vendredi 27 août 2010

Quand la publicité finance la presse. La question de la neutralité journalistique.





                                         Quand la publicité finance la presse.
                                      La question de la neutralité journalistique.


La question du rapport entre la publicité et les médias est une vieille question dont, semble-t-il, nous n’ayons toujours pas réussis à sortir. Cette question s’inscrit dans le cadre plus large des relations entre ces médias et l’argent.
Cette problématique a été soulevée lorsque, en 1836 furent insérées pour la première fois dans les journaux, la Presse, d’Emile de Girardin et Le Siècle d’Armand Dutacq des annonces commerciales. Cette introduction de la publicité a eu pour effet de faire baisser le prix de ces journaux et donc de toucher un plus large public.
L’idée base étiat de libérer les rédacteurs du despotisme étroit de l’abonné, qui permet rarement qu’on s’écarte de ce qu’il est habitué à considérer comme des articles de foi[1].
Ce serait donc, outre par intérêts économiques, pour assurer l’indépendance du journal qu’on y a inclut la publicité.
Aujourd’hui, la même question est posée à propos de la publicité, on se demande à quel point celle-ci exerce une influence sur la liberté des rédacteurs et s’il ne serait pas mieux, pour assurer leur indépendance, de la supprimer. Si la question est si problématique à résoudre, c’est notamment à cause de ses implications économiques que je développerais plus loin. 
Les critiques qui ont été adressées à l’époque à cette initiative sont à peu près les même que l’on formule aujourd’hui. Elles critiquent nottament le passage de la fonction journalistique de l’informatif au divertissement. Ainsi, Louis Blanc écrivait : Le plan de M. de Girardin transposait en un trafic vulgaire ce qui est une magistrature, et presque un sacerdoce ; on venait rendre plus large la place faite dans les journaux à une foule d’avis menteurs, de recommandations banales ou cyniques, et cela aux dépens de la place que réclamaient la philosophie, l’histoire, les arts, la littérature, tout ce qui élève, en le charmant, l’esprit des hommes[2]. 
Les bases du problème étaient donc déjà clairement formulées à l’époque. Il s’agit de la question de l’indépendance du journal vis-à-vis de ses financiers, de la qualité du contenu suivant la nature de ces financiers et du prix du journal qui en conditionne l’accès.
Prenons pour exemple le journal Marianne qui n’a pas trouvé suffisamment d’investisseurs publicitaires étant donné son orientation éditoriale qui s’oppose à la « pensée unique [3]» et son lectorat qui ne comporterait pas suffisamment de hauts responsables d’entreprises, selon les annonceurs. Si le journal s’en est sorti, c’est en doublant son prix de vente, perdant sans doute par là une partie de ses lecteurs et se rendant inaccessible à d’autres. Cet élitisme est problématique, l’accès à une presse (plus ou moins) libre étant dès lors réservé à ceux qui en ont les moyens. On peut dire la même chose pour Le Monde diplomatique, Alternatives économiques ou Le Canard enchaîné, journeaux pour lesquels où il y a eu un choix initial de limiter au maximum la publicité. Ce qui semble intéressant à considérer, c’est le fait que c’est dans ces journeaux là qu’on trouve le plus grand nombre d’articles mettant en cause, soit le rôle de la publicité en général, soit le rôle des grandes marques dans des affaires douteuses…Comme l’écrit le groupe Marcuse, « celui dont on mange le pain, on en chante la chanson [4]», en constatant qu’on ne parle pas beaucoup de la publicité dans les médias et que quand on le fait, on en parle mal, c’est-à-dire en évitant les questions essentielles.
D’après Julien Duval, qui s’est penché sur la question dans son ouvrage Critique de la raison journalistique. Les transformations de la presse économique en France, cet argument d’indépendance rédactionnelle est souvent utilisé…en tant que publicité lui-même. Ainsi il cite une brochure pour Mieux vivre votre argent dans laquelle il est écrit : « Nous {travaillons} d’autant plus librement que nous ne dépendons d’aucun groupe financier et que votre intérêt est notre seul objectif. [5]»
D’après la déclaration des devoirs et des droits du/ de la journaliste[6],  le fondement même, la raison d’être du journaliste est la recherche de la vérité et cela  quelles qu'en puissent être les conséquences pour lui-même[7]. La directive 2.1 de cette déclaration pose que la liberté de l'information est la condition première de la recherche de la vérité[8].
On a donc deux idées essentielles définissant le journalisme, le reste des directives visant à assurer ceux-ci dans les meilleures conditions possibles et en accord avec d’autres lois tels que la liberté de la vie privée par exemple.

Qu’en est-il de ces fondamentaux quand la survie de journaux dépend de l’investissement publicitaire ?  Et surtout, que penser de médias qui considèrent que leurs principaux clients sont les annonceurs [9]?
Il me semble que ce que dénonçait de Girardin, à savoir la limitation de l’information pour plaire aux lecteurs est un phénomène encore plus pervers avec la publicité. Il va de soi que le journal, en tant que produit veuille attirer des clients, ce qui l’oblige à définir une certaine ligne éditoriale qui corresponde à leur attente. On peut faire une analogie avec les théâtres fonctionnant en grande partie par un système d’abonnements et qui doivent combler les attentes de leurs abonnés ou  avec la télévision qui développe des émissions pour un certains type de spectateurs. Mais la différence est dans la nature du produit : quand il s’agit de divertissement il n’y a pas vraiment de compte à rendre, de responsabilité alors que quand il est question d’information, on considère qu’il y a un droit à l’information et dès lors un devoir de la fournir de la façon la plus véridique et la plus complète possible. Mais que faire quand cette information a le défaut de ne pas plaire aux annonceurs ? Sachant que la majorité des journaux tirent de 50% (ce qui est considéré comme un pourcentage équilibré) à 70% (pour le Figaro par exemple) de leurs revenus de la publicité, la rédaction tend à fusionner de plus en plus avec les publicitaires qui sont en rapport de force[10]. Ainsi, il semble qu’il y ait des sujets qui ne sont pas abordés, les journaux pratiquant une autocensure pour ne pas entrer en conflit avec les annonceurs et risquer de perdre leur soutient financier[11].
Le journal qui accueille des publicités en est responsable, de même qu’il l’est pour les articles publiés. Etant donné que les agences publicitaires recourent de plus en plus à une évaluation de la publicité proposée par les instances d’autorégulation de cette profession tels l’ARPP en France et le JEP en Belgique[12], ce n’est pas vraiment la nature de cette dernière qui pose problème, on voit rarement de publicité choquante dans la presse.
C’est une question de principe qui est posée, la question des répercussions sur la qualité, sur l’image du journal. La dignité de la presse a toujours été un facteur important pour ce média or elle est aujourd’hui de plus en plus dévaluée.
Les journalistes, quand à eux, sont en quelques sortes pris en otages. En effet, de par la précarité du travail, ils ont souvent à plier le dos et fermer les yeux devant des pratiques souvent anti-déontologiques car, comme l’écrit le président du Forum des sociétés de journalistes François Malye : « en cas de désaccord, les journalistes ne peuvent plus quitter le journal pour aller en face, car il n’y a plus d’en face  [13] ».
Outre cette question déontologique, la pratique de leur métier s’en trouve modifiée. En effet, on assiste à un développement des genres transitoires entre pratique journalistique et pratique publicitaire [14] dès lors que les journalistes participent aux suppléments santé, famille, loisirs, technologies et autres.
Si la déclaration du PDG de TF1 Patrick Le Lay, à savoir «  A la base, le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par exemple à vendre son produit (…). Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible. [15]», a donné lieu à un tel scandale, que penser de celle de Claude Perdriel, propriétaire du Nouvel Observateur : comme les articles sont plutôt longs chez nous, le temps d’exposition à la page de la publicité est plus grand[16].
La disposition même du journal répond aux impératifs de la publicité, laissant la meilleure place aux annonceurs. Ainsi, suivant les études en neurosciences semblant prouver que le cerveau assimile davantage les informations sur la page droite, les faces droites du journal précité sont à 85% vendues aux publicitaires[17]. La télévision définit ses programmes en fonction des intérêts des annonceurs, c’est-à-dire qu’elle tente d’attirer par sa programmation les publics cibles des agences publicitaires.
Qu’en est-il des journaux ?
Peut-on encore dire sérieusement que le but premier des journaux est l’information ? 
Bien évidemment il ne faut pas mettre tous les journaux dans le même sac ni accuser de complaisance tous les journalistes. Ces dernières années, de nombreuses grèves ont été organisées dans le milieu afin de montrer le mécontentement face à la mercantilisation de plus en plus importante des médias d’information et principalement de la presse écrite[18].  
Quelle solution pourrait-on proposer contre ces abus ? Interdire la publicité dans la presse écrite ? Il serait intéressant de revenir aux propositions allant dans ce sens à propos de la télévision en 1988. Je citerais pour ce faire les propos de Ange Casta, propos que l’on pourrait reprendre aujourd’hui pour parler de la presse écrite me semble-t-il…  Nous refusions la logique de la marchandisation globale de la télévision commencée en 1970, et plus encore l’abandon progressif par la Télévision Publique des missions qui légitimaient son existence. Faut-il les rappeler ? Informer, cultiver, distraire. Nous voulions contribuer à retrouver le chemin du sens dans une société bouleversée, en train de perdre ses repères essentiels. Nous avions compris que la Télévision Publique s’engageait dans une impasse, à terme, mortelle.[19] 
Bien que la télévision et la presse soient supposées poursuivre les mêmes fins (informer, cultiver, distraire), elles ne fonctionnent pas de la même façon. De plus, il ne s’agit pas ici de la télévision en générale mais de la télévision publique. S’il a été concevable d’augmenter la redevance afin de supprimer la publicité sur cette télévision publique, ce n’est pas faisable pour les journaux qui sont des entreprises privées.
Nous avons vu que cela posait un important problème financier mais celui-ci semble pouvoir être gérable comme le prouve le nombre important des tirages de Marianne. De plus, si on suit Marie Bénilde, de nombreux penseurs de gauches ainsi que les mouvements antipubs, si les entreprises dépensaient moins d’argent dans les campagnes publicitaires, ils pourraient utiliser cet argent pour faire baisser les prix, ce qui rendrait possible un plus grand pouvoir d’achat et donc permettrait la mise en vente de journaux dont le revenus dépendrait davantage de la vente[20]. Est-ce vraiment irréalisable ?
Pourtant Nicolas Sarkozy a supprimé la publicité sur la télévision publique, idée qui avait déjà été proposée par la gauche en 1989 et jugée  alors totalement fantaisiste[21]. »
La décision de Sarkozy a été extrêmement controversée. En effet, malgré sa déclaration[22], il apparaît assez évident qu’il ne s’agit pas de promouvoir une nouvelle politique culturelle en tant que fin en soi mais que celle-ci sert davantage de moyens à d’autres projets moins louables et place France Télévisions et Radio France dans une situation difficile[23]. 

On assiste ces dernières années à une modification dans le système publicitaire. Devant la lassitude des consommateurs, les publicitaires développent de nouvelles façons d’attirer leur attention sur les produits. Les journeaux, assez logiquement, pâtissent de cette situation qui pourtant n’est pas prête de changer. Aussi il deviendra nécessaire aux organes de presse de trouver, ou bien, des financeurs ailleurs ou bien, d’autres façons de fonctionner.
La solution viendra peut-être des nouvelles technologies. La presse écrite existe depuis fort longtemps sous la même forme et, étant donné que bon nombre des nouvelles technologies concernent la communication, on ne s’étonnera donc pas de la voir évoluer. La question de la neutralité ne s’en trouvera pas résolue pour autant, néanmoins, si elle n’est plus acculée par un « chantage » financier exercé par les annonceurs, on peut croire qu’elle aura plus de possibilités pour accomplir sa fonction première : l’information.








Bibliographie


BENILDE M., On achète bien les cerveaux. La publicité et les médias, Edition RAISONS D’AGIR, Paris, 2007.

GROUPE MARCUSE, De la misère humaine en milieu publicitaire. Comment le monde se meurt de notre mode de vie, La Découverte, Paris, 2004.

DUVAL J., Critique de la raison journalistique. Les transformations de la presse économique en France, Seuil, Paris, 2004.

Articles presses et sites Internet

BENILDE M., «  La télévision publique libérée de ses chaînes ? » in Monde diplomatique, février 2008.

CASTA A., « Pour que vive la Télévision Publique » in
JEANNENEY J.-M., « Le duel Carrel -Girardin » in L’Histoire n°342, mai 2009.

RIMBERT P., « Quand le profit devient la seule déontologie. Des journalistes au bord de la
                 rébellion » in  Monde diplomatique février 2007.

« Publicité et société » n°2 décembre 2008 in www.arpp-pub.org/Revue-publicite-et-societe.html

« Entre journalisme et publicité, des règles d'éthique existent-elles encore ?
Suivi d'une interview de Daniel Cornu »  in www.alterfamiliae.ch/kezako/publicite/problematique/problematique.html



http://www.assemblee-nationale.fr/13/rapports/r1267-t1.asp


[1] L’Histoire n°342, mai 2009, J.-M. JEANNENEY, « Le duel Carrel -Girardin », p. 88.
[2] Ibid, p.89.
[3] BENILDE M., On achète bien les cerveaux. La publicité et les médias, Edition RAISONS D’AGIR, Paris,                                 2007, p. 101.
[4] GROUPE MARCUSE, De la misère humaine en milieu publicitaire. Comment l monde se meurt de notre mode de vie, La Découverte, Paris, 2004, p.9.
[5] DUVAL J., Critique de la raison journalistique. Les transformations de la presse économique en France, Seuil, Paris, 2004, p.106.
[6] Je cite ici  la déclaration suisse mais il en va, sur ce point, de même en Belgique et en France.
[7] Directives relatives à la déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste, in www.impressum-fribourg.ch/pdf/ddd.pdf
[8] Ibid.
[9] BENILDE M, Op.cit., p. 87.
[10] BENILDE M., Op.cit,p. 99.
[11] Idem p.91-92.
[12] « Publicité et société » n°2 décembre 2008 in www.arpp-pub.org/Revue-publicite-et-societe.html
[13] Cité dans « Quand le profit devient la seule déontologie. Des journalistes au bord de la rébellion »
 de RIMBERT P. in  Monde diplomatique février 2007.
[14]« Entre journalisme et publicité, des règles d'éthique existent-elles encore ?
Suivi d'une interview de Daniel Cornu » in w
ww.alterfamiliae.ch/kezako/publicite/problematique/problematique.html
[15] Cité par BENILDE M., Op.cit., p. 19.
[16] Ibid, p. 98.
[17] Ibid.
[18] Voir à ce propos « Quand le profit devient la seule déontologie. Des journalistes au bord de la rébellion » op. cit.
[19] CASTA A., « Pour que vive la Télévision Publique » in
                         http://www.scam.fr/Telecharger/DocumentsInfos/lettres/Lettre32.pdf.
[20] BENILDE M., On achète bien les cerveaux, op. cit, p.10.
[21]BENILDE M., «  La télévision publique libérée de ses chaînes ? » in Monde diplomatique, février 2008.
[22] « Je souhaite que le cahier des charges de la télévision publique soit revu profondément, et que l’on réfléchisse à la suppression totale de la publicité sur les chaînes publiques. Voici une révolution qui, en changeant le modèle économique de la télévision publique, changera du tout au tout la donne de la politique culturelle. »
[23] Voici pour exemples quelques réactions lors de l’Assemblée nationale faisant suite à cette décision.
M. Noël Mamère. Ainsi, vous annoncez 450 millions d’euros, mais nous savons que France Télévisions, qui avait un résultat excédentaire de 29 millions d’euros avant la décision du Président de la République, souffre maintenant d’un déficit de 80 à 100 millions.
M. Marcel Rogemont. Grâce à tous nos amendements, je pense que vous avez maintenant compris combien nous considérons la suppression de la publicité sur France Télévisions comme une mesure malvenue. Pourquoi, dans une société qui n’a pas d’argent et qui croule sous les déficits, consacrer une partie des impôts – les nôtres – à compenser une suppression de ressource qu’on pouvait éviter ?
Même s’il avait été souhaitable de supprimer la publicité sur France Télévisions, il aurait été préférable de le faire à un autre moment. Le rapporteur général a dit ici même combien cette précipitation était inappropriée, compte tenu de la crise que nous traversons actuellement.
Ce contre quoi nous sommes, ce n’est pas le fait qu’il n’y ait plus de publicité sur France Télévisions – comme on aimerait nous le faire dire –, ce sont les conditions inadmissibles dans lesquelles cela se passe.
Nous sommes très inquiets, car la suppression de la publicité aura nécessairement un impact financier, qu’il est très difficile de mesurer. Nous ne savons pas, aujourd’hui, ce qui se passera dans six mois. Nous sommes incapables de dire dans quelle situation économique nous nous trouverons, dans quelle situation sera le marché publicitaire et les finances de notre pays. Le déficit budgétaire est aujourd’hui de 2,5 % du produit intérieur brut, et dépassera les 4 %.
In http://www.assemblee-nationale.fr/13/rapports/r1267-t1.asp

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