçon2. Mais à la fin de ce Vème  siècle, Athènes est épuisée par les guerres, principalement par la guerre du Péloponnèse qui dure depuis 27 ans et par celle de 12 ans qui l’a précédée, menées pour l’extension d’Athènes. Cela fait donc presque 40 ans de guerres incessantes, guerres qui se distinguent des guerres médiques (début Vème )  par leur caractère impérialiste ; elles n’ont pas un but défensif mais bien celui de conquête et de domination. Et, comme le dit Thucydide : « la guerre enseigne la violence et met les passions de la multitude en accord avec la brutalité des faits »3. Ainsi, la nature de la démocratie change, il ne s’agit plus d’élargir la démocratie mais de garder le pouvoir et ses privilèges pour les démocrates riches et puissants. La démocratie d’Athènes naquit de la conquête des paysans, des commerçants, des marins..., elle a été soutenue par une partie de l’aristocratie et était destinée à satisfaire les besoins des citoyens devenus, grâce à elle, maîtres de leur vie. Elle évolua très vite vers la tyrannie.     
Une fois l’âge d’or dépassé, la question de la valeur de la civilisation grecque s’est posée, la question de sa réussite ou de son échec. Une civilisation est une série de chances ou d’occasions qu’un peuple se crée à son usage et à celui d’autrui, chances et circonstances qui, fermement modelées par des mains d’hommes, doivent permettre  pour une longue durée d’assurer à la communauté son équilibre et au plus grand nombre de connaître un monde plus humain, un monde où chacun puisse épanouir plus complètement son humanité.4
C’est un des points de départ de la philosophie de Platon. Celui-ci s’interroge sur cet échec de la démocratie et sur cette nouvelle culture qui s’est lancée dans la conquête des connaissances, dans la recherche des plaisirs et dans la volonté de puissance. Platon était, en quelque sorte, destiné à la politique : « Jadis dans ma jeunesse, j’éprouvais ce qu’éprouvent tant de jeunes gens. J’avais le projet, du jour où je pourrais disposer de moi-même, d’aborder aussitôt la politique.» 5Mais, déçu par la démocratie puis par la Tyrannie des Trente, il abandonna son projet et décida de se consacrer à la philosophie : « (...) voici que des gens puissants traînent devant les tribunaux ce même Socrate, notre ami, et portent contre lui une accusation des plus graves qu’il ne méritait certes point : c’est pour impiété que les uns l’assignèrent devant le tribunal et que les autres le condamnèrent, (...). Voyant cela et voyant les hommes qui menaient la politique, plus je considérais les lois et les mœurs, plus aussi j’avançais en âge, plus il me parut difficile de bien administrer les lois de l’Etat. D’une part, sans amis et sans collaborateurs fidèles, cela ne me semblait pas possible. Or, parmi les citoyens actuels, il n’était pas commode d’en trouver, car ce n’était plus selon les us et coutumes de nos ancêtres que notre ville était régie. Quant à en acquérir de nouveaux, on ne pouvait compter le faire sans trop de peine. De plus, la législation et la moralité étaient corrompues à tel point que moi, d’abord plein d’ardeur pour travailler au bien public, considérant cette situation et voyant comment tout marchait à la dérive, je finis par en être étourdi. Je ne cessais pourtant d’épier les signes possibles d’une amélioration dans ces événements et spécialement dans le régime politique, mais j’attendais toujours, pour agir, le bon moment. Finalement, je compris que tous les Etats actuels sont mal gouvernés, car leur législation est à peu près incurable sans d’énergiques préparatifs joints à d’heureuses circonstances. Je fus alors irrésistiblement amené à louer la vraie philosophie et à proclamer que, à sa lumière seule, on peut reconnaître où est la justice dans la vie publique et dans la vie privée. Donc les maux ne cesseront pas pour les humains avant que la race des purs et authentiques philosophes n’arrive au pouvoir ou que les chefs des cités, par une grâce divine, ne se mettent à philosopher véritablement. »6  Ce texte est très intéressant car il permet de comprendre ce qui a détourné le jeune Platon de la carrière politique : la déception de la démocratie, de l’aristocratie et la mise à mort de Socrate. La cité avait condamné l’homme le plus sage et le plus juste de son temps,7le seul dont la raison tentait de sauver l’homme et la ville de ses perversions. Cette condamnation fit comprendre au jeune Platon qu’il était impossible de rester juste et indépendant dans un Etat livré aux ambitions et différentes passions politiques, les mœurs politiques corrompant ou condamnant. Aussi Platon se tourne-t-il vers la philosophie. Mais il ne faut pas oublier qu’il aurait voulu exercer le pouvoir, parce que celui-ci est le meilleur moyen pour améliorer tous les hommes à la fois. Ainsi, Jean Guitton8  souligne le fait qu’une des façons de considérer Platon est de voir en lui un constructeur de cités, dont la vocation était la politique et qui a voulu donner des règles pour instituer une cité parfaite, car l’ordre dans l’individu est l’image de l’ordre de la cité. Dans cette lettre on voit déjà son projet de la Callipolis, de la cité parfaite qui ne pourra advenir qu’à condition d’être gouvernée par un roi-philosophe ou par un roi devenu philosophe. C’est là le fondement de la pensée philosophico-politique de Platon, qu’il développera dans différents textes, principalement dans la République et dans les Lois et qui sera à la base de son Académie. A ce moment déjà, se pose une question d’interprétation : les interprètes anglo-saxons voient la République comme une enquête visant à définir et à mettre en pratique la justice alors que d’autres interprètes, principalement francophones, la voient comme un traité de philosophie politique. Mais, comme le dit Hobbes9 : « Là où il n’est pas de pouvoir commun, il n’est pas de loi. Là où il n’est pas de loi, il n’est pas d’injustice. » Et Lambros Couloubaritsis10 met en évidence que ces deux tendances ne sont pas incompatibles étant donné que le projet de la République est de former des hommes capables de produire la justice dans la cité. Voilà enfin le terme principal de ce travail : la cité. Ce terme apparaît plusieurs fois dans ce texte et est traduit de différentes façons, chacune impliquant une notion particulière comme l’explique l’entrée du Dictionnaire Européen des Philosophies. C’est pourquoi François Châtelet11 écrit : « Il faudrait une singulière cécité pour penser qu’existe une sorte de référentiel absolu à partir de quoi il serait possible de traduire, de confronter, d’organiser, en filiations patentes ou cachées, les textes de ceux qui sont désignés comme grands philosophes. »
Dans cette lettre où les termes polis et politeia reviennent souvent, le traducteur a décidé de les traduire par un mot différent à chaque fois. Ainsi pour polis, il traduit successivement par Etat, ville, Etat, cité. Ces traductions n’ont pas été choisies au hasard donc lorsque le traducteur utilise un mot plutôt qu’un autre ; c’est qu’il fait le choix d’insister sur un aspect particulier ou que c’est celui qui convient le mieux dans le contexte précis. Ainsi Etat insiste sur l’organisation du pouvoir, sur l’aspect administratif et légal, ville pour polis est utilisée ici  pour parler d’Athènes et le traducteur a décidé de mettre en avant cette singularité et enfin, cité, la traduction la plus fréquente rend compte de cette unité d’espace géographique, de cette particularité de la société grecque de vivre en sorte de clans.
Si la cité telle qu’elle était conçue en Asie mineure est une réalité qui n’est plus et, est par là, difficilement appréhensible et traduisible, le problème de la cité conçue par Platon s’accroît davantage encore car elle n’existe qu’à l’intérieur de ses dialogues. C’est une pensée, une réflexion, un concept. Donc il faut tout d’abord tenter de comprendre ce qu’est une cité grecque pour ensuite construire sur celle-ci la Callipolis, la cité parfaite imaginée par Platon et qui est pour lui la seule cité, étant donné que toutes les autres sont corrompues et déséquilibrées. Lapolis est une cité- Etat typiquement grecque, dont les caractéristiques propres ne se retrouvent nulle part ailleurs exactement. C’est donc une forme d’état grec. Comme tous les états, chaque polis avait sa propre constitution. Le caractère autonome de celles-ci a été favorisé par le relief géographique qui limitait les communications renforçant ainsi l'autarcie des cités. Les cités étaient totalement indépendantes, mais se reconnaissaient d'une même culture.  Pierre Brulé12 décrit la cité de Périclès comme un enchevêtrement de groupes, de classes et de statuts.. La société athénienne semble présenter une grande complexité régie par de fermes structures ; elle fonctionnait par hiérarchisation de couples d’opposés : le citoyen/le métèque, le libre/le non-libre, l’homme/la femme...C’était un club d’hommes, tout y était mis en place pour eux, les femmes étaient confinées dans les maisons, elles n’avaient aucun droit. Le travail y était dévalorisé, seuls les pauvres avaient besoin de travailler, les riches possédaient des esclaves. La citoyenneté n’était pas acquise de prime abord. Pour être citoyen, il fallait être enfant de citoyens, être ou avoir un père propriétaire foncier, avoir été intégré, grâce à l’éducation, à un maximum de communautés culturelles, sportives et religieuses et enfin, participer à la guerre chaque fois qu’on y était requis. La naissance était en quelque sorte le premier triage, elle ne suffisait pas, il fallait devenir citoyen. C’était un processus lent : accompagné de son père,  le « candidat à la citoyenneté » devait accomplir dès son plus jeune âge une série de démarches et de rites qui le faisaient pénétrer dans des groupes et ce jusqu’à sa majorité. Ces groupes étaient appelés phratrie, genos, dème et faisaient de l’enfant un citoyen partiel, le préparant à la citoyenneté totale et faisant office « d’état civil ». Etre citoyen était une réalité de tous les jours, c’était une occupation permanente, un « métier ». Le citoyen était obligé de participer à ces différents groupes, il était d’autant plus citoyen qu’il était intégré à ces cercles. Aussi il n’y a rien de plus logique que l’attachement de ces hommes pour leur cité...la cité et ses communautés sont sa vie depuis sa plus tendre enfance.
 Seulement Platon considère que la démocratie athénienne n’est pas plus une cité que les régimes oligarchiques ou monarchiques. Il dit que tous ces régimes ne sont que des rassemblements d’hommes qui tiennent tant bien que mal par des lois raisonnables mais qui restent corrompus parce qu’elles sont incapables de réaliser leur propre fin : une vie commune. 13 Cette vie commune signifie un mode de vie qui soit commun à tous les citoyens liés dans l’unité d’une même cité.14 Platon explique ce que la cité n’est pas , on voit cependant que la traduction Etat pour polis pose déjà problème car l’Etat est « une société organisée, ayant un gouvernement autonome »15, « une autorité souveraine s’exerçant sur un peuple et un territoire déterminé »16,or c’est justement ce que Platon reproche aux cités mentionnées...de n’être que cela. Il ne donne pas de définition de la polis, c’est toute la République  qui a pour but de la définir, de donner les conditions de son unité et son mode de fonctionnement pour qu’elle soit parfaite, c’est à dire juste et instruite car l’un ne peut aller sans l’autre. C’est le bon moment, je pense, pour se poser la question du titre, du moins de sa traduction en français. Le problème a déjà été soulevé dans le compte rendu de l’entrée du dictionnaire qui sert en quelque sorte d’introduction. Le terme politeia est le plus souvent traduit par « régime » et « constitution ». Or ces notions sont insuffisantes pour rendre compte d’un titre qui implique bien plus que la présentation d’un certain régime politique, qui propose, au fait, un nouveau mode de fonctionnement pour une vie commune. Le mot république vient du latin res publica (la chose publique, le bien commun). Au sens dit primitif, république signifie Etat et par métaphore, désigne le grand corps social17. Aujourd’hui ce sens désigne un Etat non-monarchique. Or, ce sens existait déjà dans l’Antiquité, Aristote, dans la Rhétorique, I,8 distingue quatre politeiai : démocratie, oligarchie, aristocratie et monarchie. Ainsi, la monarchie serait également une politeia et le titre de République inapproprié à la réalité que désigne le titre original Politeia. Mais les choses ne sont pas si simples et lorsque Aristote, dans le Politique, oppose les politeiai aux monarchies et aux tyrannies18, il y a de quoi se décourager. Néanmoins, cette contradiction chez Aristote permet de se rendre compte qu’à l’époque déjà, les choses n’étaient pas évidentes et que ces termes appelaient à une certaine subjectivité à cause, justement, de leur ambiguïté. La traduction de République pour la Politeia de Platon est une traduction française pour res publica, qui s’est faite tradition . Jean-Luc Périllié19 souligne que cette notion de république est adéquate à la réalité dont parle Platon. En effet, la République est fondée sur une égalité, une « égalité proportionnelle par laquelle gouvernants et gouvernés sont maintenus dans la communauté de l’Etat. ». L’égalité de la cité platonicienne n’est pas l’égalité au sens contemporain, c’est une égalité proportionnelle ou géométrique : tous ont des droits relatifs à leur mérite. C’est une « égalité dans l’inégalité ou une égalité de rapports entre des termes inégaux ». C’est également une des questions de base de la pensée de Rousseau :  comment trouver une forme d’association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun s’unissant à tous n’obéisse pourtant qu’à lui-même et reste aussi libre qu’auparavant ? Et il souligne l’évolution des termes :  Cette personne publique qui se forme ainsi par l’union de toutes les autres prenait autrefois le nom de Cité, et prend maintenant celui de République ou de corps politiques, lequel est appelé par ses membres Etat quand il est passif, Souverain quand il est actif, Puissance en le comparant à ses semblables. A l’égard des associés, ils prennent collectivement le nom de Peuple, et s’appellent en particulier citoyens comme participants à l’autorité souveraine, et sujets comme soumis aux lois de l’Etat. Mais, ces termes se confondent souvent et se prennent l’un pour l’autre ; il suffit de les savoir distinguer quand ils sont employés dans toute leur précision.20
Si on considère que la politique pose trois questions essentielles : celle de la communauté politique - qu’est-ce qui définit une communauté comme politique ? - ; celle de la sphère du politique - quel est le domaine du politique ? - ; celle de l’objet du politique - qu’est-ce que le bien commun ou la res publicae ? -, le titre de République serait réducteur car il annoncerait un ouvrage qui aurait uniquement pour but de définir l’objet du politique. Or, Platon, ayant intitulé son livre Politeia, se propose de répondre aux trois questions citées ci-haut...

Raison gouvernante et tripartition fonctionnelle.


Comme le dira quelques centaines d’années plus tard Marc- Aurèle : « Nous est de même commune cette raison dont c’est le rôle de prescrire ce qu’il faut faire ou non. Ceci admis, la loi aussi nous est commune. Ceci admis, nous sommes concitoyens. Ceci admis, nous faisons partie d’un même corps politique commun. Ceci admis, le monde est comme une cité »21 Et plus tard encore l’écrira Rousseau  : « L’homme doit consulter sa raison avant d’écouter ses penchants.22 », Platon considère que c’est la pensée qui doit fonder et gouverner la cité. Il définit en ce sens la cité comme une réalité mixte vivante dans laquelle l’homme peut atteindre la perfection dont il est capable23. La cité est une grande âme, un grand individu. La cité et l’individu sont deux supports identiques qui ne diffèrent que par la taille et sur lesquels sont inscrites les lettres du terme justice.24 C’est là une autre notion principale de la République, indéniablement associée par Platon à la notion de polis. Il se sert de l’analyse de la polis pour s’interroger sur la justice et pour justifier le mode de fonctionnement dont il veut pourvoir sa Callipolis, seule cité juste. Il définit la justice comme l’excellence du rapport des parties d’un même tout animé25,c’est la division du travail et la spécialisation des fonctions.
Cette cité adviendra lorsque chaque individu aura sa fonction propre, celle qui convient à ses aptitudes naturelles, et qu’il l’accomplira parfaitement. Etant donné qu’une cité, c’est l’unité d’une multiplicité de natures, de puissances et de fonctions distinctes vivant une vie commune26, c’est l’équilibre entre cette multiplicité qui permettra l’harmonie et la justice de la cité, multiplicité que Platon divise en trois groupes d’hommes27. Le premier groupe est celui des hommes au caractère de bronze, c’est le ventre de l’individu qui se préoccupe du monde sensible : ce groupe est celui des agriculteurs qui assurent les biens matériels.. Le second regroupe les caractères d’argent, c’est le cœur, à mi-lieu entre le sensible et l’intelligible, c’est la caste des guerriers qui assurent la sécurité de la cité. Enfin, les caractères d’or, la tête tournée vers le monde intelligible, ce sont les philosophes qui sont chargés de gouverner. La justice c’est l’organisation de ces différentes vertus. Cette tripartition fonctionnelle correspond donc à la tripartition de l’âme qui est ce que l’homme a de meilleur. Platon paraît restaurer la tripartition archaïque des indo-européens qui divisait la société en une classe productrice, une classe guerrière et une classe sacerdotale et l’opposait à la classification sociale athénienne qui mène à l’injustice et au malheur de ses habitants. C’est, entre autre, à partir de cette tripartition que Platon a souvent été considéré comme le « père du totalitarisme ». M. Alexandre28 contredit cette approche. Il met en évidence que jamais Platon ne considère que chaque classe n’a que sa vertu propre et est dépourvue des autres. Au contraire, chaque homme a en lui une société et exerce les trois fonctions, cet homme est conscient qu’il peut réaliser en lui la justice (d’après la conception platonicienne de ce terme : l’organisation harmonieuse des vertus). Un ouvrier a son cœur et sa tête. Il ne faut pas, selon Alexandre, interpréter la République en termes de domination, ceux qui gouvernent n’ont pas la force, ils ont besoins des guerriers et sans les ouvriers, tous succomberaient. Aussi, tous sont nécessaires, on ne peut subordonner l’homme à l’homme. En créant cette cohésion, cette interdépendance entre les citoyens, Platon combat l’individualisme qui est un sentiment réfléchi et paisible qui dispose chaque citoyen à s’isoler de la masse de ses semblables et à se retirer à l’écart avec sa famille et ses amis ;de telle sorte que, après s’être ainsi créé une petite société à son usage, il abandonne volontiers la grande société à elle-même.29 Rien de plus éloigné de son idéal de vie commune... Son idéal est une cité aristocratique, car tous ne sont pas capables de gouverner, il est impossible que tous soient philosophes dit-il dans La République30, « aux uns, il convient par nature de goûter la philosophie et de commander dans la cité, aux autres de ne pas y toucher et de se soumettre à celui qui commande ». Mais ceux qui gouverneront le feront pour le bien de tous et non à leur profit, l’idéal reste donc démocratique.
L’origine de la cité.
Dans les livres II à IV de la République, Platon développe la genèse de la cité ; celle-ci est fondée sur une logique additive de la satisfaction des besoins... Les hommes se sont rassemblés pour satisfaire leurs besoins primaires. La première cité ainsi formée était considérée comme naturelle par Platon. Mais un besoin en amenait un autre et les métiers développés pour y répondre se sont multipliés créant le désordre. C’est ce qui a donné lieu à la seconde cité, la cité artificielle. Platon propose d’instaurer des limites, il faut une loi du nécessaire :s’occuper des besoins et non des désirs, et attribuer une seule fonction à chaque individu. Si ces limites sont transgressés, la cité sera malsaine.
Mais la cité n’est pas qu’un rassemblement, qu’un troupeau d’animaux humains qui ne vit que pour la satisfaction de ses besoins. Le gouvernement ne peut pas être le résultat d’un regroupement ni de l’opinion, il ne peut pas se conduire comme un marchand en agissant pour satisfaire ses intérêts car la cité n’est pas un marché, ni comme un avocat qui ment et flatte car la cité n’est pas un tribunal, ni comme un militaire, non instruit et incapable d’éduquer car la cité n’est pas l’armée. L’homme doit chercher à s’élever et c’est pour cela que ce seront des philosophes, qui auront acquis la connaissances grâce aux mathématiques et à la dialectique, qui seront chargés de gouverner. Platon justifie sa théorie du roi-philosophe par la nécessité pour le chef d’être capable de consacrer la meilleure partie de lui-même, son âme, à la pensée de la vie commune. Lui seul peut  connaître la nature de la cité et obtenir à partir de là que les citoyens vivent ensemble, que leurs modes de vie et leurs savoirs s’accordent et que la cité soit juste. De plus, lui seul est incorruptible car étant sorti de la caverne, il contemple le beau en soi et n’a pas d’intérêt pour le monde sensible et ses soi-disant richesses. La République associe donc la recherche de la vérité à la recherche de la perfection politique. C’est là un point essentiel dans l’analyse de la philosophie platonicienne : la cité est définie à la fois comme la condition et l’objet de la philosophie. Effectivement, celle-ci ne peut s’exercer qu’à travers une communauté de citoyens, de savoirs et d’œuvres. La philosophie est une pensée de la cité. 31Et s’il appartient à l’intelligence de gouverner, c’est parce que tel est son devoir, elle seule put remplir ces fonctions. De même que dans le Gorgias32le médecin est celui qui est le plus apte à définir la ration qui convient à chacun en ne pouvant cependant pas s’attribuer une portion plus importante, le chef ne peut user de sa fonction à son profit. Cette idée est un point central de la République et de la pensée politique de Platon. En effet, celui-ci envisage la politique comme une forme d’éducation. Les roi-philosophes seront les éducateurs de la cité.
Voilà pour Platon... Je vais essayé maintenant de développer la notion de polis chez un autre penseur du politique, l’élève et le plus illustre contradicteur de Platon :Aristote33.
 J’a essayé ci-haut d’expliquer l’importance du contexte politique sur la conception de la polis de Platon. Il en va bien évidemment de même pour Aristote et c’est cela, entre autre, qui lui a permis de développer une approche différente de celle de son maître Platon.
Aristote vit dans une époque de transition. C’est l’époque classique et les cités- Etats sont encore présentes mais leur fin est proche. Il est mort en 322 avant l’ère chrétienne et les poleis ont définitivement disparues en 323, remplacées par les grands empires de la période hellénistique. Aussi Aristote a été confronté à ce changement immanent et a dû s’interroger dessus. Etant donné que la méthode de travail d’Aristote consistait à observer, puis à analyser ( dans le sens de discerner les éléments plus simples qui forment un ensemble naturel), il a dû définir l’Etat comme changeant, comme une association de citoyens qui obéissent à une constitution. Lorsque la constitution change, l’Etat change et s’adapte à celle-ci. Et la constitution change  suivant l’ère du temps. Aussi tous ces changements sont naturels et il faut les accepter. Aristote respecte la tradition et il est attaché au système des cités. Seulement, pour écrire ses Politiques, il a étudié un très grand nombre de constitutions et il a du admettre, d’une part, la diversités des types de gouvernements, d’autre part, que cette multiplicité résultait des individus. Il admet, à la différence de Platon, la valeur des individus, leur besoin
 d’adaptation que son maître rejetait. Aristote pensait qu'il existait des formes d'organisation politique meilleures que d'autres, mais il considérait que les peuples étaient plus ou moins « prédisposés » à s'en approcher. Son but en politique était  de rechercher la meilleure constitution possible pour tous les peuples, celle que chaque communauté  devrait pouvoir réaliser. Dans la philosophie platonicienne, il y a une vérité une, celle du Bien et une cité une, celle calquée sur cette idée de Bien. Aussi il rejette la diversité des cités. Cependant, l’origine de la polis est fort semblable dans ces deux philosophie. Pour Aristote, l’homme est par nature un animal politique34, un zoon politikon. C'est la nature de l'homme qui le fait animal politique et communautaire. Mais cette nature n’est pas déterminante, elle est une potentialité qui doit être exploitée et, dans le cas de la nature humaine, elle ne peut l'être que par une attitude active de l'homme. Pour Aristote, la polis n'est pas une regroupement artificiel d'individus naturellement solitaires, qui se seraient mis ensemble pour de plus grands avantages. Ce n'est pas la solitude (comme chez Rousseau), mais c'est la participation à la communauté qui est pour lui naturelle. Cette participation est active et volontaire. Aussi, la communauté qu’Aristote déclare naturelle, a besoin d'être fondée, instituée, par un « premier législateur ». Chez les deux penseurs la polis est dite naturelle, seulement chez Platon elle est naturelle car elle est en rapport avec la nature, elle est l’image de l’âme. Chez Aristote par contre, elle est naturelle parce qu’elle est une caractéristique, un trait de comportement de l’homme. Elle lui appartient en propre. Mais tous les deux envisagent sa genèse de la même façon :un homme et une femme doivent s’unir pour la reproduction, cela crée une famille, un ensemble de famille donne un village (ce stade de village n’est pas signalé par Platon) et celui-ci mène à la cité. Ces groupements successifs sont naturels et la cité est, pour Aristote, la fin, c’est le terme de cette évolution car elle se suffit à elle-même et est pleinement indépendante.
Cette cité sera bonne si et seulement si son institution, sa politeia- obéit aux règles de la justice: car la justice est « l'ordre de la communauté politique35 ». Aristote définit la justice en la calquant sur l’injustice, concept plus facilement appréhensible : ce qui est injuste c’est ce qui est hors-la-loi, le juste est donc conformé aux lois, la justice est la vertu de l'ordre et, en particulier, de l'ordre politique. La justice, qui est un point central de La République, le point de départ de l’enquête sur la Callipolis et donc sur la nature de la cité, est, chez Aristote, un produit de la constitution. Platon la place dans le monde intelligible, il en fait un principe régulateur des vertus et de l’harmonie, Aristote la ramène à l’échelle humaine, c’est le respect de ce que les hommes ont décidés afin de bien vivre ensemble.                                          L'unité territoriale est une condition nécessaire à l'existence de la cité, mais elle n'est pas suffisante. La citoyenneté n'est pas fondée sur la race, mais sur la loi. L'essentiel n'est pas de savoir qui est citoyen, mais s'il l'est justement ou injustement c'est-à-dire en vertu ou non de la loi (les lois de naturalisation changeaient suivant les régimes).Ce n’est donc ni le territoire ni la citoyenneté qui crée l’unité, pour Aristote, de la polis. Ce qui fait l'unité et par là même l'identité propre d'une communauté, c'est sa constitution (politeia).Quand, par exemple, une démocratie s'établit à la place d'une oligarchie ou d'une tyrannie, on n'a plus affaire à la même cité, alors que ses habitants sont restés les mêmes. Inversement la cité reste la même, même si elle se trouve habitée par d'autres hommes, à condition que sa constitution reste la même. Néanmoins, la volonté des citoyens à vivre ensemble et à s’améliorer mutuellement joue un important rôle unificateur. Cette constitution, cette politeia, est donc primordiale dans la conception de la polis d’Aristote. De quoi s’agit-il exactement ? Qu'est-ce donc qu'une constitution? Ce n'est certes pas un contrat conclu en vue de l'utilité. Il ne suffit pas, en effet, pour qu'il y ait une polis, que des hommes se rassemblent pour faire du troc ou des échanges commerciaux ou encore pour se protéger contre un ennemi : « la cité n'est pas une communauté de lieu, établie en vue de s'éviter les injustices mutuelles et de permettre les échanges »36; la cité est plus que cela : elle est « une communauté de vie heureuse 37 », c'est-à-dire dont la fin est une vie parfaite et amicale pour les familles qui la composent car l'amitié, c'est le «  choix réfléchi  de vivre ensemble ».C’est cette fin de vivre heureux ensemble qui est à la base de la constitution et donc de la cité, ce bonheur qu’Aristote définit comme consistant dans une activité de l'âme conforme à l'excellence  propre de l'homme et, en cas de pluralité d'excellences ou vertus, conforme à la plus excellente et la plus parfaite d'entre elles.38  Comme l’a souligné Hegel39, Aristote « est directement opposé au principe moderne, qui part de l'individu, et selon lequel l'individu donne son suffrage et fait que c'est seulement par son suffrage que peut naître une communauté ». Et là, Aristote rejoint tout à fait son maître. La polis est pour Aristote, de même que pour Platon, une totalité organique et naturelle :
 « L’homme qui est dans l’incapacité d’être membre d’une communauté, ou qui n’en éprouve nullement le besoin parce qu’il se suffit à lui-même, ne fait en rien partie d’une cité, et par conséquent est ou une brute, ou un dieu.40 » L’homme ne s’accomplit que dans la communauté de la polis. Toute la philosophie pratique d’Aristote s’appuie sur la théorie de l’éducation, dans sa conception de la finalité de l’éducation. Il y a certes la dimension éthique, mais aussi une dimension essentiellement politique. C’est l’éducation qui conduit l’individu à la vertu, source essentielle de bonheur, de même, c’est l’éducation qui crée les conditions nécessaires à la constitution et à la stabilité de la polis vertueuse, c’est-à-dire à celle qui assure le bonheur de ses citoyens. C’est par l’éducation que se forme la communauté. « La cité est une pluralité qui, par le moyen de l’éducation, doit être ramenée à une communauté et à une unité41 ». Là encore, on ne peut pas ne pas faire le lien avec Platon et sa visée proprement éducative de la politique. Et comme Platon, Aristote à un projet de cité idéale, celle-ci peut se réaliser seulement au moyen de l’éducation : « Que la cité soit vertueuse (et assure donc un maximum de bonheur aux citoyens), ce n’est plus là affaire de fortune, mais bien de science et de volonté réfléchie42 ». Mais l’éducation ne crée pas seulement la société, la communauté qui constitue la cité ; elle lui assure également la stabilité : : « Le plus puissant de tous les moyens que nous avons indiqués pour mesurer la durée de la constitution, et qui est de nos jours totalement négligé, c’est un système d’éducation adapté à la forme des gouvernements. Rien ne sert, en effet, de posséder les meilleures lois, même ratifiées par le corps entier des citoyens, si ces derniers ne sont pas soumis à des habitudes et à une éducation entrant dans l’esprit de la constitution indiqués pour mesurer la durée de la constitution, et qui est de nos jours totalement négligé, c’est un système d’éducation adapté à la forme des gouvernements. Rien ne sert, en effet, de posséder les meilleures lois, même ratifiées par le corps entier des citoyens, si ces derniers ne sont pas soumis à des habitudes et à une éducation entrant dans l’esprit de la constitution43 ». Sa cité idéale est donc éducative par excellence. Pour Aristote, l’éducation était une affaire d’Etat, aussi celle-ci devrait être publique. Il rejoint en ce point encore Platon qui n’adhérait pas à la pratique grecque de l’éducation par la famille.
 « L’éducation doit nécessairement être une et identique pour tous44 ». J’ai parlé tantôt d’une conception de la cité idéale d’Aristote. Au fait, Aristote avait bien en tête un idéal de polis à atteindre mais, plutôt que de le décrire à la manière de « l’utopie » de la République, il a voulu décrire quelque chose de réalisable. Il se rapproche dans sa description davantage des Lois que de la République et propose une solution satisfaisante, à défaut d’autres possibilités. Cette polis aura la constitution mixte ou moyenne, un mélange de démocratie et d’oligarchie, deux des régimes les plus courants en Grèce à cette époque. C’est un idéal plutôt aristocratique, tous les citoyens y ont le droit de participer à la vie politique mais ils doivent le faire dans des conditions qui en font des « hommes de bien ». Son attitude envers la démocratie diffère de celle de Platon qui méprisait le pouvoir de la foule et considérait qu’elle menait à la tyrannie. Aristote, quant à lui, était contre une démocratie directe mais pensait que la multitude était moins accessible à la corruption.
Cette cité « idéale »ne devait pas être trop grande. Si, partant le matin, l’on ne pouvait la traverser à pied au cours de la journée, elle était trop grande. Il soutenait aussi que, pour qu’un pays fonctionne bien, il fallait que tous les citoyens puissent se reconnaître s’ils se rencontraient par hasard. Cette petite taille permettaient aux citoyens de se connaître et donc de favoriser les liens qui inévitablement créent la solidarité et la loyauté. L’idéal de la polis était une grande famille. Les Grecs croyaient que le contexte de la polis en était un qui était exaltant, qui forçait les individus à se dépasser. Se connaissant mutuellement dans la polis, ils étaient en mesure de réclamer de chacun le meilleur d’eux-mêmes. Il est, selon Aristote, dans la nature de l'homme de se comporter comme un citoyen, d'avoir pour sa cité un attachement tel qu'il exposera sa vie pour la défendre après avoir consacré une part importante de son temps à ses institutions. C’est cette philia qui régnait, d’une part entre les citoyens, d’autre part  par rapport à la polis, qui créait cette unicité particulière à l’intérieur des cités- Etats.


Conclusion.

La  polis prend une place importante dans les dialogues platoniciens, elle est l’objet de la politique et Platon prend pour fin de créer son unité, son harmonie afin de la rendre juste et heureuse... Etant donné que le but  de Platon était, à l’instar de son maître Socrate, d’améliorer l’être humain, de tenter de le rapprocher de la vérité et par là de le mettre sur le bon chemin, il devait, en quelque sorte, le reconvertir, le rééduquer. Or, peut-on trouver un meilleur « champ d’entraînement », un meilleur « laboratoire » qu’une grande ville et ses agglomérations, indépendante, ayant ses propres lois et institutions, peuplée de femmes, d’hommes, d’enfants, de toutes classes et de tous caractères ? Platon se propose d’agir sur cette polis à la façon du démiurge qu’il suppose avoir créé le monde en ayant employé la matière, certes inerte, mais néanmoins déjà présente et en lui ayant donné la forme, l’impulsion vitale nécessaire à son existence. Platon de même prend une matière -un rassemblement d’hommes, une polis-, qu’il suppose presque inerte car, selon sa conception, une polis est un organisme vivant, or il déclare qu’aucune des cités qui existent n’en est vraiment une. Il se propose alors de lui donner vie en la faisant fonctionner à la manière d’une âme dont il s’imagine qu’elle est l’image agrandie. Ainsi c’est à la lumière de sa philosophie qu’il conçoit sa politeia, c’est en recherchant la nature de la justice qu’il développe  sa Callipolis dans La République, c’est en cherchant la nature des choses qu’il suppose pouvoir sortir les Etats du cercle vicieux des mauvais régimes dans lesquels ils se sont embourbés.
Chez Aristote, c’est davantage la politeia qui est une notion importante. C’est elle qui définit la cité, c’est elle qui lui permet d’atteindre sa fin de « bien commun ». On voit dans ces diverses conception les natures différentes de ces deux « protagonistes » : Platon est un philosophe dit idéaliste, il cherche la nature de la cité, son essence véritable pour l’y conformer et ainsi la rendre parfaite. Aristote, quant à lui, développe une philosophie finaliste : chaque chose à sa fin propre, et différents moyens sont envisageables pour l’y amener. Pour Platon et Aristote, cette fin de la polis est la même, c’est le bien être de la communauté, une vie en commun. Platon pense y arriver en conformant la polis au fonctionnement de l’âme, Aristote tente plutôt d’élaborer la  constitution la meilleure possible, la plus en mesure d’amener à cette fin. C’est une conception plus politique.
A propos des termes polis, politeia, ... et de leur(s) traduction(s), dans les différents textes grecs que j’ai cités, ces termes reviennent très souvent. On dirait qu’il n’en pas de synonyme car ce c’est toujours polis et ses dérivés qui sont employés. En français ces termes n’ont pas d’équivalent et de plus, le français n’aime pas les répétition. Aussi, dans la majorité des textes, pour un même termes, on a successivement différentes traductions : cité, Etat, cité- Etat, société, ville. D’autres  traducteurs choisissent une seule traduction et l’appliquent à toute l’œuvre, créant ainsi une certaine subjectivité en insistant particulièrement sur une des facettes de la polis. En effet, aucun mot français ne contient toute la signification du mot grec polis, chaque terme cités ci-haut n’en développe qu’un sens et c’est l’ensemble de ces sens qui définit le mieux polis. Seulement on ne peut pas traduire par : la cité- Etat, société, nation et ville grecque... Parmi tous ces sens, deux traductions ont été privilégiées par les traducteurs : Etat et cité. La notion d’Etat insiste sur plus la notion de notoriété juridique, sur l’aspect lois et organisation et qui est relatif à la notion de société et d’individu. Aujourd’hui, alors que notre société se fait de plus en plus libérale et individuelle, cet Etat apparaît de plus en plus distant et on en est de plus en plus méfiant...Aussi cette traduction correspond mal car les Grecs étaient prêt à sacrifier leur vie pour leur polis...
La traduction de cité met l’accent sur l’espace géographique, sur la taille de la polis. Le risque est de la confondre alors avec une ville. La polis est une ville et ses agglomérations, elle est un ensemble, une unité indépendante.
Il n’y a pas de préférence apparente entre ces termes pour traduire les textes de Platon ou d’Aristote. Les deux parlent d’une même réalité, celle dans laquelle ils vivent et qu’ils connaissent. Leur réflexion philosophico-politique démarre de la polis, elle est une interrogation sur la meilleure manière de vivre en commun, sur la meilleure polis. Là leur pensée se distingue, ils comprennent autre chose par cité idéale, mais cité, polis, leur évoque la même chose, la terre glaise à laquelle ils veulent donner la meilleure des formes.
Cette conception de la politique ne s’est pas arrêtée avec Platon et Aristote, elle a continuée à évoluer, à se chercher et aujourd’hui encore, ne s’est pas trouvée. Aussi, s’il y a des similarités entre les traités politiques de  Marc-Aurèle, Rousseau, Hobbes,...  et  ceux de Platon et d’Aristote, c’est parce qu’eux tous ont choisi de ne pas envisager la politique comme quelque chose d’approximatif, comme un simple moyen organisateur mais de faire de ce lieu de communauté politique un lieu de perfection humaine, là où l’intelligence humaine pourrait se déployer intégralement. Ce qui me ramène à la définition que donne Jean-François Pradeau de la cité : «  la cité n’est pas un état de fait naturel, elle n’est ni troupeau ni même une famille ; elle est l’ordre « constitutionnel » d’une recherche intelligente de ce qui convient à des êtres vivant ensemble une même vie commune 45 ».


































Notice bibliographique.


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 Pour les sites internet

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1 Vocabulaire Européen des Philosophies, éd. B. Cassin, Seuil, Paris, 2004.
2 ARISTOTE, Politique, I, 125a 1-38.
3 PLATON, Protagoras, 320c-322d
4 HERODOTE, Histoires, IX,34
5 HERODOTE, Histoires, III, 80-83.
6 voir ARISTOTE, Politique, III,7, 1279a 25-39.
1 Pour l’historique, je me suis inspirée du livre : BONNARD A., Civilisation Grecque- D’Antigone à Socrate, La Guilde du Livre, Lausanne,1954,.
2 PERICLES, Oraison aux morts de la première année de guerre, in THUCYDIDE,Histoire de la guerre du Péloponnèse, trad. de DE ROMILLY J., Les Belles Lettres, Paris.
3 THUCYDIDE, idem.
4 BONNARD A., Civilisation Grecque- D’Antigone à Socrate, La Guilde du Livre, Lausanne, 1954,  p246.
5 Lettre VII, 324b in PLATON, Oeuvres complètes, trad. ROBIN L., Bibliothèque de la Pléiade,.
6 Lettre VII, 326b in 325a-326b, idem.
7 PLATON, Phédon, 118a
8 GUITTON J., (textes choisis et expliqués par), Les pages immortelles de Platon, Buchet /Chastel , Paris, 1960,
                     p 14.
9 HOBBES, Leviathan. J’ai puisé cette citation dans le cours d’Histoire de pensées politiques, de Dominique
                                   COLAS, dans le site coursenligne.sciences-po.fr/ 2005_2006/colas/plan_smadja.pdf.
10 COULOUBARITSIS L., Aux origines de la philosophie européenne-De la pensée archaïque au
                                     néoplatonisme,de Boeck, Bruxelles,2004,  pp318. 
11 CHATELET F, Du mythe à la pensée rationnelle, in La Philosophie tome I : de Platon à St Thomas, sous la
                            direction de CHATELET F., Marabout,Paris,1979.
12 BRULE P.,Périclès,l’apogée d’Athènes,Gallimard Evreux,1994.
13 Dans le Vocabulaire technique et critique de la philosophie d’André LALANDE, politique est défini comme qui a trait à la vie collective dans un groupe d’hommes organisé (пόλις).
14 PRADEAU J-F., Platon et la cité, Presses Universitaires de France, Paris, 1997,p 7.
15 idem note7, définition de Etat
16 Le Petit Robert.
17   idem note n°7république, p 923.
18  idem p 924.
19 PERILLIE J.-L., Platon, Rousseau et la république holistique, in Revue de philosophie ancienne, XXXI,I, 
                            2003.
20 ROUSSEAU, Du contrat social. J’ai puisé cette citation et les différentes citations suivantes dans le cours d’Histoire des idées politiques de Dominique COLAS, dans le site coursenligne.sciences-po.fr/ 2005_2006/colas/plan_smadja.pdf.
21 MARC-AURELE, Pensée.
22 ROUSSEAU, Du contrat social, I,8.
23 PRADEAU J.-F, Platon et la cité, Presses Universitaires de France, Paris,1997/
24 PLATON, République II, 368c.
25 Idem  (IV, 443a,444a).
26 BRISSON L.et PRADEAU J.-F., Le vocabulaire de Platon, ellipses, Paris,1998, p 14
27 PLATON, République (II 434c-436b, III 415a)
28 ALEXANDRE M., Lecture de Platon, Presses Universitaires de France, Paris, 1979.
29 DE TOCQUEVILLE A., De la démocratie en Amérique, coursenligne.sciences-po.fr/
                                            2005_2006/colas/plan_smadja.pdf.
30 idem VI, 494 a.
31Le vocabulaire de Platon., p16.
32 PLATON, Gorgias, 490 a-c
33 En ce qui concerne Aristote, je me suis principalement inspirée du livre de WEIL R., Politique d’Aristote, Armand Colin, Paris,1966.
34 ARISTOTE, Politique,( I,2,1253 a3), trad de TRICOT J., Librairie J. Vrin, Paris.
35 ARISTOTE , Ethique à Nicomaque, livreV.
36 ARISTOTE, Politique, (III, 9, 1280 b 30)
37 idem, 1280b 34.
38 ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, I,6,1098a16.
39 http://www.ac-rennes.fr
40 ARISTOTE, Politique, VIII, 6, 1341 b 8-14.
41 idem, II, 5, 1263 b 36-37.
42 idem., I, 2, 1252 b 30.
43 idem ,V, 9, 1310 a 12-17.
44 idem, , VIII, 1, 1337 a 22
45 PRADEAU J.- F., Platon et la cité, Presses Universitaires de France, Paris, 1997.

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