vendredi 27 août 2010

Fichte : la critique du libéralisme économique et nationalisme.


Fichte et la critique du libéralisme économique et nationalisme.


Fichte a défendu successivement toutes les théories politiques, de l’anarchie à la dictature éducative. Il voulait réformer la société Je ne veux pas seulement penser, je veux agir. (BI 61) Son but était d’instaurer la liberté véritable à tous les niveaux et dans tous les domaines où se pose la question de la liberté. Par exemple, en 1788, suite aux « Edits de la Religion et de la Censure » publiés par le ministre Wollner, une polémique fût déclenchée quant à la liberté de penser. Fichte y prit part en défendant la sagesse et le bien fondé de ces édits. Mais il n’a pas fini son livre et n’en a rien édité. Néanmoins, quelques mois plus tard il rédigea un pamphlet –Revendication de la liberté de penser»- contre ces mêmes édits. Comment expliquer ce revirement ? On croit qu’à la base Fichte était davantage conventionnel dans ses positions politiques jusqu’à ce qu’il prenne connaissance des émeutes du 10 août 1792 à Paris. Il découvre que les monarchies ne sont pas un mal inévitable et que le peuple peut faire changer les choses. Il admire la révolution qui consiste à quitter un Etat injuste pour en fonder un plus équitable. Selon Fichte, l’Etat doit être contractuel, le peuple constitue les contractants et il est le seul légitime souverain. Dès lors, chacun détient le droit de dénoncer le contrat social et de s’en retirer s’il le souhaite car on dispose librement de soi par la loi morale.
En 1788, il écrit «Les pensées au hasard d’une nuit d’insomnie» où il présente son projet d’utopie socio-politique qui manifeste une inspiration réformiste.
Ses deux premiers grands textes politiques sont « Revendication de la liberté de penser » et « Contributions destinées à rectifier le jugement sur la Révolution française ». Dans ce dernier texte, il prône un individualisme absolu qui résulte de la réduction du sujet politique au sujet moral. Cet individualisme vient d’une inspiration libertaire et d’une conception commerciale du contrat social et entraîne le libéralisme économique absolu. Dans sa «Preuve de l’illégalité de la reproduction des livres » il défend la liberté privée, le libéralisme économique comme étant le prix nécessaire de la liberté politique. Il considère la liberté comme un droit naturel. Nous avons le droit d’exclure tous les autres de l’usage d’une chose que nous avons façonnée au moyen de nos facultés et à laquelle nous avons donné notre forme (C146) Il défend le libéralisme absolu car l’Etat n’a, selon lui, pas le droit d’intervenir dans le régime de la propriété. 
En 1794 il rédige la première version de la «Doctrine de la science» qui a pour but d’élaborer de nouveaux principes métaphysiques qui défendraient la Révolution française et qui serviraient a fonder une politique véritable. C’est une solution apportée aux problèmes qu’avaient engendrées ses « Contributions… ». Il s’agit de dépasser l’échec de l’individualisme libertaire et de donner consistance à la société politique. Si dans les « Contributions… » il justifiait l’envie que l’homme pouvait avoir de vivre seul, dans la destination du savant il écrit que la tendance communautaire fait partie des tendances fondamentales de l’être humain, que celui-ci n’est complet que s'il vit en société.(CD5,48). Fichte passe d’une conception minimaliste de l’Etat à l’affirmation de sa nécessité. L’Etat est en effet conçu comme seule garantie du droit dans la vie communautaire. Le but de l’Etat est de faire jouir un maximum de personnes d’un maximum de liberté. Ainsi l’ordre juridique assure la liberté de tous en restreignant celle de chacun. L’Etat fonctionne comme un appareil de contrainte, il doit être fort. Cela n’empêche pas l’individualisme : si quelqu’un adhère au contrat social ; c’est par intérêt, il s’y engage en toute liberté. On peut penser ce contrat sous forme de marché : l’Etat protège les biens de l’individu qui, en échange, doit apporter une contribution à sa formation mais sans jamais s’aliéner totalement. L'individu doit se soumettre a une grande contrainte et tolérer d'importantes restrictions au nom des exigences de la liberté individuelle. Et cela ne va pas sans de graves problèmes...
 En 1796, dans les « Fondements du droit naturel d’après les principes de la Théorie de la science », il augmente encore le pouvoir de l'Etat en proclamant qu' étant donne que chaque individu doit pouvoir se procurer de quoi vivre par son seul travail, (nemo p1233) la propriété des riches et des nobles est illégitime. L’Etat doit repartir la propriété de façon plus égalitaire, de telle sorte que chacun puisse vivre, afin que soit réalisée la justice sociale. Mais comme il ne veut pas se défaire de son libéralisme, il tente de concilier des exigences contradictoires ce qui fait qu'il défend tantôt un totalitarisme, tantôt un libéralisme, qu'il plaide pour un universalisme en même temps que pour un individualisme...C'est ce qui a mené à l'échec de cette oeuvre.(p80) 
Un grand nombre de ces contradictions résulte de l'ambivalence de Fichte par rapport a la démocratie politique. Mais quand il finit par considérer que l'autoritarisme est le plus sur garant de l'égalité économique et qu'il décide de sacrifier la démocratie politique a la démocratie sociale, les contradictions disparaissent. Mais il n'est pas tout à fait satisfait de cette solution, ce qui le pousse vers une autre voie qui est celle de "l'Etat commercial ferme". Fichte y sépare la démocratie politique et la démocratie sociale, prônant ainsi un socialisme d'Etat. « L’Etat commercial fermé » est le plan de réforme de l’Etat où il propose, en 1800, au gouvernement  prussien de passer au socialisme étatique. C'est la rupture avec l'idéal libéral, le libéralisme y est compris comme la loi de la jungle et ne convient pas a l’homme civilise. L’Etat doit pouvoir venir a bout de tous les égoïsmes et donc il doit être autoritaire.(Nemo p1234) Fichte innove sur le plan économique en proposant une nouvelle définition de la propriété et c'est par celle-ci qu'il ouvre la voie à un système socialiste. La propriété est conçue comme la condition de la liberté réelle, car le corps (Leib) est le représentant du moi dans le monde sensible. Or, comme le corps est la première possession, le droit de propriété revient a pouvoir poser librement certaines actions et la propriété des choses en est la résultante logique.(p78) Fichte développe dans ce texte une philosophie socialisante du travail car, comme cela a déjà été dit, le droit de propriété revient en fin de compte, a pouvoir vivre de son travail. La propriété n'existe pas en dehors de l'Etat, à sa base elle n'est que possession, il faut qu'elle soit reconnue par autrui dans le Contrat social pour accéder au statut de propriété. C'est l'Etat qui établit le possesseur comme propriétaire et qui est chargé de le protéger ensuite parmi ses biens. Mais la propriété n'est pas un droit naturel, c'est l'Etat qui l'établit, ce qui fait qu'il peut avoir le droit d'intervenir dans celle-ci dans l'intérêt collectif. L'Etat est source et garant du droit. Le droit de propriété est subordonné au droit à l'existence, la propriété étant le droit qu'a chaque citoyen de jouir et de disposer de la portion de biens qui lui est garantie par la loi.(p79) Fichte développe dans cet ouvrage le principe du dirigisme économique: le citoyen doit sa propriété a l'Etat et paie en contrepartie en devoirs de contribution. Il continue à défendre l'égalitarisme, tous les hommes tendent au bien-être et chacun d'entre eux a le droit a une part égale de ce bien-être. Le devoir de l'Etat vis-à-vis des citoyens est d'assurer cette égalité. Pour garantir cela, l'Etat doit être autarcique, il doit rester maître du calcul économique (p85)en empêchant les activités des marchands étrangers. De plus il doit fixer le numerus clausus des trois classes laborieuses que sont les producteurs, les artisans et les marchands et régir ensuite les relations entre eux en fixant les prix et en empêchant toute spéculation. Cette doctrine économique est défendue par Fichte jusqu'a sa mort en 1814. Il va de soi que pour réaliser ce programme économique l'Etat doit être autoritaire et dirigiste. Et cela ne correspond pas à Fichte, ardent défenseur de la liberté. Il essaye de défendre un Etat fort car il sait que sans cela son système s'effondre mais, en même temps, il essaye d'inclure le Contrat social dans cet Etat. Il n'arrive pas a renoncer a son individualisme... 
On voit donc que Fichte a défendu successivement différents régimes politiques. Le jeune Fichte était assez conservateur, ensuite, en 1793 il s'enthousiasme pour la révolution française et la liberté, ce qui le pousse a défendre l'anarchie, le destruction de l'Etat et le libéralisme économique absolu. Il célébrait la société l'Etat n'est qu'un moyen de fonder une société accomplie, ce n'est pas le but absolu de l'homme. Mais en s'interrogeant dans la «  Doctrine de la science » et dans « L'Etat commercial fermé » sur la manière dont on pouvait faire accéder à la liberté vraie le peuple qui n'en a pas la moindre connaissance et donc aucun désir, il se rend compte qu'il faut tout d'abord éduquer le peuple et ce grâce à une dictature éducative assurée par un Etat fort. De plus, il prend en compte le fait que l'inégalité économique résulte du libéralisme économique et porte atteinte à la liberté. Pour y remédier il  restaure l'Etat dans certains de ses pouvoirs dont celui d'organiser la propriété. Il étend la liberté au domaine économique grâce à l'égalitarisme mais il la réduit dans le champ politique puisqu'il demande un dirigisme économique. Dans l’«Etat commercial fermé » il finit par défendre l'étatisme. Dans les « Discours à la nation allemande » il reminimise le rôle de l'Etat en disant que la communauté vraie est celle de la nation car c'est une communauté concrète, c'est la communauté des hommes. Jean Michel Besnier traite, dans son Histoire de la philosophie moderne et contemporaine /1, de l’évolution de Fichte après 1800. C’est à cette époque que Fichte publia L’ « Etat commercial fermé», « Machiavel et autres écrits philosophiques et politiques » (en 1806-1807), ainsi que les « Discours à la nation allemande ». Fichte semble y contredire ce qu’il défendait auparavant, il y prône un étatisme absolu alors qu’auparavant il défendait la révolution et la politique fondée sur les droits de l’homme et sur la liberté, contre le cosmopolitisme, il conseille un patriotisme agressif...Une des hypothèses les plus convaincantes est, selon Besnier , celle qui considère que Fichte s’est laissé influencé par la philosophie hégélienne de l’Histoire. Dans les « Fondements...», il pose l’homme comme être indéfini l’homme, seul, n’est originairement rien. Ce qu’il doit être, il lui faut le devenir par soi même. (p 362 Besnier et p92 Fondements du droit naturel selon les principes de la Doctrine de la science, trad. Renaud, PUF, Paris,1984.) Mais dans se écrits d’après 1800, il semble considérer la nature de l’être humain comme foncièrement rétive,  et même méchante ce qui fait que le droit doit être instauré par la contrainte...


Si ses textes politiques sont aussi nombreux que ses textes métaphysiques, c'est parce que son intérêt pour la politique résulte de sa préoccupation première: la liberté. Car pour que la liberté puisse être réalisée, il faut que soit réalisée la liberté politique. La notion de liberté est la clé pour la compréhension de son œuvre, la liberté est pour lui l’Absolu, la Vérité. C’est de son amour pour elle que lui vient son enthousiasme révolutionnaire, son nationalisme, son utilitarisme…Mais ses nombreux revirements politiques montrent que la réalisation de cette dernière est loin d'être aisé. Dans l’ « Etat commercial fermé » il arrive à la conclusion que l'Etat doit guider l'individu, fût-ce contre son gré. En affirmant cela, il reconnaît des droits et des devoirs à la communauté politique, il en fait une totalité organique, un être qui transcende la somme de ses parties...Et étant donné que, selon Fichte, la fin absolue est morale, le fin de l'Etat est la fin morale du genre humain. Les gouvernements sont les dépositaires du destin moral de l'espèce humaine et ils doivent protéger la liberté politique. En définitive, l'Etat doit plier les volontés individuelles sur ses projets si ceux-ci visent la fin absolue mais cette sujétion ne doit pas nuire à l'autonomie véritable. En fait, il faut élaborer un mécanisme institutionnel qui pousserait la volonté de la communauté à être toujours active et à agir là où elle doit agir, son rôle consistant en grande partie à contrôler le fonctionnement du mécanisme politique.
Dans les « Discours à la nation allemande », Fichte défend le point de vue selon lequel la nation prédisposée pour accomplir la fin morale est la nation allemande. Selon lui, chaque peuple possède une nature spirituelle particulière qui est déterminée a priori par la loi de l'esprit et a posteriori par les oeuvres spirituelles accomplies par les individus de ce peuple. Il donne ainsi une consistance ontologique au peuple. Pour défendre ces idées, Fichte s'est inspiré du mythe national allemand.
Chaque nation a son mythe d’origine, celui de l’Allemagne a été élaboré un peu plus tardivement que ceux des autres nations et ce, parce que l’Allemagne n’était pas un pas un Etat uni mais une confédération de 39 Etats. C’est par une prise de conscience de l’unité de ces Etats que naquit la conscience de l’unité nationale allemande. Celle-ci se base sur la langue allemande que tous partagent et qui se définit en s’opposant aux langues latines. Ainsi l’allemand est perçu comme une langue originelle, contrairement au français et a l’anglais qui sont des langues reconstituées, faites de morceaux.
Autour de 1500 on ajoute a la revendication de pureté une revendication d’hégémonie. Le passé pré-romain et pré-chrétien de l’Allemagne est valorisé en réinterprétant les textes antiques traitant des Germains. On se base sur la Bible pour dire que les Allemands sont autochtones (parce que les Germains ont été engendres sur place par Tuisto, l’ancêtre des Germains selon Tacite) Luther conçoit l’Allemagne comme prééminente: selon lui la religion est originairement allemande, la musique est allemande, l’Allemand est la langue d’Adam et des patriarches...Il s’agit de se remettre de toutes les humiliations nationales dont l’Allemagne aurait souffert.
Avec le rationalisme des Lumières, on s’éloigne des mythologies bibliques, la Bible ne faisant plus autorité. Mais l’idée d’une élection allemande n’est pas mise de côté. L’Allemagne a un grand rôle à jouer dans l’Histoire. Comme l’écrit Schiller en 1801 le peuple allemande est le noyau du genre humain...élu par l’esprit universel pour oeuvrer éternellement à l’éducation humaine.
Les « Discours à la nation allemande » sont un ensemble de conférences prononcées en 1808, en plein milieu des guerres napoléoniennes. Face a l'agression militaire française, la question nationale s'imposait. Fichte s'y présente en Allemand s'adressant à des Allemands dans une situation de crise. Il s'agit de sortir de cette situation de détresse et de proposer un nouveau type d'éducation capable de constituer une identité nationale. Ces discours sont adresses à la nation, ce qui, comme le souligne Philippe Nemo est déjà révolutionnaire car on passe par-dessus la tête des Etats et des princes, ce qui revient a suggérer qu’il faut abattre ces gouvernements réactionnaires. Il y demande que le but du genre humain soit effectivement atteint dans le genre humain (Religion et identité culturelle chez Fichte, trouver reste ref). Il semble défendre avec ce projet un nationalisme culturel et populaire à visée universaliste. Il dit considérer la nation allemande comme l’ensemble des hommes qui parlent allemand et développe l'idée de la nationalité comme éducabilité. Il dit qu'il faut faire de sa culture un facteur de relèvement de l'humanité afin de mobiliser chaque peuple a donner le meilleur de lui-même, le meilleur de sa créativité et de l'unir à l'idée générale du genre humain. Ainsi il présente le nationalisme prussien comme une occasion de mobiliser le peuple et de mettre en mouvement un vaste programme d'éducation civique qui permettrait de mettre en place un nouvel ordre social. C'est ordre social a pour fin la réalisation d'un vrai accord des libertés par la reconnaissance d'une destinée commune et d'une communication plus élaborée.
Fichte part d'une critique de l’individualisme de l’Allemagne qui n’est pas une vraie communauté, c’est ce qui causa en partie sa défaite contre la France. Un autre facteur responsable est l'Aufklarung qui à détruit la religion et les autres formes morales telles l'amour de la gloire et le patriotisme, ce qui a abouti à la démission politique. L'esprit a été libéré des autorités traditionnelles, il est devenu égoïste et plus capable de prendre part un projet collectif de construction nationale. Les Discours sont prononces contre la rationalité et l'irréligion, ils s'insèrent dans la contre offensive religieuse et patriotique menée dès 1770 par Herder, Arndt, Jahn.... Il faut donc développer des particularités nationales grâce à une éducation nouvelle car l'ancienne éducation croit qu'on ne change pas l'homme. L'éducation réformée sera plus morale qu’intellectuelle et surtout accessible à tous. Il faut que cette éducation soit nationale et obligatoire et que les écoles soient en partie autarciques afin de ne pas lier l’empirique-la société civile qui subventionnerait- et le transcendantal. L’Etat cependant assurera les frais complémentaires car il est voué à la survie terrestre de la nation. Comme l’école sera quasi autarcique, les élèves devront travailler ce qui les préparera à la guerre et aux activités économiques, l’Etat fera donc des économies dans ces domaines et disposera de soldats et d’une main d’œuvre bien formée. Cette éducation sera fondée sur une nouvelle religion qui sera la religion de l’Idéal, il faudra former l’élève à la pureté morale, agir selon l’Idée. La vie spirituelle est la vraie vie et devra être revalorisée en tant que telle. Il faudra faire comprendre aux élèves que l’être est un éternel devant-être, et que faire advenir cet être devant-être est la tâche première de l’humanité. Il faudra libérer l'esprit des structures de dépendance et de domination.
Il y a, selon Fichte, deux stades de développement de la conscience. Le premier est un sentiment obscur qui se manifeste par l’amour de soi et le second est la conscience claire qui permet d’atteindre à l’Idéal. Ce sont donc les hommes qui auront atteint le second stade qui seuls pourront réaliser la tâche essentielle de l’humanité. Or, le seul peuple qui y soit arrivé est le peuple allemand. Pour prouver cela, il examine dans le quatrième discours l’essence de la germanité. Ce n’est pas la race qui caractérise les Allemands car, selon Fichte, tous les Européens sont des Germains mélangés avec les différents peuples conquis, les Allemands eux-mêmes ont étés mélangés aux slaves. Ce que les Allemands ont en propre, c’est qu’ils ont garde leur langue, ils parlent encore leur langue originaire. Selon Fichte, une langue originaire permet de designer adéquatement le supra-sensible, et ce parce que elle évolue par sa logique intérieure, sans emprunts étrangers et n’a pas été utilisée par un autre peuple. En effet, le supra-sensible ne peut être atteint que par des métaphores ayant une base sensible. Or les langues reconstituées coupent les abstractions de la réalité sur laquelle elles sont fondées. Dès lors, ils ne voient dans les mots que des notions opaques et non l’élan vital qui a présidé à leur formation. Par contre, le locuteur d’une langue originelle continuera à saisir le sens sensible sous le sens métaphorique et sera conscient de la distance que la métaphoricité fait franchir à l’esprit. Comme l'écrit J. Goddard dans « La résistance au pouvoir dans la pensée de Fichte », le langage a plus d'influence sur l'homme que l'homme sur le langage. La langue ne définit pas l'être empirique du peuple, mais son lien spirituel, intelligible, pour ainsi dire sa substance mobile, ce qui a travers la multiplicité des actes de communication l'entraîne dans une incessante transformation.

Dans le « Sixième Discours », Fichte développe le point de vue selon lequel seuls les Allemands auraient accès au vrai christianisme. Car le christianisme, religion de l’Idéal, comporte également, par son origine asiatique, beaucoup de superstitions et exige une croyance aveugle. Aucun peuple n’a su purifier le christianisme de ces superstitions: les Romains étaient eux-mêmes superstitieux, les Germains immigrés pas suffisamment éduqués et les Italiens pas assez sérieux. C’est donc les Allemands qui, par la Reforme luthérienne s’en sont chargés. Comme ce peuple est le seul à pouvoir atteindre l’Idéale, il est le seul à pouvoir développer l’Idéal de la religion chrétienne, à savoir le salut de l’âme. Donc, le peuple allemand a été le premier peuple véritablement chrétien et Luther n'aurait pu être qu'Allemand... Dans ce même état d’esprit, Fichte défend la guerre des Trente Ans car c’est une guerre de l’Idéal auquel les Allemands ont accepté de se soumettre.
Un autre domaine où les Allemands se distinguent est la philosophie. Avec la Reforme, s’est mise en place un peu partout en Europe le libre exercice de la raison. Il cite Lessing et Kant à titre d'exemple. Dans la plupart des pays européens cela a donne les Lumières, des philosophies athées, basées sur l’exercice de la seule raison. Mais en Allemagne, les philosophes ont cherché le supra-sensible dans la raison même, ce qui donna lieu a la vrai philosophie qui seule permettra l’éducation de l’homme parfait qui pourra mettre en place l’Etat parfait. Cette vraie philosophie ne pouvait éclore qu'en Allemagne car l'allemand est fait pour dire la vérité, écrit-il à la fin du treizième discours.
Le peuple allemand a une autre particularité qui annonce le rôle primordial qu’il est amené à jouer...C’est le seul peuple créateur. Les autres peuples ont une culture artificielle qui ne leur permet pas de voir l’Idéal et donc de créer. Seuls les Allemands, étant capable d’aller au fond des choses,  voient la vie éternelle dans les manifestations de la vie naissante et mourante. Et comme ils sont les seuls à penser la vie éternelle ainsi que les seuls à créer, ils sont les seuls à vouloir le progrès.
C'est au peuple allemand qu'est destinée la mission de façonner une humanité nouvelle, tout son passé l'y a préparé. En effet, ce sont les Germains qui ont créé la civilisation moderne et les Allemands, par le fait qu'ils utilisent encore la langue originelle, sont les plus purs des Germains. Cet avantage leur assure une supériorité incontestable comme ouvrier de la civilisation, car une langue réellement vivante donne lieu à une philosophie plus profonde, ce qui fait du peuple qui la parle la source du progrès et le refuge de la civilisation. donne lieu aux frontières extérieures.  
L’humanité se scinde en deux parties. L’une se constitue de ceux qui veulent et aiment la liberté, de ceux qui ont une vie personnelle et créatrice, se sont eux qui constituent un Urvolk, le peuple, c’est-à-dire les Allemands. Tous les autres sont des étrangers. Donc, Fichte, ici du moins, ne base pas son nationalisme sur des critères territoriaux et raciaux: tous ceux qui croient à la spiritualité et a la liberté(...), quels que soient leur pays d’origine et leur langue, sont avec et pour nous. (p!163 chez Fichte et 1241 Nemo). Il y a la une conception pangermaniste mais ce pangermanisme n'est pas impérialiste, il est cosmopolite, l'esprit allemand doit servir de guide parce qu'il est plus purement humain. Il en vient ainsi à identifier dans le quatorzième discours la cause de l'Allemagne à la cause de l'humanité toute entière.
Mais en même temps, il considère que ceux qui parlent la même langue forment un tout indissoluble et ne peut accueillir en son sein aucun peuple étranger car cela lui ferait perdre son originalité et troublerait la progression uniforme de sa culture. Cette frontière intérieure, tracée par la nature spirituelle de l’homme. Les hommes ne forment pas un peuple parce qu’ils habitent un territoire limite par telles ou telles montagnes (...), mais, au contraire, ils vivent ensemble parce qu’ils formaient déjà un peuple des l’origine en vertu d’une loi naturelle en tout point supérieure. Fichte défend ici un nationalisme ferme...Il faut sacrifier sa vie à sa nation, il faut se dissoudre dans la totalité pour garder le contact avec le divin. Le rôle de l’Etat est d’assurer l’ordre et la subsistance. Le peuple dépasse infiniment l’Etat car il est l’incarnation de l’infini. L’Etat est séparé de la nation, l’Etat gère la subsistance tandis que la nation s’occupe des réalités idéales. Dès lors un Etat peut prendre différentes formes tant qu’il préserve la liberté. La monarchie absolutiste est, pour ce motif, rejetée car elle tenterait de prendre la direction spirituelle de la nation.
Selon Fichte, Dieu a voulu une pluralité de peuples et d’individus et il est donc nécessaire de respecter cette diversité des peuples. En ce sens, il faut que les Etats soient fermés sur eux-mêmes ce qui implique pas de commerce international, pas de colonisation, pas de mélange, pas d’immigration...La nation se défini par la différence, par l’enracinement dans un héritage, il y a déterminisme car on naît membre d’une nation, on ne le devient pas. Cette conception ethnolinguistique et culturelle de la nation, de Kulturnation a donne le mythe conservateur de la nation comme réalité permanente, à la fois antérieure et postérieure aux mutations de l’histoire. Comme chaque nation est l’œuvre de Dieu ( treizième discours), chacune sera amenée à avoir un rôle important dans l'Histoire. Celui de l'Allemagne sera d'assurer la relève de la Révolution française trahie par Napoléon, de permettre l'avènement de la fin absolue dans le respect de chacun des autres peuples. Car Fichte s'oppose au fantasme d'une Allemagne conquerrant et dominant les autres Etats. 
En conclusion, Fichte n'a adhère ni a l'universalisme éclairé ni au nationalisme romantique. Il conçoit la culture et la tradition comme des actes de liberté à travers lesquels se construit constamment le monde humain. Le devenir de l'espèce humaine est une création collective, d'où l'importance de la diversité. Comme le tempérament national est déterminé par le rapport entre la race et la langue, l'Allemand, par sa langue et sa culture est considéré comme l'Homme-Type (intro discours a la nation all) et prend une signification cosmopolite. De plus, l'Allemagne possède certes un caractère national mais celui-ci n'est pas le produit de l'histoire car l'Allemagne n'a jamais été unie...Ce caractère n'est donc pas quelque chose de contingent mais bien au contraire quelque chose d'essentiel, d'inné, d'éternel.


Nationalisme 
Il y a de nombreuses controverses sur l’origine du nationalisme. Pour les partisans d’une chronologie longue, les nationalismes remontent au Moyen-Age tandis que pour les défenseurs d’une chronologie courte les nationalismes résultent de la révolution industrielle et de la modernité(p63-references). Si on conçoit la nation sur le profil de la longue durée, on se base sur la racine du terme nation: naître, et on lie la nation à la famille, au lieu de naissance et à la petite communauté environnante. Au Moyen-Age, la nation désignait les membres de groupes lies si pas par le sang, par un lieu d’origine et par la langue.
A l’époque moderne, le sens de nation évolua,  notamment suite au Traite de Wesphalie en 1648, en incluant une connotation politique. D’ou la définition de l’Encyclopédie en 1765: Mot collectif, dont on fait usage pour exprimer une quantité considérable de peuple qui habite une certaine étendue du pays, renferme dans certaines limites, qui obéit au même gouvernement. 
A la fin du XIXeme siècle, deux conceptions de la nation s’opposent, la conception française et la conception germanique.La conception allemande a été surtout développe par Herder et Fichte et on doit la conception française à  Sieyès. Ce dernier définit la nation comme société de citoyens formellement égaux, considérés comme un tout indivisible, comme une entité abstraite et autonome et investie de la souveraineté détenue auparavant par le monarque. C’est un nombre plus ou moins considérable d’individus isolés qui veulent se réunir. Par ce seul fait, ils forment déjà une nation. Le seul critère de nationalisation est donc le volontarisme. 
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